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16 juin 2012 6 16 /06 /juin /2012 18:13

Si Ruggles of Red Gap est bien une étape-clé de la comédie Américaine, c'est une position bien paradoxale. En effet, les canons de la "screwball comedy", née du parlant et de la recherche d'un rythme de jeu adéquat pour la comédie qui venait pallier au burlesque en ce milieu des années 30, poussaient plutôt les metteurs en scène vers des intrigues sentimentales, il suffit de voir les jalons du genre pour s'en convaincre: It happened one night (Capra, 1934), qui concrétisa le genre au point de s'attribuer un Oscar, ou encore Bringing up baby de Hawks (1938) en sont de superbes exemples, dans le sillage de la comédie sophistiquée incarnée par Lubitsch et consorts. Mais si McCarey tracera des limites de ton dans le genre, de la réserve mélancolique de Love affair (D'ailleurs pas vraiment screwball, et pas beaucoup plus comedy) à l'exubérance de l'affrontement des époux séparés de The awful truth. Et avec Ruggles of Red Gap, il prend le genre à contrepied en écartant presque toute référence sentimentale... Tout est dans le "presque".

 

Vers 1900, "gentleman's gentleman", comme il se définit lui-même, Marmaduke Ruggles est un valet Anglais dont la famille a la fierté d'avoir constamment servi la même famille, les Comtes de Burnstead. A Paris un matin, son peu fortuné maitre lui annonce qu'il l'a perdu au poker à des nouveaux riches Américains, les Floud. C'est la maman d'Effie, Mrs Floud, qui a l'argent, mais le moins qu'on puisse dire, c'est que ce nouveau statut est monté à la tête de l'épouse... par contre, Egbert Floud, lui, n'a pas vraiment la vocation à évoluer dans le beau monde, le saloon et les copains de la petite bourgade de Red Gap lui suffisant. Sous l'impulsion d'Effie, et avec les lubies contradictoires d'Egbert, Ruggles va donc apprendre la différence fondamentale entre un Américain et un Anglais, s'émanciper, et au passage dénoncer avec véhémence ceux qui veulent maintenir les inégalités statutaires entre esclaves et maitres, dont l'abominable beau-frère d'Egbert, l'affreux Belknap-Jackson...

 

Le film appartiendrait presque tout entier à Charles Laughton, génial comme il se doit, si le metteur en scène n'avait trouvé à lui opposer que des acteurs de grand talent: Charlie Ruggles, le bien nommé est le sympathique bouseux, costumé presque par religion entièrement de carreaux! Et son épouse, qui passe son temps à écorcher sans honte ni remords le français afin de paraitre du 'haut monde', comme elle le dit, est jouée par Mary Boland. Le peu connu Lucien Littlefield, lui-même habitué des rôles de valets (Voire de savants fous, comme il le fit plusieurs fois chez Laurel et Hardy) interprète un Belknap-Jackson vil et veule à souhait. Enfin, Roland Young interprète avec la rertenue Britannique qui lui est coutumière le rôle du comte. Et puis cerise sur le gâteau, Zasu Pitts a le droit de ne pas être une idiote, ce qui n'arrivait pas souvent depuis ses rôles marquants chez Stroheim: elle est Mrs Judson, la veuve qui ouvre les yeux à Ruggles, et va lui servir de motivation pour rester à Red Gap.

 

Laughton a parfaitement servi le rôle de Ruggles, lui donnant toute la retenue physique du valet Britannique, la gaucherie face à des Américains qui ne se comportent pas en gentlemen, et son évolution vers une assurance toute de dignité vêtue... et il recêle le vrai sens du film, montrant sa valeur d'être humain avant son statut de valet, et rappelant à toute la population d'un saloon de l'Etat de Washington le fameux discours de Lincoln à Gettysburg, qui établissait après avoir commencé à triompher des Etats esclavagistes la nécessité d'une mise à plat des deux camps engagés dans le conflit de la guerre de sécession, en réaffirmant par ailleurs avec force la base humaniste de la constitution Américaine, fondée sur la déclaration des droits de l'homme. Un moment fort, qui réaffirme avec conviction une croyance réelle de la part du metteur en scène: le film, tout en montrant avec talent une vraie sensibilité de comédie chez Laughton, et en offrant un spectacle d'une grande drôlerie, fait aussi partie de ces films fondamentaux qui redéfinissent en ces temps troublés de crise et de montée des périls la nature fondamentale de l'homo Americanus...

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Published by François Massarelli - dans Comédie Leo McCarey