Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
4 novembre 2012 7 04 /11 /novembre /2012 10:50

Le premier film de David Fincher est un paradoxe particulièrement intéressant: troisième film d'une franchise à succès, dont les deux metteurs en scène précédents avaient été engagés pour leur faits d'armes respectifs (Le visuellement superbe film The Duellists de Ridley Scott, et la réussite de Terminator malgré son petit budget pour James Cameron), ce nouvel opus a échoué dans les mains d'un metteur en scène débutant, ou du moins qui n'avait jamais réalisé que des clips vidéos et des publicités... Mais Fincher n'était pas le premier choix, loin de là. Renny Harlin, réalisateur de films d'action, devait à l'origine être à la barre (On l'a donc échappé belle), et le futur réalisateur David Twohy a ensuite été désigné par la production pour travailler sur un script, avant que le flambeau n'échoue enfin dans les mains de... Vincent Ward. Celui-ci, beaucoup plus un auteur-réalisateur de la trempe de Scott ou Cameron que ne pouvait l'être ce pauvre Harlin, est aujourd'hui responsable de la direction prise par le projet, qui voit Ripley échouer sur une planète-monastère, amenant avec elle son lot de problèmes, à commencer par une cargaison inattendue: un alien!! Le projet de Ward allait loin, très loin, et son histoire est à la base du film tel qu'on le connait aujourd'hui... Pourtant, ce ne sera pas le film de Ward. Les décideurs de Brandywine productions, propriétaires heureux de la franchise, après de nombreux scripts et faux départs, ont du trouver un nouvel artiste, et c'est sans doute en désespoir de cause qu'ils ont fait appel à un débutant, se disant sans doute qu'il serait plus facile à contrôler. On le voit, d'une part toutes les conditions étaient réunies pour faire du film le désastre commercial qu'il a effectivement été, et dautre part Fincher a commencé sa carrière avec un tournage particulièrement compliqué, dont il n'était pas à l'origine. Et pourtant le film porte indéniablement sa marque.

A l'idée de voir Ripley finir sa dérive dans l'espace, entamée à la fin de Aliens, sur une planète habitée par des hommes extrêmement religieux, la production a décidé d'ajouter un élément du concept de la version de David Twohy: le fait que cette petite planète, "terra-formée" afin de devenir une prison, ait fini par laisser les forçats en liberté, et qu'is aient continué à vivre sur ce monde hostile, plus ou moins supervisés par la compagnie Weyland-Yutani. Ainsi, Ripley arrive-t-elle dans un endroit ou elle sera la seule femme, habité par des violeurs à l'équilibre instable qui n'ont trouvé comme seul lien vis-à-vis de l'humanité qu'une religion fabriquée par leurs soins, très stricte, et sous le guide de Dillon (Charles Dutton), l'un des plus sages parmi les prisonniers. Vite, Ripley, qui a appris la mort du caporal Hicks et de la petite Newt, les deux autres survivants du désastre de Aliens, échappés avec elle de la planète, va sympathiser avec un médecin au passé douteux (Charles Dance), constater l'équilibre précaire dans lequel vivent les ex-prisonniers, et comme d'habitude faire face à un alien, avec un ingrédient inattendu, mais spectaculaire: elle porte une reine en elle, et donc pour le public il devient assez clair, très vite, qu'elle va mourir...

Les contraintes liées à la saga Alien sont ici respectées, bien sur: Ripley doit faire face à une incrédulité bien compréhensible, de la part notament des hommes de la compagnie Weyland-Yutani (Le gardien-chef Andrews interprété par Brian Glover, et son adjoint Aaron - Ralph Brown-, surnommé 85 en raison de son QI), mais aussi des homme de la colonie pénitentiaire. A cela s'ajoute l'hostilité manifestée par ces hommes qui se sont déshabitué des femmes, et bien sur les manoeuvres à distance de la colonie, qui sait non seulement qu'il y a un alien sur la planète, mais aussi que Ripley est infectée. On sait que la compagnie Weyland-Yutani est intressée depuis toujours par l'idée de posséder un alien afin d'assoir ce qui ressemble bien à une domination de l'humanité et de l'espace. L'alien, dans la version d'origine de Fincher, est né d'une vache, ce qui fait de lui un quadrupède: le film confirme que les aliens ont une morphologie héritée du malheureux "hôte" qui les accueille avant leur naissance... Sinon, Fincher choisit de prendre le contrepied du film de Cameron en retournant à l'économie d'Alien, et on verra assez peu les bestioles dans la première partie du film, même si Fincher se plait à alterner les plans extrêmement courts des créatures avec les aspects plus traditionnels de l'intrigue, notamment les conversations nécessaires mais parfois un peu redondantes: ainsi la naissance de l'alien d'une vache, ou encore la mort de Murphy, la première découverte de cadavre qui confirmera à Ripley qu'elle n'est pas arrivée seule... Le mode d'action du film dans sa deuxième partie reste un cocktail enivrant et claustrophobique de suspense, d'action, de course contre la mort et d'héroïsme délirant, Dillon et Ripley s'efforçant avec l'aide de tous les forçats d'attirer la bête via des conduits qu'il faut fermer au fur et à mesure, vers une gigantesque cuve ou elle sera noyée sous le plomb fondu...

Mais la sortie d'une version plus longue du film il y a quelques années, a mis en lumière ce qui manquait dans la version courte sortie en 1992, sorte de film à suspense extrêmement bien ficelé, sans beaucoup plus: durant les premières attaques de monstre, un des prisonniers, Golic, se serait persuadé qu'il s'agissait du diable, d'un dragon rédempteur qu'il fallait aider. De simple couleur locale, la religion des hommes de cette planète, devenait un élément moteur du film, et la justification d'un comportement auto-destructeur in fine non seulement pour le détenu Golic, fou et victime du rejet par les autres, mais aussi de la compagnie Weyland-Yutani. Le choix délirant des prisonniers de vénérer un seul dieu, ou dans le cas de Golic un seul diable, finit aussi par annuler toute prétention à la vérité dans le parcours religieux, un acte particulièrement courageux pour un film Américain. Et on peut relier l'histoire de Golic et celle de "John Doe", le meurtrier anonyme de Seven, l'un et l'autre fascinés par le mal jusqu'au sacrifice... Le film porte aussi d'autres traits dont Fincher va devenir coutumier, un aspect glauque qu'on retrouveras Seven et dans The game, une noirceur totale, un univers cloisonné, un refus du compromis habituel sous la forme d'un happy ending de circonstance... Ce réalisateur bien vert, qu'on imaginait aisément contrôler, a réussi à faire avaler à Sigourney Weaver qu'il lui fallait mourir à la fin du film, et qu'elle devait aussi se faire raser la tête: pas mal pour un débutant.

Quoi qu'il en soit, c'est une version de compromis qui sortir en 1992, réduite du tiers environ, et débarrassée de la sous-intrigue de Golic, entre autres. Fincher éjecté, le film subira quelques retouches, mais on peut aujourd'hui en voir les contours dans la "version de travail" plus proches des intentions du réalisateur, avec ses qualités (Un incomparable talent dans l'installation d'une atmosphère, dont on peut penser que les producteurs de Seven s'en souviendront) et ses défauts (Le choix de passer par des effets numériques pas encore totalement au point). Non seulement le film, bien qu'il ait été un échec commercial, m'apparait comme le deuxième meilleur film de toute la saga derrière le premier Alien de Ridley Scott, mais il confirme la naissance d'un grand réalisateur, qui nous a rarement déçu depuis.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans David Fincher