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30 mai 2019 4 30 /05 /mai /2019 15:47

The man I love, c'est bien sûr la célèbre chanson de Gershwin, qui va jouer les fils rouges dans ce très beau film de Raoul Walsh, un retour au film noir, un retour à Ida Lupino aussi, mais surtout un film qui se tient à l'écart de tous les sentiers battus: il aurait pu être un musical, après tout, ou un film réaliste qui ausculte l'état des Américains au lendemain du traumatisme de la guerre. Voire un film de gangsters sanglant... A la place, on aurait presque un conte de Noël, avec une bonne fée très inattendue...

Petey Brown (Ida Lupino) chante, c'est son métier et sa vie. Ce qui veut dire que pour elle, la stabilité ne signifie pas grand chose: d'engagements en contrats de quelques jours, elle a l'habitude de sillonner les Etats-Unis. Pour Noël, elle a pris la décision de retourner vers sa famille, chez sa soeur Sally (Andrea King) qui vit avec leur petite soeur Virginia (Martha Vickers), leur petit frère Joey (Warren Douglas), et Buddy, le fils de Sally. Le mari de cette dernière est revenu amoché de la guerre, et il est pour l'heure interné en hôpital psychiatrique... Toute la famille vit plus ou moins dans l'ombre de la famille Toresca: l'oncle, un brave homme, emploie Sally dans son restaurant, et le neveu Nick (Robert Alda), un jeune séducteur avec des accointances louches, tient une boîte de nuit dans laquelle Joey travaille. Il a des vues sur Sally, et Petey décide d'intervenir pour alléger les soucis de sa soeur... Elle rencontre Nick Toresca, et ça va avoir des conséquences...

Durant cette histoire qui voit Nick tourner de façon insistante aur=tour de Petey, cette dernière va rencontrer un homme pour lequel elle aura le coup de foudre: San Thomas (Bruce Bennett) est un ancien pianiste qui a gravé quelques disques formidables, mais qui a disparu de la scène jazz: et pour cause: son lien avec une femme, dont il fut le premier mari, et dont il ne parvient pas à se débarrasser, le maintient à l'écart des studios. Cette prépondérance de la musique dans le film ne débouche pas sur une utilisation baroque de séquences musicales telles qu'on en trouverait dans de nombreux films et en particulier bien sûr dans les comédies musicales. Ca permet de souligner l'univers très particulier dans lequel évolue l'héroïne, et on tend justement à éviter bien des clichés. Même si on râlera bien sûr de voir dans le film le jazz représenté uniquement par des musiciens blancs, au moins la plupart d'entre eux sont-ils d'authentiques jazzmen.

Petey, une femme qui a roulé sa bosse et qui est toujours plus seule que jamais, va être la bienfaitrice d'à peu près tout le monde dans le film, agissant comme une bonne fée de Noël, au mépris généralement de son propre bonheur. Je ne vois pas beaucoup d'actrices qui auraient pu jouer le rôle aussi bien voire mieux que Ida Lupino ne l'a fait: elle est parfaite, même s'il a fallu la doubler pour les rares scènes où elle chante, par Peg La Centra, une illustre inconnue en ce qui me concerne. Par un ton souvent noir, une tendance à tourner de nuit, et son personnage principal, The man I love est un regard d'une grande humanité sur la vie nocturne et sur ces gens qui se tiennent à l'écart de certaines tentations, même si Petey, qui le souligne dans une des premières scènes, sent bien qu'elle est extrêmement dépendante de l'alcool, et si la mise en scène ne le souligne jamais, elle boit une quantité impressionnante de verres dans son film...

Enfin, le personnage de San Thomas, le pianiste génial mais lessivé, et amoureux d'une saleté qui l'a complètement assujetti au point d'avoir ressorti de lui toute volonté de se remettre à l'oeuvre, pourrait être bien des exemples de jazzmen géniaux: Charlie Parker (qui commençait à peine à émerger), Fats Navarro, ou même Bix Beiderbecke viennent à l'esprit. Mais en ce qui les concerne, ce n'était pas une femme qui a eu leur peau... Raoul Walsh avait-il eu cette tentation de passer par une métaphore pour parler de ces parcours de génies usés en peu de temps par les drogues dures? je ne sais pas, mais c'est en tout cas troublant, et ça augure assez mal d'un avenir pour Petey Brown, encore une belle âme qui se sacrifie pour le bien-être de tous...

 

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Published by François Massarelli - dans Raoul Walsh Noir