Donc, la légende dit que lorsque Mchael Powell était employé à la réalisation de films vite faits, bien faits, au début des années 30, il a tout fait... Dont des films policiers, dont voici un exemplaire. Il l'a largement critiqué par la suite, en en faisaant presque l'étendard de la médiocrité de cette période... Et franchement on ne le comprend pas: ce n'est pas un de ses chefs d'oeuvre, bien sûr, mais...
Un magnat de la presse (Malcolm Keen) invite une sélection de ses connaissances à un dîner, prétexte à siéger au milieu de sa cour.La soirée est mal engagée, d'autant qu'il a licencié son secrétaire (Ian Hunter)... au prétexte que celui-ci a épousé sa fille (Jane Baxter). Alors que les invités jouent à un jeu de société idiot autour d'un meurtre, l'un des invités, commissaire de police (Leslie Banks) découvre le cadavre du maître de maison. Apparemment, c'est un suicide. Mais très vite son secrétaire est soupçonné.
La petite fête elle-même est un régal de mise en scène drôlatique, avec un casting de choix dans lequel tout le monde s'amuse. On y verra des extravagances, on y entendra des petites choses amusantes (la princesse d'un pays lointain, très collet-monté, qui observe que "on fait beaucoup de choses plaisantes dans l'obscurité"), et on constatera que même doté d'un sujet qu'il n'a pas choisi, Powell évaioti décidément un vrai flair pour a mise en scène; les numéros d'acteur sont un peu excessifs, je pense en particulier à Leslie Banks, mais surtout à Ernest Thesiger... Mais comme je suis à peu près certain que celui-ci a été engagé précisément pour en faire des tonnes, on n'en voudra pas au metteur en scène!
Trois personnes se sont donc associés pour écrire un scénario autour de ceci:
Un éditeur porté sur le bling-bling et le clinquant (Lambert Wilson) annonce la parution prochaine du troisième tome d'une série littéraire à succès, Dedalus, par un auteur mystérieux dont nul (sauf lui) ne connait l'identité. Afin d'accélérer la procédure d'édition et de la globaliser, il convoque pour un mois dans un bunker ultra-sécurisé les dix personnes choisies pour en effectuer la traduction dans les dix langues des pays les plus friands des deux premiers tomes. Chaque traducteur arrive et est confronté à un certain nombre de règles: pas de contact, ni avec le vrai monde extérieur, ni avec internet; pas de portable, et le livre est distillé au compte-gouttes, chapitre par chapitre...
Bien sûr qu'il y aura une fuite!!! sinon, où serait l'intérêt? D'ailleurs, "intérêt", le mot est bien impropre.
Pour faire court: c'est le film le plus con que j'aie vu cette année. Elle n'est pas finie, on peut donc en attendre d'autres...
Pour développer un peu plus: voici un pur produit de l'âge Netflix (même s'il est sorti en salles, il finira comme produit d'appel sur une plateforme quelconque): un film purement à consommer, avec une intrigue débile qui fait semblant d'être profonde, des acteurs choisis dans dix pays européens (malin, ça... les fans d'Olga Kurylenko, Alex Lawther, Eduardo Noriega, etc... auraient-ils sinon été attirés par ce film? J'en doute. Sont-ils restés jusqu'au bout? J'en doute aussi), mais priés de réciter un texte en français: certains s'en sortent bien, d'autres moins, et un ou deux pas du tout. Lambert Wilson interprète le cliché de l'éditeur vénal, Sara Giraudeau est cantonnée à un type, celui de l'employée modèle qui a mis sa personnalité dans un placard dont elle a perdu la clé, et c'est du gâchis. Aucun humour, ici, si ce n'est involontaire...
Et on lève les yeux au ciel: l'édition, c'est du gros business; les traducteurs sont TOUS des frustrés de la littérature qui sont supposés ne traduire des oeuvres que parce qu'ils sont incapables d'en écrire d'originales; un éditeur de livres en france a les moyens de louer pour plusieurs mois une propriété pharaonique à un oligarque Russe, et d'y jouer au dictateur en abattant au besoin les employés indisciplinés. Les traducteurs s'extasient devant un "chef d'oeuvre littéraire" probablement aussi passionnant qu'un Fantomette, le comparent à Proust, mais à aucun moment il n'est question de mot, de langage, de tournure de phrase... Non, un livre n'est qu'une intrigue.
Si un livre n'est qu'une intrigue, alors réduisons ce tas de boue à son histoire: c'est nul.
Un milliardaire un peu fêlé, Miles Bron (Edward Norton), envoie une invitation à ses meilleurs amis pour un week-end sur son île au large de la Grèce... Il les a conviés pour un jeu de l'esprit, ou un jeu de rôle: un mystère à résoudre, en l'occurrence son propre meurtre... Mais il y a, dans cette situation qui promettait d'être ludique, un certain nombre de grains de sable:
d'abord, parmi les personnes qui arrivent sur l'île, se trouve un détective, et pas n'importe lequel: Benoît Blanc (Daniel Craig), le meilleur fin limier, constamment mentionné dans la presse. Il n'était pas invité, et montre une certaine inquiétude à l'idée qu'une machination ait pu l'amener sur place.
ensuite, parmi les invités, se trouve également Cassandra, dite Andi (Janelle Monàe), l'ancienne associée de Miles, qui est tombée en disgrâce, lâchée par tous ses amis... ceux qui vont passer le week-end avec elle.
enfin, le casting du week-end est complété par Duke (David Bautista), un insupportable youtubeur qui s'accroche à des conceptions, disons, masculines et très conservatrices: nichons, moto, flingues... Il est accompagné de Whiskey (Madelyn Clyne), sa petite amie et assistante. Claire (Kathryn DeBella), gourverneure du Connecticut; Birdie (Kate Hudson), mannequin complètement lessivée accompagnée d'une coach, Peg (Jessica Henwick) qui a pour mission de réparer ses bêtises, notamment sa tendance à tweeter comme on respire des horreurs racistes; enfin, Lionel (Leslie Odom jr) et un scientifique qui a permis à Miles de mettre son nom sur un certain nombre de coups technologiques. Tous ces gens sont non seulement de vieux amis de Miles et Andi; ils sont, surtout, dépendants du milliardaire qui peut, d'un seul mot, faire ou défaire leur carrière. Et Whiskey, qui couche allègrement avec Miles, est semble-t-il un peu plus que ça...
La soirée va donc partir sur les chapeaux de roue, mais Blanc réussit à résoudre l'énigme proposée par Miles pour le week-end, avant que celui-ci ait le temps de l'expliquer! Heureusement ou malheureusement, une vraie mort intervient quelques minutes plus tard quand Duke s'écroule, manifestement empoisonné.
...qui a fait le coup?
Le whodunit, donc, est à la mode semble-t-il, notamment quand on constate l'insolent succès (mérité) de ce film et de Knives out, le précédent long métrage de Rian Johnson, avec le même personnage irrésistible de détective surdoué joué par un Daniel Craig visiblement heureux d'interpréter un personnage récurrent bien différent de celui qui l'a rendu incontournable! Rappelons à toutes fins utiles le principe du genre: un meurtre a lieu, et le tueur est inconnu; à la charge d'un détective de trouver la solution du crime, qui passera évidemment par-dessus la tête du public... Mais comme Johnson l'a démontré avec Knives out, ainsi que avant lui, Agatha Christie dans Murder on the orient express, Boileau et Narcejac, puis Clouzot avec Les Diaboliques, et Hitchcock avec Psycho, le whodunit peut aussi ne pas se contenter d'etre une énigme linéaire de téléfilm du samedi soir...
"Glass onion", un oignon de verre, est un vieux terme qui était utilisé pour désigner des flacons en forme d'oignon, justement. Et quand on regarde à travers un de ces flacons, on a une image sensiblement détournée. Le terme, pour moi, est indissociable de la chanson des Beatles, qui figure sur l'album blanc, The Beatles de 1968. John Lennon s'y livrait à une relecture ironique de quelques chansons du groupe, en en changeant les contours... La chanson, en guise de clin d'oeil, accompagne le générique de fin, et est d'ailleurs accompagnée de beau monde durant le déroulement du film: on y entendra David Bowie, les Red Hot Chili Peppers, voire Nat King Cole... Edward Norton y interprète même quelques notes de Blackbird des Beatles... Ce bric-à-brac sonore a plusieurs fonctions, outre celle d'assurer une certaine classe évidente au film: elle cible les personnages entre tradition et modernité. les faire écouter du rap ou du Mozart aurait été trop loin dans l'une ou l'autre des directions. Sinon, c'est un des nombreux aspects du film qui participe à la mystification globale... Quand on y pense, toutes ces chansons sont de qualité, certes... Mais rien que de très conventionnel, somme toute. Comme Miles Bron, qui derrière ses milliards, est un type vain, intellectuellement fauché (incapable de fixer le vocabulaire dans son esprit), mesquin, habitué à tout régler à coup de traîtrise d'un côté, de dollars de l'autre... Et la galerie de personnages le complète allègrement: un fier-à-bras qu'on verrait bien accompagner les néandertaliens qui sont partis se soulager (littéralement, à propos) dans le capitole; une politicienne qu'on devine corrompue jusqu'à la moelle; un scientifique tellement dévoyé qu'il en a perdu son âme... ou sa puce. Et ma préférée: Kate Hudson joue... une conne. Une vraie, une belle... une imbécile qui éructe des horreurs dès qu'elle entend le mot woke; une imbécile qui ne comprend pas qu'un sweatshop n'est pas une boutique de vêtements de sport. Elle n'est pas complètement idiote (seul René Goscinny avait le talent de créer d'authentiques idiots qui l'étaient à 98%), mais l'est suffisamment pour que ce soit drôle à chaque fois!
Le film est réjouissant dans la mesure où, derrière le côté ludique d'un film à énigme, avec détective à manies (on y apprend, incidemment, que Blanc vit avec un certain Phillip, incarné par Hugh Grant), il nous livre un miroir déformant mais pas si déformé de notre monde, durant la pandémie: cette dernière est un sacré révélateur de la bêtise des riches, et c'est sans doute le principal sujet du film, dont la cible évidente est cette troupe de parvenus prêts à tout, du mauvais goût au meurtre, pour conserver ses privilèges... Mais c'est aussi réjouissant parce que le film repose sur une structure qui va inverser allègrement tout, je ne vais évidemment pas rentrer dans les détails, mais vous le sentirez passer... Parce qu'il pose non pas une, mais plusieurs énigmes, qu'il vous sera impossible évidemment de résoudre (mais ce n'est pas le but, en fait, si vous le croyez vous êtes bien naïf), et parce qu'il prend évidemment le contrepied du film précédent: Knives out était automnal, celui-ci (bien que tourné durant la pandémie) est solaire et estival. Knives out se situait dans de vieux intérieurs boisés du Massachussetts, et Glass Onion sur une île tellement hi-tech qu'elle en devient absurde, entre les mains d'un type qui ressemble tellement à ce connard d'Elon Musk que c'est un bonheur de voir Edward Norton lui tailler un costard... Enfin, si Glass Onion, des Beatles, semblait solder l'héritage psychédélique du groupe en effectuant un commentaire sur les chansons des Beatles, ce film a une dimension intéressante, de commentaire du genre du whodunit, dont il devient à la fois un glorieux représentant, en même temps qu'un anti-whodunit absolu: après tout, Blanc ne résout-il pas une énigme avant même qu'elle ait été posée?
Un homme (Christopher Plummer) est mort, il s'est tranché la gorge... La nuit était pourtant belle, il venait de passer la soirée en compagnie de sa famille... Oui, mais voilà, si l'enquête semble de routine, le mort ayant été retrouvé la gorge tranchée, la main sur l'arme, et aucun indice ne pouvait donner à croire qu'une autre personne était présente, pourquoi un anonyme a-t-il fait appel à Benoit Blanc (Daniel Craig), détective privé, le limier des enquêtes les plus extraordinaires? Et que cache Marta (Ana de Armas), la petite aide-soignante d'origine Equatorienne qui semble si incapable de mentir? ...Ca la fait (littéralement, et l'adverbe est cette fois très bien utilisé) vomir...
Un whodunit... Dans un premier temps, l'esprit s'agace, comprenez-vous: ce type d'histoire dans laquelle un crime est commis, personne ne sort, et un invité présent qui se trouve être le fameux détective machin, qu'il soit Belge, Londonien de Baker Street, ou comme ici, Sudiste de basse extraction avec l'accent pour le prouver, va déjouer tous les pronostics et trouver le coupable... en moins de 200 pages, ou en moins de 120 minutes. Rien qui puisse créer du suspense (puisqu'à partir du moment où on ne sait rien, il n'y a pas de suspense possible, je le rappelle!), rien qui puisse a priori nous faire revenir sur nos pas et revoir le film, puisqu'on s'imagine qu'on a déjà éventé son intérêt....
Et certes, on a tort. On voudrait faire son malin, et rester fermement au côté d'Hitchcock dans son refus du genre, mais même lui, d'une certaine façon, en a fait... A leur façon, The lodger, Blackmail, ou encore Psycho (mais oui!) étaient tous des whodunits maquillés... Non, ce qu'on voudrait éviter, c'est bien sûr le côté mécanique, gratuit, du genre... Quoique...
D'une part, ça a son charme, à condition qu'on y trouve de quoi y retourner... Et d'autre part même Agatha Christie, peut-être même sans en être consciente, profitait du genre pour égratigner avec sa plume pas si neutre la bonne société, ou pire: ses parvenus, les cibles qu'elle préférait... Et remontons à Clouzot, dont Les diaboliques est un des plus beaux whodunits de toute l'histoire du cinéma, sauf qu'on ne le sait pas quand on le voit (donc si vous n'avez jamais vu ce chef d'oeuvre, oubliez ce que je viens d'écrire): une fois qu'on l'aura vu et qu'on connaîtra la solution, un film de ce genre devient une occasion de lire une mise en scène, celle d'un coupable ou celle d'un détective, voire les deux.
Et c'est de ça qu'il est question, dans ce film parfaitement efficace, qui ne ménage ni son humour, ni es acteurs, et actrices, et qui tape avec un plaisir évident sur un groupe de riches particulièrement ignobles, qui s'en prennent à une pauvre immigrée dont pas un n'est capable de se rappeler la provenance. Ana de Armas est excellente, Daniel Craig aussi, et... le reste de la troupe? Toni Collette, Chris Evans, Michael Shannon, Jamie Lee Curtis, Don Johnson, Jaeden Martell... Le détective est une variation sur Hercule Poirot, et Daniel Craig ne peut absolument pas en faire un type qu'on n'aimera pas (au contraire de Poirot, d'ailleurs); je parlais de mise en scène, mais dans cette bonne société tout le monde avance ses pions, et ça vire vite au jeu de massacre... Bref: du plaisir? Oh que oui! A revoir? certainement! Mission accomplie, donc...