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31 mars 2017 5 31 /03 /mars /2017 17:49

Il a tout fait, tout tenté, tout expérimenté... Il y a même eu une époque durant laquelle ça devenait presque un argument publicitaire, à faire valoir auprès des studios: "Soderbergh, sait tout faire, le fait vite et bien"... Mais ça n'a pas tenu, et pour cause: il y a eu tout, et puis il y a parfois eu n'importe quoi: Full Frontal, l'intrigant film bardé de principes érigés en barbelés autour du projet, qui ont tout simplement rendu le visionnage désagréable et le film inutile; The Good German, parodie nullissime de Casablanca, ou encore The girlfriend experience, le film dans lequel on a l'impression que rien ne se passe. Mais Soderbergh a pourtant beaucoup donné aussi, entre l'ambitieux Che, le magnifique Traffic, ou la luxueuse trilogie Ocean's 11, 12, 13

C'est au milieu de sa décennie la plus féconde que l'on trouve cette expérience unique en son genre, sorte de film amateur, tourné avec un budget ridicule, par des acteurs non-professionnels, chez eux, et qui emprunte deux sentiers inattendus: d'une part, c'est un film social, un peu à la manière dont tant de metteurs en scène des années 30 ont expérimenté le réalisme poétique en Europe (Menschen am Sonntag, par exemple), donc on y verra la classe ouvrière Américaine sur son lieu de vie et son lieu de travail; d'autre part, Bubble emprunte à un genre iconique entre tous, le film policier.

Kyle (Dustin James Ashley) et Martha (Debbie Doebereiner) sont collègues de travail, dans une petite usine qui fabrique des poupées. Leur routine est immuable: Martha, une femme d'âge moyen, passe prendre le jeune homme à sa caravane, où il vit avec sa mère, puis l'amène au travail. Ils mangent ensemble le midi, puis le soir elle le ramène chez lui, avant de rejoindre son propre père qui est invalide et qui vit avec elle. Ils parent nu peu, de tout et surtout de rien; et comme Kyle a un autre boulot car les temps sont durs, il n'a pas le temps de penser à la bagatelle... Arrive Rose (Misty Dawn Wilkins), qui vient gonfler l'effectif de l'entreprise, et qui est accueillie très vite par les deux amis. Kyle est tout de suite attiré par la jeune femme, ce qui ennuie Martha... D'autant que Rose, mère célibataire d'une petite fille, Jesse, est exigeante et envahissante selon elle... Un matin, alors que Kyle et Rose sont sortis la veille, on retrouve la jeune femme étranglée. Trois suspects: Kyle, qui est sorti avec elle, mais l'a raccompagnée assez tôt; le père de Jesse qui est venu faire un esclandre chez elle sous le prétexte de lui emprunter de l'argent, et Martha qui a joué les baby-sitters d'un soir, et a assisté à la bagarre entre les deux parents...

Les acteurs, sans doute afin de pallier à leur manque d'assurance, ont été priés de ne pas manifester la moindre émotion, ce qui est assez déstabilisant... Le montage (dû comme d'habitude à la fidèle Mary Ann Bernard qui est tellement habituée à travailler avec Soderbergh qu'on a l'impression qu'ils ne font qu'un) fonctionne justement dans l'idée de pallier à ce manque d'émotion, en privilégiant des plans courts et dénués de drame. On est souvent à distance des non-acteurs, qui devisent parfois sur leur quotidien, avec naturalisme, mais sans misérabilisme. Et comme on n'est pas chez Pialat, ils le font sobrement... Le jeu dédramatise, mais le montage et la mise en scène font très bien le boulot. 

C'est peut-être l'un des films les moins chers au monde! Peter Andrews, le chef-opérateur attitré de Soderbergh (Qui ne lui coûte presque rien, paraît-il), a travaillé en vidéo numérique légère et a travaillé le cadre en fonction des lieux, toujours à l'économie, dans des plans qui bougent peu, mais sont autant de vignettes du quotidien... Pas de glamour donc, mais une impression de tangibilité poignante... Qui a ses limites, j'en conviens! Disons, qu'au moins, contrairement à Bruno Dumont, aucun mépris n'est présent à l'égard des gens qui sont filmés non pour leur médiocrité, mais pour leur humanité. Et Debbie Doebereiner fait un travail remarquable.

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Published by François Massarelli - dans Steven Soderbergh