Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
  • Contact

Recherche

Catégories

30 avril 2023 7 30 /04 /avril /2023 09:23

Une famille désemparée, un alien mais pas du genre à vous bouffer tout cru, un suspense lié à la présence d'ombres inquiétantes mais qui s'avèrent en réalité être des humains, ce qui ne les rend pas potentiellement moins dangereux, tout est finalement en place pour que Spielberg nous donne à voir un film qui va asseoir définitivement son style et son univers. Je ne reviens pas sur l'intrigue, à la fois simple et riche, et globalement parfaitement structurée: elle est suffisamment connue pour qu'on n'ait pas besoin d'y revenir. Disons toutefois qu'elle est sans doute ce qui pêche le plus aujourd'hui à revoir le film: on y voit, surtout dans la dernière partie (après la révélation de la condition critique de l'extra-terrestre, et l'intervention des forces spéciales), la volonté de rendre le film aussi prenant pour le jeune public, dans une Disneyisation qui est parfois gênante. Peu importe, Spielberg a montré dans le reste sa maîtrise indéniable, en un prologue muet parfaitement construit, qui installe de façon plus que convaincante toute la démarche: c'est du point de vue de ce petit alien que nous allons voir sa fuite vers le quartier ou habite son futur ami Elliott, et du coup on n'aura pas besoin de trop nous guider pour que nous aussi nous voyions ces êtres humains qui sont à sa recherche comme de sérieux dangers...

La mise en scène de Spielberg, post-Close encounters est comme d'habitude portée vers le regard, qui reste le principal axe de sa narration, mais il a su tirer de son évocation mystérieuse des aliens un art de la lumière qui était nouveau dans son cinéma. Lui qui avait su trouver le moyen de montrer de façon frontale et provocante, s'échine désormais à suggérer, ou du moins à délayer au maximum sa révélation. Ce faisant, il utilise donc la lumière, avec ou sans source visible, pour construire son suspense dans des plans à couper le souffle: l'anecdote de la cabane dans laquelle le petit être venu d'ailleurs se réfugie, qui va être la première rencontre avec Elliott, est à ce niveau remarquable: Elliott va vérifier vers la cabane de jardin ce qui se trame, et il apporte une lampe torche, mais Spielberg nous montre en plan large Elliott comme paralysé par ce qu'il voit, la lampe en main, avec face à lui la cabane étrangement illuminée de l'intérieur. Pour ajouter à la beauté de la scène, la brume et un croissant de lune complètent la composition...

La famille dans laquelle arrive E.T., comme Elliott l'appelle bientôt, est un univers en crise: la maman (Dee Wallace) et ses trois enfants Michael (Robert MacNaughton), Elliott (Henry Thomas) et la petite Gertie (Drew Barrymore) ont en effet à gérer l'absence du papa, parti au Mexique suite à une séparation. La mère de toute évidence, est incapable de tempérer ses enfants, qui mènent leur vie comme ils l'entendent, il suffit de voir l'état de la maison, des chambres dans lesquels les jouets, les objets les plus divers, s'amoncellent, ce qui va paradoxalement permettre aux trois gosses de dissimuler un alien ventripotent pendant quelques jours, sans que la mère ne s'aperçoive de quoi que ce soit... Spielberg sait parfaitement rendre cette impression de vie intérieure phénoménale, due à un manque affectif, et c'est probablement le plus remarquable de la première moitié de ce film; car quelle que soit notre tolérance à la saccharine contenue dans la deuxième moitié, la motivation pour tous ces bons sentiments, est elle au moins assurée... Et le film raconte la lente mais inévitable recomposition de la cellule familiale, comme Close encounters à sa façon, et comme tant d'autres films depuis...

Qu'il ait mérité son succès est une évidence, que le film soit un peu une tricherie de la part d'un metteur en scène qui sait parfaitement ce qu'il fait, et qui sait tout faire, me parait également avéré. On peut l'admettre sans pour autant rejoindre le choeur des pleureuses (la critique Européenne, sans pour autant tomber à bras raccourcis, avait critiqué cet aspect tire-larme du film à sa sortie), tant E.T. apparaît comme un classique sur lequel Spielberg va désormais refonder toute sa carrière. Un film dans lequel il nous rappelle à son univers qu'il va s'efforcer d'élargir de film en film, en laissant par exemple des enfants rouler à vélo dans une zone de banlieue en construction. Il nous fait, à sa façon, le tour du propriétaire dans son propre jardin.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Steven Spielberg Science-fiction
26 avril 2023 3 26 /04 /avril /2023 17:16

Dans la famille Freeling, on vit dans une petite maison, qui fait partie d'un projet de lotissement ne demandant qu'à s'agrandir, porté justement par le patron de M. Freeling... Le père travaille donc dans l'immobilier de masse pendant que la mère est au foyer pour s'occuper de ses trois enfants: une adolescente, un jeune garçon, et la petite dernière, Carol-Anne. L'atmosphère est assez libre, et il y a toujours une télévision allumée... Ce qui attire la première crise de somnambulisme de la petite. Puis des événements étranges se produisent, et Carol Anne disparaît... dans la télévision. 

C'est l'un des films les plus emlématiques de Tobe Hooper, le réalisateur du célère Texas Chainsaw Massacre (Massacre à la tronçonneuse), et auteur de nombreux films à vocation horrifique, ce qui n'empêche pas le film de multiplier les moments de comédie. Par bien des côtés, l'aspect parodique du film est à prendre en compte, d'autant qu'il y a suffisamment d'indices pour y trouver une ironie cinglante vis-à-vis non seulement du conformisme à l'Américaine, de la télévision et de son omniprésence, mais aussi du genre lui-même. Une réputation de méta-film que certains décèlent également dans son film de slasher le plus célèbre!

Mais le film est pour toujours le théâtre d'un conflit d'auteurs peu banals, même si les choses se sont réglées après une série de soucis par voie de presse: c'est que le film a été produit par Steven Spielberg, mais l'auteur de Close encounters of the third kind ne s'est pas arrêté là... Il a aussi participé au script, qui est d'ailleurs basé sur une histoire de son cru. La presse s'est emprêssée de spéculer sur le fait, et le fait que le film soit beaucoup plus grand public que d'autres a poussé certains critiques à mettre en doute le rôle de Hooper dans la réalisation. Hooper s'en est plaint dans la presse, et Spielberg lui a écrit une lettre ouverte, rappelant le rôle de chacun: un producteur-auteur d'une part, un auteur-réalisateur d'autre part. Et Spielberg, s'il a constamment joué avec les épices du genre, n'a jamais réalisé de fiml d'horreur, se contentant de prendre le meilleur du genre pour l'injecter dans des thrillers plus classiques. On aurait plutôt l'impression, ici, d'un Tobe Hooper s'amusant à imiter le style et l'univers de Spielberg pour délayer les moments horrifiques dans son film. Mais une fois qu'on est dans l'horreur, les effets s'enchaînent et Hooper se plait à en rajouter... 

N'empêche, l'univers de Spielberg est bien là, à travers cette famille qui vit heureuse sans s'apercevoir de son impressionnante dysfonctionnalité, et les scènes s'enchaînent, qui nous permettent d'envisager un naufrage futur. Qu'il y ait un drame de maison possédée (cette manie qu'ont les promoteurs de construire sur d'anciens cimetières... Un gag, dans le dialogue, nous rappelle d'ailleurs The Shining), c'est sans doute plus un avat-goût qu'autre chose! Une autre piste est à avancer, toutefois: le film se situe en plein Reaganisme triomphant, incarné bien entendu par le promoteur véreux, et l'optimisme professionnel irresponsable du héros. Le début du film est notable, puisqu'on y entend l'indicatif d'arrêt des émissions (personne n'éteint jamais les postes de télévision dans le film!), qui est justement l'hymne national, le Star-Spangled Banner. Et pendant que son épouse roule des joints, M. Freeling lit une biographie du bien-aimé président! Le film en devient une peinture au vitriol des classes moyennes à l'accession de Reagan à la Maison Blanche.

Hooper ou Spielberg, le film reste une sympathique et légère incursion dans l'horreur, sous pavillon familial; un film extrêmement bien fait, qui participe à sa façon d'un recentrage du cinéma de genre au début des années 80, à l'écart aussi bien du conformisme d'un cinéma familial, et de l'enfer des vidéoclubs, où tant de films d'horreur finiront bientôt. A sa façon, c'est un classique, et c'est aussi l'une des premières productions de Spielberg pour lesquelles il n'aura pas été le réalisateur: comme chacun sait, il y en aura d'autres! Enfin, ce film d'horreur, avec de vrais bouts du diable dedans, a été distribué par la très comme il faut Metro-Goldwyn-Mayer. Il est probable que parmi les cadavres fumant qui s'agitent dans la dernière bobine, il y a ce bon Louis B. Mayer...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Steven Spielberg Boo!!
25 avril 2023 2 25 /04 /avril /2023 17:42

Le premier atout de Raiders of the lost ark, c'est cette utilisation du signe cinématographique dont le film est un manifeste permanent. Bien sûr, l'une des sources primordiales pour la confection de Raiders of the lost ark et des autres films mettant en scène le personnage d'Indiana Jones reste la frustration légendaire de Spielberg qui rêvait dit-on de faire du Tintin et ne le pouvait pas, mais si le film est effectivement souvent un hommage au style d'aventures et aux codes graphiques qui ont présidé à l'oeuvre d'Hergé, c'est d'abord au cinéma d'aventures, et pas au plus noble, que pensait Spielberg, proche en cela de son copain Joe Dante dont l'oeuvre entière est un hommage à l'horreur et la science-fiction populaire dont il raffole... Ce film est donc une épure, un exercice de style jouissif et aussi indispensable qu'il est inutile, reposant sur des codes internes dus à la collaboration de quatre cinéastes (Lawrence Kasdan et Philip Kaufman ont tous deux taté du script, Spielberg est à l'origine du concept, et Lucas a conçu pour sa part Jones et sa mythologie...).

Dès le départ, on est placé sous le signe de la reconnaissance, du clin d'oeil, du symbole et du raccourci: lorsque le logo Paramount est récupéré par l'image, et devient l'une des nombreuses montagnes qui émaillent le décor du film, c'est fini, Spielberg s'est approprié le film et son ensemble de signes: la silhouette immédiatement reconnaissable de Jones, sa panoplie, les uniformes de ses opposants, les motifs immédiatment reconnaissables d'un drapeau nazi, tout est prétexte à reconnaissance immédiate. Hitchcock s'amusait à choisir des signes aussi clairs que symboliques dans ses filmis, Lang en a systématisé le détournement (le ballon de M qui passe d'une image de l'enfance à celle du crime), Spielberg met en scène les symboles pour orchestrer un jeu de pistes... Aidé par lucas, expert en création de mondes prêts à l'emploi, il se paie même le luxe de jouer sur la première apparition d'Indiana Jones comme s'il nous était déja connu: de dos, fragmentaire, on a quand même reconnu le héros avant même de le voir.

Le scénario nous envoie autour du monde, et le film ne néglige aucune occasion de mouvements, et le fait avec maestria; d'une hypothétique Amérique du Sud à l'Egypte en passant par le Népal, les pays eux-mêmes deviennent signes, et l'époque (qui elle aussi renvoie à Hergé avec ses incertitudes politiques génériques) permet en prime une série de touches esthétiques qui donnent plus d'authenticité encore au pastiche du cinéma d'aventures. Les scènes en silhouette dans les temples Egyptiens renvoient tant à l'univers d'Hergé qu'à la bi-dimensionalité des héros de papier (tout en offrant un spectaculaire clin d'oeil à Michael Curtiz et son cinéma des ombres, comme la confirmé Spielberg). Comme en plus on massacre dans ce film un nombre non négligeable de nazis, Ce Raiders of the lost ark est bien un chef d'oeuvre en son genre. Indispensable halte, donc...

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Steven Spielberg
23 avril 2023 7 23 /04 /avril /2023 17:06

Beaucoup des films du jeune Spielberg s'intéressent d'une façon ou d'une autre à l'âme Américaine, que ce soit en créant du suspense à partir du mythe de la route (Duel), ou de l'univers des stations balnéaires (Jaws), en racontant un folk tale qui dépoussiérerait presque les légendes de l'Ouest Américain tout en révélant de façon poussée le dangereux culte des armes au Texas (The Sugarland Express), ou en s'intéressant à la famille sous l'angle inattendu... de la science fiction (Close encounters of the third kind, E.T.). Spielberg a aussi, dans cette première décennie, exploré le passé glorieux du cinéma d'aventures en participant comme chacun sait à la création en compagnie de George Lucas d'un personnage doté désormais d'un univers solide, et si éminemment Américain (Raiders of the lost ark)... Donc 1941 ne ressemble pas tant à un accident de parcours qu'on a bien voulu le dire depuis sa sortie qui avait comme on s'en rappelle débouché sur un flop, et engendré un désamour persistant de la critique voire d'une partie du public, désamour facile à motiver: le film est raté.

En décembre 1941, la Californie vit dans une certaine psychose bien compréhensible: Pearl Harbor attaqué par les Japonais, tout porte à croire que l'état richissime est le suivant sur la liste. On s'y prépare donc. La défense civile anti-aérienne, l'aviation, la marine, toute l'armée est sur le pied de guerre, et les civils s'attendent au pire. Le risque de sombrer dans la folie paranoïaque sera-t-il franchi? ...Oui. D'autant qu'un sous-marin Japonais croise justement au large de Santa Monica, et que bien des militaires, rendus fous par l'attaque inattendue et spectaculaire du 7 décembre, sont au-delà de leurs esprits dans des proportions inédites...

L'alliance entre Spielberg et le duo Zemeckis-Gale était inévitable: Spielberg, jeune producteur, appréciait leur esprit, tel qu'il s'était déchaîné en particulier dans le film I wanna hold your hand, qui contait le chaos qui régnait dans les coulisses d'une visite des Beatles aux Etats-Unis. En gros, 1941, c'est le même film, mais cette fois dans les coulisses de l'après Pearl Harbor. Sans doute Spielberg qui savait quel était son enviable statut en tant que principal des jeunes loups qui s'étaient établis dans les années 70 (aux côtés de Scorsese, Lucas, Cimino, ou le plus âgé Coppola), et souhaitait devenir un chef de clan, en produisant et mettant le pied à l'étrier des plus jeunes. Peut-être avait-il jugé que Zemeckis était trop peu aguerri pour mettre lui-même le film en scène, ou peut-être la stature de Spielberg permettait-elle d'accumuler les grands noms: après tout, on peut voir ici, rien moins que Robert Stack, Slim Pickens, Christopher Lee, ou Toshiro Mifune. Les jeunes vedettes qui montaient à l'époque, Dan Aykroyd ou John Belushi, y côtoient des acteurs qui s'étaient illustrés dans le film de Zemeckis: Bobby Di Cicco, Nancy Allen ou l'insupportable Wendy Jo Sperber, dont l'énergie en apparence inépuisable finit par devenir lassante... après deux secondes. Parce que le problème du film, c'est que l'excès pour l'excès, ça ne marche pas. Aucun dosage, aucun répit, tout part en vrille dès le départ. Parfois, c'est drôle: Belushi en aviateur fou arriverait à nous faire rire plus facilement, si par exemple tout ce qui l'entoure n'était pas plongé dans le chaos. Robert Stack, en général ému par Dumbo aux larmes, est splendide, et le duo incarné par Mifune et Lee, en général Japonais et en saleté de Nazi SS respectivement, est mémorable, mais le film peut parfois nous arracher un sourire grâce à ses allusions au cinéma: de Spieberg d'abord (une scène de Duel est rejouée par la même actrice, avec un avion en lieu et place de camion), de Ford ensuite (une bagarre se déroule au son de la même musique folklorique Irlandaise que l'homérique rencontre entre John Wayne et Victor McLaglen dans The Quiet Man).

Peut-être que Kubrick, qui avait expérimenté (Dr Strangelove) le même type d'exploration du chaos avec tellement plus de réussite que Spielberg, estimait que ce genre de film ne devait surtout pas être vendu comme une comédie, afin que le décalage fonctionne. Il avait sans doute raison, ais il faut ajouter que dans ce film dont les cinq premières minutes sont le sommet du film (En particulier si on a vu l'ouverture de Jaws), on surtout la preuve éclatante que Spielberg est certes un génie, mais qu'il ne sait pas tout faire, loin de là. L'intention de montrer l'Amérique profonde, et la Californie en particulier, en proie au chaos était bonne, mais ces deux heures (Et 25 minutes dans la version intégrale) sont souvent dures à passer.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Steven Spielberg comédie Robert Zemeckis
22 avril 2023 6 22 /04 /avril /2023 18:43

Dans les années 50, à la suite du formidable mais alarmiste film The thing, de Howard Hawks et Christian Niby, le mot d'ordre du cinéma Américain était "Watch the skies!". Et, de War of the worlds (Byron Haskin, 1953) en Invasion of the body snatchers (Don Siegel, 1956), la confirmation d'un danger potentiel représenté par les extra-terrestres, métaphores grossières d'un danger communiste d'infiltration, était partout. Le pari de Spielberg, en cette fin d'une décennie durant laquelle les cinéastes ont plus ou moins pris brièvement le pouvoir à Hollywood derrière Coppola et Scorsese, était donc de renverser la tendance, tout en se permettant de s'approprier les formes classiques et spectaculaires de la science-fiction. A ce titre, son film visionnaire est encore là pour faire école, 36 ans après... Même si son fondamental optimisme n'a pas résisté à la fin des années Carter, à des 80s qui se sont avérées sanglantes en matière d'idéal, et au 11 septembre: voir à ce sujet le dernier film que Spielberg a consacré au phénomène extra-terrestre en 2005, nouvelle version du War of the worlds de H.G. Wells actualisé à l'aune des attentats terroristes du XXIe siècle.

http://derekwinnert.com/wp-content/uploads/2013/10/548.jpg

Il faudrait néanmoins se garder d'imaginer que le film ne soit finalement qu'une pièce de musée, dépassé par les évènements, la technologie numérique ou les nouveaux développements en matière de narration cinématographique, ou quoi que ce soit d'autre. D'une part, même si le Spielberg de 1977 croyait dur comme fer à l'hypothèse d'une rencontre à venir entre les humains et les extra-terrestres, motivant  ainsi son désir de faire ce film, il faut bien dire que Close encounters ne se réduit pas à cette lecture au premier degré... D'autre part, tout son cinéma en découle d'une manière ou d'une autre, à commencer bien sûr par les deux 'suites' de sa trilogie extra-terrestre, soit E.T. (1982) et War of the worlds déjà cité. Spielberg n'a sans doute pas fini de s'abreuver à la source de ce qui reste l'un de ses meilleurs films.

Indiana, 1977. Roy Neary et un certain nombre d'autres habitants de cet état sont "visités" par une rencontre extra-terrestre, à des degrés divers: certains en ont gardé la séquelle d'une intense brûlure façon coup de soleil, certains sont marqués par l'intrusion d'un thème musical dans leur tête. Tous sont aussi visités par l'image obsessionnelle d'une montagne mystérieuse. Tous sont également amenés à avoir un comportement obsessionnel, de plus en plus erratique, ce qui se traduit pour Roy, un père et mari déjà pas vraiment parfait, par un licenciement dont il n'a rien à faire, puis par un comportement de plus en plus inexplicable vis-à-vis de sa famille. Pour Jillian, une jeune peintre qui vit seule avec son fils Barry, la rencontre va se traduire par l'enlèvement de ce dernier par des aliens... De son côté, un ufologue Français, le professeur Lacombe, semble mener une opération de grande envergure pour comprendre le message laissé par les extra-terrestres à a plupart des populations de la planète... Tout ce petit monde se retrouvera au Wyoming, à l'abri d'une montagne aux formes légendaires.

http://www.theofantastique.com/wp-content/uploads/2011/01/close-encounters-of-the-third-kind.jpg

Roy Neary, interprété par Richard Dreyfuss, partage finalement avec le petit Barry une confiance assez inexplicable en ce qui pourrait lui arriver auprès des extra-terrestres, c'est l'une des leçons optimistes de ce film, dont Spielberg voulait faire un rappel du fait qu'à cette époque lointaine, on pouvait sans doute partir de chez soi, en laissant la porte ouverte! Le monde n'était pas uniquement fait de dangers. Roy et Barry, bien sûr, sont des enfants; l'un d'entre eux a environ 5 ans, et l'autre se comporte en tous points comme un gosse, ce que le film nous rappelle souvent: il joue, répare des jouets, se laisse happer par le moindre prétexte, et n'assume absolument pas sa condition de père, voire de mari. Il se séparera de sa famille (Ce qui ne semble pas l'affecter tant que ça, d'ailleurs) au milieu du film. Le personnage de Ray (Roy, Ray...) dans War of the worlds en est une variation à peine déguisée à la base, même si l'enjeu sera pour lui de retrouver sa famille et de la maintenir vivante, justement! On retrouvera aussi le schéma d'une mère célibataire dans E.T., confirmant cette hypothèse d'un portrait d'une Amérique dont les valeurs morales se sont ouvertes de façon considérables en un siècle. Mais l'idée d'un homme-enfant apte à reconnaître la tentative de rapprochement opérée par les aliens dans ce film pour ce qu'elle est, est prolongée par l'enthousiasme enfantin du professeur Lacombe, et par de nombreux collaborateurs de ce dernier, comme le prouve une scène: les responsables en costume et cravate font l'assaut d'une salle où trône une superbe mappemonde géante pour en déloger la reproduction de  la terre, qu'ils récupèrent en la faisant rouler comme un ballon! Le corollaire de ces enfantillages, c'est bien sûr le désir de désobéissance, observé par Roy qui ignore les avertissements de danger, mais aussi la saleté, dans laquelle tous les "visités" s'installent lorsqu'ils essaient de reproduire dans de la matière molle la vision mystérieuse d'un monticule signifiant. Il n'est pas interdit d'y voir l'appel de la matière fécale, ce qui nous envoie d'ailleurs vers Jurassic Park et son abondance de monticules de crotte (Un des témoins de la rencontre finale dans Close encounters a d'ailleurs devant l'arrivée d'un vaisseau géant le même problème que l'avocat de Jurassic Park lorsqu'il voit un T-Rex: il lui faut se précipiter aux toilettes!). Entre humour, clins d'oeil, et mise en scène de l'émerveillement (qui passe par le regard, notamment celui d'un enfant), Spielberg accomplit quoi qu'il en soit un hommage complet à l'ouverture d'esprit des enfants... Ce qui, à trois ans de l'enfer Reaganien, ne manquait pas de sel.

       http://1.bp.blogspot.com/-O6e-SQuKXnQ/TatZKfWeDYI/AAAAAAAABMo/ehrx8pWnaxc/s1600/Close+Encounters+of+the+Third+Kind+3.jpg

Et puis, je m'en voudrais de ne pas mentionner cette mise en scène toute en contrôle permanent de l'émotion du spectateur, mené par le bout du nez dans le sillage de Roy et Jillian, auquel on montre les préparatifs exaltés d'une rencontre entre l'homme et l'extra-terrestre, sans jamais la nommer. Cette façon qu'a Spielberg de nous préparer à une image inédite, souhaitée mais jamais crue possible, et de ne nous l'asséner qu'une fois les personnages mis à leur tour au courant: Jillian entendant derrière elle un bruit sourd, se retournant lentement, et voyant... ce que nous ne voyons pas encore mais pouvons deviner, un vaisseau grandiose. Le désir de le voir, l'incontrôlable volonté de profiter de l'image hallucinante désormais à notre portée, et la réalisation enfin de ce désir dans un déluge de musique contrôlé par un maestro (John Williams, bien sur): Spielberg optimiste, c'est la promesse d'un cinéma de la jouissance!! Une science du regard, de la mise en scène du regard, et du savoir montrer. 

C'est d'ailleurs le regard qui semble faire ici de sérieux pieds de nez à la communication: entre le français qui a de sérieuses difficultés dans la langue de Shakespeare, et l'incommunicabilité entre Roy, sa femme et ses enfants, on voit bien que le fait de parler ne résoud rien... Et Spielberg accumule les preuves, en montrant par exemple la presse incapable d'avoir des réponses à ses questions. Et si Lacombe orchestre bien une rencontre, grâce à des indices, ils n'ont pas été communiqués par le langage, et malgré tous ces éléments, l'Armée réussit encore à se vautrer, électionnant ses meilleurs surhommes-et-femmes surentraîné(e)s, mais les petits rigolos d'aliens leur préféreront ce brave Roy Neary, lui qui ne sait même pas ce qu'il fait là, pour l'inviter à l'intérieur de leur carosse magique.

Partager cet article
Repost0
Published by François massarelli - dans Steven Spielberg Science-fiction
19 avril 2023 3 19 /04 /avril /2023 17:45

Le tout début de ce film exemplaire annonce la couleur: un plan, durant le générique, nous montre en balayant le champ de gauche à droite des jeunes étudiants à un feu de camp, puis un jeune homme qui se trouve au centre du cadre regarde intensément quelque chose... Ou plutôt quelqu'un: le plan suivant nous montre l'objet de son attention, qui est une jeune femme; elle aussi le regarde. Maintenant on sait que ces deux-là ne feront pas de vieux os ensemble, puisqu'elle va se faire dévorer par un très gros requin quelques minutes après, mais Steven Spielberg a d'ores et déjà axé la mise en scène de son premier grand film sur le regard, et les raccourcis qu'il permet...

Le reste du film en sera un festival, depuis les plans du policier Brody (Roy Scheider), sur la plage, qui regarde avec appréhension les baigneurs dans ce qui pourrait bien devenir le théâtre d'un drame, à ce jeu de cache-cache entre un requin et des hommes venus à trois pour lui faire sa fête, et scrutent, scrutent pour généralement se faire prendre par surprise par un requin, qui a n'en pas douter avait lu le script. Cette obsession du regard, et la maîtrise absolue du suspense, voilà sans doute deux ingrédients dus au maître Hitchcock, que Spielberg pouvait déjà revendiquer sans honte ni remords. Et pourtant le film a eu du mal à se faire, à plus forte raison lorsque le metteur en scène est apparu sur le plateau, et que tous les techniciens se sont mis à douter de ses capacités.

Véritable traité sur la peur, le film commence dans un endroit qui n'aurait pas déplu à Hitchcock, justement. Vague réminiscence du Bodega Bay de The birds, Amity est une île pourtant située sur la côte Est. Un endroit exclusivement tourné vers la mer et le tourisme, ce qui explique assez facilement pourquoi le maire (Murray Hamilton, qui ne se doutait sans doute pas qu'il créait là un archétype) est si réticent à laisser son chef de la police Brody (Roy Scheider) aller raconter à tout le monde qu'il y a un requin dans les eaux de baignade. L'animal est dosé avec parcimonie, durant une première heure entièrement consacrée au conflit entre Brody et les autorités. Le policier, seul homme un tant soit peu lucide (C'est le seul à ne pas être du coin!) d'Amity, est vite secondé par Matt Hooper (Richard Dreyfuss), un océanographe spécialiste des requins.

Si le monstre est peu vu durant cette entrée en matière, les hommes en revanche en prennent pour leur grade, et on prend parfois à se demander comment Spielberg a pu acquérir une telle réputation de gentil, tant l'humanité montrée dans ces 60 minutes est odieuse. Le penchant pour le sadisme du metteur en scène est là aussi présent, à travers sa science du "je montre, je ne montre pas", qu'il distille savamment... Mais l'un des enjeux de Jaws (Dont on rappelle que ces gros innocents de Français le connaissent sous le titre particulièrement débile de "Les dents de la mer") est justement de donner à voir ce qu'on ne voit normalement pas: réussir à intégrer dans un film traditionnel un homme se faisant manger par un requin, frontalement, bref appeler un chat un chat. Tout le film tend vers cette finalité. Parce que Spielberg est un pionnier, à sa façon, et le restera. Tous ses films possèdent ce type de défi, généralement assumé au point ou il devient même un argument publicitaire valide: venez voir l'Est des Etats-Unis en proie à une attaque Alien! Venez voir le débarquement comme vous ne l'avez jamais vu! Etc...

La deuxième partie, qui voit trois hommes (Scheider, accompagné de Richard Dreyfuss et Robert Shaw) partir en mer, avec un bateau (Trop petit, comme le révèle une réplique célèbre) à la poursuite d'un requin qui n'attend qu'eux pour trouver le sens de la vie, est une autre affaire de suspense, là encore parfaitement dosé. Et il possède aussi une autre dimension, rendue possible par la présence du scientifique passionné Hooper, qui le dit clairement: s'il est devenu un spécialiste des requins, c'est parce qu'il les aime. Et la chasse au requin devient, entre ces trois hommes, cette grosse bête et un bateau (trop petit, on vous dit), un beau film d'aventure, ce que nous confirme le lyrisme inattendu de John Williams dans ces séquences fabuleuses: regardez ces trois hommes aux prise avec ce qu'ils pensaient être une bestiole démoniaque: ils sourient comme des gosses...

Ce film ne se présente plus, il se vit, encore et encore, et comme tous les films qui ont trouvé leur forme parfaite, il est resté parfait...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Steven Spielberg
18 avril 2023 2 18 /04 /avril /2023 19:05

Lou Jean Poplin (Goldie Hawn), une jeune femme qui sort de prison, fait évader son mari Clovis (William Atherton), afin de récupérer leur fils Langston, dont les services sociaux lui ont dit qu'ils avaient perdu la garde. Dans leur quête pour rejoindre le petit, il vont être forcés de voler des voitures, prendre un otage (Michael Sacks interprète Maxwell Slide, un "state trooper") et de négocier avec le capitaine Tanner (Ben Johnson), policier dur à cuire mais aussi mesuré et compatissant. Ils vont aussi se promener à travers le Texas, avec derrière leur véhicule une queue de dizaines de voitures de police, et un cirque médiatique de plus en plus encombrant...

Sept ans après Bonnie and Clyde et une année après Badlands, le premier film de Steven Spielberg sorti en salles aux Etats-Unis n'est pas sans rapports avec ces deux productions, mais il ne possède pas la charge dévastatrice et profondément romantique du premier, ni le naturalisme sobre et poignant du second. Le terrain choisi par Spieberg me fait penser, avec quelques décennies d'avance, au style des frères Coen, cette capacité impressionnante à placer des personnages dans une région dont on va imperceptiblement mais surement accentuer tous les détails folkloriques afin de déboucher sur une bonne dose de caricature. A ce titre, le film se passe dans un Texas dont l'accent est omniprésent, et beaucoup de protagonistes semblent tellement authentiques qu'on imagine aisément le réalisateur faisant du porte-à-porte à la recherche de ses acteurs! La couleur locale érigée au rang de style, on n'attendait pas forcément d'un film de Spielberg une telle idée, mais il s'en sort bien, d'autant qu'il est aidé par la présence de Ben Johnson qui joue avec une grande finesse le capitaine Tanner. Le grand acteur de westerns, échappé des films de Ford et de Peckinpah, coupe court à la comédie car c'est de lui que viendront toutes les révélations sur l'inévitable destin de la prise d'otage, et c'est donc par lui que le film passe de la comédie au drame... Seul adulte, finalement, face aux délires des deux enfants que sont Clovis et Lou Jean, il tente par tous les moyens des les épargner, mais sait que les jours leur sont comptés.

Sous ces aspects de fausse comédie, et de "road-movie" pathétique, le film de Spielberg prolonge aussi de manière inattendue le conte sur roues qu'était Duel! Spielberg a acquis une telle maîtrise dans la narration de son téléfilm qu'il a utilisé ce savoir-faire dans son premier long métrage de cinéma, comme en témoignent ces longs plans-séquences qui installent l'ambiance très particulière de cette prise d'otage, au moment en particulier ou les Poplin et leur otage de plus en plus consentant sont rejoints sur la route par le capitaine Tanner. Spielberg réussit à rythmer son film sur l'accumulation de véhicules de police qui accompagnent l'étrange périple, sans que le film vire au ridicule. Le metteur en scène profite aussi à merveille de son cadre élargi, et s'amuse dans sa composition avec l'écran large, la profondeur de champ. Et son Texas, fait de couleur locale (Accents, chapeaux) se pare aussi des couleurs de conservatisme de ses pionniers, lorsque les fous de la gâchette s'invitent à la fête. Si le but des Poplin est de préserver leur famille, les dingues du fusil sont surtout là pour tirer sur tout ce qui bouge, et vont, inévitablement, corser la fête. Spielberg nous montre d'ailleurs que les Texans, champions de la liberté sous toutes ses formes, sont prêts aussi bien à soutenir l'absurde mais touchante quête des fuyards, que le fait de les dézinguer sans sommation...

Quoi qu'il en soit, s'il ne paie pas de mine, le premier long métrage "pour de vrai" de Spielberg fait entendre une voix singulière: un technicien ultra-compétent qui sait s'entourer (Le compositeur du film est un certain John Williams, et son "score" est fantastique, mélange de folklore et de musique dramatique modèle); qui est profondément touché par la notion de famille, ne sachant pas encore qu'il en ferait le théâtre quasi-systématique d'une majorité de ses films, mais encore trop jeune, timide ou trop inconscient de la portée de cette notion de cercle affectif pour s'impliquer totalement, au-delà d'une narration héroïque et picaresque de deux gosses qui ont cru qu'ils avaient le droit de mener leur barque comme bon leur semblait...

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Steven Spielberg
16 avril 2023 7 16 /04 /avril /2023 12:01

La même année qui vit la sortie de Duel au cinéma (en Europe), le metteur en scène a été invité à réaliser un nouveau film de long métrage pour la télévision, inspiré d'un script de Robert Clouse: ce dernier n'est pas un inconnu des amateurs de films d'action, et le propos de ce mini-long métrage (73 minutes) était bien dans la ligne d'un cinéma de divertissement, qu'on en juge:

Une famille de New York, en villégiature en Pennsylvanie, aperçoit une belle maison, et l'épouse constate qu'elle est à vendre. Ils l'achètent, et commencent à y habiter avec leurs deux enfants, un garçon et une petite fille qui commence à marcher... L'épouse, Marjorie (Sandy Dennis), qui ne travaille pas reste à la maison pendant que Paul, le mari (Darren McGavin), réalisateur de films de publicité, se rend à New York tous les jours. Mais Marjorie sent une présence, et commence à écouter les voisins qui eux savet que la maison est la demeure d'un démon redoutable. Marjorie commence à se demander si elle ne serait pas possédée...

C'est assez étonnant que la télévision Américaine, dernier rempart dans les années 70 des conservatismes de tout poil, ait confié la réalisation d'un film d'épouvante au jeune réalisateur de Duel; il avait montré qu'il pouvait sur un budget très serré aller loin dans la démonstration émotionnelle, et la manipulation émotionnelle du spectateur... Pourtant, pendant le plus gros du film, Spielberg se retient, préférant effectivement distiller par toutes petites doses le poison du fantastique, gardant l'explosion de frissons pour la fin: c'est très efficace, et du point de vue de la production, qui souhaitait sur un petit budget avoir un film qui fait peur mais pas trop, situé dans le cadre sacro-saint de la famille, c'était une mission accomplie haut la main.

Mais il est vraiment très troublant, dans ce film bardé de références et de messages subliminaux tous liés à la vie de Steven Spielberg, d'y trouver des traces de ce que The Fabelmans met en lumière, cette relation brisée entre une mère au foyer qui perd pied, et le reste de sa famille. S'il y a bien un personnage que Spielberg charge (discours parfois rendu obscur par une évidente consommation d'alcool pourtant pas mentionnée dans le dialogue, gifles et colères soudaines, caprices même), c'est celui de la mère. Sinon, Spielberg est déjà en pleine possession de son art, et le montre tranquillement; il profite aussi avantageusement d'un script qui lui permet de citer Les diaboliques de Clouzot: réminiscence inconsciente, copie ou coïncidence? Je ne sais pas et peu importe, mais l'idée est très bonne, et fonctionn presque à la fois comme un fil rouge et un coup de théâtre... 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Steven Spielberg Boo!!
15 avril 2023 6 15 /04 /avril /2023 11:56

La carrière entière de Spielberg tourne autour de deux axes fondamentaux du cinéma, qu'à mon sens il a repris de Hitchcock lui-même; non qu'il les lui ait volés, loin de là. Il en a repris le flambeau, dans un improbable passage de relais, qui s'effectue grâce, précisément, à Duel. C'est assez rare pour être signalé: ce long métrage est en réalité un film de télévision, tourné spécifiquement pour l'émission d'ABC Movie of the week, et Spielberg a fait des pieds et des mains pour le tourner, car il avait lu la nouvelle de Richard Matheson et avait eu vent du script. Plus notable encore, le metteur en scène, qui n'avait que vingt-cinq ans, n'avait aucun vrai long métrage à son actif, si ce n'est un épisode de Columbo (Murder by the book). Et ce film est ce que Spielberg a obtenu en 12 ou 13 jours de tournage, après avoir fait le choix difficile de tout tourner en extérieurs, ce qui se voit dans le réalisme impressionnant de cette histoire, qui rappelons-le est celle d'un homme conduisant une voiture sur les routes désertiques de l'Ouest, qui voit tout à coup un camion le choisir comme jouet, et lui mener une vie infernale sur la route jusqu'à un point de non-retour. On ne verra jamais le visage du camionneur, et tout le film est vu du point de vue de David Mann (Dennis Weaver), le conducteur forcé de trouver en lui la force et l'ingéniosité primale qui lui permettront de faire face à son tueur potentiel.

Je parlais donc des deux axes Hitchcockiens qui ont comme par enchantement été donnés à Spielberg, comme un héritage avancé si on veut, puisque Hitchcock était après tout encore en activité au moment du tournage de Duel: D'une part, tous les films de Spielberg, toutes les scènes même, sont organisées autour de la notion de regard. Vous pouvez vérifier, c'est une obsession. D'autre part, le metteur en scène a pris au pied de la lettre la transgression contenue dans Psycho (dont certains passages de la musique composée par Billy Goldenberg pour Duel reprennent d'ailleurs la violence de la magnifique partition de Bernard Herrmann), et a fait de tous ses films des défis, en proposant de montrer ce qu'on n'a jamais vu ou ce qu'on n'ose jamais imaginer (tout comme Hitchcock avait révolutionné la représentation du crime avec Psycho entre autres): un requin qui attaque un bateau, un OVNI qui se pose, un paysage rehaussé d'un nombre incalculable de dinosaures, le débarquement de Normandie "comme si vous y étiez", l'attaque de New York par des vaisseaux infra-terrestres...Spielberg a rendu possible au cinéma tellement de choses... Eh bien ça commence avec Duel, et son incroyable pitch de départ: man meets truck...

Le film est dénué de toute tricherie, et repose finalement sur une montée pure du suspense, qui coïncide avec la lente mais sure transformation du personnage principal, qui va passer de "Je n'en crois pas mes yeux" (car pour rester dans les allusions au regard, n'est-ce pas ce qu'on se dit, dans plusieurs langages, quand on est confronté à l'impossible?) à un instinct de survie nécessaire. Tout va se jouer entre cet homme qui conduit une voiture rouge, et tente d'échapper à un camion presque sans conducteur, mais pas sans opiniâtreté. La caméra va se situer dans la voiture et autour, et Spielberg maîtrise de façon impressionnante ses dispositifs à une ou plusieurs caméras afin de tourner son petit film. Ce à quoi il est parvenu en treize jours est tout bonnement incroyable, tout comme la maîtrise instinctive des moyens; plans uniques, aux dispositifs difficiles à reproduire, montage grandiose, piste sonore ultra-travaillée... Certes, ce n'était qu'un petit film pour la télévision (dont la version de 1971 s'est vue complétée l'année suivante après un accueil triomphal à Avoriaz), mais quand on voit la carrière qu'il a fait, et ce qu'il porte en germe de Jaws à la série des Indiana Jones, on est bouche bée...

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Steven Spielberg Television
15 avril 2023 6 15 /04 /avril /2023 11:41

Un auteur en tue un autre... Pour toucher une prime d'assurance, l'un des deux écrivains d'une série de livres à succès, dont le partenaire vient de décider de travailler en solo, supprime ce dernier, à partir d'un pan extrêmement élaboré. Mais il y aura deux grains de sable: d'une part, une femme peut témoigner d'un fait qui flanque son alibi par terre; un témoi à supprimer, donc... d'autre part, et c'est encore plus embêtant, le détective en charge de l'affaire, le lieutenant Columbo (Peter Falk), est peut-être miteux et à côté de la plaque en apparence, mais il s'avérera vite redoutable...

C'est le premier travail d'envergure de Spielberg, réalisé la même année que la version télévisée de Duel. Le réalisateur autodidacte d'à peine 25 ans rongeait un peu son frein à la Universal, où on lui confiait des tâches certes acceptables, mais largement alimentaires, quand cette proposition de réaliser le premier épisode (après deux pilotes qui avaient laissé la production insatisfaite) d'une série destinée au succès lui est tombée sur les bras...

Si le travail de Falk lui appartenait et ne nécessaitait pas d'être dirigé, puisque après deux épisodes il campait à la perfection le personnage, Spielberg est responsable de tout le reste: direction d'acteurs évidemment, cadrage souvent virtuose (il réussit à mêler à la fois la nécessité télévisuelle d'une abondance de gros plans et une composition de plans larges en combinant le tout avec un sens dramatique qui débouche souvent sur de l'ironie), montage à l'avenant, et un rythme sans faille. Le film (l'épisode dure 75 minutes et a été tourné en 35mm) possède déjà le flair de Spielberg pour créer du suspense ou du malaise de façon imperceptible, et ce dès son ouverture: un modèle du genre, basé sur un montage parallèle, et une utilisatil magistrale du rythme... Sinon, c'est un épisode de Columbo, que voulez-vous en dire de plus?

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Steven Spielberg