
Les grands sujets, les thèmes de société, comme la peine de mort, les dépendances (Drogues, alcool) ou autres problèmes d'ordre moral, voilà en gros ce qui caractérise une bonne portion des films cruciaux des années 10, par opposition aux années 20, plus solaires et ludiques. Pourtant il existait déjà dans le cinéma en devenir de cette décennie glorieuse une fracture, entre un cinéma déjà dédié aux plaisirs simples et populaires, d'un côté, et des oeuvres militantes, qui tentaient d'affirmer une place dans les débats de société pour le cinéma, cet art de communication qui était désormais bien établi. David Wark Griffith, George Loane Tucker, Thomas Ince, Cecil B. DeMille... ont tous contribué de manière éclatante à développer cet aspect militant du médium. Et Lois Weber aussi. C'était peut-être même la plus engagée de tous, qui croyait avant de calmer le jeu à la fin des années 10 qu'il fallait utiliser cet avantage du cinéma d'être un art populaire, pour essayer d'aborder tous les sujets, d'où ce film militant, qui allait batailler avec la censure, mais aussi se trouver un énorme succès... Un film impressionnant par son ambition, et parfois bien flou, qui traite de contraception... ou d'avortement, ou des deux. Mais il parle aussi d'eugénisme, et c'est là qu'il devient plus qu'embarrassant.
Le procureur Richard Walton (Tyrone Power) est un brave homme, rigoriste mais quel procureur pourrait prétendre ne pas l'être? Il se lamente de devoir parfois juger des gens qui sont devenus criminels parce qu'ils sont nés du mauvais côté de la vie, et il est amené à représenter le ministère public dans un procès contre un médecin qui a souhaité se faire l'avocat du contrôle des naissances, afin d'empêcher le développement de la criminalité, mais Walton ne semble pas particulièrement opposé à l'idée.
Par contre, il a un secret: il est marié, à une épouse qu'il adore, mais qui ne lui a donné aucun enfant. Il en est sincèrement affecté, d'autant que ses voisins ont eux été particulièrement productifs, et que sa belle-soeur vient d'accoucher d'un très beau bébé... Mais Edith (Marjorie Blynn), son épouse, n'a pas l'air de trouver la situation si grave, qui la laisse oisive, prenant du bon temps, entre ses chiens, et ses copines avec lesquelles elle passe le plus clair de son temps. Mais Edith elle aussi a un secret: quand une de ses amies lui avoue être enceinte, mais ne pas désirer l'enfant, Edith suggère comme on propose un café à quelqu'un d'aller voir le docteur Malfit, un praticien qui est très arrangeant...
C'est très ambigu: un flash-back du récit du médecin militant pour l'eugénisme, dans la première partie, semble prendre partie pour sa thèse, en montrant les taudis insalubres où vivent les gens les plus pauvres, et en suggérant qu'il s'agit du repaire du vice et de la criminalité... Cette thèse eugéniste, présente du début à la fin du film, mais jamais clairement énoncée, est-elle l'une des pistes envisagée par Weber? Par ailleurs, tout en adoptant une mise en scène sure et claire, avec ses compositions assurées, et une formidable direction d'acteurs (Weber et son assistant et mari Phillips Smalley privilégiaient des acteurs venus de la scène, auxquels ils demandaient de jouer dans un registre aussi subtil que possible), Weber s'emmêle les pinceaux dans son film, en mélangeant en permanence les notions de contraception et d'avortement; de plus, et c'est à mon sens aussi grave, elle inverse les faits: il semble qu'on y prône la contraception pour les classes ouvrières, et qu'on y condamne l'avortement pour la bonne société (Une façon de rappeler qu'il faut justement encourager les bonnes gens à procréer); mais l'avortement clandestin n'est pas une plaie de la bonne société à cette époque, il est au contraire le dernier recours pour les gens les plus défavorisés. du coup, le message peine à passer... Et surtout, de quel message s'agit-il?
Quoi qu'il en soit, le film au-delà de ce manque de clarté bien compréhensible (Le sujet est quand même vraiment risqué, et le censure particulièrement tatillonne de l'état de Pennsylvanie ne s'y est pas trompée, qui a sauté sur ce film avec gourmandise et une paire de gros ciseaux) reste important, de par sa portée, et ce que Weber a suggéré de la fracture entre les hommes et les femmes: dans les premières scènes, qui montrent les hommes régenter la vie des femmes, Weber montre une réalité qu'elle connaît bien même si elle s'est elle-même fort bien imposée dans un monde et un business dominé par les hommes. Et si elle sépare dans son film le monde des hommes et celui des femmes, c'est aussi qu'elle connaît bien ce problème, qui a d'ailleurs longtemps obligé le couple Smalley-Weber à partager les crédits créatifs (Direction-écriture-production). Mais une actrice de ce film, Mary McLaren, était formelle: quand il était présent sur le plateau, Smalley référait systématiquement à son épouse.