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28 janvier 2019 1 28 /01 /janvier /2019 14:39

Ayant déjà prouvé qu'il était payant de mélanger sans vergogne le film noir et la comédie avec Le monocle noir, dans lequel il avait introduit en contrebande un certain nombre d'éléments perturbateurs avec tact, afin de miner le film de l'intérieur, Lautner est en quelque sorte passé à la vitesse supérieure avec ce nouveau film, son huitième long métrage. Le "Monocle" est déjà revenu dans un deuxième film, mais il est encore soumis à une production tatillonne qui croit qu'il est impératif que le public puisse encore suivre le film comme si c'était sérieux... Mais Albert Simonin, auteur adapté et adaptateur, puisqu'il est le scénariste de ces Tontons, et Michel Audiard responsable des dialogues, sont sur une mission autrement plus directe: une comédie, qui ne fera que très vaguement semblant d'être un film noir, mais le fera bien.

L'intrigue est essentiellement un cas de règlements de compte liés à des "droits" de succession dans l'affaire florissante d'un parrain du milieu Parisien, et la "crise du personnel" qu'elle enclenche. Chaque acteur a été choisi, finalement, avec soin, pour "incarner" sans aucune réserve un personnage clé du genre, mais cette fois tous le savent: ce sera une parodie. Une parodie, d'ailleurs, qui prend son temps, car si le verbe fleuri de Michel Audiard est présent dès le début, on pourrait presque croire, durant les vingt premières minutes, assister à un film de gangsters classiques... Et Ventura, Blier, Blanche, Venantini et les autres maintiennent l'illusion assez longtemps.

Mais l'esprit frondeur de la comédie s'installe et s'infuse tant et si bien que le film semble succomber sous les coups de boutoirs de cette insolence caractérisée. Cette approche subtile, qui fait défaut au film suivant du trio Lautner-Ventura-Audiard (Les Barbouzes) est sans doute l'une des clés de son succès: on a ainsi un semblant d'intrigue qui fonctionne, et permet à Lautner d'installer sa "petite vie des truands" à travers leurs attitudes (le patron face aux employés, la vie d'un truand n'a rien de démocratique), leurs habitudes (le truand se couche tard et se lève tard, quand il se lève), et surtout leur langage.

Oui, car le film a des dialogues, bien sûr, c'est même à ça qu'on le reconnaît. Et ils sont savoureux, d'ailleurs... Mais d'abord et avant tout ces Tontons flingueurs, c'est un film et un film c'est de l'image: avec le complice Maurice Fellous, Lautner s'est amusé une fois de plus à prendre les codes du film noir et les appliquer à la lettre, et à parfaire un style fait de la froideur des faits, de collages inattendus (la visite du président Delafoy, sourd comme un pot, pendant qu'autour, ça défouraille à tous les vents), de running gags (les bourre-pifs que se prend Blier), et d'une musique de Michel Magne dont le motif unique a probablement été écrit en 12 secondes, mais est ensuite décliné  de toutes les façons possibles...

Voilà qui fait un divertissement solide, qui a eu un grand succès et fini de forger la carrière de son metteur en scène; celui-ci a fait littéralement des dizaines d'autres films, dont certains sont bien meilleurs encore... Mais de là à faire comme feu Henry Chapier (oui, le grand homme nous a quitté, eh bien, hier) qui fustigeait ce film qui rencontrait un grand succès public, d'un cinglant "vous pavoisez haut... mais vous visez bas". Ce qui est petit, mais on comprend bien ce qui gênait avec Les Tontons Flingueurs: le cinéma, ça pouvait être du style, un style effronté, et qui plus est qui ne gênait pas le public... Une révolution à laquelle la Vouvelle Nague n'était sans doute pas prête.

Mais je ne veux pas non plus affubler Les Tontons Flingueurs d'une trop grande influence, ni de ces intentions ronflantes, car Lautner l'a toujours dit: si on le laissait faire un film en déconnant un peu, et en le laissant concocter ça et là une scène visuellement forte, il était content. Si en plus, le public se dérangeait...

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Published by François Massarelli - dans Georges Lautner Comédie Michel Audiard