Des fois, il vaut mieux abandonner: en voici une illustration... Le film The Keep a été longtemps invisible depuis sa sortie en 1983, et allant plus loin, certains fans vont jusqu'à lui décerner un statut de film maudit. Et les faits parlent pour eux... Coincé entre Thief, son néo-film noir de 1981, et Manhunter (1986) qui va lancer presque à lui tout seul un renouveau du film policier psychologique, cette adaptation d'un roman d'horreur a été tellement handicapé par les problèmes de tous genres que ça se voit...
Et pour moi le premier problème c'est l'intrigue, qui le fait flirter dangereusement avec le navet. Des soldats Allemands en 1941 reçoivent la mission de garder une forteresse en montagne, en Roumanie. La finalité de l'endroit reste mystérieuse, mais on comprend qu'elle sert à garder quelque chose ou quelqu'un enfermé, et non à empêcher quiconque de s'introduire. Des soldats qui ont essayé de desceller des croix en argent incrustées dans les murs meurent dans d'atroces souffrances, et la peur s'installe. Un salaud de SS vient pour régler les problèmes en massacrant la population s'il le faut, et pendant ce temps, un mystérieux voyageur à la coupe très 1983 arrive pour... Pour faire quoi, exactement, d'ailleurs?
Quelle salade, non mais quelle salade. Je sais que le film possède un solide réseau e culte de la part de fans transis, certains ayant même probablement l'album de la BO par Tangerine Dream (...Mais pourquoi????????????), mais là c'est incompréhensible. Le film, en l'état, ne fonctionne pas, est complètement ruiné par un montage pourri, des effets spéciaux inachevés, et n'est que le reflet imparfait d'une oeuvre ambitieuse, je veux bien l'admettre. Mais cette intrigue hallucinante, et cette créature qui se nourrit de nazis, j'avoue être totalement réfractaire, si ce n'est justement qu'elle zigouille tous les nazis, justement! Les choix souvent discutables de Mann (ralenti lors d'actions d'éclat, lumière bleue à gogo) tournent ici au vomitif, et il faut bien reconnaître que non seulement l'intrigue est idiote, mais elle est surtout incompréhensible. et comme il ne reste que l'esthétique pour pleurer, eh bien... on pleure.
Alors sinon, le film a été monté dans une version de 210 minutes refusée par la Paramount qui voulait un montage réduit à deux heures; le cinéaste leur a donné satisfaction sur ce point, mais ils ont retaillé dedans suite à des réactions négatives lors d'une preview, pour aboutir au désastre que nous avons sous les yeux, et qui sans surprise a été sorti à la va-vite, avant d'entrer au purgatoire du home video. Lorsqu'on lui demande si un jour il va remonter une version plus décente, Michael Mann évacue la question, et indique clairement qu'il faudra se contenter de la version de 1983. On peut aussi, tout simplement, s'en passer...



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Une fois de plus, Michael Mann nous parle, à travers ce beau film noir empreint d'un suspense impressionnant, de nous, de nos quotidiens, nos frustrations, et de notre morale, sous un jour jamais moralisateur. Pour commencer, il sait installer un univers, et ici ce monde qui est montré commence par la tournée routinière d'un chauffeur de taxi de nuit à L.A., Max (Jamie Foxx), qui a choisi le travail nocturne pour des raisons humaines: il est plus tranquille, et apprécie le fait que ses clients soient beaucoup moins stressés. On le voit dans une exposition qui semble presque gratuite, durant laquelle il conduit une jeune avocate (Jada Pinkett Smith) jusqu'à son bureau, ou elle va passer la nuit en attendant une journée importante, le début du procès dont elle est le procureur. Ils parlent, sans flirter vraiment, et lui se révèle tellement à la jeune femme qu'elle ne résiste pas à l'impulsion de lui laisser sa carte à la fin de la transaction. Cette exposition est presque gratuite, disais-je, puisque d'une part on a à l'issue de ces 11 minutes parfaitement saisi le caractère foncièrement empathique de Max, et on a très envie de rester avec lui pour le reste du film, et surtout, bien sûr, cette anecdote de rencontre aura de l'importance pour la suite...
Une rencontre entre deux mondes, c'est l'un des sujets les plus courants des films de Mann: la rencontre entre un tueur enfermé, un profiler et un fou homicide en activité dans Manhunter, le choc culturel de Last of the Mohicans, le flic à la vie familiale pourrie et le tueur qui refuse de s'attacher pour ne pas mettre quelqu'un en danger dans Heat, ou enfin la rencontre de deux caractères antagonistes dans The Insider: Il aime à mettre ses personnages en relation avec ceux qu'ils ne cotoieraient pas naturellement. On a vu récemment avec Public enemies, que cette rencontre n'a pas besoin d'avoir lieu en vrai, qu'il suffit que le terrain de jeux soit parcouru par les uns et les autres. C'est dire si cette notion de rencontre Max-Vincent a des allures cosmiques... et ici, il faut le dire, Vincent apporte à Max énormément: il lui donne une occasion de se lever, d'exister même, sinon ce chauffeur de taxi aurait-il vraiment été jusqu'à contacter la belle avocate? Le film est une rencontre, aussi un réveil, brutal, et effectué en temps réel, d'un homme. En héros proche une fois de plus des personnages de Jean-Pierre Melville, Vincent (Tom Cruise, tellement bon qu'on ne le reconnait pas!) a en effet une morale, et un avis pas toujours déplacé sur tout... Mais on évite le piège du film de gangster à vocation parodique à la Tarantino. Le film reste une affaire sérieuse, dopée par un suspense extrême: Mann se permet de surpasser l'intensité de la fameuse fusillade de Heat, en amenant ici une confrontation entre le tueur, le chauffeur embarqué malgré lui, la police et une victime ... dans une discothèque bondée! Dans ce film ou une fois de plus Mann se prend à filmer Los Angeles d'une main de maître, on ne peut pas se lever et faire autre chose, on DOIT regarder, et aller jusqu'au bout: c'est magnifique.

Dillinger, interprété avec génie par Depp, et Purvis dans sa croisade, commanditée par Hoover qui souhaite imposer sa vision de l'ordre et développer le FBI, alors en danger face au protectionnisme de tous les états en matière de sécurité. C'est parce que les états sont indépendants les uns des autres et parce que la corruption est à son comble que des gens comme Dillinger ont pu non seulement prospérer, mais aussi devenir des héros légendaires, comme le montre si bien le film. La solution apportée par Hoover était de n'engager que des gens acharnés à faire régner la justice, incorruptibles, de faire sauter cette limite des états en créant une agence fédérale (le F n'est jamais prononcé dans le film, c'est toujours 'Bureau of investigation'... Tout un symbole) et de laisser libre cours à toutes les méthodes en matière de justice, comme le prouve d'une part une scène qui voit Hoover citer Mussolini en exemple, et d'autre part un interrogatoire de Billie Frechette très musclé (Alors qu'elle n'était qu'un pion par rapport à l'investigation en cours). En prenant le parti de montrer un Dillinger certes porté sur la violence et l'illégalité mais également mu par une certaine morale, justement, Mann a également mis l'accent sur le fait qu'en 1933, 1934, aux Etats-Unis, la lutte contre la criminalité n'a pas hésité à recourir à des méthodes fascistes, telle cette hallucinante exécution en pleine rue. L'époque...