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11 juillet 2022 1 11 /07 /juillet /2022 09:15

1945: les Philippines sont encore sous contrôle Japonais, mais pour combien de temps? Les Américains sont là, et dans l'archipel, la plupart des unités Nippones n'ont plus ni commandement, ni nourriture. Tamura, un soldat malade (Eiji Funakoshi) mais que l'hôpital a refusé de soigner, a pour consigne de e faire soigner ou de se suicider... Sas écarter la deuxième option, il erre de rencontre en rencontre, dans un univers de plus en plus hostile.

C'est un film contemporain de l'admirable fresque de Masaki Kobayashi La condition de l'homme, qui démontrait l'absurdité de la guerre en racontant dans un récit fleuve le recrutement forcé d'un idéaliste puis la perte, une à une, de ses illusions et de ses valeurs dans sa confrontation avec les réalités de la guerre. Ici, en revanche, Ichikawa choisit de prendre l'affaire à la fin, en utilisant pour son principal protagoniste le "jusqu'ici tout va bien".

Par exemple, une scène montre un groupe de soldats qui s'avancent et se couchent en entendant un avion ennemi. Quand ils sont sur le sol, une rafale de mitrailleuse en touche quelques-uns, les autres se relèvent sans plus d'émotion et reprennent leur route. Une autre séquence montre un soldat s'arrêter pour récupérer des chaussures en meilleur état que les siennes. Mais celles qu'il laisse derrière lui seront récupérée par un collègue encore plus mal loti, jusqu'à ce que le personnage principal ne se trouve à son tour confronté avec les restes quasiment fumants de godillots totalement privés de semelles. Il les compare avec ce qu'il a aux pieds, et... elles sont aussi déglinguées: il choisit donc, dans la logique de l'absurde, de se priver de chaussures. Plus aucun des soldats ne croit en quoi que ce soit, l'heure est à la survie, à la débrouille et on tourne assez clairement en rond. 

Le film est en noir et blanc, en format Scope assez typique des productions de l'époque, dont Kinoshita se sert (il y a une nette distorsion de l'image) pour amplifier la maigreur du principal protagoniste. Le noir et blanc aussi est utilisé de façon dramatique ici, avec une palette impressionnante de gris, entre ombre et lumière. Ces pérégrinations dans la jungle sont une histoire de dégradation, d'attente absurde de la mort, dans lesquelles l'humour n'est même pas absent... Mais il est très, très noir.

 

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Published by François Massarelli - dans Kon Ichikawa
28 janvier 2017 6 28 /01 /janvier /2017 16:38

Un homme, un scientifique car il a une blouse blanche, s'adresse à nous et nous prévient que le film parlera de la sénilité. Il précise à quel âge l'homme perd certaines aptitudes: il commence à rapetisser à 20 ans, perd l'ouïe à partir de là, et la dégénérescence se poursuit... Il précise ensuite qu'on va assister à un cas particulier.

C'est un mensonge éhonté, aussi bien du scientifique en question (L'interne Kimura, interprété par Tatsuya Nakadai), que d'Ichikawa lui-même qui a choisi, avec un certain humour à froid, de commencer son film en nous envoyant sur une fausse piste. Car s'il sera effectivement question de vieillissement dans l'intrigue, il y aura surtout l'importance de la baisse de la libido, à travers l'exemple de M. Kenmochi (Ganjirô Nakamura):il vieillit, et consulte Kimura qui est son futur gendre. Il l'invite à passer chez lui, afin de voir sa fille Toshiko (Junko Kano), car M. Kenmochi est à des années-lumière d'imaginer qu'en réalité sa fille et le jeune interne se connaissent déjà bibliquement! 

Le soir, Kimura est à la maison, et le couple Kenmochi boit, bien que Mme (Machiko Kyo) affirme qu'elle ne devrait pas: ça lui monte à la tête. Et quelques minutes plus tard, elle disparaît dans la salle de bain. Mais elle fait un malaise: Kimura et le mati doivent la transporter nue vars sa chambre.

Le lendemain, tout recommence, et les premières questions affluent aussi bien pour les quatre protagonistes que pour le spectateur: Mme Kenmochi se demande pourquoi elle a une trace de piqûre sur le bras, si ce 'est pas le jeune interne qui la lui a faite; on se demande si le malaise était authentique ou simulé. Quel jeu joue la fille qui espionne son père en permanence? Et pourquoi a -t-on l'impression que le vieux Kenmochi fait tout pour que Kimura voie sa femme en détresse, et la touche?

Réponse à certaines de ces questions (Mais pas toutes) à la fin du film, ainsi qu'à d'autres questions... Le film est un écheveau de multiples perversions, qui font qu'on ne sait plus très bien qui des quatre protagonistes est le jouet de l'étrange obsession... Kenmochi, qui semble désigner Kimura pour le remplacer ou en tout cas pimenter sa vie sexuelle par procuration? Mme Kenmochi, poussée dans les bras du jeune interne, mais qui ne semble pas trop s'en plaindre? Kimura qui joue un trouble jeu avec sa fiancée? Ou Toshiko, qui a l'air elle aussi d'osciller entre le dégoût, aussi bien vis-à-vis de la perversion de son père, que du possible adultère de sa mère, et une certaine fascination pour une situation qu'elle semble souvent faciliter?

Et enfin, que penser de la placide servante qui passe son temps à se tromper dans les flacons de produits chimiques domestiques? Elle voudrait empoisonner son monde, qu'elle ne s' prendrait pas autrement.

C'est avec une certaine distance, un certain humour à froid délicieusement palpable, derrière le calme apparent de la situation, et sous l'oeil placide d'un Bouddha de pierre qui trône dans la chambre conjugale de la maison Kenmochi, que Kon Ichikawa nous assène ses coups, dans un film noir plus tordu que jamais, mais qui fait preuve de génie dans chacune de ses bobines. Chef d'oeuvre, haut la main!

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Published by François Massarelli - dans Kon Ichikawa
28 janvier 2017 6 28 /01 /janvier /2017 12:05

En 1945, alors qu'ils s'apprêtent à rejoindre la frontière pour quitter la Birmanie, une colonne de soldats Japonais se réfugie dans un village. Ils ont une particularité: ils chantent. Le lieutenant qui les mène, musicologue de formation, a eu l'idée de fédérer ses hommes en les formant à pratiquer l'art choral, et ils le font particulièrement bien... d'autant que la "mascotte" du bataillon est l'autodidacte Caporal Mishuzima (Shoji Yasui), qui s'est construit sa propre harpe inspirée des modèles Birmans, et qui en joue à merveille. Au village, ils se rendent vite compte que des soldats Anglais les ont cernés. Ils s'apprêtent à mourir, et chantent; ils ont soudain la surprise d'entendre les A,gais les accompagner! ...C'est ainsi qu'ils apprennent que la guerre est finie. Mais il faut continuer à passer le message, car des groupes isolés de Japonais continuent à se battre. C'est en essayant d'accomplir cette mission, commandée à la fois par son lieutenant et par les Anglais que Mishuzima disparaît. Pour tout le monde, il est sans doute mort; mais le bataillon se refuse à cette évidence, surtout quand au bout de quelques mois de captivité, les hommes commencent à voir partout un bonze mutique et fuyant, qui ressemble furieusement à leur copain.

Un film de guerre peu banal, car on ne s'y bat que fort parcimonieusement, et surtout, il commence par l'armistice! Mais le sujet, vaste, de ce film n'est pas la guerre! il s'agit plutôt de la gestion de l'après, et des questions existentielles et humaines qui y ont trait. D'où finalement la séparation entre Mishuzima et ses copains: eux vont expérimenter d'une façon relativement douce la fin des conflits, sous la responsabilité humaniste et bienveillante des Anglais et des Indiens, alors que Mishuzima va être confronté à un traumatisme puissant: il se retrouve, lors de sa mission de la dernière chance, coincé au milieu des cadavres; il ne s'en remettra pas, et nous expliquera à la fin son choix de se retirer du monde, en même temps qu'il l'expliquera à ses copains, par le biais d'une lettre. Ichikawa, qui a établi le lien extrêmement fort entre les soldats de la colonne, soudés en guerre comme en musique, passe une bonne partie du film à tourner avec eux autour de l'énigme inévitable, tout en considérant ce 'retour à la vie' des soldats, des hommes comme les autres ayant perdus toutes les illusions de l'avant-guerre, avec une réelle tendresse.

et puis il y a les scènes musicales, toujours en situation: le moment hallucinant lorsque les Anglais victorieux et les Japonais ignorants de la situation fraternisent au son de la harpe. Une séquence poignante, filmée au plus près des visages dans une tension extrême, que montage comme cadrage accentuent avec une maestria impressionnante. Ou encore les tentatives de communication des soldats avec le mystérieux bonze qui pourrait être ou ne pas être Mishuzima... Bien sur, c'est la musique qui leur donnera la solution. Mais si le film montre de la fin de la guerre un visage rasséréné, il rappelle l'enfer des combats en nous montrant la décision de retrait du monde d'un homme qui a été trop loin dans cet enfer pour en revenir, et ne trouvera son salut que dans le bouddhisme et dans le sacrifice: car tous ces corps, là, avant de retourner "reconstruire" le Japon, il va bien falloir que quelqu'un s'en occupe.

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Published by François Massarelli - dans Kon Ichikawa