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23 février 2018 5 23 /02 /février /2018 17:17

On pourrait gloser sur le titre de ce film, qui est aussi l'appellation du roman de Hermann Bang adapté par Dreyer et la scénariste Thea Von Harbou: car si Michael est bien le titre du sixième film du metteur en scène, le personnage qui porte ce nom, interprété par Walter Slezak dans toute la séduction de sa jeunesse, n'est pas le héros. On aurait compris que le film s'appelle Claude Zoret.

Ce dernier (Benjamin Christensen) est peintre, et sculpteur, et il a réussi: une carrière entière, dont l'essentiel est déjà derrière lui, à rencontrer la gloire, mais jamais autant que depuis qu'il a rencontré Michael. C'était un jeune peintre qui venait pour montrer ses oeuvres, mais le maître n'a pas été convaincu. Par le métier du jeune homme, du moins, car il n'a pas été insensible à sa beauté, et à partir de cette rencontre, Michael est devenu le modèle quasi exclusif de Zoret. Tout en conservant un appartement, Michael est chez lui chez son ami, et la complicité qui les unit est évidente. Jusqu'au jour où Zoret reçoit la visite d'une femme noble au bout du rouleau qui lui commande un portrait... tenté de refuser, l'artiste s'exécute, mais s'avère vite incapable de travailler. Mais Michael lui vient en aide, et va même apposer le seul trait de génie du tableau, les yeux de la belle comtesse Zamikow (Nora Gregor)... Zoret a été incapable de sen inspirer, mais Michael n'arrivera pas à cacher qu'il est très attiré par le jeune femme...

Pour la deuxième fois, Dreyer tourne pour l'Allemagne. Mais contrairement à Aimez-vous les uns les autres (1922), tourné en décors naturels, celui-ci va être tourné dans le cadre rassurant et particulièrement professionnel de la Decla Bioscop: avec le concours de Thea Von Harbou, du chef-opérateur mythique Karl Freund (Qui interprète aussi un petit rôle dans le film), et avec une galerie d'acteurs impressionnants, le metteur en scène semble tout à coup échapper au cadre si austère de ses productions habituelles, mais on ne peut pas s'y tromper, Michael porte vraiment sa marque. N'oublions pas qu'à cette époque, il n'a pas son pareil pour adapter sa mise en scène et son cadre aux exigences ponctuelles de son oeuvre. Alors forcément, avec Karl Freund à la barre et un sujet qui tourne autour de l'art sous toutes ses formes, le style est apparemment opulent, riche et particulièrement soigné. 

"Apparemment" opulent, oui, car Dreyer réadapte les décors à sa guise, pousse les meubles et les objets qui encombrent la riche demeure de l'artiste, pour y ménager des espaces vides, et placer sa caméra le plus loin possible de l'action... Il fait réellement sienne cette histoire de possession artistique et amoureuse, au point qu'on en viendrait même à se demander qui, de la "muse" Von Harbou (Ancienne épouse d'un artiste délirant, Klein-Rogge, désormais mariée à un autre artiste plus énorme encore, Fritz Lang), ou de l'austère mais mystérieux Dreyer, a vécu une telle histoire d'amour.

Une histoire d'amour, donc, entre un peintre et son modèle. Malgré tous les efforts de circonstance pour faire dire aux intertitres que Michael est "le fils adoptif" de Zoret, le lien amoureux est évident entre eux. Et souligné, d'ailleurs, par une autre intrigue amoureuse, celle du Duc de Monthieu (Didier Aslan) pour la belle Alice (Grete Mosheim). celle-ci aussi se finira mal, du reste... Et l'amour de l'artiste pour le jeune homme va être particulièrement trahi par l'idylle qui va se nouer entre Michael et la Comtesse. Dans un premier temps, il va ressentir la trahison par à-coups, avant de voir Michael le déserter petit à petit, puis ne plus venir le voir que par intérêt, profitant de chacun de ses visites pour voler l'un ou l'autre objet. Pour les vendre, parfois, ou pour les posséder car ils font partie du standing qu'il entend acquérir, et puis... il y a aussi que Michael pense le moment venu d'afficher la sophistication apprise auprès de son maître. Et il est frappant de voir que la décoration de la maison de Zoret (entièrement dédiée à l'art, souligné, mis en valeur partout) trouve un écho déformé dans l'appartement en fouillis de Michael, dont les tableaux qui occupent l'espace sont mis en parallèle avec des objets plus hétéroclites (des marionnettes notamment). Tout en lui volant son argenterie, il ne cesse de s'éloigner de son mentor...

Mais Zoret ne cessera pas d'aimer son protégé, y compris lorsque celui-ci négligera de venir le visiter sur son lit de mort. La fin continue de souligner les différences entre Zoret (qui meurt littéralement au pied de sa dernière oeuvre, qui le représente souffrant abandonné de tous) et Michael qui prend du plaisir, au pied d'un portrait de lui gigantesque peint par Zoret bien sûr. le double cadeau du maître (Il l'a peint lui entre tous, et il lui a offert la monumentale toile) s'appelle Le vainqueur...

Là encore, Michael n'est pourtant pas suffisamment un salaud pour qu'on le déteste, et on est loin du mélodrame. Il représente juste le passage d'une muse, et la chance pour Zoret d'avoir aimé: il le dit lui même, car il sait quelle puissance avait sa passion pour son jeune modèle. A la fin, Zoret est moins un homme sacrifié à son art, qu'un artiste qui a été au bout de sa passion, et qui a inscrit à la fois la fin de son amour et la fin de sa vie, dans sa ligne de vie. Ce qui fait quand même, encore une fois bien plus qu'un film impersonnel tourné à Berlin, mais bien l'un des authentiques films majeurs d'un cinéaste décidément furieusement atypiques. Et cerise sur le gâteau, il est du début à la fin la chronique de l'amour d'un homme pour un autre, sans jamais la moindre diabolisation, ni le moindre remords. Belle prouesse, quand même...

 

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Published by François Massarelli - dans Carl Theodor Dreyer Muet 1924 **