
Beaucoup, beaucoup plus qu'une curiosité: ce film a beau être complètement assujetti à l'autre (le film d'animation de Clyde Geronimi, Hamilton Luske et Wilfred Jackson, en 1953), au point d'avoir été disponible un moment sous la forme d'un bonus de luxe dans l'édition DVD du classique Disney, mais je pense qu'il faut quand même le réévaluer: pour commencer, non seulement c'est la première version cinématographique du récit de Barrie, mais c'est aussi la seule à laquelle l'auteur ait participé...
D'ailleurs ça se sent un peu dans le prologue étiré, qui reprend non seulement toute l'action de la pièce, mais en prime essaie de jouer uniquement autour d'un seul décor: la chambre des enfants, le lieu de la maison des Darling qui reste évidemment le plus important. ON assiste donc aux préparatifs du coucher, l'arrivée de Nana l'étrange chien/gouvernante, la vision furtive d'un garçon à la fenêtre par Mme Darling (Esther Ralston), puis les différentes façons de temporiser utilisées par les enfants pour ne pas aller au lit.
Et puis une fois les parents (et le chien) partis, l'arrivée de Peter Pan (Betty Bronson) précédé de la fée Tinker Bell (Virginia Brown Faire): le reste de l'histoire on le connaît... sauf que cette fois, il y a à mon sens beaucoup plus d'ambiguïté dans la distribution. Je vais le dire de suite, afin qu'on ne se méprenne: non, je ne parle pas des rapports entre Wendy-Mary Brian et Peter-Betty Bronson. A aucun moment le spectre d'une quelconque romance entre les deux jeunes femmes n'a du traverser les esprits, ni du metteur en scène, ni des actrices. Le choix de Betty Bronson était dicté par un aspect pratique: ce serait beaucoup plus facile d'employer une actrice plus vieille que le rôle, afin de "détacher"Peter des autres "lost boys" de l'histoire, qu'un acteur plus vieux. Et c'est en garçon (et en lutin espiègle) que Betty Bronson joue le rôle...
Non ce qui est ambigu, c'est le décalage entre les volontés de Peter (rester jeune, et si possible pré-pubère, pour l'éternité) et Wendy (Dès le départ son attirance, même innocente, pour Peter, est évidente, et elle passe tout le film à essayer de lui faire dire qu'il est son petit ami... en vain). Tout le film semble être le rêve de quelqu'un (Wendy?) qui se voit plus ou moins obligé(e) de rester en enfance.
Ce qui date le plus le film, c'est sans doute son appartenance à ce genre qui embarrassait tant le cinéma Américain, le merveilleux. Peu représenté, c'est le moins qu'on puisse dire, le genre fantastique dans le cinéma muet Américain avait tout au plus les sagas d'Oz dans les années 10, certains films avec Anette Kellerman en sirène, l'étrange tentative The blue bird de Maurice Tourneur, (1918) assez séduisant dans l'ensemble, et sinon, The thief of Bagdad. C'est à peu près tout ce qui me vient à l'esprit. Et après? Pas grand chose en fait: en dépit du succès certain de ce Peter Pan, le film de 1925 A kiss for Cinderella serait le champ du cygne du genre, en même temps qu'un retour à la froide réalité d'un succès d'estime aussi bien pour Brenon (qui s'en relèverait) que pour Bronson (qui ne s'en relèvera pas)...
Le choix de coller à la pièce originale est un peu déroutant, et c'est d'ailleurs ce qui rend le prologue de près de 35 minutes assez pesant. Mais Brenon, quand il accède à Never Neverland, y trouve un second souffle, et on sent bien que tout le monde s'amuse. Outre Bronson qui est absolument parfaite pour le rôle, on a Ernest Torrence d'une part, qui fait exactement ce qu'on attend de lui en Capitaine Hook. Et en Tiger Lily, fille de chef indien, on a une nouvelle fois une occasion manquée pour Anna May Wong...
Si Peter Pan est réussi c'est en raison de l'adéquation de Brenon, de son équipe et de tous les acteurs au projet: jamais le film ne s'aventure trop loin dans les coulisses sombres de cette histoire, mais il n'y a pas non plus cette volonté de tout aseptiser d'une façon lisse, comme les choix de Disney dans la production de 1953 ont conduit l'équipe à le faire... Le film est donc un entre-deux particulièrement réussi, où les enfants volent, les crocodiles mangent, et les sirènes bronzent. Certes, ce n'est pas le Voleur de Bagdad; mais ce Peter Pan-ci me semble tellement plus tangible que l'autre, voire que celui, assez désastreux, de Joe Wright...












/image%2F0994617%2F20240625%2Fob_cf1da3_mv5bmtc2mdk1ndc5ml5bml5banbnxkftztcwmd.jpg)
A l'expressionnisme de ses sources, Fairbanks va opposer une autre forme d'exagération, en accentuant le coté ballet de sa propre prestation, d'autant que les figurants sont tellement nombreux qu'il faut bien faire un effort pour que l'acteur s'en détache. Un bon exemple de cette gestuelle exagérée se trouve au début du film, lorsque Fairbanks est encore un simple voleur, et parcourt de balcon en toit les rues de Bagdad, en grapillant son déjeuner, et les bourses tentantes des passants. Voyant la démonstration d'une corde magique, il la convoite, et fait un geste de la main, qui fait d'ailleurs penser à un enfant. Ce geste répété n'a rien de naturel, mais est parfaitement clair. Autre avantage pour l'acteur, il peut, pour une fois, échapper au maquillage qui le blanchit considérablement habituellement, puisque Fairbanks est un adepte des activités sportives sous le ciel de Californie et sa peau constamment exposée a le plus souvent besoin qu'on l'assagisse un peu s'il veut jouer un D'artagnan ou un Robin Hood... Ici, c'est un Fairbanks au naturel, habillé de peu d'étoffe du reste, qui va exposer son corps d'athlète dans des gestes plus emphatiques encore que d'habitude. Enfin, l'exagération et l'exacerbation des mouvements sont étendues à l'ensemble du casting, dans lequel on reconnait Julanne Johnston en princesse, So-Jin en prince Mongol, Anna May Wong en traîtresse, et Snitz Edwards en copain du héros; Ahmed est donc un voleur militant, qui ne vit que par une seule philosophie: quand il a envie de quelque chose, il le prend. Lorsque c'est une belle princesse qu'il convoite, il va mettre au point un stratagème pour être l'un des princes qui s'alignent pour venir lui faire officiellement la cour. Et va du même coup être transformé par la révélation de l'amour... Mais parmi ses rivaux, il y a aura aussi le fourbe prince des Mongols, cruel et plein de ressources pour faire le mal et assumer son but: la domination...
mélange entre personnages bien définis, décors délirant et envahissant, et histoire de longue haleine; réussite, selon moi, sur toute la ligne: on ne perd jamais de vue les héros, et les allers-retours entre Ahmed et ses concurrents lors de la recherche d'un objet magique pour permettre de départager les "princes" afin de déterminer qui emportera la main de la princesse sont un conte qui se boit comme du petit lait. Quant aux idées d'importation (Dragons, tapis volant, boule de cristal, cape d'invisibilité), ils sont parfaitement rendus, et ne se contentent pas d'apparaître, le metteur en scène les a dotés de vie... Donc c'est un grand film de Raoul Walsh, autant qu'un grand Fairbanks... celui-ci va avoir du mal, d'ailleurs, à suivre ce film, c'est le moins que l'on puisse dire. En attendant, replongeons-nous dans l'un des plus beaux films des années 20, si possible avec la musique inspirée de Rimsky-Korsakov qui était déjà le principal choix en 1924...










