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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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13 mai 2011 5 13 /05 /mai /2011 17:56

A nouveau contrat, nouveau studio: Chaplin est encore mieux loti à la First National qu'à la Mutual, et a obtenu la construction d'un studio. Nouvelles résolutions aussi: désormais il n'en fait qu'à sa tête, et la compagnie va relativement laisser faire dans un premier temps, engrangeant des revenus substantiels de ces films qui seront tous des succès... A dog's life montre une nouvelle direction, marquée en particulier par l'allongement du film (trois bobines) et une utilisation de l'espace qui prend désormais ses aises, la consécration d'un travail d'équipe, la plupart des collaborateurs importants des films de la Mutual étant confirmés dans leur fonction, et complétés par de nouveaux acteurs. Tout va bien donc...

A dog's life est justement célèbre, et retourne dans la veine sociale qui a fait la réussite de nombreux films, de The tramp à The Vagabond. Alors que le vagabondage de Easy street s'arrêtait dès le premier plan, ici, Chaplin habite dans la misère: il dort à même le sol d'un terrain vague. Le décor de taudis du film est impressionnant par son étendue, et sa cohérence à défaut de réalisme. Chaplin se réveille, et commence une journée de débrouille, qui va le voir voler un marchand ambulant (Sidney Chaplin), trouver l'amour (Edna Purviance) dans un bouge dont il va se faire vider parce qu'il n'a pas de quoi se payer à boire, échapper à un flic (Tom Wilson), et voler des voleurs, trouvant ainsi de quoi alimenter ses rêves domestiques avec Edna... Et surtout il va trouver un compagnon canin aussi mal loti que lui, le "bâtard pur race" Scraps!

Le film ose beaucoup plus qu'avant développer les scènes, certains réglées comme des ballets: la recherche de travail passe par une compétition marquée par un jeu physique de chaises musicales qui est à la fois tragique (Charlie se fait avoir) et terriblement drôle. La notion de ballet s'applique aussi au jeu particulièrement précis entre Sidney et son frère, lors de la séquence ou Chaplin mange tout ce qui dépasse dès que le commerçant a le dos tourné. une large part du film se passe dans le restaurant-bar, dont Chaplin s'attarde à nous montrer le fonctionnement: le patron engage des filles pour faire boire et danser les clients, et Edna, la chanteuse, est mise à contribution, carrément exploitée. Chaplin montre une fois de plus ses sympathies, en se référant toutefois plus à Dickens qu'à Marx... Le maître-mot de ce film qui prend donc son temps, c'est la survie, le lutte pour travailler, manger, protéger ceux qu'on aime, avancer, et à la fin, planter quelque chose pour laisser fonctionner le cycle de la vie. Le film ne se terminera d'ailleurs pas sur une poursuite, même s'il y a une pagaille du tonnerre de Dieu dans le restaurant, entre Chaplin, Edna d'un coté, et les deux voleurs menaçants incarnés par Albert Austin et un homme qu'un jour nous identifierons un jour... Non, le film va plus loin que le simple énoncé nihiliste qui clot le chapitre urbain du film, par la destruction et la bagarre: Edna et Charlie ont droit au bonheur... il y aura dans Modern Times un retour en arrière, comme chacun sait, et des réminiscences de ce film.

La construction du film profite donc pleinement de l'espace permis par les trois bobines de ce film, qui dépasse largement la demi-heure, ce que Chaplin voulait faire on s'en rappelle depuis 1915 et le projet Life. Finies aussi les années Mutual, avec les deux bobines aux titres génériques, on entre définitivement dans une nouvelle période, dont les films vont continuer à creuser les thèmes définis par ses douze précédents courts métrages, tout en diversifiant la longueur, et même la forme. A dog's life n'est pas qu'une étape brillante qui prouve à quel point Chaplin avait raison de vouloir étendre son champ d'action, c'est aussi un classique! ...un de plus.

 

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Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet 1918 **
13 mai 2011 5 13 /05 /mai /2011 17:15

Au moment d'aborder le chapitre suivant dans la carrière de Chaplin, après la fin de son contrat Mutual, il est intéressant de se pencher sur le cas des films inachevés ou parallèles de sa filmographie. L'un de ces deux exemples est sans doute plus connu: Chaplin a réalisé The Bond dans le cadre de la propagande de guerre, afin d'inciter les gens à acheter des bons de la liberté (Liberty bonds) pour permetre d'accroître l'effort de guerre. Le film n'est pas que de la simple propagande, en dépit de son exceptionnelle austérité (des décors ultra-stylisés, sur un fond noir): Chaplin y présente les liens humains ("Bond"), celui de l'amitié (Un petite saynète de pantomime assez traditionnelle avec Chaplin et Austin en ami qui tape son copain à la suite d'une interminable conversation), celui de l'amour (Chaplin séduit Edna et reçoit une flèche décochée par Cupidon), et enfin celui du mariage, avant de passer au plus important "bond", celui de la liberté, dont Chaplin incite les Américains d'une façon pédagogique qui n'a rien à envier aux dessins de presse de l'époque, avec son Oncle Sam, son Kaiser, son représentant de l'industrie (Tom Wilson, non pas en financier, mais bien en artisan-armurier: on ne se refait pas.); des gags, donc, qui tranchent sur la propagande, et un film réalisé avec soin, et même avec énergie, par un Chaplin qui s'adresse directement au spectateur.

How to make movies n'a jamais été exploité entier du vivant de chaplin, et est fascinant à plus d'un titre: d'une part, il s'agit d'un documentaire, réalisé par chaplin pour présenter son sutdio, son personnel, et bien sur la vision du nouveau studio de Chaplin pour first national est fascinante: c'est de là que sont partis The Kid, Shoulder arms, The pilgrim ou ses films United artists! Ensuite, le projet a été longuement muri, puisque il incorpore des plans pris sur le lieu de construction du styudio avant l'ouvrage: on y voit Chaplin, auquel un génie (Albert Austin, semble-t-il) accorde son rêve le plus précieux: un studio. Puis des prises de vue enchainées nous montrent en quelques secondes la construction, et enfin, Chaplin heureux comme un gosse arrive sur place. Le maquillage est là, mais pas la moustacche, et le patron est en costume de ville. Le tour du studio est vu avec humour, et on assiste à des recréations de tournage et de répétition (D'après les costumes de Loyal Underwood et Henry Bergman, c'est au moment du tournage de Sunnyside que ces plans ont été tournés), mais qui sont l'objet de vrais gags. On voit aussi les pin-ups convoquées par Chaplin pour la danse de Sunnyside faire les bathing beauties au studio, le minuscule Loyal Underwood se faire malmener, les acteurs bullant se mettant soudain à travailler à l'approche du patron, etc. On voit aussi Chaplin en plein montage, seul, come le veut la légende, et Albert Austin, sans maquillage, supervisant le développement de la pellicule. Enfin, un exemple de film est montré, et pour le film Chaplin a recyclé un film Mutual inédit sur le golf, avec Eric Campbell et John Rand. Le fait de tourner ce film consistait pour Chaplin en une déclaration d'amour au cinéma, une affirmation aussi de sa puissance, il est clairement le patron. la forme très pince sans rire est une excellente surprise. La joie d'un studio nouveau était une autre motivation, mais le choix de ne pas le montrer est sans doute du à une volonté de contrôler au maximum son image, et son influence: il ne se fera pas facilement photographier, ou filmer par la suite en pleine action, à part pour Souls for sale (1923). Le film de 16 minutes a été préservé par chaplin, et monté par Kevin Brownlow et David Gill qui en ont montré des extraits dans Unknown Chaplin. Il me semble un passage obligé pour qui s'intéresse à Chaplin, à son art, et à son style, parce que ce faux documentaire est totalement empreint de son esprit...

 

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Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet
12 mai 2011 4 12 /05 /mai /2011 10:01

Evoquons pour commencer une scène célèbre de ce film dont il convient de rappeler que Mankiewicz n'a pas écrit le scénario, pas plus que la plupart des dialogues. Les deux personnages principaux Lucy Muir et Daniel Gregg sont occupés à rédiger un livre, et la jeune femme a des scrupules à taper un mot, le fait savoir. Gregg, dit que les personnages doivent parler comme ça, donc il faut l'écrire. "Je ne veux pas prononcer ni écrire ce mot", répond la jeune femme. "Quel mot utilisez-vous lorsque vous voulez dire dela?" "Je n'en utilise aucun!". La jeune femme finira pourtant par s'exécuter, et d'un air fataliste, tape, l'une après l'autre, les quatre lettres du mot incriminé. Une scène dont l'esprit n'échappera à aucun des spectacteurs, mais aussi qui contourne de la plus belle des façons la censure, certains mots de quatre lettres étant bannis non seulemnt des films, mais aussi du langage officiel, des écoles, de la télévision... Mais la scène est révélatrice d'autres thèmes d'un film décidément inépuisable, dont Philip Dunne revendiquait (A juste titre) la paternité, mais dont Mankiewicz n'a pas à rougir, loin de là: lui qui s'était attelé à plusieurs films dont il ne voulait pas écrire le scénario, prouve ici à quel point il maitrise les rouages du langage cinématographique. C'est aussi la première de quatre collaborations essentielles avec l'acteur que Mankiewicz appelait son "stradivarius", le grand Rex Harrison.

 

Au début du 20e siècle, à Londres; Lucy Muir (Gene Tierney), jeune veuve, souhaite s'affranchir de sa belle famille envahissante, et vivre seule avec sa fille Anna et sa domestique fidèle Miss Huggins. Elle a choisi le sud, et le bord de mer. elle trouve vite une maison, à un loyer dérisoire, et pour cause: elle est hantée. Le fantôme, Daniel Gregg (Rex Harrison), est un marin doté d'un caractère particulièrement trempé, mais en dépit de sa farouche volonté d'être seul dans sa maison (Il la hante volontairement afin de la préserver des autres, affirme-t-il), il se prend vite d'amitié pour la jeune femme, et va même l'aider dans un coup dur en lui fournissant le texte d'un livre à succès qu'elle n'aura qu'à faire éditer pour en récupérer les revenus. Mais la jeune femme rencontre à cette occasion un autre écrivain (George Sanders), qui la séduit, et le capitaine Gregg sent vite qu'il est de trop...

 

Le genre, ce sacro-saint empilage de cases identiques si cher aux américains, est ici perverti d'une façon intelligente, dans une appropriation particulièrement astucieuse: pas plus que Dragonwyck n'était un drame gothique vraiment convaincant, The ghost and Mrs Muir n'est un film de fantômes. On remarquera les pudeurs du titre Français, L'aventure de Madame Muir, qui cache au public la présence dans le film d'un fantôme, comme si il fallait maintenir l'effet de surprise. Pourtant, au-delà des premières vingt minutes, le film se débarrasse tranquillement de ses oripeaux de film fantastique, pour entrer dans une double identité, un film doucement onirique d'une part, et une rencontre amoureuse sublime d'autre part. Les gentils effets de peur, par ailleurs enrobés de comédie, de la première partie ne sont qu'une politesse de Mankiewicz à l'égard d'un genre dans lequel il n'a tout simplement pas envie de s'aventurer. Au moins nous gratifie-t-il de scènes impeccablement amenées dans l'exposition, et d'une progressive installation de Rex Harrison, avec d'abord un plan virtuose circulaire, qui voit Lucy Muir s'assoupir dans une pièce vide, et qui détaille la chambre avant de revenir sur Lucy, désormais observée par un mystérieux personnage. L'orage nous aide à assumer que... nous avons vu le fantôme!

 

L'évolution des personnages était l'une des caractéristiques les plus frappantes du film précédent de Manliewicz, The late George Apley: cette façon dont un air fredonné par les femmes de la maison, puis repris à son compte par Ronald Colman, semblait répandre un assouplissement des moeurs, ou encore l'apparition de nouveux intérêts, Freud en tête, qui montrait comment l'intransigeant George Apley se laissait séduire par les plus inattendues des nouveautés... Cet esprit de montrer de façon dynamique l'évolution des personnages passe ici par le langage, avec la bonne qui lâche par exemple une formule vaguement familière dont elle ne se rappelle pas la provenance, ou l'utilisation de plus en plus fréquente de termes venus bien sur de Daniel Gregg, qui les implante dans les petites habitudes de Lucy Muir (Qui en a conscience), ou de la bonne (A son insu). une façon pour les auteurs de départager ici les gens qui comptent, autour de la fragile bulle familiale de Lucy, et ceux qui seront exclus, comme en particulier Miles Farnley, qui lui a son propre langage, et n'est nullement disposé à se laisser influencer. Il est tentant d'attribuer cette façon de jouer sur la progression des personnages à Dunne, mais on retrouve cet esprit d'intégrer à l'intrigue et la mise en scène cette marche en avant, aussi bien dans les deux premiers films de Mankiewicz que dans les suivants, y compris dans les films qui reposent sur une série de flash-backs subjectifs ou de leçons du passé ( House of strangers, A letter to three wives, All about Eve, The barefoot contessa, Suddenly last summer); dans ces cas ultérieurs, Mankiewicz intégrera même l'évolution de la connaissance du spectateur dans sa démarche.

 

Parce qu'il est temps, quand même, de le reconnaitre: Mankiewicz: est l'un des très grands de la  mise en scène, Ce film le prouve en permanence, et il ne s'agit en aucun cas d'une plate illustration d'un scénario. Les choix, on a déjà parlé de l'étrange traitement du genre, par exemple, sont typiques de sa patte, et le film est dirigé avec goût. Même Gene Tierney, actrice parfois erratique, s'en sort avec les honneurs, et pourtant, elle joue face à Harrison et Sanders!. La scène dans laquelle elle affronte le fantôme qui joue avec elle dans la pénombre bénéficie de l'élégance de la photographie, et l'apparition de Rex Harrison, caché dans un coin, et qui apparait à la lumière d'une bougie, est superbe... Le ton du film est marqué par l'humour parfois tendre, parfois plus méchant (la mère et la soeur de Mr Muir en font les frais). Les personnages secondaires (Mankiewicz lui-même a ciselé avec gourmandise des dialogues pour George sanders) sont doués d'une vie propre, d'une véritable identité: c'est l'un des forte de l'auteur, on le sait. Mankiewicz a aussi, 9 ans avant Hitchcock, utilisé au mieux l'imposante partition de Bernard Herrman, qui est un chef d'oeuvre, et dont le cinéaste a réussi, c'est un tour de force, à imposer qu'elle remplace la pompeuse introduction rythmée du logo Twentieth century Fox: une façon de laisser les hommes de cinéma prendre le pouvoir sur leur patron, et de mettre en avant l'extraordinaire atmosphère de ce film, qui doit il est vrai beaucoup à sa musique, qui joue en permanence sur l'inquiétude, le romantisme et la tristesse, dans lesquels on retrouve l'impression du rendez-vous manqué de Lucy Muir et Daniel Gregg.

 

Parce que voilà: ce film n'est pas un film de fantôme, c'est une histoire d'amour, mais une histoire d'amour entre un fantôme, donc un être immatériel, et une veuve, privée de l'affection de son mari trop tôt. La fameuse scène, qui a été évoquée plus tôt, tournait justement autour d'un terme, dont on ne trouve aucune trace concrète, mais dont le fait de taper les quatre lettres est une forme d'identification à coup sur: Ecrivons-le à notre tour: FUCK. Faisons un peu de linguistique sémantique. Ce mot est un verbe, une base verbale, donc l'énoncé générique d'une action. dans l'anecdote qui aurait inspiré à Dunne cette scène (Qui l'attribue à Hemingway, autre blasphémateur devant l'éternel), le mot incriminé est FUCKING, un verbe adjectivé par l'apport de la terminaison ING, qui sert d'apport de grossièreté, il n'a pas de sens en soi. Le choix, dans le livre de Gregg, de référer au verbe tel qu'il est, est donc motivé par le fait de non pas dire une grossièreté (ce que le capitaine fait en permanence avec l'euphémisme BLAST!) mais plutôt, probablement, de se référer à l'action désignée par le verbe, c'est à dire le fait d'avoir des rapports sexuels. D'ailleurs, Lucy Muir, ensuite, nous apporte une précision sur cette anecodte de la jeunesse du capitaine: "Vous aviez besoin d'aller à l'étage?", demande-telle. L'épisode concerne probablement le déniaisage de Gregg, raconté par le menu. Lorsque Gregg lui a demandé "Quel mot utilisez-vous?", comme je le disais plus haut, la réponse de Lucy Muir est un aveu: elle ne le fait pas, ce qui est une évidence, souhaiterait le faire, ce qui apparait dans ses relations avec Miles, et ne le fera pas, comme le démontre le film. Quant au fantôme, "il ne la trouve pas déplaisante", comme il le dit lui-même. Voilà comment le film nous parle, en toute délicatesse, sans tomber le moins du monde, de sexualité, de veuvage, de frustration, voilà pourquoi le rendez-vous manqué  ne peut se terminer que par les retrouvailles au-delà de ces deux amants, qui ont un peu, quand même, fricoté avec les mots: comme le dit Lucy au capitaine, une fois le livre fini, cette communion à l'écrire va lui manquer...

 

Certains (Philip Dunne le premier) ont dit ça et là que le film avait des défauts, structurels (Une fois qu'on perd Rex harrison, il y a un gros vide), dans le jeu (Gene Tierney, encore elle), que le film est un peu vert. Zanuck, pour sa part, n'aimait décidément pas la propension du jeune Mankiewicz à faire le virtuose avec la caméra. Moi, je le prends tel quel, et je pense que ce film est tout bonnement la première réussite totale du metteur en scène, un film d'une richesse considérable, et un classique auquel nous sommes très nombreux à rendre souvent visite, un film au ton unique, qui nous parle d'une héroïne qui comme souvent chez Mankiewicz est prise entre deux feux; partiellement engoncée dans un carcan de formalité de classe, suite à des décennies de rigidité morale, mais prète aussi à s'engager dans une indépendance militante, avec la fougue des révolutionnaires; Une femme forte, mais dont la fragilité est parfois soumise à des déconvenues, à cause d'un manipulateur, par exemple.. Tout ça est bien un film de Mankiewicz.

 

 

 

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Published by François Massarelli - dans Joseph L. Mankiewicz
11 mai 2011 3 11 /05 /mai /2011 16:27

Grâce à deux coffrets à la fois austères et pleins de bonnes choses, on peut se faire une petite idée du travail de ce pionnier, Albert Capellani, l'un des grands réalisateurs Français des premiers temps qui comme Tourneur ont fait un petit tour aux Etats-Unis, de 1915 à 1923. Pour commencer, on peut s'intéresser à ses films courts, avant qu'il ne se lance dans des adaptations fleuves de grands classiques littéraires (Zola, Hugo surtout). Ces films sont des purs produits de Pathé, plus prolétarienne que la conservatrice Gaumont; les films sont réalisés par des "spécialistes": George Monca a en charge la comédie, Segundo de Chomon la féérie (Largement imitée de Méliès), et Zecca, Nonguet et Capellani se chargent quant à eux des drames.

 

Les films courts de Capellani disponibles dans les coffrets, à une exception près, font partie de cette catégorie. Tous sont très courts, ils atteignent parfois ou dépassent les dix minutes. Beaucoup sont marqués par une approche cruelle, violente et graphique, qui culmine dans des scènes de mort, et le principal sujet reste les amours cruelles, et leurs horribles conséquences. Tous les films alternent déja des séquences d'intérieur parfois tributaires de décors bien mal fichus (Le pavillon de chasse en carton-pâte dans L'age du coeur, par exemple), d'autres fois plus soignés, et des extérieurs qui sont frappants par leur simplicité et leur naturalisme. La caméra reste à bonne distance, mais on a le sentiment que les acteurs trouvent un juste milieu, le bon geste, dans ce qui est une utilisation très efficace de l'espace. A coté de ces six films, on remarquera un autre court, le plus long de fait, qui est une féérie, dans laquelle Capellani profite des bons offices de Segundo de Chomon, opérateur spécialiste des effets spéciaux, et spécialiste maison chez Pathé des films merveilleux. On peut rapprocher ce film d'un autre plus connu, le court métrage La légende de Polichinelle, avec un jeune Max Linder d'avant Gaumont et la gloire, et qui est attribué à Capellani également. Enfin, le dernier film est à ranger dans les moyens métrages, totalisant trois bobines, et anticipant sur les films plus longs et plus ambitieux de Capellani: c'est, déjà, une adaptation de Zola...

Le chemineau (1905) La première adaptation de Hugo n'est pas comparable par sa durée à celles qui suivront, mais elle est remarquable, pour ce qui est, pour autant qu'on en croire les dernières recherches ayant fait état de la filmographie du bonhomme, le deuxième de ses films (Et le plus ancien conservé). Le chemineau, c'est Valjean bien sur, et Capellani réalisera en 1912 une adaptation impressionnante des Misérables. En attendant il se concentre sur l'épisode de Jean Valjean recueilli chez Monseigneur Myriel, le vol, et l'arrestation du vagabond. La résolution du film manque, les copies conservées étant incomplètes, mais le film (de moins de six minutes) est fascinant: Capellani, durant cette aube du cinéma, avait déjà des idées picturales qui l'élevaient au-dessus du lot: ce premier plan de vagabondage hivernal, tout en atmosphère, avec son héros qui s'avance vers l'écran, puis le panoramique chez Myriel qui se substitue à un montage, permettant à un changement de décor dans le plan de faire office d'ellipse, sont plus que prometteurs...

 

Drame Passionnel (1906)

le titre est très clair, le drame en question nous est narré par le menu: un homme quitte sa maitresse, mère d'une petite fille, et se marie pour l'argent. Lors du mariage, l'ex est là, décidée à se venger... un film assez direct, cru, d'une grande clarté.

 

Mortelle Idylle (1906)

Là encore, on ne peut pas dire que le titre soit vraiment crypté. Une femme trahit l'amour de son ami d'enfance, celui-ci se venge d'une façon expéditive. Le film montre un exemple très intéressant de construction de suspense, puisque il y a une tentative de meurtre avant que le tueur n'atteigne son but. Ainsi, le spectateur est placé dans l'attente de ce qui va venir... Encore une fois, un film choc, qui atteint son but en peu de temps.

 

L'age du coeur (1906)

Ce dur film conte les mésaventures d'un couple "mal assorti", nous dit un intertitre: il est vieux, elle est jeune, le premier gandin qui passe devient un amant. une bonne âme prévient le mari, qui jure de se vanger... Mais il en est incapable, alors... il retourne dans sa chambre et se suicide, de façon très graphique. On est ici à deux doigts du grand guignol, avec un alliage astucieux de trucage cinématographique (On arrête tout simplement la caméra et le mouvement) et de maquillage sanglant. Le cinéma de Capellani va déja vers le réalisme sans concessions...

 

La femme du lutteur (1906)

Vu à plus grande distance que les autres, ce film incorpore un grand nombre de figurants, ce qui est d'autant plus justifié qu'une partie de l'action se place dans le cadre forain: un lutteur à succès se laisse draguer par une riche bourgeoise, et abandonne roulotte, femme et enfants pour s'installer dans la belle vie. Le sujet parle d'abandon du domicile conjugal, d'adultère, et donc de sexe. Le fait que l'homme fasse un usage professionnel de son corps est à prendre en compte. En tout cas, cette fois, il y a utilisation d'arme blanche. A noter aussi, dans tous ces films, le crime est la fin: la police n'intervient pas, en tout cas pas dans l'espace filmique, tout comme, on le verra, dans l'assommoir... Pas de résolution bourgeoise, donc.

 

Pauvre mère (1906)

Encore un film dur! cette fois, une mère dont la fille s'est tuée sombre dans l'alcoolisme, devient folle, et s'empare dans un jardin public d'une fillette qu'elle prend pour la sienne. Elle meurt dans un couvent, "visitée" une dernière fois par le fantôme de sa fille. On notera qu'elle est seule, sans qu'on puisse déterminer si elle est veuve, divorcée, ou... pire. Au mur, dans la première scène, un portrait anonyme d'un monsieur en moustache permet éventuellement de rassurer le bourgeois!

 

La fille du sonneur (1906)

Un vieil homme, sonneur de cloches à Notre-Dame, désavoue sa fille qui fricote avec un monsieur pas comme il faut. La fripouille abandonne la jeune femme avec un bébé, et celle-ci n'a d'autre solution que de laisser la petite à son père, qui la prend en charge, avec suffisamment d'amour. Mais la mère cherche ensuite à revoir la petite, contre l'avis du grand-père. La copie dure dix minutes, et est un condensé du film. un mélodrame, donc, mais marqué par la composition, la scénographie et l'utilisation parcimonieuse de figuration: on est devant un film qui ménage ses effets, et si certaines scènes avec le vieux sonneur, au jeu excessif, vont trop loin dans le pathos, on le suit avec tension. Une scène avec le vieux sonneur à coté d'une gargouille, qui contemple l'horizon, et donc les toits de Paris, atteint à la grandeur: c'est un moment de pure poésie. N'oublions pas que Capellani réalisera une version de Notre-Dame de Paris, en 1911...

 

Aladin ou la lampe merveilleuse (1906)

Très décoratif, ce film assez peu intéressant est typique de la production féérique, avec ses tableaux et son final en forme de ballet ou de revue. Segundo de Chomon a donc contribué avec ses effets, qui sont très bien amenés, mais les deux minutes de danseuses exotiques avec couleurs au pochoir nous donnent envie de retournenr à notre Paris des passions en 1906 tel que le dépeint Capellani...

 

La légende de Polichinelle (1907)

Parfois attribué à Nonguet, parfois à Capellani, ce Polichinelle est très soigné mais souffre des mêmes défauts que le précédent film. il n'apporte pas grand chose de plus à notre affection pour Max Linder, pas vraiment dans son élément, et rien du tout à notre intérêt pour Capellani, dont on veut découvrir les beaux films, séance tenante!

 

L'assommoir (1909)

Cette adaptation de Zola en trois bobines est excellente. En dépit de la longueur du film, à une époque ou on ne s'aventurait pas dans le long métrage en effet, la maitrise de l'ensemble est impressionnante. En dépit de sa brièveté, on suit ici l'évolution de personnages, et le décor, tant humain que matériel, est très réaliste, ou pour reprendre l'expression consacrée, tant pis pour le cliché, "naturaliste". c'est du Zola, après tout, et pas encore passé par la censure, on y appelle un chat un chat. il y est question de vie 'à la colle', de saoulographie, de crise de delirium, d'absinthe, de basse vengeance, le tout dans une atmosphère ô combien populaire.

 

Un grand cinéaste, de toute évidence!

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Albert Capellani
10 mai 2011 2 10 /05 /mai /2011 09:13

Le premier de trois films dont le script est du à Philip Dunne, The late george Apley inaugure donc cettte période d'auto-apprentissage, Mankiewicz étant désireux de travailler sur les scripts des autres afin de parfaire sa connaissance des ficelles du métier de réalisateur. Ses deux premiers films ont montré de  nombreuses promesses, mais Mankiewiz, face à la compétition, face à Zanuck aussi, sait qu'il doit viser la perfection. Ca peut paraitre paradoxal, tant on connait aujourd'hui l'immportance du script et du dialogue dans l'univers du metteur en scène, mais après tout cette période d'apprentissage a engendré au moins un classique, un film aimé par beaucoup: The ghost and Mrs Muir.

 

Réglons tout de suite son compte à une bizarrerie, dont Mankiewicz n'est pas responsable: le titre Anglais veut bien dire Feu george Apley, et c'est le titre de l'oeuvre adaptée (Une pièce de John Marquand et George Kaufman) dans laquelle la dernière scène, amère, est située après la mort du personnage principal. Tel quel, le film (Dont le titre Français est Mariage à Boston) serait selon Kenneth Geist une trahison de cette oeuvre-source, avec un protagoniste adouci, rendu aimable par la grâce du casting de rien moins que Ronald Colman. A ce sujet, on remarque une petite manie des Hollywoodiens, qui rendait Mankiewicz furieux: pour incarner un Bostonien, on se précipite sur un acteur Anglais, auquel on ne demande aucun effort pour dissimuler son accent. c'est la même chose avec la fille de George Apley, en plus amusant: Peggy Cummins est de Dublin, et parfois cela s'entend un peu... Pour un Californien moyen, l'Est et le Royaume-Uni, c'est finalement la même chose...

 

Le début du 20e siècle, à Boston. George Apley, citoyen Bostonien avant d'être Américain, est un homme satisfait de sa petite vie, régie par des habitudes héritées de son grand-père, de  son père: membre d'un club d'ornithologie, d'un club social, riche et fier de son rang, ne se mélangeant absolument pas à d'autres personnes que celles de son rang, encore moins avec des non-Bostoniens. Sa fille et son fils, pourtant, ont des vélléités d'indépendance: Elanor veut se marier à un jeune homme, un intellectuel qui a été à Yale, non à Harvard (Sacrilège!), et il souhaite donner une vision  moderne des grands penseurs locaux, en particulier d'Emerson, l'écrivain préféré de George Apley; le fils John souhaite se marier avec la fille d'un industriel qui habite à Worcester, Massachussetts, et non avec la cousine Agnes, comme c'est programmé depuis des lustres. Au hasard des rencontres, des occasions sociales et d'appartés familiaux, on va voir à certains moments un George Apley qui applique ses règles sans concessions, à d'autres un homme qui assouplit son rigide code de vie, voire parfois de petites révolutions, selon l'influence des uns et des autres...

 

Autant le dire de suite, le film est absokument délicieux, se boit comme du petit lait, et on comprend assez vite pourquoi Mankiewicz a eu du plaisir à le faire. Tous ces conciliabules entre les uns et les autres, renvoient à un style de film qui n'est certes pas étranger au coeur de l'auteur de All about Eve et A letter to three wives. Les différences et évolutions marquées du perosnnage de Apley, au fur et à mesure de l'intrigue, sont dues à ses échanges avec un certain nombre de personnages, son épouse Catherine, son beau-frère Roger, l'industriel de Worcester, Mr Dole (Encore pire qu'Apley lui-même, il pratique un conservatisme acquis, et non hérité: c'est un parvenu!), voire Agnes, sa nièce. certaines scènes installent la nostalgie d'une aventure passée, qui humanise un peu plus le personnage... Et pourtant à aucun moment les coutures n'apparaissent, le charme et l'humour pince sans rire fonctionnent à fond. Le fredonnement contagieux d'une chanson sert à mettre en valeur l'air du changement, qui pousse Apley dans des scènes très drôles à s'intéresser à ...Freud!

 

Quant au message de ce film Bostonien par ailleurs impeccablement réalisé, il n'est pas éloigné non plus de certains thèmes déja présents dès Dragonwyck: en gardien du temple Bostonien, soucieux de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas, George Apley est une version rose de Nicholas van Ryn, la bonhomie Bostonienne en plus... Un homme dépassé par son siècle qui va devoir accomplir un effort surhumain pour se raccrocher aux branches. De plus, l'évolution n'est pas sans dangers, puisque si on peut constater dans le film la belle vision du progrès dans les relations humaines représentées par le parcours d'Eleanor et de son howard, on voit aussi une autre Amérique, représentée par Mr Dole, qui admet que sa fille aurait probablement les mêmes préjugés qu'Apley, et ne souhaiterait pas se marier avec john: John ne souhaite sans doute pas, comme son père, quitter Boston. De son coté, Myrtle ne voudrait de toute façon pas y mettre les pieds! Une fois de plus, rien n'est simple dans ce qui n'est pas seulement une querelle des anciens et des modernes: il y a modernes et modernes... enfin, Ronald Colman en vieux renard ici, c'est un manipulateur, un de ces personnages qui tire des ficelles, sans trop faire de mal, toutefois... admettons que chez Mankiewicz, il y en aura bien d'autres.

 

Pour finir, The Late george Apley possède un atout inutile, trivial, mais unique: on y prononce le mot Boston, un nombre impressionnant de fois. Inutile, mais c'est après tout un record auquel j'ai tenté personnellement de rendre hommage...

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Published by François Massarelli - dans Joseph L. Mankiewicz
8 mai 2011 7 08 /05 /mai /2011 17:27

Avant même le générique du film, des images de rue, comme en écho au concept soulevé par le titre: la rue comme métaphore de la vie en même temps que son cadre... les premières images sont énigmatiques, marquées par un montage serré, la touche des premiers Naruse. des gens qui vivents, se retrouvents, s'attendent, travaillent, passent dans la rue. Des éléments économiques aussi, une vitrine avec des bijoux, puis une autre avec des viennoiseries... la décor est planté, l'univers aussi, pour un film peu banal de Mikio Naruse: en conflit de plus en plus ouvert avec la Schochiku, il ne voulait pas de ce sujet. Des quatre autres films muets conservés de l'auteur de ce film, on constate qu'un seul n'est pas écrit par lui, le plus mélodramatique, Après notre séparation. Ici, c'est encore de mélo qu'il s'agit, et naruse n'en veut pas parce qu'il a trouvé son univers et ne souhaite pus revenir en arrière, à plus forte raison pour traiter un sujet qu'il considère comme un feuilleton sans envergure... le film lui sera imposé avec la condition qu'il fasse ce qu'il veut ensuite.

Sugiko est serveuse dans un bar, et elle a un amoureux, un homme dont la famille souhaite qu'il fasse un mariage prestigieux, mais lui n'en a cure: il veut Sugiko. Celle-ci est courtisée par un studio de cinéma qui s'intéresse à sa plastique, bref tout va pour le mieux... mais Sugiko a un accident, renversée par un jeune bourgeois, et son petit ami, sans nouvelles, disparait purement et simplement de la circulation. Sugiko commence à fréquenter Hiroshi, le riche automobiliste responsable de l'accident, et entre les deux, l'amour commence à poindre. Hiroshi va donc, contre la volonté de sa mère et de sa soeur, épouser Siguko. tout est pour le mieux? Pas sûr...

Le destin, une fois de plus incarné par non pas un, mais deux accidents de voiture, va donc placer Sugiko sur un terrain glissant, et son environnement aussi. Mais la cible de naruse, c'est aussi et surtout la bourgeoisie et ses préjugés, les manies qui consistent à privilégier le prestige sur l'amour, tout un carcan de conventions sociales qui emprisonnent aussi bien Hiroshi que Sugiko. comme en écho, l'amie serveuse de Sugiko qui a saisi l'opportunité laissée vacante par Sugiko et est devenue actrice: elle aussi est rattrappée par les préjugés, et demande à son petit ami de resteer à l'écart, puisqu'il est d'une autre classe... un monde de classes, donc, dans lequel il faut s'élever, et tout abandonner. Au beau milieu de ce film, la personnalité de Setsuko Shinobu domne sans mal, impérieuse, au visage de marbre, dur et sévère à la fin, autant qu'elle était douce et optimiste au début. On comprend un peu Naruse, qui souhaitait dépeindre un monde mois fermé, moins circonscrit par les conventions de la fiction: ici, l'histoire aboutit à une étape ou certains des protagonistes trouvent le bonheur, mais qu'on ne s'y trompe pas, cette Sugiko, qui choisit un conflit sans concessions contre sa belle-famille, qui reprend sa liberté dans un monde dominé par les hommes, au risque de rester dans l'incertitude - et au plus bas de la classe ouvrière -  toute sa vie, avec la plus belle des dignités, est bien une héroïne de Mikio Naruse, une grande.

Le réalisateur, à la veille de s'essayer au cinéma parlant, utilise le montage d'une façon toujours aussi inventive, avec ses inserts étonnants (Et même déroutants parfois, comme cette conversation entre deux amants entrelacée de vues de lampes éclairées et de bâtiments), ses plans en mouvement qui balaient l'espace, ses séquences de montage rapide: l'accident de la fin, vu entièrement par le biais des obkets personnels des victimes qui dévalent une pente sans fin, et un chapeau qui arrête sa course sur un rocher... Naruse va donc faire ce qu'il veut à l'issue de ce film: quitter la compagnie à laquelle il a travaillé depuis 24 films.

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Published by François Massarelli - dans Mikio Naruse Muet 1934 Criterion *
8 mai 2011 7 08 /05 /mai /2011 13:45

Pour son deuxième film MGM, Buster Keaton a probablement vite compris dans quel piège il était venu tête baissée. Tous ses collaborateurs sont remplacés les uns à la suite des autres par des techniciens sous contrat, le sujet lui est imposé, et le script lui arrive tout cuit dans les mains, avec très peu de scènes en extérieur, c'est-à-dire peu de possibilités d'improvisation pour le comédien, et peu de chances de prendre le contrôle.

Le scénario est un scénario de comédie, effectivement, mais dans lequel la part physique de comédie est réduite, et l'ensemble ne possède pas l'unité et la cohérence d'un film de Keaton, toujours centré autour d'un problème, ou d'un contexte bien défini. L'histoire est celle d'Elmer (Buster Keaton), un modeste teinturier obsédé par une actrice, Trilby Drew, qu'il va applaudir tous les soirs dans une pièce consacrée à la guerre de sécession, Carolina. Son fanatisme pousse Elmer à suivre son idole partout, à tel point que tout le monde l'a remarqué. Lorsque Trilby (Dorothy Sebastian) voit l'homme qu'elle aime, l'acteur Lionel Benmore, flirter avec une autre, elle choisit le premier venu (devinez qui!!) pour s'afficher avec, et même se marier avec lui, afin de rendre son collègue jaloux...

Le film n'est pas pour Keaton: trop riche, trop éloigné de ses préoccupations... De plus, le scénario accumule les péripéties, enchaînant cette histoire d'amour triste avec un film d'aventures en mer, et franchement les coutures se voient. La première version d'Elmer (la plupart des personnages que Keaton jouera dans les films MGM portent ce nom) est pathétique, et doit parfois se sortir de certaines situations par le langage... A un moment, sur un bateau, Keaton est témoin d'un incendie, et veut le signaler, mais les officiers du bateau l'en empêchent. Le gag provient de l'expression d'émotions par Keaton: un sacrilège! Mais il y a de vrais beaux moments: la relève d'un figurant, au pied levé, par Elmer qui a vu la pièce 35 fois, est une scène très physique; le retour à l'hôtel, avec Elmer qui porte une Trilby ivre-morte, et qui doit la coucher, alors qu'elle est inerte, renvoie à un gag de The Navigator...

En revanche, la collaboration avec Dorothy Sebastian est une excellente surprise: la scène de la saoulographie n'a pas du être une partie de plaisir à jouer pour la jeune femme, et on voit qu'elle s'en remet entièrement à Buster. Studio oblige, elle a droit à un nombre conséquent de gros plans: que Buster ait eu son mot à dire ou non, elle n'est définitivement pas à ranger parmi les actrices-potiches. De fait l'acteur qui traversait un enfer domestique, avec son mariage qui coulait, était tombé amoureux d'elle... On ne sait pas ce qu'il advint, d'autant que les ravages de l'alcoolisme commençaient à se faire visibles sur le visage fatigué de Buster Keaton...

Les séquences maritimes abondent en situations physiques, et on voit que, par opposition à une autre cascade pour laquelle Buster a été doublé (ce qui l'a rendu furieux), il assume toutes les cascades sur le bateau, avec bonheur. Ces quelques moments sont la preuve que tant qu'il restait dans le cadre du film muet, comme avec College en 1927 qui lui avait été imposé, Keaton avait encore la possibilité de prendre un peu le pouvoir et sauver un film. De fait, Spite Marriage est le dernier film décent, regardable, engageant même de Keaton. C'est aussi, hélas, son dernier muet, et son chant du cygne.

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Published by François Massarelli - dans Buster Keaton Muet 1929 **
8 mai 2011 7 08 /05 /mai /2011 13:32

Le crédit de Harry Langdon sur Blockheads, avec Laurel & Hardy, n'est pas volé: il y recycle l'argument de base de ce film, un moyen métrage prévu pour durer quatre bobines, mais dont un quart du métrage a sagement été mis de coté. Le film est un peu trop long encore, dédié à un scénario improbable, mais propice à établir une fois de plus le personnage lunaire mis au point par le comédien. Le script est crédité à Ripley et Capra, Vernon Dent et Natalie Kingston complètent la distribution...

 

A la fin de la guerre, tous les soldats Américains sont revenus ou localisés... sauf un. Langdon est resté seul, ne réalisant pas que les hostilités sont finies. après quelques scènes liées à son ignorance, il fuit un terrain qu'il croit infesté d'ennemis, et arrivent sur les terres d'un royaume (la Bomanie) ou se joue un drame à la Zenda: il est le sosie du roi, un abominable soiffard, et va l'espace d'un instant régner afin de mettre un complot en échec, sans rien comprendre àvec qui lui arrive...

 

Dans le genre, on préfère les efforts de Charley Chase (Long fliv the king) dont le film semble aller quelque part. Ici, ça se traine, et le seul moyen de venir à bout de cette histoire est d'utiliser le vieux truc du rêve. On appréciera toutefois la comparaison effectuée par Harry entre le rêve (Il embrasse la reine, Natalie Kingston, et elle s'évanouit, terrassée par la sensualité de l'homme-enfant) et la réalité (Il embrasse son épouse, Natalie Kingston également, mais elle ne s'évanouit pas!); sinon, il utilise ici un moyen de système D graphique hilarant pour montrer l'explosion d'une vache. Un grand moment dans un tout petit film...

 

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Published by François Massarelli - dans harry langdon Muet Première guerre mondiale Mack Sennett
7 mai 2011 6 07 /05 /mai /2011 18:04

Situé au tout début de l'aventure du Cinémascope, The Egyptian a tout d'un film sacrifié. Sacrifié sur l'autel de sa propre légende, colportée d'abord par l'un de ses protagonistes, l'acteur Peter Ustinov, dont l'humour est bien connu. Il a propagé l'idée que le film était un monument de kitsch, et de fait cette impression a fini par devenir quasi officielle... Ensuite, sacrifié par rapport à la carrière de Michael Curtiz, dont tous les films réalisés après Mildred Pierce sont considérés avec suspicion, à plus forte raison ceux qui ont été faits en dehors de la Warner, ou il avait passé il est vrai 28 ans. Et s'il avait eu, après 28 ans, l'envie de voir ailleurs, tout simplement? L'offre de la Fox était alléchante, et peut-être que les films familiaux et commémoratifs dans lesquels il était cantonné lui donnaient un gout de trop peu. Peut-être enfin avait-il envie de retourner au genre qui l'avait révélé dans les années 20, en Autriche comme aux Etats-Unis?

The Egyptian conte l'histoire de Sinhoué, un homme né dans le mystère et recueilli, c'est une manie, sur les eaux du Nil, par un homme sage et bon, médecin de son état. une fois devenu adulte, Sinhoué envisage de donner son temps aux pauvres, à la suite de son père adoptif, mais les circonstances vont le précipiter au palais, chez un pharaon bien inattendu, monothéïste militant, et comme de juste menacé par tous: ses soldats, sa famille, ses prêtres. de son coté, Sinhoué passe son temps à questionner sa propre place dans le monde, ne comprenant pas ce qu'il est venu faire sur terre...

 

Un peplum philosophique et religieux, rien d'étonnant... quoique le parcours de Sinhoué, anti-héros et instrument du destin soit particulièrement original. face à l'émergence d'une religion monothéiste, un aspect rarement relaté sur l'Egypte, Sinhoué doit lui aussi choisir son camp, se frayer un chemin et donner corps à ses idéaux... mais Curtiz ne fait évidemment pas Casablanca avec ce film. Toutefois il n'a aucune raison d'avoir honte, il a fait du très bon travail, réussissant à donner une vérité à cette antiquité, plutôt bien jouée si on excepte la contre-performance d'Edmund Purdom (Si on en croit Patrick Brion, il remplaçait Marlon Brando...) en Sinhoué, et l'abominable Bella Darvi, dont on espère sincèrement qu'elle a été fusillée sur place à la fin du tournage. Zanuck partageait en effet avec Curtiz un penchant pour les jeunes starlettes, mais Curtiz n'avait pas pour habitude de les faire jouer, Zanuck si! On appréciera les thèmes sous-jacents du réalisateur, incorrigible pessimiste, qui met en avant chaque aspect de ce film comme si c'était la fin d'un monde, et qui s'attache à montrer avec méthode les pires comploteurs en architectes du crime, comme il l'a toujours fait. Sinon, on notera dans ce qui est inexplicablement présenté systématiquement comme un ratage un sens toujours aussi aigu de la composition dopé par le Scope, et une belle tendance, une fois de plus grâce à l'écran large, à utiliser le plan-séquence. Sinon, en 1954, Curtiz n'est plus le maitre qu'il a été, ce n'est pas nouveau; il sait malgré tout rendre un film intéressant, et celui-ci est peu banal.

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Published by François Massarelli - dans Michael Curtiz
7 mai 2011 6 07 /05 /mai /2011 09:33

Il existe une littérature abondante sur les récriminations de Chaplin vis-à-vis de la compagnie Keystone et de son patron Mack Sennett, tout comme de nombreux griefs publics (Dont un procès en quasi-paternité, au sujet de A burlesque on Carmen) dans ses rapports compliqués avec les patrons de l'Essanay. Je suis sur qu'on pourrait trouver en grattant un peu des conflits dans son histoire avec la Mutual, mais contrairement aux deux contrats précédents, tout semble s'être passé au mieux. Tout au plus constatera-t-on que les 9 premiers films sortent à un rythme soutenu (1 par mois) avant que la lenteur de Chaplin ne fasse capoter ce projet (il devait y avoir 12 mois, 12 films); mais la notoriété acquise de Chaplin et la qualité générale des films a permis à un public généralement versatile de patienter! Sinon, il existe au moins un Mutual inachevé, qui tourne autour du golf, et qui sera recyclé, en deux temps. Mais au terme de son contrat, au moment d'aborder un nouveau chapitre de sa carrière, l'un des plus importants, Chaplin a fait des pas de géants, grâce à un grand nombre de ces courts métrages de deux bobines. Maintenant, il est temps de s'évader...

Un paysage de bord de mer, envahi par des gardes en uniforme, armés et n'hésitant pas à tirer. A nouveau, l'ouverture de ce film est en trompe-l'oeil, cette fois Chaplin nous fait croire que nous assistons à un film d'aventures de facture classique, avant de démentir en faisant apparaître son personnage de prisonnier en cavale, qui émerge du sable, sur la plage, le visage face à un fusil... Il multiplie les rebondissements,effectuant une petite révolution au passage: le film commence par une poursuite! Le bagnard réussit à échapper à ses poursuivants en "empruntant" le costume de bain d'un quidam qui restera anonyme (on ne voit pas le visage de l'acteur, qui d'après la corpulence pourrait être John Rand). Tout ceci mène à la deuxième séquence de ce film qui possède une véritable intrigue, cette fois: dans une station balnéaire proche (Venice, Cal.), Edna est courtisée par Eric Campbell et son incroyable barbe, lorsque soudain, ils entendent un cri: la maman de la jeune femme se noie! Campbell ne sachant manifestement pas nager appelle au secours, mais Edna se précipite... alors qu'elle ne sait pas nager. Chaplin, arrivé sur la plage, intervient, et sauve tout le monde, dont Campbell tombé à l'eau. La rancoeur s'installe entre les deux, et le gros se venge en jetant le sauveteur épuisé à l'eau. Il est sauvé in extremis.

Ce qui est intéressant dans cette première moitié, outre sa richesse narrative et la parfaite intégration des gags dans ce qui est une histoire dramatique, c'est l'effort pour doter Campbell d'une personnalité en dehors de son costume de méchant. Il sera clairement un antagoniste pour Chaplin par son action dans cette première bobine, ce qui est effectivement une tentative de meurtre, et non seulement par son costume. Et à ce sujet, Chaplin joue une fois de plus sur le travestissement, avec son bagnard évadé, mais avec une grande subtilité, à commencer par ce qui est une nouvelle naissance (Délesté de son costume rayé, venu par la mer...), celle du héros, anciennement bagnard évadé. Ici, le costume apporte avec lui beaucoup plus que de l'apparence, il apporte une solution pour échapper à la police, mais aussi des ennuis en perspective. Il ne s'agit plus seulement de porter un costume et de faire deux ou trois cabrioles, il faut également tenir son rôle...

La deuxième partie commence d'ailleurs par le réveil de Chaplin, en pyjama, dans un lit. Il y a été transporté inconscient après son sauvetage. La vision des rayures du pyjama, et des barreaux du lit, par le bagnard évadé, donne lieu à un court gag, et le reste de la journée sera faite de rencontres sociales, dans la maison des parents d'Edna (Le père est interprété par Henry Bergman, qui joue également un petit rôle comique dans la première bobine), envahie de nombreux bourgeois. Evidemment, l'un d'eux est Eric Campbell, toujours préoccupé de séduire Edna, et qui se trouve face à dangereuse concurrence, avec ce "Commodore Slick", venu de nulle part, qui possède un énorme avantage sur lui, puisqu'il a sauvé un certain nombre de vies, dont la sienne...

La deuxième partie est un peu moins intéressante que la première, présentant plus Chaplin face à ses ennemis traditionnels, Campbell en tête (celui-ci ayant vu un avis de recherche du bagnard évadé), mais aussi la police qui fait son apparition assez rapidement. Le film se conclut sur une nouvelle évasion spectaculaire en forme de ballet burlesque, réglée avec soin par tout ce petit monde dans des décors taillés sur mesure. la fin est abrupte, et elle est ouverte: Chaplin et Edna ne pourront pas marcher vers la liberté ensemble, chacun dans on monde, et les gardiens de prisons pourront se garder tous seuls...

Direction la First National, ou toute interférence du studio sera dans un premier temps bannie... Totalement libéré, le prochain film de Chaplin sera une petite révolution, et comptera trois bobines. Albert Austin, Henry Bergman, Edna Purviance, Rollie Totheroh seront toujours là; d'autres vont venir grossir les rangs: Sydney Chaplin, déjà présent dans l'équipe de gagmen, va rejoindre les autres acteurs, il y aura aussi Loyal Underwood, et parfois Mack Swain. Mais l'un d'entre eux manquera à l'appel, laissant une place vide, qui ne sera jamais plus occupée, celle du méchant: l'acteur Ecossais Eric Campbell, décédé en décembre, pressenti pour tourner aux cotés de Mary Pickford dans Amarilly of Clothes-line Alley. Venu comme Chaplin et Austin de chez Karno, le seul acteur de sa troupe dont Chaplin désirait faire un vrai partenaire, et entrer en interaction avec lui, et qui pouvait lui voler parfois la vedette s'est tué en voiture, le 20 décembre 1917, il avait 38 ans. Ce film est son testament, et rien que pour ça, il est sublime...

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Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet