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Anna Christie (Greta Garbo), la fille d'un marin suédois alcoolique (George Marion), a été envoyée quand elle avait 5 ans dans une ferme, dans le Minnesota. Un soir, elle revient vers son père, et s'installe avec lui... Elle revient de loin, et comme on dit, "a vécu". Mais elle va profiter de son séjour pour tenter de s'amender, et en dépit de son envie de retourner à sa vie d'avant, se laisse apprivoiser par son père, qui n'a pas compris qui elle était devenue. Un soir, sur la barge de son père, Anna assiste au sauvetage de trois marins, dont Matt (Charles Bickford); il est attiré par elle. Mais pourra-t-elle lui faire comprendre ce que son passé cache?
Le film prend son temps pour installer son cadre, se reposant entièrement sur la conversation en état d'ébriété entre George Marion et Marie Dressler, qui établit tout ce qu'il y a à savoir sur lui et sa fille, leur histoire, la raison son alcoolisme) pour laquelle il l'a envoyée dans le Minnesota; la verve comique des deux acteurs est constamment au bord de virer au pathétique, entre leur alcoolisme, et leur mal-être... Une fois le cadre du café posé, 16 mn après son début, la star apparaît, en deux temps: d'abord, l'air soucieux, elle entre, puis elle s'installe et deuxième temps, elle parle... Ce qui était le principal enjeu du film, et allons même plus loin, le fait de devoir faire parler Garbo a aussi joué dans le choix de cette pièce d'Eugene O'Neill située dans le milieu des immigrants Suédois...
D'ailleurs, sa performance sera sans tâche, si ce n'est qu'à ce stade de sa vie elle parlait trop bien l'anglais, et qu'il lui aura fallu exagérer son accent Suédois pour jouer Anna... De son côté en revanche, George Marion en fait des tonnes dans l'accent "ethnique", c'en est gênant pour lui (il me fait penser à la façon dont John ford faisait systématiquement parler John Qualen en Américano-suédois dans tous les films qu'il a interprétés pour lui!).
On a un peu peur, évidemment, d'un film qui a tant misé sur le son, au point d'en être constamment délayé: la MGM est quasiment venu au parlant avec un an de retard sur la Fox, la paramount et la Warner, en moyenne. Mais l'avantage est que, même si ce film repose de façon évidente sur du théâtre, il a l'avantage au moins de ne pas trop prendre son temps... Car la technique du cinéma parlant n'était pas au point, ça non; mais au moins les aspects techniques ont su évoluer, ce que prouve le film. Clarence Brown a obtenu de ses acteurs des performances impressionnantes, Garbo en premier. D'autre part, l'utilisation d'une pièce établie permet au film d'évoquer la descente aux enfers, la prostitution ou l'alcoolisme sans trop de problème...
La conversation entre Greta Garbo et Marie Dressler, qui comprend progressivement que cette fille qui vient d'entrer et de s'enfiler un whisky, est en fait la fille de son petit ami Chris, qui attend une oie blanche de la campagne, et non une femme de 20 ans qui a vécu et qui a eu "des soucis avec les hommes"... Le film épouse la structure de la pièce, mais Clarence Brown se réserve souvent le droit de varier ses plans, et sil a tendance à construire ses séquences autour des acteurs, les choix de placement de caméra, et le montage laissent quand même le film respirer. C'est particulièrement vrai lors de la séquence des retrouvailles entre Anna et son père, qui joue sur l'attente du public, l'émotion des personnages, et un mouvement de caméra parfaitement dosé...
Et thématiquement, le film se sert de la pièce d'Eugene O'Neill comme d'une opportunité en or pour rafraîchir la carrière de Greta Garbo qui avait si souvent joué les bourgeoises adultères ou les filles de joie repenties, sous bien des formes... La confrontation entre Anna Christie, qui cache son jeu, et la vieille Mathy (Marie Dressler) qui elle sait ce que cache l'héroïne, et représente ce qui risque d'arriver plus tard à la jeune femme, est particulièrement bien représentée, sous l'oeil impitoyable de Charles Bickford qui prend les femmes déchues de haut...
Sinon, le film est célèbre pour ses nombreuses tentatives, souvent réussies, de placer les acteurs dans un cadre qui disimulait des micros qu'on peut s'attacher à repérer, comme cette affreuse lampe située à 15 cm de la tête de Garbo, lors d'une conversation avec son père à l'arrière de la péniche de ce dernier...
Il serait intéressant de faire une petite comparaison, d'ailleurs, avec la version allemande (conservée) du film, réalisée par Jacques Feyder, et dont Garbo disait qu'elle avait sa préférence. Ce pourrait être une marque de snobisme d'une contrarienne notoire...
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