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23 février 2012 4 23 /02 /février /2012 16:52

Adaptant un roman d'Ed McBain (Evan Hunter), publié sous le titre de King ransom, Kurosawa reprend dans un premier temps un dispositif cher à l'auteur: il va passer de personnage en personnage, créant un kaléidoscope de points de vue qui permet au spectateur d'embrasser la situation de façon plus complète, mais surtout de voir changer sa perspective. Rashomon n'est donc pas si loin... Même si l'auteur du film a décidé d'être fidèle à l'auteur du livre au moins sur un autre point: si l'intrigue est transposée au Japon, c'est malgré tout une histoire contemporaine, et de fait un film passionnant, l'un des meilleurs de Kurosawa. Le titre Anglais est High and low, et le titre Japonais se traduirait facilement en Le ciel et l'enfer.

Kingo Gondo (Toshiro Mifune) est un industriel auquel tout a jusqu'à présente plutôt bien réussi; il est à la tête d'une confection de chaussures, avec suffisamment de pouvoir pour prendre des décisions importantes. S'il est arrivé au sommet via la dot de son épouse, il a maintenu certaines exigences qui font de lui un patron respecté de ses employés... mais pas de ses actionnaires. Il s'est couvert, en empruntant et en hypothéquant sévèrement pour devenir l'actionnaire principal et sauver le caractère des produits qu'il confectionne. Au moment ou il apprend cette nouvelle à son épouse, il reçoit un coup de téléphone: un homme lui annonce avoir kidnappé son fils, et lui réclame 30 millions. Mais le petit Jun est toujours dans la maison, et il est facile de conclure que c'est finalement Schinichi, le fils du chauffeur, qui a été enlevé. Le kidnappeur réclame malgré tout ses 30 millions. Gondo fait appel à la police et aux hommes de l'inspecteur Tokuda (Tatsuya Nakadai); il est déterminé à ne pas payer, afin de préserver l'oeuvre de sa vie, et son futur, mais il finit par se ranger à l'avis de sa femme, qui refuse de mettre en danger la vie de Schinichi. la course contre la montre commence...

45 minutes durant, le film est situé dans la maison de Gondo; on voir clairement tout ce temps, à chaque fois qu'un personnage regarde par la fenêtre, que celle-ci est au-dessus de toute la région. Plus tard, lorsque le film s'ouvre à l'extérieur, on la verra, visible de loin, en particulier par le kidnappeur qui n'a jamais caché être en mesure de voir chaque fait et geste de l'appartement... Mais ces 45 minutes, pour étouffantes et tendues qu'elles soient, établissent non seulement la situation et sa tension inhérente (On est, bien sur, en plein film noir), mais aussi le véritable enjeu du film, qui sera souvent repris par les principaux "passeurs" de point de vue, les policiers réunis autour de Tatsuya Nakadai, qui par leur mouvement incessant vont permettre au spectateur de changer de point de vue, et d'adopter même brièvement celui du kidnappeur lui-même, aperçu assez tôt dans le film. Si Gondo est au départ un patron Japonais assez impitoyable, prêt à sacrifier un enfant à sa réussite, il va faire machine arrière, et cette humanité qui le caractérise va permettre au spectateur de se faire sa propre vision sur cette vie 'entre le ciel et l'enfer'. Les classes sociales et leurs différences sont bien présentes, ne serait-ce qu'à travers les rapports complexes entre Gondo et son chauffeur, le père de l'infortuné garçon. Pour Gondo, le fait que son fils ait été kidnappé n'a pas la même résonance que si c'est le fils de son chauffeur. Pour Madame Gondo, en revanche, la différence n'est pas si grande, et pour les policiers comme le kidnappeur, cela ne change rien: les uns doivent faire leur travail et arrêter l'homme, l'autre va profiter de la situation pour alléger Gondo de son argent, le but étant de toute façon d'humilier celui qui se croit au-dessus de tout, littéralement.

Tourné en Scope Noir et blanc (Sauf pour une petite idée inattendue, un joli filet de fumée rose...), mais au plus près des personnages, comme dans l'urgence, le film est divisé en trois parties: la première, donc, est ce huis-clos étouffant dont il était question plus haut; la deuxième, consacrée aux premières avancée de l'enquête, ainsi qu'à l'échange, effectué via un train en mouvement, entre les valises d'argent et l'enfant (Magnifique scène de suspense ferroviaire!!); enfin, la troisième partie voit les enquêteurs s'approcher de la vérité, et tendre un piège à l'homme (Tsutomu Yamazaki), le traquant jusque dans les plus répugnants bas-fonds. Le mouvement du film, décidément, est celui d'une chute vertigineuse... Kurosawa profite donc du dispositif de McBain autant pour montrer toute l'enquête et sa progression dans les moindres détails, ce qui est rendu possible par un film qui prend son temps; mais il rend aussi une vision du monde qui est plutôt difficile à entrevoir de chez Gondo, ce que celui-ci comprend à la fin: invité par le kidnappeur-meurtrier à une dernière entrevue, peu avant son exécution, il est en toute fin du film laissé seul à son reflet dans une vitre: Kurosawa ne fait finalement aucune différence entre le héros Gondo, admiré, mais amer (Il a tout perdu et va devoir repartir à zéro, lâché par ses salauds d'actionnaires qui ne peuvent faire confiance à un homme qui sacrifie l'argent à un enfant qui n'est même pas le sien...), et Takeuchi, l'homme qui a vécu dans la zone et dans la haine toute sa vie, et dit ne pas craindre l'enfer: il y est né. Et sur ce, Kurosawa lâche le mot "fin".

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Published by François Massarelli - dans Akira Kurosawa Noir Criterion