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7 mars 2021 7 07 /03 /mars /2021 10:24

Sur la frontière Américano-Mexicaine, un magnat de la construction qui sortait d'un bar avec une conquête explose à cause d'une bombe dans sa voiture... Dépêché sur les lieux, le capitaine Hank Quinlan (Orson Welles), policier local dur et à la morale élastique, va passer plus de temps à essayer de chercher des ennuis à un témoin, Mike Vargas (Charlton Heston), un homme politique qui monte au Mexique, et qui vient juste de se marier, qu'à essayer de résoudre l'affaire... Et ça va aller loin, très loin, et aussi salement que possible...

J'allais même écrire "aussi salement que la censure de 1958 pouvait le permettre", mais ce ne serait pas tout à fait vrai puisque le film tel qu'on peut le voir actuellement, dans la version qui fait (plus ou moins, car il y a débat) autorité, va justement un peu plus loin, en étant particulièrement franche en matière de sexualité. Il y est aussi beaucoup question de drogue, mais sans jeu de mots volontaire, c'est un peu de la poudre aux yeux! On ne peut de toute façon pas faire l'impasse sur un aspect de Touch of evil qui est partagé avec tant de films de son auteur: dès que le tournage a débuté, les ennuis ont commencé pour Welles et le compte à rebours vers son éviction a été enclenché... Ca avait pourtant bien commencé, cette fois: un film noir, un genre donc dans lequel on attendrait forcément cette touche artistique et expressionniste que Welles ne peut s'empêcher de donner à tous ces films... Un acteur en vue, qui n'hésite pas à recommander Welles, et d'autres acteurs (Janet Leigh, mais aussi Marlene Dietrich) qui sont prêts à suivre les instructions du réalisateur à la lettre...

Seulement Welles ne pouvait pas se contenter d'un produit formaté. Il suffit de comparer le film avec n'importe quel film noir de la Universal en 1958 ou environs... Le studio ne brille pas par son originalité... Touch of evil, si: et dès le départ: un plan-séquence de près de cinq minutes dans lequel le metteur en scène cimente la véracité de son univers, la présence d'un couple (un Mexicain, une Américaine, ça n'avait pourtant rien de scandaleux, mais Welles sait qu'on peut lire entre les lignes) et il se paie même le luxe de commencer en très gros plan sur la bombe qui va détonner cinq minutes plus tard... Le deuxième plan, une explosion, est celui qui va précipiter le chaos dans une mécanique frontalière bien huilée: des gentils touristes, des gentils gens locaux, des gentils douaniers... Qui vont faire place à un chaos dans lequel on reconnaîtra un médecin lassé et blasé de tant de violence (Joseph Cotten), et surtout un policier odieux, véritable reflet de ses turpitudes (excès en tous genres, et on n'ose pas trop creuser): Hank Quinlan, un nouveau rôle à transformation pour Welles. Et le film est un festival de tentatives de mise en scène, de techniques, car Welles veut profiter du film noir pour TOUT expérimenter, le montage, la profondeur de champ, les plans-séquences, le clair-obscur mais aussi le son, et le tout en simulant un temps réel sur une journée puis une nuit...

Des frères ennemis de la frontière, des tentatives de fraternisation, des complots sous la table, des liens de famille dévoyé, des seconds couteaux dévoués jusqu'au sacrifice, une voyante, un couple à l'amour solaire et absolu, et un idiot en renfort: on est plus chez Shakespeare que chez Raymond Chandler, et cette particularité est plus Wellesienne que tout. On sait que quoi qu'il fasse, et dès Citizen Kane, le metteur en scène a tenté de faire comme Ford, élever le cinéma à a hauteur du barde. Une passion personnelle qui transparaît dans le film, et qui débouche inévitablement sur un constat amer: de par les ambitions de Welles, le film souffre d'un déséquilibre entre les intentions délirantes du metteur en scène, et le pulp assumé du sujet, jusque dans un viol contenu en ellipse, qui est du plus haut sordide... D'autant qu'il est l'objet d'un suspense crapuleux qui distille encore aujourd'hui un malaise certain. Mais cette insistance trouve aussi un écho dans les nombreuses promesses que le couple Leigh-Heston se fait, car cette nuit étrange, ne l'oublions pas, est supposée être la nuit de noces, et ils ont hâte... Janet Leigh ne s'en cache pas dans la voiture qui les conduit au motel fatal. Je ne vais pas pouvoir retenir la phrase suivante: on a presque envie d'ajouter que cette pauvre Janet Leigh devrait se tenir à l'écart des motels.

C'est doc devenu un classique par la force des choses, mais je pense qu'il est temps de le dire: je continue à penser que Welles s'est perdu après le massacre des Ambersons, et ce film a beau être un relatif retour en grâce, il n'est pas un très grand film. Il est un laboratoire dans lequel une certaine idée du cinéma s'expérimente sous nos yeux, et nos oreilles (le son, dans certaines versions, est du plus haut révolutionnaire), mais le fait qu'aucune version du film, il y en a trois en circulation, ne puisse totalement fonctionner sans référer aux deux autres, est gênant. Bien sûr, ce ne peut être imputé au metteur en scène. C'est le principal problème de Welles: on ne l'a plus laissé, après Kane, faire son cinéma comme il l'entendait. Et ça se voit. 

 

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Published by François Massarelli - dans Orson Welles Noir