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21 mai 2011 6 21 /05 /mai /2011 16:44

Avec la S.C.A.G.L., Capellani se lance dans l'adaptation fleuve de grands classiques, ses deux principales sources étant Zola et Hugo. Germinal, contemporain de Judith of Bethulia de Griffith (environ 60 minutes), et du premier Fantômas de Feuillade (55 minutes), totalise 2h28, et propose un spectacle peu banal... Aussi enthousiasmant aujourd'hui qu'il y a 98 ans.

Licencié de l'usine qui l'employait parce que son bon coeur l'a poussé à défendre un camarade viré avant lui, Etienne Lantier (Henry Krauss) trouve un travail à la mine. Il tombe vite amoureux d'une femme, Catherine (Sylvie), la fille de l'homme qui l'a hébergé. Elle est promise à un autre, Chaval (Jean Jacquinet), et la rivalité entre les deux hommes va faire de sérieuses étincelles, tout comme les dégradations des relations entre les patrons et les ouvriers. Vite reconnu comme un leader syndical, Lantier se trouve au centre des passions...

Le naturalisme de l'interprétation et des décors, le sens de la composition du metteur en scène font merveille. Capellani, qui a vocation à illustrer le roman dans un premier temps, utilise les intertitres comme des en-têtes de chapitre: "Où Lantier découvre la raison de l'hostilité de Chaval", un peu comme Griffith annonçait l'action par les titres avant de la montrer. A une époque ou le gros plan, le montage serré deviennent des options qui font encore polémiques, Capellani fonctionne encore sur le principe des tableaux. Il en tire deux avantages: d'une part, le cadre est composé en fonction des séquences, avec un talent pour trouver l'angle parfait, et une utilisation de l'espace pensée en fonction de l'ensemble de la séquence; la profondeur de champ est utilisée aussi, notamment dans les scènes de réunions syndicales, ou les scènes dans les bars, restaurants, les intérieurs. d'autre part, les acteurs jouent l'ensemble de chaque scène, généralement avec retenue, même si par exemple Jean Jacquinet en fait parfois trop.

Les scènes anthologiques dépassent le cadre des tableaux, je pense en particulier à la première descente dans la mine, illuminée par une révélation: ce jeune mineur, qui vient de dénouer une imposante chevelure, est donc une femme... L'idylle entre Lantier et Catherine vient de commencer, elle se terminera tragiquement en écho de cette jolie scène: lorsque le corps de la jeune femme sera remonté, seuls dépasseront de la couverture, son bras et la masse de ses cheveux...

La scène de la fusillade, qui voit le monde simpliste de la lutte des classes exploser, lorsque les militaires tirent sur la foule des grévistes et que la fiancée du patron tombe victime des balles, est préparée lentement par une montée de la tension. Capellani nous montre les préparatifs, l'arrivée des bataillons, les ouvriers qui contiennent leur colère... On sait que le drame est inéluctable.

Maintenir la tension pendant 2h28, nous rendre témoins et complices d'une histoire déjà rendue immortelle par la littérature, relayer sans restriction le cri d'indignation d'Emile Zola, et pouvoir le faire encore presque un siècle plus tard... sacré cahier des charges! Sacré film, aussi.

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Published by François Massarelli - dans Muet 1913 Albert Capellani *