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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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28 février 2011 1 28 /02 /février /2011 18:50

I/1914: Tourner The birth of a nation

 


Au moment d’attaquer son grand oeuvre, Griffith s’est penché avec soin sur un écrivain sudiste, Thomas Dixon, auteur d’une trilogie de romans : The leopard’s spots (Les taches du léopard), The clansman (L’homme du clan) et The Traitor (Le traître). Ces œuvres, dont une pièce écrite par Dixon lui-même allait reprendre l’essentiel sous le titre de The Clansman, proposaient une vision glorifiée de la formation du Ku-Klux-Klan à l’époque de la reconstruction, cette période de transition qui suivit la défaite du sud en 1865. Lui-même sudiste, Dixon se disait un anti-esclavagiste gêné par le comportement des noirs dans un sud défait, et considérait le Klan comme la seule réponse possible d’une civilisation ayant mordu la poussière. Disons que pour l’instant nous n’irons pas chercher plus loin ; c’est d’ailleurs ce que Griffith a lui-même fait. Les arguments et les aventures tumultueuses contenues dans les deux premiers romans et la pièce ont fasciné l’auteur de tant de petits films qui bougent dans tous les sens et lui ont, enfin, fourni l’argument de son grand film rêvé, sur la guerre de sécession bien sur. Les trois livres avaient fait du bruit à leur sortie(1903-1907), et le Klan n’était qu’un lointain souvenir à cette époque : Le groupe a été déclaré illégal en 1871, et la plupart de ses membres ont raccroché les robes bien vite, fautes de moyens et de conviction, d’autant qu’une fois la ségrégation installée (Dès les années 1870) on n’avait plus vraiment besoin de faire peur aux noirs, dont les droits n’étaient pas bien étendus… Donc, aveugle aux ramifications de ces œuvres limites, Griffith voit juste un luna-park d’émotions fortes, et se précipite sur l’opportunité. Une fois trouvé un accord avec des distributeurs (La Mutual), il se lance dans son film dès le printemps 1914. D’après les commentaires, dont les plus passionnants se trouvent dans les souvenirs de Lillian Gish et du caméraman Karl Brown, toute la troupe, élargie pour l’occasion s’est lancée à corps perdu dans le tournage, et le film est devenu le Mayflower du cinéma : les cinéastes, acteurs, producteurs qui prétendent avoir tourné sur le film sont aussi nombreux que les Américains prétendant avoir eu un ancêtre sur le bateau mythique… Tout un symbole, à prendre avec les réserves d’usage, comme lorsque John Ford dit qu’il était « le seul Klansman avec des lunettes »…


Une fois son indépendance obtenue, après Judith de Bethulia en 1913, Griffith avait commencé par tourner un certain nombre de besognes, des films qui étaient souvent des longs métrages prétextes, afin de faire vivre la compagnie. Sur les quatre films de 1914 (The battle of the sexes, Escape, Home sweet home et The avenging conscience) les deux premiers sont perdus, et les deux autres détonnent dans l’œuvre : un patchwork de scènes à la manière de Poe et une petite évocation de la création d’une chanson, on sent les films mineurs, même sympathiques. Pourtant Griffith, toujours au fait de ce qui se faisait en Europe, et surtout en Italie, avait comme ambition de faire le Cabiria Américain, tout simplement : un film décisif, énorme et qui élargirait une bonne fois pour toutes le champ d’action du septième art. Et à en juger par le nombre de carrières , de vocations et de revendications que le film a entraîné, il n’était pas le seul.
Seul, il ne pouvait pas l’être. Le film sera pourtant, une fois de plus, basé sur la construction engendrée dans l’esprit même de Griffith, unique maître d’œuvre, dont le mot d’ordre sera, dès le départ, et surtout pour la première partie du film, de clarifier: rendre toute l’action aussi évidente que possible, quoiqu’il se passe à l’écran, quel que soit l’étendue du champ d’action : salon pour une conversation entre deux personnages ou champ de bataille avec 500 figurants. Le métier acquis, notamment sur les films de la guerre civile, ne pouvait que s’avérer utile. Mais c’est de sa capacité à déléguer que naîtra la grandeur du film, comme l’a révélé Walsh, qu’on peut sans crainte considérer comme le principal assistant des scènes de bataille, tournées par griffith depuis une colline, trop lointaine pour que les figurants le voient ou l’écoutent : son armée d’assistants (Walsh, Van Dyke, Browning, Stroheim, Clifton…) faisait passer le message. Le principe va pousser Griffith, d’ailleurs gêné par le manque d’argent, à confier une plus grande responsabilité aux acteurs, qu’il fait répéter. C’est flatteur, puisqu’on laisse à un acteur porter sa marque sur un personnage, mais c’est aussi suffisamment fédérateur pour entraîner une véritable adhésion au projet artistique, comme le prouvent les vues de Lillian Gish, qu’on aurait très bien pu créditer au poste d’assistante sur bien des films, si l’on en croit son implication dans l’œuvre.

Henry B. Walthall, Lillian Gish, Mae Marsh, George Seigmann, Ralph Lewis, Bobby Harron, Josephine Crowell, Walter Long, Spottiswoode Aitken sont tous apparus dans des films de Griffith. Certains sont relativement nouveaux, d’autres remontent aux débuts. Chacun en tout cas s’est vu confier un rôle typé en fonction de ses habitudes, et de ce que Griffith sait que l’acteur peut apporter. A ces fidèles acteurs, Griffith ajoute des nouveaux venus, sortis des productions cousines, dans lesquels Griffith délègue déjà ses pouvoirs : Raoul Walsh et son épouse Miriam Cooper, Erich Von Stroheim, Wallace Reid, Joseph Henabery… A ce dernier, il confie le rôle de Lincoln, et c’est Walsh qui sera volontaire (A sa demande, et pour d’obscures raisons familiales) pour jouer l’assassin John Wilkes Booth. Donald Crisp, un fidèle de longue date, jouera le rôle de Ulysses Grant : En effet, dans ce festival de figures, Griffith n’a pas lésiné sur l’Histoire, et fait se succéder les grands et les petits , les figures historiques et les Cameron, Les Stoneman et autres figures fictives.


Griffith, de metteur en scène, va se muer en véritable showman, et construit son film en ce sens : construire un spectacle. Le programme, très pensé, du film, sera de voir grand, et d’alterner les morceaux de bravoure et les moments les plus intimes : pour ceux-ci, Griffith a convoqué Lillian Gish et Miriam Cooper. La structure du film repose aussi tout entière sur les habitudes prises à l’époque de Death’s marathon : on expose, on explique, on digresse, on saupoudre et au final on fait monter la sauce, jusqu’à l’explosion. Une structure qui va de soi aujourd’hui, mais qui chez Griffith prend tout son sens. D’autant que lors du tournage, la pellicule s’accumulant, on sait qu’il va falloir avoir un film qui donne beaucoup, afin de garantir du spectacle aux spectateurs. Mais pour finir sur une note sombre, il convient de dire que ce qui définit souvent les courts métrages de Griffith, ce qui les imprime dans l’inconscient collectif, c’est soit le morceau de bravoure (La fusillade dans The musketeers of Pig Alley ), soit le « grand finale » (La poursuite en train dans The girl and her trust): dans The Birth of a nation, il s’agit donc, pour les deux, d’un scène au cours de laquelle les valeureux chevaliers du Ku-Klux-Klan sauvent un groupe de blancs d’une horde de noirs assoiffés de sang, qui représentent exactement le même danger (en particulier pour la vertu des dames ) que le Indiens saouls de The Battle at Elderbush Gulch. C’est un fait connu, avéré, un cliché de l’histoire du cinéma : The birth of a nation est un film raciste, sans aucune restriction ni réserve. Le grand problème, c’est que The birth of a nation est, aussi, un grand film.

 

II/1915: Voir the birth of a nation

 
Voir un classique, ça tient du pèlerinage, de la religion, ou de la nostalgie parfois. Concernant Griffith, ça tient de l’archéologie, de l’histoire de l’art, de la civilisation Américaine. Avec ce film, on peut ajouter la nausée. Et pourtant il est là, alors…

 

 

Fidèle à ses habitudes, et ses recettes éprouvées, Griffith se saisit de l’argument de Dixon et l’étend, en le dotant d’un prologue et d’une première partie. Il situe cette première partie dans les USA de 1860, présentant les deux camps adverses de la guerre sous la forme de deux familles amies, dont les enfants se séduisent et s’aiment, un moyen facile mais efficace de faire passer la notion d’unité indispensable à l’action, et qui justifie le titre du film (Choisi après le dernier montage ; il semble que certaines copies intitulées The klansman aient été distribuées) a posteriori. Le prologue est le fameux moment ou Griffith fait passer son idée selon laquelle s’il y a eu conflit entre les états du Sud et ceux du Nord, c’est de la faute des noirs : c’est lorsque l’on a ramené les esclaves « que les Graines de la désunion ont été plantées », nous disent les premiers intertitres. Le reste de la première partie (La meilleure des deux) se concentre sur la montée de la guerre, les déchirements entre les amis, et va jusqu’à la défaite du Sud, puis la mort de Lincoln, vue du point de vue de Lillian Gish en jeune femme de la bonne société Nordiste. C’est la source de l’autre grande idée du film, plus louable celle-ci: Lincoln était la seule garantie d’unité nationale, et en son absence la reconstruction devient une période troublée, durant laquelle le Nord va s’enrichir aux dépens du Sud (Et lui imposer l’égalité inacceptable entre les Noirs et les blancs). Ce sera le propos de la deuxième partie, durant laquelle la montée du KKK va selon Dixon et Griffith permettre de redresser la barre. Le tout, bien sur, vu à travers un mélange d’anecdotes, d’épisodes privés et de passages obligés de la grande histoire. Le principal problème selon moi, et je dirais cela de la plupart des Longs métrages de Griffith aujourd’hui, c’est la présence systématique de commentaires personnels, éclairages supposés et sources de digressions dans les intertitres: pédagogiques, didactiques redondants et tout bonnement lourds, ils sont censés faire passer la pilule. On serait tenté aujourd’hui d’attribuer à cette invasion de textes les tendances idéologiquement fâcheuses du film, mais à quoi bon ? Les images se suffisent à elles-mêmes, pour ça aussi : Mae Marsh poursuivie par un Walter Long en black face, grimaçant et libidineux, ça fonctionne avec ou sans les intertitres, et c'est on ne peut plus clair.


L’habitude, chez les étudiants de Griffith, de découper le film en deux entités, a conduit à une relativement rassurante dichotomie : le film est raciste idéologiquement, mais c’est un chef d’œuvre formel, ne parlons pas de ce qui fâche, et concentrons-nous sur le feu d’artifices. C’est ainsi que de classique contemporain (Les critiques y réfèrent souvent dans les années 20 comme à un grand ancien, mais s’étonnent en le revoyant de découvrir un film archaïque), le film est devenu un classique tout court, avant que ne l’emporte une vague de politiquement correct qui fait que, si on peut aujourd’hui se le procurer en DVD, on ne peut pas dire que le film soit un habitué des télévisions. Le voir, c’est malgré tout admettre que le fond et la forme sont savamment imbriqués, depuis les premiers mots: le film repose entièrement sur l’idée que les seuls bons noirs sont ceux qui seront maintenus en laisse, sinon leur laisser du pouvoir, c’est s’attirer de gros ennuis. Lillian Gish, que je vénère, je ne m’en cache pas, a toujours aveuglément défendu le film, sans se soucier des contradictions que cela puisse entraîner. Ne la suivons pas : ce film est odieux. Je ne l’aime pas, même si je suis conscient de l’importance qu’il a, mais une fois vus 45 films parmi ceux qui l'ont précédé dans ce cycle d’œuvres de Griffith que j'ai regardés avec délectation, je constate qu’il arrive au bout comme un résumé de tout ce qui a déjà été fait. Griffith a poussé sa science du découpage, son don pour le suspense, sa direction d’acteurs à son paroxysme, et il les étire désormais sur trois heures de façon très adroite (Sans jeu de mot), mais ne semble pas faire de grandes nouvelles découvertes. C’est sans doute au niveau de certaines scènes que le film s’élève: on se souvient après la vision du film de morceaux de bravoure, sans trop se pencher sur leur contenu, et certaines scènes ne s’intègrent pas toujours très bien, à l’image des intermèdes comiques de The avenging conscience: l’épisode avec Wallace Reid, par exemple, ou les nombreuses anecdotes qui vont toutes dans le même sens : une fois débarrassés de leurs chaines, les noirs entraînent le pays à la ruine. Non, les scènes qui restent sont les scènes de bataille, pas moins spectaculaires que celles de The battle, la mort de Lincoln (Le chef d’œuvre du film ?), le retour de Walthall à la maison, accueilli par une Mae Marsh touchante, qui a enfin l’occasion de nous prouver son talent. Sinon, on se souviendra des fausses galipettes bon enfant de Lillian Gish amoureuse qui nous font un peu honte, mais cachent quand même de troublantes allusions: cette manie qu’ont les héroïnes Griffithiennes d’embrasser des objets oblongs quand elles sont amoureuses… Ici, les battants d’un lit. On pourra aussi admirer la maitrise du réalisateur en matière de manipulation de groupes, mais les scènes les plus mélodramatiques sont souvent remplies d’effets faciles (le jeune Stoneman en bleu qui meurt dans les bras du jeune Cameron en gris, par exemple…), ce qui fait que sans devoir revenir au destin « pire que la mort » auquel veut échapper Mae Marsh, on a quant même souvent l’impression que le film repose encore beaucoup sur la facilité.

Mais ce qui donne sa place à ce film dans l’histoire du cinéma, c’est sans doute son envergure. Qui d’autre aurait pu faire un film aussi énorme ? DeMille, sans doute, mais après : il tournera un Joan the woman deux ans après, certainement influencé par le succès de ce film. The birth of a nation a, au moins, accompli l’une des ambitions de Griffith: porter un mythe Américain à l’écran, et fédérer les foules de gens qui se pressent au cinéma. Hélas! Parmi les gens auxquels on a proposé ce film, il y avait aussi les communautés Afro-Américaines. Quel imbécile a eu l’idée de distribuer ce film raciste et de le faire distribuer dans les cinémas réservés aux noirs (Puisque ségrégation oblige, on ne se mélangeait pas dans les salles obscures...) ? Y a-ton pensé ? Karl Brown, dans le documentaire de Kevin Brownlow et David Gill sur Griffith, révèle que s’il faisait le naïf en public dès qu’on lui signalait que la prochaine sortie de son film risquait de déclencher des vagues, prétendant ne pas y croire, il agissait de façon inverse en privé: il espérait que le film fasse le plus gros scandale possible, afin de remplir les caisses… Exaucé !

 

Outre une ouverture salutaire du cinéma Américain à l’épopée, et un certain ennoblissement du septième art, le film aura eu d’autres conséquences : l’une, heureuse, est d’avoir poussé des gens à soutenir l’action de la NAACP : cette association anti-raciste militait dans un relatif anonymat aux Etats-Unis, et le film leur a offert une tribune inespérée. D’une certaine façon, il les a libérés médiatiquement, et on peut considérer que des jalons ont été posés en matière de lutte contre les discriminations, qui mènent à Martin Luther King 40 ans plus tard. Une autre conséquence inverse est d’avoir permis une renaissance du KKK, qui dans sa deuxième incarnation deviendra une force fasciste inquiétante, s’étendant au nord, et culminant en 1928, année d’une marche sur Washington qui a été filmée, et qui fait très froid dans le dos. Griffith laissera faire, même si ni lui ni Dixon ne soutiendront explicitement le nouveau Klan: cela ne les empêchera pas d’utiliser l’image triomphale d’un chevalier masqué pour vendre le film. Mais le metteur en scène a quand même tenu a adapter son film en fonction des lieux ou il était projeté: dans le sud, on poussait la verve raciste, et dans le nord on tentait de l’atténuer. Un comble, pour un film censé montrer la re-naissance de l’unité de la nation au travers d’un combat âpre. En procédant de la sorte, Griffith a sciemment démontré que cette unité était, au mieux, un mythe. D’ailleurs, cette mention de la Nation, dans le titre du film, est d’une ambigüité nauséabonde : si naissance il y a, ce n’est que grâce au sacrifice des chevaliers du Klan, qui séparent les noirs du blanc. Cette naissance est celle d’un Amérique Blanche, c’est celle de la ségrégation raisonnée, montrée sans ambigüité dans le film: les chevaliers empêchent les noirs de voter, et ceux-ci s’enfuient sans demander leur reste.  Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, jusqu’à ce que Rosa Parks se décide à garder sa place dans un bus…

Le plus gênant, dans cette histoire, c’est que Griffith ait pu entraîner tant de gens derrière lui, de tous ceux qui ont travaillé sur le film, à ceux qui l’ont distribué (Louis B. Mayer a fondé sa carrière grâce à ce film), en passant par le président des Etats-Unis: Wilson, cité dans un intertitre, a parait-il donné quelques vues élogieuses sur le travail de Griffith, avant de faire machine arrière. Le metteur en scène a quant à lui continué sa carrière en se contredisant, par le biais d’Intolerance, plaidoyer en faveur de la fraternité et de la tolérance, justement. La preuve sans doute, et c’est rassurant, qu’il ne faut pas forcément s’attacher trop fortement à l’idéologie d’un Griffith. Mais la légende d’un The Birth of a nation vu comme un fruit coupé en deux dont on jette la moitié pourrie pour ne garder que les succulences de l’autre partie, a fait long feu : ou alors, on ne gardera qu’un vieux bout de trognon. et puis, pour une fois, le retour à la réalité est rassurant: 96 ans après la sortie de ce film, le président des Etats-Unis s'appelle Barack Obama, et ça, ce n'est pas du cinéma. Pas encore?


 

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Published by François Massarelli - dans David Wark Griffith Muet 1915 Lillian Gish **
15 février 2011 2 15 /02 /février /2011 07:47

Premier long métrage avec Buster Keaton en vedette, ce film est aussi le premier que Buster ait tourné après la fin de sa collaboration (1917-1919) avec son ami et mentor, Roscoe Arbuckle. Et franchement, il faut le voir pour le croire, tant ce petit film est éloigné du style sauvage et délirant des deux bobines précédents.

Pour une large part, The saphead (L'andouille) annonce les rôles de jeune riche décalé que Buster jouera dans ses longs métrages, en particulier The Navigator; le film est basé sur une pièce, The New Harrietta. L'intrigue tourne autour de trois Harrietta: une mine d'or au Texas, appelée ainsi, dont le milliardaire New Yorkais Nicolas Van Alstyne possède la moitié des parts, une femme qui a eu un enfant illégitime avec le gendre de Van Alstyne, et le portrait d'une danseuse de ce nom, aperçu dans la chambre de Bertie, le très inefficace fils de Van Alstyne. A partir de ces trois "Harrietta", les confusions possibles sont exploitées par une intrigue maline qui se voit sans déplaisir, même si le rythme du film est plutôt lent. Mais ce n'est pas grave: The saphead devient vite un écrin pour l'acteur Buster Keaton, qui se révèle ici d'une compétence qu'on ne pouvait pas soupçonner à la vision des films d'Arbuckle.

Le moment du film le plus célèbre voit "Bertie" se jeter sur tous les hommes présents lors d'une séance de la bourse pour leur racheter leurs parts de la mine, et les prouesses accomplies par l'acteur sont très impressionnantes. La façon dont il joue de son corps, ici, avec minutie, tout annonce la rigueur du plus grand comédien de tous les temps. Voilà, je l'ai dit. Quant à Blaché, il donne ici un travail très compétent, même si je doute qu'on aurait tant d'intérêt pour ce film si Keaton ne jouait pas dedans...

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Published by François Massarellil - dans Buster Keaton Muet Comédie 1920 **
23 janvier 2011 7 23 /01 /janvier /2011 17:42

Pour bien aborder le film le plus célèbre de Erich Von Stroheim, les précautions les plus élémentaires s’imposent. Rappelons tout d'abord ceci: Si Erich Von Stroheim s’est attelé en 1923 à une adaptation du roman McTeague de Frank Norris, ce n’est pas par volonté de changer son style, loin s’en faut.

On peut être surpris de voir l’auteur de The merry-go-round et de Blind Husbands s’attaquer à un roman Américain naturaliste, mais il s’agissait pour lui d’affirmer cette tendance de son cinéma, et de laisser libre cours à sa veine feuilletoniste en livrant un film-fleuve. Par ailleurs, il a souvent été dit, notamment à l'époque, que Stroheim a fait l’adaptation la plus servilement fidèle de toute l’histoire du cinéma, abandonnant toute originalité cinématographique au profit de la simple illustration. Ce n’est pas parce que des gens aussi importants à mes yeux que Lillian Gish ou Frank Capra ont proféré de telles âneries (Car ce sont des âneries, à n’en pas douter) qu’il nous faut les suivre. Il conviendra donc de se pencher un peu sur le roman, avant de s’attaquer à l’histoire de l’un des tournages les plus fascinants du 20e siècle (Pour moi, le plus fascinant, mais je vous laisse juges). On pourra rappeler l’histoire des versions, les légendes, l’histoire du montage de ce film, puis de sa reconstitution virtuelle, et enfin tordre le cou à quelques légendes tenaces et rumeurs aussi improbables que compréhensibles. Sinon, on se penchera sur le « texte » le plus paradoxalement légitime, la version de 1924, qu’après tout, on peut encore voir dans son intégralité (à condition d'en avoir une copie sous la main!), soit 131 minutes, avec ses manques et ses ajouts…

EPISODE 1 : Goldwyn dans la vallée de la mort. 

En prenant contact avec la compagnie Goldwyn à l’hiver 1922/23, Stroheim savait qu’il s’adressait à un indépendant, et son désir de travailler loin du système des studios en dit long sur sa frustration. Il n’était après tout pas encore cet artiste maudit qu’on nous dépeint souvent, et son remplacement à la Universal sur Merry-go-round était plus un accident de carrière qu’autre chose : les cadres de la compagnie Metro, sous l’influence alors très importante de son ami le réalisateur Rex Ingram, étaient prêts à lui faire une offre avantageuse. Il était un wonder-boy, ou plutôt un wonder-man, et le « coup » médiatique de Foolish wives (Dont il n’était pas responsable) était alors dans toutes les mémoires. Mais Stroheim voulait travailler pour lui seul, et l’accord passé avec Goldwyn lui garantissait de faire ce qu’il voulait, et de rendre sa copie à Goldwyn en vue d’une distribution, avec bien sûr le final cut, à condition que le film fasse une durée raisonnable. Certains proches de Stroheim ont prétendu que la possibilité de scinder le film en deux parties était une possibilité envisagée dès ce stade, permettant à Stroheim une plus grande liberté dans le montage.

Filmer McTeague revenait pour l’auteur du film à tourner à San Francisco, avec des acteurs peu connus, une version aussi complète que possible du roman de Frank Norris, célèbre pour sa peinture minutieuse et vacharde des petites gens de la ville au tournant du siècle, un roman d’inspiration naturaliste, sous une forte influence de Zola et dont les penchants symbolistes s’exprimaient dans une langue de tous les jours, encore fraîche et fabuleuse 100 ans après. Le livre est formidable, malgré quelques défauts, et Stroheim affirme l’avoir découvert à son arrivée aux USA, et avoir très vite (En 1909 à son arrivée? en 1915 quand il était "établi" dans le métier?) voulu en faire un film.

Le choix des acteurs, Gibson Gowland, Zasu Pitts et Jean Hersholt, ou encore Chester Conklin, était dicté par les habitudes et les théories personnelles du metteur en scène en matière d’interprétation: pas de stars, des spécialistes du burlesque (Pitts, Conklin), des figurants et seconds rôles aguerris à ses exigences (Dale Fuller, Cesare Gravina) et des acteurs les plus authentiques possibles (Hersholt est frappant de réalisme, mais Gowland est extraordinaire : on ne peut pas aujourd’hui, imaginer McTeague autrement que comme l’acteur Anglais l’a composé.) Zasu Pitts a un rôle difficile, puisqu’avec Trina, elle doit tenir une grande part du film à bout de bras, ce qu’elle n’a jamais fait auparavant. Les avis sont partagés, mais je pense qu’elle est imposante, malgré les deux caprices que lui a imposés l’auteur: une coupe de cheveux encombrante, décrite par Norris telle que vous pouvez la voir dans le film, et surtout un maquillage qui la fait ressembler à… Lillian Gish. Soit un stéréotype mélodramatique pour le toujours fleur bleue metteur en scène...

Pour le tournage, Stroheim choisit d’aller sur les lieux même du drame, investissant sur Polk Street un appartement qu’avait visité Norris dans ses repérages, filmant le plus souvent dans Polk Street même, et bien sûr, allant jusqu’à tourner le final du film (Situé dans le roman dans la vallée de la mort, alors totalement invivable) sur les lieux décrits dans le livre. Il va plus loin, et à partir de quelques paragraphes écrits par Norris pour donner un passé et une exposition à ses personnages, il construit une longue exploration des prémisses de son histoire, montrant la jeunesse de McTeague à la mine, parlant de l’arrivée à San Francisco, de la rencontre avec Marcus Schouler, montrant la vie des habitants de la maison à Polk Street en longueur: Stroheim est semble-t-il décidé à faire de McTeague, ou de Greed comme il s’appelle bientôt, un manifeste de la dimension romanesque au cinéma, et s’il puise en permanence dans le roman, il le continue, l’élargit, en comble les ellipses en permanence. Ce n’est jamais gratuit: les ajouts qu’il fait aux personnages, par exemple, vont aider des acteurs qui vont 9 mois durant incarner ces gens, et leur donner une vérité d’autant plus flagrante que le film est tourné en séquence: voir à ce titre l’étonnante transformation physique de Gibson Gowland au fur et à mesure du tournage.

La fin du tournage, à Death Valley, sera un paroxysme d’un rare violence dans l’histoire du cinéma : Stroheim, pour filmer ses deux acteurs en train de se battre, les poussait à se haïr, et aurait fini par leur dire de se taper dessus comme s’il l’avaient lui entre les mains: les deux acteurs n’en pouvant plus de tourner ce film se seraient alors roués de coups ultra-réalistes comme s’ils avaient eu Stroheim entre les mains… D’autres légendes abondent ; selon Jean Mitry, le tournage à Death Valley s’est déroulé sans incident majeur, mais le cameraman Paul Ivano a déclaré à Kevin Brownlow qu’un cuisinier serait mort lors de ces séquences. Après neuf mois intenses, Stroheim est donc rentré chez lui, et s’est attelé au montage, qui, on le verra ensuite, n’allait pas être de tout repos.

 Lire le roman avec une bonne connaissance du film, dans l’une des deux versions disponibles, nous permet d’emblée de voir que Stroheim n’a pas tout gardé. C’est vrai, le script du film est largement tributaire du roman, utilisant souvent les descriptions de Norris comme indications, mais les ajouts d’une part, et la différence de traitement des personnages, créent des différences essentielles: Norris n’aime pas ses personnages, aucun d’entre eux, et leur règle leur compte à coup d’adjectifs et d’adverbes en permanence: si McTeague s’assoit, c’est "stupidement", et personne ne trouve grâce aux yeux de l’auteur - surtout pas Trina. Mais le metteur en scène a su éviter cet écueil. Depuis le début de sa carrière, il a montré une tendresse évidente pour certains personnages, et pas pour Steuben (Blind husbands) ou Karamzin (Foolish Wives): Mr et Mrs Hugues, Franzi, les Armstrong… Ici, il semble que Stroheim ait voulu épargner Miss Baker et Grannis (Auxquels il va donner un final en Technicolor, aujourd'hui disparu), les deux vieux amoureux qui servent d’habile contrepoint à McTeague et Trina, chez Norris comme chez Stroheim, mais l’écrivain était assez ironique à leur égard; pas Stroheim. Trina est humanisée, et on en viendrait parfois à comprendre l’amour que lui témoignent deux des personnages, ainsi que la sympathie généralisée des voisins, du moins dans la première partie.

Enfin McTeague traverse le film certes sans grande intelligence, mais sans qu’on se moque trop de lui. Il inspire une certaine pitié, et on le suit avec intérêt. C’est, après tout, le héros de cette saga. Autre changement de taille, les délires naturalistes et antisémites de Norris sont envoyés aux oubliettes, sauf pour une mention du passé alcoolique de la famille McTeague dans un intertitre. En mettant de côté l'obsession antisémite, Stroheim évite l’insistance de Norris à identifier dans le personnage de l’immonde Zerkow, le brocanteur, un Juif aussi répugnant qu’avide. En natif de la communauté Juive de Vienne (Bien que ce ne soit pas su à cette époque) Stroheim a su ne pas tomber dans ce travers.

Voila, on l’aura compris, c’est beaucoup plus qu’une simple illustration, mais c’est une véritable appropriation à laquelle s’est livré Stroheim, déplaçant la chronologie (Le livre ne datait pas ses événements, mais le film se déroule explicitement de 1908 à 1923) afin de tourner le vrai San Francisco contemporain. Le résultat est pour moi sans appel: Norris a écrit un grand roman, mais Stroheim a fourni l’une des cinq ou six pièces maîtresses de l’histoire du cinéma. Au premier semestre 1924, il a terminé d’assembler sa copie, et l’a présentée à des journalistes. Tout allait bien, mais tels Blake et Mortimer rencontrant Olrik sur leur chemin quoiqu’ils fassent (Allons en Egypte… Damned ! Olrik ! Allons en Atlantide… Flute, Olrik ! Allons sur la lune, etc), eh bien Stroheim, lui aussi, a sa Nemesis : Goldwyn englouti par la Metro-Goldwyn, le directeur de production de la nouvelle firme était donc Irving Thalberg, dont l'opposition à ses projets ambitieux deux années auparavant était probablement encore un motif de fâcherie pour l'auteur... 

EPISODE II : trouble in Culver City

Les films Goldwyn, en 1923, s’étaient lancés dans deux productions qui allaient poser des problèmes : à part l’inévitable Greed, Ben-Hur (Sous la direction de Charles Brabin avant son remplacement par Fred Niblo) faisait monter le thermomètre, depuis Rome où les dollars coulaient à flot, mais sans obtenir de résultat conséquent. Ayant refilé les actifs de sa société à Loew’s Incorporated, propriétaire de la Metro, Samuel Goldwyn autorisait le recours au nom de sa firme et c’est ainsi qu’est née la Metro-Goldwyn, qui ne s’appelait pas encore -Mayer. Et la toute nouvelle société, propriétaire des kilomètres de pellicule impressionnés par Stroheim, n’avait pas de contrat moral avec lui, contrairement à Goldwyn.

Ceci explique pourquoi au moment de rendre son film à ses distributeurs, il se soit heurté à un mur; par ailleurs, lorsqu’ils lui demandaient de couper, couper encore, ils se sont eux aussi retrouvés face à un artiste déterminé, sûr de son bon droit, et qui avait passé un temps très long à peaufiner ce qu’il considérait à juste titre comme son chef d’œuvre… Tout cela n’encourage pas le dialogue. Depuis lors, relater cette affaire nous réduit généralement à choisir notre camp. Selon moi c’est impossible. Si j’admets, à la suite de Patrick Brion (Très partial, il n’a jamais caché son admiration pour l'organisation de la MGM), qu'Irving Thalberg n’est pas le diable mais une sorte d’artiste qui a parfois été amener à trancher dans le vif afin de sauvegarder les intérêts de la firme, et un pragmatique qui savait que Greed serait un désastre commercial sous une forme trop longue, je pense qu’il y avait entre les deux hommes un contentieux particulièrement affirmé, et que Thalberg n’aimait pas Stroheim, ni ses films. Sinon, bien sûr, rien ne peut justifier totalement la perte de l’œuvre. 

La version montée par Stroheim au début de 1924 totalisait 42 bobines, soit environ 9 heures de projection. C’était la version de travail, et seuls une poignée de personnes l’ont vue. Elle comprenait les épisodes suivants, si l’on en croit les fascicules et ouvrages reprenant le scénario/découpage publiés de façon posthume: 

-A Big Dipper, au nord de la Californie, on voit la jeunesse de McTeague, son manque total d’ambition qui contraste avec la volonté de sa mère. De nombreux passages sont développés autour d’une description de la vie, puis du décès, du père alcoolique. Suite au décès de son père, le film se concentre sur l’apprentissage du héros: poussé par sa mère, McTeague suit le dentiste Potter et devient son assistant. Il affirme sa peur des jeunes femmes lors d’une opération, où il déclare forfait.

-A San Francisco, John McTeague s’installe à Polk Street, et y fait la connaissance de Marcus Schouler. On nous présente en plus les autres habitants de la résidence : Charles Grannis, le vétérinaire, patron de Marcus; Miss Baker, sa voisine; Maria Miranda Macapa, la femme de ménage Mexicaine qui traîne sa folie partout en volant tous les objets qui passent à sa portée; Et enfin Zerkow, le brocanteur obsédé par les histoires de Maria qui prétend avoir servi une famille qui possédait un trésor fabuleux, aujourd’hui enterré. Grannis et Baker, de leur coté, et Maria et Zerkow, de l’autre, vont former des « couples » dont les histoires vont servir de contrepoint au développement du triangle principal McTeague/Trina/Marcus.

- Stroheim passe ensuite du temps sur la rencontre de Mac avec Trina : Marcus l’amène pour soigner une dent endommagée (Les circonstances de l’accident auraient été filmées par Stroheim). McTeague surmonte sa peur des jeunes femmes et tombe amoureux de la fiancée de son ami. Il l’embrasse lorsqu’elle est sous anesthésie. C’est lors de la première visite chez le dentiste que Trina achète à Maria un ticket de loterie pour se débarrasser d’elle. 

-Les discussions entre Schouler et McTeague vont bien vite tourner autour de Trina: Marcus laisse son ami devenir le prétendant de la jeune femme: un geste qu’il regrettera toute sa courte vie. 

-Le dentiste mène une cour gauche et comique à Trina, avec des pique-niques, sorties diverses, soirées. 

- Trina n’arrive pas à se décider si elle aime ou non le docteur, et s’en ouvre auprès de sa mère. 

- A l’issue d’un soirée passée par McTeague en compagnie de la jeune femme et de sa famille, Trina revient à Polk Street pour y passer la nuit. Elle y apprend avoir gagné $5000 à la loterie avec le billet que Maria lui avait vendu. Elle prend la décision de se marier. La suggestion en est d’ailleurs faite par Marcus, manifestement amer… 

-Trina place $5000 dans la société de son oncle, ce qui lui assure une rente confortable. 

-La tension monte entre Marcus et McTeague, et culmine lorsque Marcus tente de poignarder le dentiste au saloon de Joe Frenna. 

-Le mariage est décrit parallèlement à un enterrement dans la rue. 

-Zerkow demande Maria en mariage, et celle-ci accepte. 

-Les premiers mois du couple sont montrés à travers des anecdotes mettant en valeur l’avarice grandissante et la tendance à la dissimulation de la jeune femme qui ment sans scrupules à Mac pour économiser de l’argent derrière son dos. 

- Marcus et McTeague continuent à s’opposer, notamment au cours d’une partie de lutte qui dégénère lors d’un pique-nique. 

-Un épisode assez long montre la parade de Polk Street, filmée avec le renfort de la population, et durant laquelle Marcus se fait remarquer à cheval en tant que membre du service d’ordre. 

- Marcus dénonce le charlatan McTeague aux autorités, avant de partir pour se lancer dans l’élevage de bétail : avant que la lettre qui intime l’ordre à McTeacue de cesser ses activités n’arrive, Marcus vient donc hypocritement faire ses adieux au couple. 

-Suite à l’injonction, les McTeague doivent vendre tous leurs biens aux enchères : un épisode au cours duquel on remarque Maria qui vole l’argenterie d’une part, et Grannis qui rachète la photo de mariage de Trina et Mac afin de la leur offrir.

- Grannis et Mrs Baker, officiellement mis en relation lors de la vente aux enchères, se marient. 

-Maria perd son nouveau-né, difforme et rejeté par le père, au cours d’un passage déjà très odieux chez Norris. 

- Maria et Trina sympathisent et passent de plus en plus de temps ensemble. 

- Zerkow est de plus en plus violent avec sa femme qui refuse désormais de lui raconter les anecdotes sur son passé fortuné, et celle-ci s’en ouvre et s’en plaint auprès de Trina. Finalement, Zerkow tue Maria, et se suicide. Trina, qui a découvert le corps de la femme de chambre, en reste traumatisée. Néanmoins, elle va insister pour habiter dans le taudis de Zerkow laissé libre. 

- McTeague sombre dans l’alcoolisme, ce qui a pour effet de provoquer chez lui ses accès de violence, dont bien sur Trina est de plus en plus la victime. En même temps, on continue à être témoins de l’avarice de plus en plus grave de la jeune femme. 

-Le couple finit de se désagréger suite à la décision de McTeague de partir en emportant les économies de sa femme.

-Trina décide de reprendre les $5000 qu’elle a placés, afin de pouvoir les avoir près d’elle. 

- McTeague retrouve Trina devenue femme de ménage afin de lui demander de l’aide, et l’assassine.

- McTeague prend la fuite, en emportant l’argent de sa femme et retourne à Big Dipper, ou il rencontre un chercheur d’or.

- McTeague méfiant fuit ensuite dans la vallée de la mort, bientôt rejoint par Marcus. 

En plus de cette continuité, un certain nombre d’objets servaient de « petits cailloux », de balises chères à l'auteur de Foolish Wives: La grosse dent dorée, enseigne de McTeague qu’il convoite et que Trina lui offre, avant qu’elle devienne un symbole de sa déchéance lorsqu’il la revend à un dentiste pour une bouchée de pain. La cage de McTeague, qui a trouvé un oiseau au début du film, cet oiseau (Ou d’autres canaris, après tout plusieurs années passent) le suit à Polk St. Au moment du mariage, le canari a un compagnon. Cette cage est convoitée par un chat errant lors de la trahison de Marcus. le seul oiseau survivant suit McTeague dans Death Valley et meurt , laché par le dentiste, sur le sac d’or. La photo de mariage, qui subit des dégradations au fur et à mesure, avant d’être déchirée par Trina lorsque Mac la quitte. Par ailleurs Grannis l’a récupérée lors de la vente aux enchères, juste avant de commencer sa cour à Miss Baker: l’objet permet le passage de témoin.

Autre passage de témoin basé sur des scènes récurrentes: Les conversations entre Maria et Zerkow, qui mèneront à leur mariage, puis à la violence grandissante entre eux, puis Trina prendra la place de Maria et deviendra à son tour une femme de ménage à demi-folle et délabrée. Tous ces aspects justifient la forme longue, mais devant l’impossibilité d’exploiter une telle version, Stroheim coupera une version de 5 heures (24 bobines), qui est celle qu’il présentera à la MGM. Là, on lui expliquera qu’il est impossible d’exploiter le film, même en deux parties. Il confiera la tâche de couper le film plus avant à son ami Rex Ingram, qui rendra sa version de 18 bobines à Stroheim en lui disant, selon la légende : « Si tu coupes un pied de plus, je ne te parlerai plus jamais. » . Il est à peu près certain que Rex Ingram, pour faire de la place, aurait coupé dans la première partie (au nord de la Californie) et aurait éliminé le personnage de Zerkow et son meurtre.

Sa version sera refusée : la MGM ne veut pas dépasser les 10 bobines, et après une tentative de remontage (14 ou 16 bobines) par June Mathis, qui tentait de rendre un peu plus commerciale la version de Rex Ingram, avec parait-il l’aval de Stroheim, c’est finalement le monteur Joe Farnham qui a rendu la copie définitive du film, à l’automne 1924. Cette version sortie en décembre a été, relativement, un échec, même si l’admiration des Européens pour le metteur en scène a joué en la faveur du film, et même si son prestige n’a absolument pas été atteint.

La consultation des historiens nous permet ici deux notes additionnelles: Jean Mitry prétend avoir vu la version de June Mathis, d’environ 4 heures, au studio des Ursulines (Avant-Scène Cinéma n°83/84, 1968). Officiellement la version Mathis n’a jamais été distribuée ni montrée hors du studio à Culver City, donc mettons ça sur le compte des fantasmes. Maurice Bessy a de son coté prétendu (Dans son ouvrage Stroheim, chez Pygmalion) que les chutes de l’histoire Baker/Grannis auraient fourni la matière à un court métrage sorti en 1925. Difficilement vérifiable, on ne trouve pas d’autre trace de ce petit film, mais le fait qu’il y ait des séquences en Technicolor (ce que prouve la reconstruction 'photo' de 1999) rend l’hypothèse logique: la société Technicolor conservant des droits sur les films auxquels elle participait, elle pouvait très certainement imposer la confection d’un tel court métrage afin d’éviter la perte sèche des quelques plans de couleur qui s’y trouvaient. Quiconque mettrait la main sur ce petit film, qui reste une hypothèse, aurait assurément un (petit) fragment du puzzle de Greed entre les mains….

Autres éléments du puzzle, les quatre tentatives de reconstruction qui se sont succédées: en 1968, la revue l’Avant-scène a publié une version du scénario, qui a ensuite été publiée chez Faber & Faber en langue Anglaise. Les deux versions présentent des différences, notamment dues à la plus grande fidélité de la deuxième au script de Stroheim. Herman Weinberg a publié en 1972 une reconstitution sous la forme d’un album de photos, plein de spéculations personnelles d’un goût douteux. En 1999 le reconstructeur (spécialisé en projet pharaoniques) Rick Schmidlin a mélangé une copie Turner de 1924 avec des photos de tournage et des intertitres dans le but de reconstruire le film au plus près de la version voulue par Stroheim, en ayant le plus souvent recours au livre (De Norris) comme fil conducteur. Cette version vidéo a été commanditée par TCM, et fait plus ou moins figure de version officielle aujourd’hui. Reste maintenant à comparer ce qui est comparable… et à lire quelques bêtises sur le film.

EPISODE III: The man who cut my film had nothing on his mind but a hat

Le saint Graal du cinéphile moyen, la version « complète » de Greed est un mythe, un symbole difficile à cerner, et bien sûr la source d’un grand nombre de fantaisies: Jonathan Rosenbaum dans son excellente monographie Greed (BFI Classics, 1993) cite  avec humour la rumeur insistante selon laquelle un magasinier de la MGM, tombant un jour sur des trentaines de bobines d’un film nommé McTeague, les aurait immédiatement brûlées, en raison du risque qu’elles représentaient d’une part, et dans la mesure ou il ne les identifiait pas comme des extraits d’un film connu. Cette anecdote, évidemment fausse à tous points de vue (La première version soumise par Stroheim s’appelait déjà Greed) sert en tout cas à rappeler le goût de désastre laissé à tous les amoureux du cinéma par la perte du film, et souligne aussi la raison principale de la destruction des chutes: pour un studio comme la MGM, qui conservait ses films et a même fait un travail remarquable en ce sens, conserver un paquet de 40 bobines, toutes aussi inflammables, était trop risqué, et par conséquent conserver les chutes, aussi juteuses soient-elles, mettait en danger les entrepôts de façon injustifiable. Rares sont les films des années 20 dont des chutes ont été conservées…

Rosenbaum, encore lui, divise l’œuvre en trois : il distingue le roman (The Norris text ), la version souhaitée par Stroheim (The Stroheim text) et bien sur la version sortie et connue (The MGM text). Selon lui, seules une poignée de personnes auraient vu le « texte » de Stroheim, mais l’un des rares dont on sache de source sure qu’il l’avait vu, Harry Carr, a toujours rapporté le choc émotionnel ressenti lors de ce visionnage. Malgré tout la machine à dire des fadaises a fonctionné à plein régime, il suffit de rappeler les faux souvenirs de Jean Mitry, rapportés plus haut. Rosenbaum peut aussi rappeler les «souvenirs», relatés dans un documentaire montré en 1992, de Samuel Marx, un vétéran du département des scénarios à la firme du Lion : «Greed, une fois fini, faisait environ 70 bobines – ou quelque chose comme ça, je n’ai jamais su le chiffre exact (Sic). J’ai croisé des gens qui l’ont vu en entier, ça prenait trois ou quatre jours, et ils pensaient que c’était fabuleux. Mais Mayer et Thalberg ont choisi de le couper à 12 bobines (Re-sic)». On comprendra les difficultés que nous avons aujourd’hui à appréhender ce film, lorsque l’on lit ce qu’en on dit les contemporains.

Outre les fadaises sur la longueur et les inexactitudes des versions, la principale source d’erreur est due à la proximité du roman. Kevin Starr, le responsable de l’(Excellente) édition de McTeague parue chez Penguin en 1982, disait en substance ceci: «Stroheim avait trouvé le roman si «cinématique», qu’il choisit de le filmer page par page, dans un effort pour traduire l’intention épique de Norris sur l’écran.» Le vieux démon des littérateurs de tout poil: une bonne adaptation est une adaptation qui se contente d’illustrer le livre. Or il n’en est rien : la vision des 130 minutes de la version MGM le prouve, Stroheim a ajouté des scènes cruciales, et , on l’a vu, des sentiments. Ne nous appesantissons pas là-dessus. Plus graves, les remarques de Lillian Gish, Frank Capra ou encore Howard Hawks, la première disant ne voir aucun talent dans le fait de prendre un livre et le filmer platement, le deuxième prétendant que le film s’était fait tout seul, Stroheim étant décrit comme une sorte de fou que personne n’écoutait sur le tournage, et le troisième émettant des doutes sur le manque de professionnalisme du tournage de Greed. Bien sur, les deux réalisateurs ont, de leurs propres dires, été amenés à traîner sur le tournage, et y ont tout vu. Il n’y avait sans doute pas beaucoup de travail à Hollywood en ce printemps 1923 pour que des accessoiristes et scénaristes débutants comme ces deux futurs géants soient réduits à trainer sur les tournages...

Ce qui reste, ce sont les deux versions disponibles, la TCM de 4 heures, mélange de la version sortie et de photographies, prenant exemple sur la reconstitution de London after midnight (Autre film mythique et perdu de la MGM relaté par des photos de tournage seulement, et les insertions de documents fixes dans les versions restaurées de Queen Kelly, de Metropolis ou de Napoléon). Avec Greed, le recours à 100 mn de photos, insérées dans les scènes déjà existantes crée un précédent spectaculaire, et l’ensemble est très facile à suivre, tant les photos prises sur le tournage sont belles et révélatrices.

La reconstitution s’imposait, et celle-ci fonctionne d’autant plus qu’elle est basée sur les travaux précédents, notamment les diverses versions du script/découpage, qui toutes avaient fait l’effort d’intégrer au corpus des scènes décrites par Stroheim avant tournage les scènes de la version effectivement sortie. Le résultat est constamment intéressant, et à environ 4 heures il fait partie de ces films dont on peut dire comme d’un roman qu’on n’a pas envie de le lâcher, et donc il se voit d’une traite.

Quatre constatations s’imposent toutefois: si pour la première partie et pour l’histoire de Zerkow et Maria on mesure l’importance des coupes, il me semble plus contestable d’essayer de réintégrer certaines micro-coupures dans des séquences qui fonctionnent très bien dans la version définitive : la scène du ticket gagnant, par exemple, ne bénéficie pas vraiment des ajouts de la version de Schmidlin. Les intertitres sont bien sûr nombreux : les images étant fixes, un minimum de description s’imposait, mais le recours au texte de Norris s’avère encombrant parfois. Il était motivé dans la version MGM par les trous béants de la narration, comme lorsque McTeague embrasse Trina endormie: privés de la mort du père, et de la crainte de Gibson Gowland devant les clientes du dentiste lors de scènes qui ont été tournées, mais coupées, on avait besoin d’un intertitre pour justifier son embarras. Ici, on n’en a plus autant besoin… Le recours de Stroheim lui-même à Norris dans son scénario s’imposait par sa façon de travailler, mais on a vu qu’il s’est parfois obligé à remplir les vides du roman, trouvant le plus possible des solutions visuelles là ou les mots s’avéraient insuffisants. Son refus du flash-back initial est la preuve d’une volonté de donner à voir, inhérente à sa raison profonde de faire ce film.

Par ailleurs, que reconstitue réellement ce film ? Les intentions de Stroheim, oui, mais quelle version aurait eu son approbation ? On ne le sait pas et on ne saura jamais ce qui figurait par exemple dans sa version de 5 heures. Cette version de 1999 ne s’est pas fixé comme objectif de redonner au monde la vision de Stroheim, mais de montrer de façon pédagogique l’avancée considérable de l’auteur en matière de narration cinématographique.

A coté de cette version si fêtée, le Greed original de 1924, qu’un intertitre gonflé annonce comme étant « Personnally directed by Erich Von Stroheim » fait pale figure, mais c’est dommage : il faut garder en un coin de notre mémoire ce film qui durant deux heures et dix minutes nous captive, et restitue sinon la lettre de l’interprétation des acteurs, du moins l’esprit. Cette version, nous l’avons vue, elle fonctionne. Lorsqu’enfin Warner se décidera à sortir ce film en DVD, Blu-ray ou 4K, il faudra les deux versions. Même privée de nombreux épisodes, cette version raccourcie est riche en moments forts, en émotions, et restitue la plus belle des performances du film, celle de Gibson Gowland.

Elle a, après tout, été considérée comme l’un des meilleurs films au monde, et telle qu’on peut la voir, elle nous restitue certains des traits de génie de Stroheim, ses rues de San Francisco peuplées de figurants, ses décors criants de vérité, son mystérieux messager du destin (Lon Poff) qui apporte les $5000 à Trina, avec son pansement sur la joue, ses séquences quasi-intactes (Le mariage, la vallée de la mort…) Ne la chassons pas de nos souvenirs, elle pourra resservir. Une comparaison entre les deux permet de montrer ce qui a été supprimé de façon si honteuse, notamment toute la performance de Cesare Gravina (Dont il est vrai que de tous les cabotins du muet, il fut le pire) en Zerkow. Le prologue, les délires de Trina après la mort de Maria manquent cruellement aussi. Le recours aux jalons, les leitmotivs et les « petits cailloux » sont partiellement maintenus (La photo de mariage, l’évolution de la "tiare" de cheveux de Trina, ou encore la dégradation de sa tenue) mais le recours par Schmidlin de la répétition de certains leitmotivs (Les mains maigres qui tripatouillent de l’argent, etc) n’est pas forcément justifié par le scénario. Mais une fois de plus, le scénario ne représentait que le cahier des charges avant le tournage.

Voilà, le film est sorti en 1924, et on a tout essayé à l’époque pour le rendre plus « Public-friendly » : des publicités ont parait-il essayé d’attirer les dentistes. Pour ma part, il m’est impossible d’aller chez le dentiste sans y penser…  En tout cas, cela n’a pas marché, mais ça n’a pas entamé trop le crédit de Stroheim auprès des professionnels puisque en raison de son contrat avec Goldwyn, la MGM lui a confié une nouvelle tâche : une adaptation de La Veuve Joyeuse. Dans l’esprit de Thalberg, c’était une concession, mais dans celui de Stroheim, c’était un affront. Laissons la parole à Von Stroheim au sujet de la mutilation de son film : « L’homme qui a coupé mon film n’avait sur (Dans) la tête rien d’autre que son chapeau. » Je ne sais pas s’il parlait de Joe Farnham, ou de Irving Thalberg.

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Published by François Massarelli - dans Erich Von Stroheim Muet 1924 **
29 décembre 2010 3 29 /12 /décembre /2010 17:43

Venir à Marcel L'Herbier, c'est quelque chose de difficile: le bonhomme a bien réalisé L'argent (1928), disponible en DVD, qui est un très grand film. Mais à coté, on peut aussi voir le fadasse mélo Eldorado (1921), le très "artistique" (n'est-ce-pas) Homme du large (1920) rassemblés dans un luxueux coffret, ou encore le lourdingue Diable au coeur de 1926, édité en même temps qu'un (beau) livre sur le cinéaste. Pire, dans les années 80, on a "redécouvert" suite à sa restauration le film L'inhumaine (1923), sans doute le film le plus prétentieux du muet.

Pour toutes ces raisons, c'est avec une certaine appréhension qu'on attendait la résurrection de Feu Mathias Pascal (1925), le film dans lequel L'Herbier adaptait Pirandello en compagnie de l'immense acteur Ivan Mosjoukine; ce dernier, probablement le seul monstre sacré du cinéma muet Français, est génial quoi qu'il fasse, et son contrat d'exclusivité avec la société Albatros obligeait L'Herbier à partager la production de son film: le résultat est un miracle, non seulement le meilleur des films de L'Herbier devant L'argent, mais aussi l'un des plus beaux films Français de l'époque muette.

Mathias Pascal (Mosjoukine), un jeune homme fantasque épris de liberté, épouse presque par hasard Romilde (Marcelle Pradot). Ce faisant, il abdique toute liberté et souffre du manque d'affection de son épouse et de la haine de sa belle-mère. Le jour ou la mère, mais aussi sa fille meurent, il prend la fuite, s'arrêtant au hasard à Monte-Carlo, ou il devient riche en jouant une nuit entière à la roulette. Reparti au pays, il apprend qu'il est censé être mort, un cadavre anonyme ayant été repêché en son absence... Il repart pour Rome, déterminé à profiter de cette nouvelle liberté qui lui est offerte sur un plateau.

178 minutes à suivre les égarements de Mathias Pascal, cela peut sembler excessif à l'heure ou le moindre film dépassant les deux heures se voit obligé de multiplier les morceaux de bravoure numériques, et pourtant il n'ya pas le moindre problème: ce film se boit comme du petit lait. L'Herbier est célèbre pour avoir tendance à confier plus de responsabilité à ses décorateurs (Mallet-Stevens et Autant-Lara sur L'Inhumaine, par exemple) qu'à ses acteurs, mais là il a su faire une exception; si le cadre utilise à merveille les décors de Lazare Meerson (Dont c'était le premier film), les acteurs font mouche. On reconnaitra, outre Mosjoukine et l'Américaine Lois Moran (Qui joue Adrienne, la jeune femme dont Pascal tombe amoureux dans la deuxième partie), Michel Simon dans un de ses premiers rôles, mais aussi Pauline Carton, des années avant ses splendides compositions pour Guitry. Mais évidemment, la principale attraction, c'est Mosjoukine: L'Herbier n'imaginait pas un autre Mathias, et c'est tant mieux. On n'ose imaginer s'il avait suivi son coeur et confié le rôle à l'infect cabot qui encombre tous ses premiers films, Jacque-Catelain, qui possèdait autant de charisme qu'une éponge. Mosjoukine se joue des transitions entre le drame et l'humour noir particulièrement important dans lequel le film baigne, et fait penser par sa science gestuelle et son impressionnante présence aux acteurs burlesques du muet, Chaplin et Keaton en tête; L'Herbier a d'ailleurs le bon goût de laisser sa caméra à distance, comme l'aurait fait Keaton, notamment dans les premières scènes Romaines de liberté, lorsque Pascal renconrtre Adrienne, et qu'il "danse" un étrange ballet avec la jeune femme. Ailleurs, il laisse le rêve prendre le pouvoir, donnant libre cours à son extravagance naturelle, qui se combine sans aucun problème à l'excentricité de Mosjoukine: en particulier, la scène durant laquelle Mathias Pascal se voit agresser le fiancé d'Adrienne, tournée au ralenti, est un savant mélange de comique et de quasi-surréalisme. Néanmoins, le cinéaste ne cède pas totalement à l'humour noir du sujet, et explore deux motifs avec une vraie intelligence: dès la scène du début ou, parti pour demander pour son meilleur ami la main de Romilde, Pascal se voit tout à coup fiancé, il sent que son moi lui échappe. Cette dualité va être soulignée, souvent avec humour (les deux chats "embauchés" dans la bibliothèque, pour chasser les rats) dans le film, mais aussi jusque dans le drame: les deux morts simultanées de la mère et de la fille, ou encore le numéro de duettistes de Romilde et sa mère... A l'heure de découvrir sa "mort", Mathias se dédouble littéralement sous nos yeux, et son "fantôme" reviendra périodiquement le hanter. Paradoxalement, en lien avec cette dualité, le film explore l'aliénation terrifiante dont est victime Mathias Pascal, et il se révèle souvent que le jeune homme abandonne non seulement son identité, mais aussi toute existence: privé de son nom, il ne peut faire aboutir aucune démarche, et sait qu'il ne pourra pas se marier, ni vivre heureux. En abandonnant son nom, il a cru trouver la liberté, mais il a en fait tout bonnement cessé de vivre...

On ne remerciera jamais assez Arte de nous donner à voir des films muets au moins une fois par mois, mais il faut reconnaitre que la potion n'a que rarement été aussi agréable: ce Feu Mathias pascal, est tout simplement un film essentiel, toutes époques confondues, et pourvu que la re-découverte des films de Mosjoukine se poursuive!!

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Ivan Mosjoukine Albatros 1925 **
27 décembre 2010 1 27 /12 /décembre /2010 17:43

La naissance du western? Non: le western est né en même temps que le cinéma, seulement les unités nombreuses et de talents divers qui tournaient des films de 2, 3 ou 5 bobines pour la Universal, la Bison 101, ou Ince dans les années 10, dont celle de John Ford et Harry Carey, faisaient des westerns certes, mais c'étaient des films contemporains. le grand apport de ce Covered wagon épique, c'est dans le fait d'avoir choisi de relater une migration historique (1849, le départ de caravanes de chariots vers l'ouest, et le territoire de l'Oregon, et ce qui deviendra l'état de Washington), qui fait du film quelque chose de nouveau, et qui ne disparaîtra pas du western à partir de ce moment: The covered wagon va créer un sous-genre du western de luxe sans jamais en avoir eu l'intention, et John Ford (The Iron Horse, 1924; Three bad men, 1926), puis Raoul Walsh (The big trail, 1930) vont s'engouffrer dans la brèche.

On aimerait bien sur, tant le film est sympathique, dire que c'est non seulement la matrice de tous ces films de pionniers, mais aussi le chef d'oeuvre, mais on en est loin. Les défauts du film sont dans le parti-pris de la Paramount de mettre en valeur une histoire de mélodrame traditionnel dont J. Warren Kerrigan et Lois Wilson sont les héros: Will Banion, l'un des pionniers qui mène la caravane, a beau être un cowboy au grand coeur, amoureux de la belle Molly, il est aussi un homme dont le passé recèle une tâche qui le rend infréquentable: il a été chassé de l'armée pour avoir volé du bétail, et c'est ce que se plait à lui rappeler Sam Woodhull (Alan Hale), son concurrent pour le coeur de la belle Molly. les deux hommes possèdent un autre point commun: ils sont tous les deux en charge d'une partie de la caravane. Cette histoire tend à prendre de la place dans le film, et est partiellement rachetée par les amis de Banion, interprétés par Ernest Torrence et Tully Marshall, qui rivalisent de crachats, scènes de saoulerie et peaux de bêtes pour imposer la vision d'un ouest rugueux et traversé de personnages picaresques. Ford saura retenir la leçon.... Sinon, le film se concentre sur le parcours de la caravane, en deux camps (L'un conduit par Banion, et l'autre par Woodhull, afin d'empêcher les bagarres, les deux hommes préfèrent rester éloignés l'un de l'autre) vers l'Oregon, et comment à un moment crucial la caravane doit se scinder en deux, dans le sens de l'histoire: vers l'Oregon pour aller cultiver la terre, ou vers la Californie pour aller chercher de l'or.

Cette dualité insistante, symboliquement répartie autour de Molly dont le père se trouve être le chef de toute l'expédition, est une allusion claire des auteurs aux choix qui attendent les pionniers dans leur parcours, choix quotidiens entre la survie et l'aventure, l'or ou l'agriculture, tuer son ennemi ou l'épargner... Les réponses sont multiples, et le film se garde bien de trop moraliser. Disons que si Banion reste vertueux (et se rachète, grâce à l'intervention, à l'Est, d'un jeune avocat promis à un bel avenir, un certain Abe Lincoln), ses deux copains, trappeurs et hommes des plaines, ont la gâchette un peu plus chatouilleuse...

Le film est empreint, en dépit de son intrigue un brin envahissante, d'un style documentaire assez fascinant: bien sûr, tout ceci est de la fiction, mais les grands espaces qui forment le décor du film sont encore vastes en 1923, et il a fallu amener tous ces chariots, ces bêtes et ces gens, et la photographie splendide de Karl Brown a su capter quelque chose d'authentique. Si le drame n'est pas à proprement parler transcendant, Cruze sait à divers moments créer une véritable tension, un souffle épique qui manque au reste de la production: voir à ce sujet le montage époustouflant du début de la chasse au bison, qui alterne des plans des bisons (ils ne sont qu'une vingtaine, on n'a sans doute pas besoin d 'expliquer pourquoi...) qui s'approchent, et des pionniers qui s'apprètent à les chasser. Ernest torrence, torse nu, avec son arc, a doit à quelques gros plans, et l'ensemble est dynamiques. D'autres gros plans des protagonistes sont utilisés de façon très convaincante, qui renvoie Griffith et son gros plan détaché du contexte aux paquerettes: le film ne décroche finalement jamais de son fil narratif, et ne décroche jamais pour des digressions lyriques...

Avec ses qualités et défauts, le film a au moins l'avantage d'être le premier western épique, et bien sur, sa descendance plaide pour lui. mais s'il fallait choisir entre lui et son petit frère de l'année suivante, The iron horse, le choix est trop facile. Kerrigan dans l'un de ses derniers rôles est un bien piètre concurrent pour O'Brien, et les 150 minutes du film de Ford s'avalent toutes seules. Néanmoins, ce grand-père du genre a bien le droit qu'on lui témoigne du respect, à plus forte raison parce que ce n'est pas tous les jours qu'on peut le voir.

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Published by Allen john - dans Muet Western 1923 James Cruze **