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22 juin 2015 1 22 /06 /juin /2015 18:13

Bergman a-t-il fait exprès de raconter à qui voulait l'entendre, à l'occasion de la sortie de ce long film, qu'il faisait ses adieux au cinéma? peut-être, peut-être pas, il était aussi menteur qu'affabulateur. Et c'est aussi l'un des sujets de Fanny et Alexandre, justement. Et puis il y a les correspondances troublantes entre ce film-somme et sa propre vie... Tant de films de Bergman tournent autour de la nécessité du théâtre, ou des arts qui s'y réfèrent. Justement, la famille Ekdahl est une famille liée au théâtre depuis belle lurette, et lorsque le film commence, ils fêtent Noël, en bons Suédois, même si on n'imagine pas qu'ils aient passé un temps très constructif à l'église.

On est fort large d'esprit dans cette famille, où l'une des belles-filles de Mme Helena Ekdahl, la tendre grand-mère qui mène tout ce beau monde a pris l'habitude (Comme le faisait Helena en son temps du reste) de tolérer les aventures nombreuses de son mari, parfois menées sous ses yeux... Les enfants Ekdahl ont pris l'habitude de fêtes joyeuses, durant lesquelles les adultes s'intéressaient parfois à eux, pour une séance de théâtre de marionnettes, parfois pour un feu d'artifice fait de flatulences... Mais pour Oscar Ekdahl, le directeur du théâtre familial, c'est la fin de la route. Il décède quelques jours après, sur scène, laissant une veuve, Emilie, et deux enfants, Alexandre et la petite Fanny. Après quelques semaines, Emilie annonce à ses enfants qu'elle va se remarier avec l'évêque Vergerus (Jan Malsmjo), qui s'est si bien occupé d'elle depuis les funérailles qui ont été l'occasion de leur rencontre. Vergerus est dur, strict, sévère, fanatique et austère, mais il ne sait pas encore qu'avec Alexandre, il va avoir du mal...

Je me suis toujours demandé pourquoi la petite Fanny était ainsi invitée à partager le titre, tant la présence d'Alexandre (Bertil Guve) sur le film était écrasante. Par bien des égards, il est avec Helena Ekdahl (Gunn Walgren) le principal point de vue dans ce film riche en péripéties... Celles-ci sont très proches de la vie de Bergman, qui me semble ici régler ses comptes avec son propre père. Bien sûr la vie riche et réjouissante des Ekdahl, des gens qu'on ne peut absolument pas accuser d'austérité, ne correspond pas à l'enfance qu'a vécu Ingmar Bergman, peut-être sont-ils par contre la famille idéale que ce grand amateur d'arts narratifs, depuis toujours passionné par les planches s'est a posteriori inventé... Né en 1918, Bergman n'a pu connaître la même vie que le jeune Alexandre, né sans doute environ en 1895, mais la maison de Vergerus se rapproche sans doute de ce qu'a connu le cinéaste chez son père, qui était pasteur protestant, et dont les mémoires de son fils ont révélé qu'il était un soutien du nazisme!

Une trace de cet aspect se retrouve à travers la présence d'Isak Jacobi, un ami d'Helena (Et sans doute un ancien amant), traité lors d'un épisode de "Sale juif au nez crochu" par Vergerus, alors qu'Isak venait chez l'évêque pour tenter de récupérer les enfants. Le choix d'ancrer son film sur un début avec fête familiale, Noël qui plus est, permet à Bergman de donner à voir tout le sel d'une enfance, en une soirée marquée par tous les petits détails familiaux qui refont surface lors de ces interminables repas, dont les enfants sont les premiers à s'absenter pour vivre, tout simplement, dans le moment, et en jouir afin d'emmagasiner un maximum de souvenir pour plus tard! Et quel contraste entre la maison Ekdahl, ses pièces innombrables, ses escaliers, ses couleurs, et l'austérité blanchâtre du "Palais Vergerus", avec ses barreaux aux fenêtres...

Le film est long, et doublement: d'une part, la version internationale, sortie en salles en 1983, contient ses 189 minutes bien pesées, mais surtout, Bergman l'avait aussi monté pour la télévision en une version de 312 minutes, soit plus de cinq heures... Pourtant cette chronique familiale riche et bigarrée, qui permet bien sûr à Bergman de montrer en Alexandre un double convaincant (Passionné par l'art, le mensonge, et bien sûr hanté par les fantômes comme un héros Shakespearien), un gamin à la vie intérieure effrayante, est sans doute le film le plus grand public de son auteur.

 

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Published by François Massarelli - dans Scandinavie Criterion