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11 novembre 2012 7 11 /11 /novembre /2012 17:06

Trois ans après, la banlieue des Diaboliques est le siège d'un film colorié en noir, que Clouzot commence en nous faisant le portrait au vitriol d'un médiocre, le Docteur Malic (Gérard Séty). Psychiatre, il dirige sa clinique, mais celle-ci a connu des jours meilleurs. L'argent ne rentre plus, et on y soigne juste deux malades: un toxicomane en très mauvais état (Louis Seigner), et une jeune femme (Véra Clouzot), muette à la suite d'un traumatisme qui ne nous sera jamais expliqué. Le docteur en a assez de végéter, et passe de plus en plus de temps au bistrot tous les soirs. Jusqu'au moment où un étrange Américain (Paul Carpenter) lui propose un marché: il lui faut accueillir un client, un dénommé Alex, et ne pas poser de questions, même lorsque se produiront des événements inattendus, tels que les remplacements imprévus de personnel. En échange de ces services, Malic recevra cinq millions de Dollars... Fin saoul, il accepte, mais dès le lendemain ne s'y retrouve plus: tout le personnel (en fait une infirmière et une cuisinière) a été remplacé, et une étrange "amicale d'ocarinistes" de Bagnolet a élu domicile au tabac du coin, dont le barman a lui aussi été remplacé pendant la nuit. De plus, un mystérieux Américain (Sam Jaffe) et l'aimable Monsieur Kaminsky (Peter Ustinov) font leur apparition dans la clinique...

"Clouzot a fait Kafka dans sa culotte", disait à propos de ce film Henri Jeanson. La critique est sévère, et globalement injustifiée. Mais le fait est que le film de Clouzot tourne en rond pour cause d'un nihilisme cynique et un rien trop appuyé. On retrouve au début du film le Clouzot des grands jours, qui dépeint sans forcer le trait l'univers minable du pauvre Malic (On jurerait que ce pauvre Séty a été choisi en raison de sa médiocrité): une conversation de bistrot sur les politiques qui oublient leurs promesses une fois élu, le penchant évident du docteur pour la bouteille, son seul pilier... Et les débuts du passage désastreux du héros dans l'espionnage, auquel il ne comprend rien sont excitants, mais le film bifurque vite vers le vide, avec une certaine maestria: les espions sont tous aussi déboussolés que Malic, ne sachant pas pour qui ils travaillent, un beau jour, tous les gens qui ont côtoyé Malic dans sa vie de tous les jours se révèlent plus au courant que lui dans une mystérieuse et inattendue réunion dans une salle de classe (Sous la direction de Jean Brochard, un fidèle parmi les fidèles). On croise même l'élève Moinet des Diaboliques, qui a un peu grandi et est désormais lui aussi membre du complot, et un chauffeur de taxi interprété par Larquey qui pourrait bien être le vieux taximan de Quai des orfèvres avec 10 ans de plus... Un espion est assassiné hors champ, un autre exécuté par le biais de la bande-son. Le bruit est prégnant (Un simple téléphone qui sonne se charge d'une diabolique signification), mais aussi le silence, dans ce film ponctué des apparitions touchantes de la seule personne qui semble accorder le moindre crédit à Malic, la muette Lucie. On s'y retrouve finalement très bien, alors où se situe le problème?

Le problème, c'est tout simplement qu'on a besoin de les aimer un peu, les personnages! Hitchcock qui deux ans plus tard réalisera lui aussi un film sur les mésaventures d'un homme enrôlé malgré lui, et à l'aveuglette encore, dans une intrigue d'espionnage, ne s'y trompera pas. Ici, les personnages qui mènent une vie dure à Malic sont tous sympathiques, y compris Curd Jürgens en "Alex", le mystérieux personnage autour duquel tout ce petit monde s'agite; même le chef Russe pourtant impitoyable est interprété avec affabilité et humour par Peter Ustinov... Non, seul Malic est une andouille totale, dont on peut dire sans trop se tromper qu'on a une longueur d'avance sur lui en tout: voilà où se situe le problème de ce film. Et pourtant, il a une vie intérieure, et au-delà de son supposé alcoolisme, on peut par exemple constater que ce docteur désabusé a vraiment pour la petite Lucie des attentions particulières... C'est bien peu pourtant, et Clouzot allait se rattraper après cet échec commercial retentissant (Jeanson n'a pas été tendre, mais le public non plus!), en tournant un film de nouveau très noir, mais n'anticipons pas...

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Published by François Massarelli - dans Henri-Georges Clouzot