En 1955, The seven year itch est une pièce à succès (d’ailleurs citée dans Sabrina, on l’a vu) : les ingrédients principaux sont le fait de parler uniquement de sexe et de tromperie durant toute la pièce, et de faire joujou avec les
convenances d’une fort belle manière sans jamais se faire prendre. Paradoxalement, c’est plus difficile à cette époque au cinéma, la censure étant plus prude, plus tatillonne et pour tout dire
nettement plus puritaine. Sans en faire un étendard, on peut dire que Wilder va utiliser la pièce d’une manière très militante. Il va « pousser l’enveloppe très loin, jouant malgré tout avec les
à-cotés salaces, et se faire un plaisir de mettre les pieds dans le plat tout en jouant avec le spectateur. Si la pièce reste une œuvre extérieure, le film obtenu inaugure les comédies sexuelles
de Wilder, qui vont se succéder et croiser avec les autres genres ; mais certains de ces films ne sont pas à proprement parler bien vus, Buddy buddy (1981)
et Kiss me stupid (1964) en tête… The seven year itch, lui, est un classique, d’une part à cause de sa star, et aussi sans doute à cause d’une scène
mythique durant laquelle Marilyn Monroe s’aère le slip sans remords ni regret, en pleine rue.
Richard Sherman, cadre chez un éditeur spécialisé dans la réimpression et l’édition à vil prix de livres à consommer dans le
train, est seul chez lui pour un certain temps : c’est l’été, et l’épouse comme le gentil marmot partent en vacances, pendant que le père reste à gagner des sous. C’est à ce moment que Sherman
fait la connaissance d’une jeune femme qui est momentanément installée dans l’appartement du dessus. Elle lui plait, il ne lui déplait pas, et elle est totalement désinhibée… Commence alors pour
Sherman un jeu de chat et de souris avec sa conscience. Il va nous tenir au-courant de ses pensées, minute après minute, afin le plus souvent de justifier ses actes et ses intentions. Toutes ne
sont évidemment pas honorables.
La forme de ce film est aujourd’hui classique, mais il était finalement assez novateur : Wilder utilise non seulement la couleur
pour la première fois, il use aussi du Scope, Fox oblige, et s’y prend plutôt adroitement pour un novice, se faufilant un chemin dans l’appartement de Sherman, mais aussi utilisant l’écran large
pour la rue, ainsi que pour visualiser les fantasmes et fantaisies de Sherman embellissant ses souvenirs, ou imaginant le pire (Sa femme qui le trompe). D’autre part, la narration-pensée, sorte
de « stream of consciousness », fait office de fil rouge, théâtral certes, mais qui maintient l’intérêt, permettant en plus de pouvoir corser le tout, puisqu’un grand nombre de choses ne peuvent
être montrées, la logorrhée de Sherman nous permet de les évoquer ou de tourner autour…
L’un des atouts ‘culottés’ de ce film est sa franche vulgarité, affichée dès le prologue : l’habitude prise par les Indiens
Manhattan d’envoyer leurs femmes en été séjourner ailleurs, avec tous les Indiens qui voient passer une jolie fille, donne le ton. Ce ton va rester le même du début à la fin, établissant une fois
pour toutes les conversations entre hommes comme étant systématiquement sur les possibilités adultérines de la solitude, alors qu’avec les femmes, Sherman ne parle pas de ces choses là… Et des «
complices » potentiels, Sherman n’en manque pas, mais on retiendra surtout Kruhulic (Robert Strauss, le « Animal » de Stalag 17), homme à tout faire qui surprend Marilyn chez Sherman, et son
éditeur, profondément vulgaire, avec une espèce de rire triomphal du plus odieux : voilà des hommes qui par principe soutiendraient Sherman becs et ongles s’il sautait le pas… mais il ne le saute
pas. Du moins, apparemment pas : bien sur, il essaie de l’embrasser, elle ne se laisse pas faire, mais elle n’a pas l’air si choquée ; d’autre part, elle fait sauter une barrière importante, en «
unissant » les deux appartements, autrefois deux moitiés d’un duplex. Enfin, elle s’affiche ouvertement et sans vergogne avec lui. Non, si Sherman se comporte aussi vertueusement que possible,
c’est bien sur pour satisfaire la censure ; objectivement, ces deux-là sont tellement complices qu’ils sont virtuellement coupables !
Wilder a trouvé son compte dans ce film : entre ses « Kruhulic » (toujours ce goût pour les noms à coucher dehors) et ses petits
cailloux (ici , la photo de Marilyn publiée dans un livre que possède Sherman, nous fait imaginer le pire pendant une bonne heure), et bien sur sa tendance à tester les limites du bon goût
(Sherman retouchant les poitrines des filles du docteur March sur une couverture, av=fin qu’elles soient plus avantageuses ; de plus, il continue d’insérer la culture populaire courante et les effets de mode, ici, le cinéma en
relief, les revues photographiques, la publicité, et là l’intérêt pour la psychanalyse. Bref, il se conduit comme chez lui, à son aise, bien plus en tout cas que dans le film suivant. D’une
certaine manière, il a trouvé son créneau, il lui reste à trouver d’autres choses : son collaborateur Izzy Diamond, son décorateur Alexandre Trauner, son acteur d’élection Jack Lemmon. Cela dit,
j’aime bien Tom Ewell, qui a le physique du rôle, mais qui manque parfois un peu de flamboyance.
Pour un premier film hors de la Paramount, Wilder a fait fort ; il a honoré la commande, réalisé un succès et même un classique.
On peut considérer le film comme daté, il l’est, mais il a aussi très bien vieilli, certains passages étant toujours irrésistibles. Je suis pour ma part très attaché à son pilonnage de la scène
du baiser de From here to eternity, ou encore des toutes les fantaisies de Ewell et Monroe, telle la fameuse ‘répétition générale’ de la scène de séduction
avec Rachmaninoff, surjouée à la Leslie Banks, mais qui se passe très mal lors du passage à l’acte… Pour une entrée en matière de la comédie délurée façon Wilder, le film se pose de toute façon
un peu là…