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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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4 avril 2017 2 04 /04 /avril /2017 15:25

Sorti en 1924 sous le titre America or love and sacrifice, cette grosse production avait hérité du titre Français, supposé plus explicite, de « Pour l’indépendance ». L’ironie, c’est que derrière cette rare intrusion du prestigieux cinéaste presque quinquagénaire dans l’histoire sacrée de la Révolution Américaine, se cache la dernière tentative de sauver son indépendance et son statut de père du cinéma Américain. C’est raté ; 1924 est une très grande année : sortie de classiques immortels (Greed, Thief of Bagdad, The marriage circle, The iron horse) , réalisation de grandes œuvres (The gold rush) et aussi la création de la MGM , qui éclaire d’un jour nouveau l’économie et le mode de production du film US. Entre l’affirmation d’un art de metteur en scène voulu par Griffith, et la toute puissance du système de production dans lequel le « director » est un employé, l’histoire a tranché. Bien sur, d’autres auteurs ont réussi à maintenir leur position, tels Chaplin ou DeMille, mais Griffith était déjà dans une position délicate depuis trop longtemps. Qui plus est, comparé à la concurrence, son film ne tient pas la route…

Griffith se lance donc dans un quitte ou double qui doit lui permettre de redorer son blason : depuis Orphans of the storm, aucun film n’a marché, et ceux qui auraient eu des chances de rapporter des sous ont vu leur budget alourdi par des dépenses imprévues : on l’a beaucoup dit, et cela pourrait être vrai :la nouvelle vedette de Griffith, Carol Dempster, a exigé de son mentor un final grandiose pour un petit film (One exciting night), afin de se voir traitée à l’égal de Lillian Gish… le budget a ainsi explosé, rendant tout bénéfice impossible pour ce qui était à la base une petite comédie à suspense. Dempster, dont Griffith s’obstinait à vouloir faire une star, est de retour ici, avec un ensemble d’acteurs parmi lesquels le seul vétéran vraiment visible est le grand Lionel Barrymore. Sinon, Neil Hamilton et Louis Wolheim pour s’en tenir aux noms connus, sont de la partie. Le bon vieux Bitzer est toujours là, mais il n’est que l’un des opérateurs. Sinon, le scénario est crédit à l’écrivain Robert Chambers (Ce n’est pas un énième pseudonyme de Griffith) et pourtant, l’histoire de ce nouveau film est un ensemble de scènes recyclées de Intolerance, Birth of a nation, et Orphans of the storm.

Le but officiellement poursuivi par Griffith est commémoratif : donner à voir aux spectateurs Américains un album d’image, tourné en Nouvelle-Angleterre, des grandes dates de la guerre d’indépendance, rassembées en une histoire typiquement griffithienne : en Virginie, une famille « Tory » (Loyale à l’Angleterre), les Montague, assiste à l’éclosion d’une rebellion, dont l’un des membres, le jeune Nathan Holden (Hamilton), est amoureux de la jeune Nancy Montague (Dempster). Les Montague, par ailleurs amis de George Washington, restent volontiers loyalistes, jusqu’ à ce qu’un certain nombre d’incidents les poussent à changer de camp : le jeune Charles, d’abord, va rejoindre les rebelles, après avoir assisté à une répression sanglante (Réminiscente de Intolerance). Nancy choisit le camp rebelle par amour, et le père Montague réagit après avoir été témoin du comportement ignoble des soldats loyalistes acoquinés avec des Indiens (A la façon du père Stoneman, qui professe l’égalité durant tous le film, mais s’indigne des demandes extravagantes de Sylas Lynch dans Birth of a nation). Le film est noyé sous les intertitres, qui redondent à tout va, explicitent et didactisent, et excusent un certain nombre de choses. Afin de ne pas s’aliéner le public Anglais, Griffith a par ailleurs un réflexe malheureux, renvoyant l’essentiel des combats menés au nom du roi à la responsabilité d’un groupe de renégats menés par le capitaine Butler (Barrymore) présenté souvent comme une être aux passions débridées : on devine que l’homme ne déteste pas ajouter des squaws à son ordinaire ; ses hommes font pire : ils se déguisent en Indiens pour commettre leurs forfaits. Pour un peu, on croirait à la vision du film que cette guerre d’indépendance a été principalement un combat pour la pureté de la race… Fâcheux coup pour la célébration de la naissance des idéaux politiques démocratiques Américains, passés à la trappe. Sinon, les images d’Epinal sont là, la reddition de Cornwallis à Washington, la prière de Washington à Valley Forge sur un tapis de neige, la chevauchée de Paul Revere… ce sont les plans les mieux composés du film. Les scènes de bataille retrouvent la lisibilité légendaire de Naissance d’une nation, et Griffith ayant posé une famille comme principal vecteur de son histoire peut laisser libre cours à son motif favori : la maison assiégée. La meilleure séquence du film voit ainsi Barrymore et ses soldats s’inviter chez les Montague, et envahir la maison ou les orgies et beuveries vont se succéder. La vertu de Nancy Montague, convoitée par le Capitaine Butler, devient ainsi l’enjeu de la lutte, lorsque Nathan Holden s’introduit dans les lieux pour déjouer les plans des ses ennemis. Cette scène est aussi un rappel de Four horsemen of the apocalypse, en moins efficace : on se souvient de ce manoir pris d’assaut par les soudards Allemands menés par un Wallace Beery en répugnant officier prussien. Mais dans le film d’Ingram, il n’y avait pas cette menace de viol, un trait décidément ultra-Griffithien. A ce sujet, Dempster, l’héroïne que tous convoitent, n’est pas mauvaise, contrairement à la légende. Son visage particulier et ses yeux étranges lui donnent une allure intéressante, et lors d’une scène avec Barrymore, elle joue beaucoup de sa présence corporelle (Elle était danseuse). La scène de la mort d’un proche est jouée avec une sincérité inattendue et de vraies larmes, ou en tout cas ce qui y ressemble… Une autre scène située à la fin du film voit les héros réfugiés dans un fort, envahis par des Indiens assoiffés de sang, pendant que les rebelles chevauchent afin de les sauver… Pourquoi changer de marmite quand la soupe est bonne ?

Bon, sans être un pensum de bout en bout, le film n’est pas brillant. Le motif familial auquel le metteur en scène tenait tant a fait long feu, et on s’irrite de le voir ressortir une fois de plus, surtout lorsque sur le même principe, Ford a fait beaucoup mieux la même année(La vision Lincolnienne des Etats-Unis comme une famille à unir, renvoyant à la symbolique du train, fil rouge de The iron horse, un film dans lequel l’influence Griffithienne est très présente.) De surcroît, America est un gros mélange, on l’a vu, et les gênantes opinions raciales de Griffith ne peuvent décidément pas se cacher. Qui plus est, ce film est sans doute celui pour lequel la vision historique est la plus crûment démontrée comme indigente. L’âge? Le fait de n’avoir plus rien à perdre? Qui sait. En tout cas, le muet se finira sans qu’aucune épopée Griffithienne ne voit le jour. Quant à son indépendance, elle était définitivement derrière lui. En 1926, après d’autres films moins imposants que celui-ci, Griffith allait tourner pour la Paramount Sorrows of Satan.

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Published by François Massarelli - dans Muet David Wark Griffith 1924 *
4 avril 2017 2 04 /04 /avril /2017 15:22

Le traitement de l'Histoire chez Griffith est une affaire entendue: il suffit de voir ou revoir le début de ce film pour comprendre: en quelques plans, quelques intertitres, Griffith nous refait l'histoire de France afin de proposer aux spectateurs un contexte approprié aux aventures de ses héroïnes prises dans la tourmente. Il assène donc que les Français sont mal gouvernés (Par des "Kingly bosses", pas par un roi, la nuance est intéressante) et qu'ils vont légitimement se révolter contre les nobles et leur gouvernement. mais il nous propose aussi en complément la suite de l'histoire dans laquelle il assimile joyeusement Robespierre aux bolcheviks. Il termine son introduction en conseillant aux Américains de ne pas se laisser faire par la tentation du communisme. Comment pourrait-on le prendre au sérieux après ça? D'ailleurs le film ne nous encourage pas à la faire; ces Deux orphelines ne sont pas une leçon d'histoire, juste un mélo excessivement distrayant, qui déroule tranquillement ses 150 minutes de péripéties irrésistibles autour du vieil argument: deux jeunes filles, orphelines depuis peu, se préparent à aller à Paris pour consulter un spécialiste: l'une d'elles, Louise (Dorothy Gish) est aveugle, et pourrait éventuellement guérir. Elles arrivent dans un Paris agité que Griffith a fait exprès de situer en pleine révolution, et Henriette (Lillian Gish) se fait kidnapper dans le but de servir d'apéritif à une orgie. Laissée seule, Louise se fait enlever par une famille de margoulins, dont la mère, interprétée par la grande Lucille La Verne (Pour laquelle l'expression "laideur fascinante a sans doute été inventée) terrorise la jeune fille, l'obligeant à mendier. Pendant ce temps, Henriette échappe à un destin pire que la mort, se fait des ennemis, rencontre un Danton interprété par Monte Blue et un jeune premier du nom de Joseph Schildkraut. Ca n'arrête pas, ça court dans tous les sens, les décors sont comme d'habitude très soignés...

S'attendre à la moindre innovation de la part de Griffith, ce serait trop en demander, mais s'il applique une formule, il le fait ici avec le plus grand succès, et joue soigneusement avec nos nerfs dans un grand nombre de scènes. Citons pour la bonne bouche deux scènes souvent commentées: Henriette discute avec une femme de la noblesse (Qui n'est autre que la vraie maman de Louise qui a été adoptée par la famille d'Henriette), lorsqu'elle entend, venant de la rue, la voix de sa soeur; Elle est en train de mendier dans la rue: Henriette la reconnait, l'appelle, et s'ensuit une scène d'hystérie collective menée sans faux semblants par les soeurs Gish... Sinon, l'inévitable scène de condamnation à mort, suivie de charrette, suivie de menace de guillotine, donne lieu à un climax en pleine forme de Griffith, qui se plait à ajouter une dosette de sadisme en plus pour enrichir le tout: lorsque Henriette est condamnée à mort, Louise est dans la salle. Les plans de Jacques-Sans-oubli, le juge qui en veut personnellement à Henriette en qui il voit un symbole de l'oppression et de la collaboration, sont alternés avec ceux de Louise qui essaie de comprendre la situation, et avec ceux d'Henriette qui demande a être condamnée en silence pour épargner sa soeur, qu'elle a cherchée durant tout le film. Danton s'improvise en sauveur de jeune fille en détresse, avec ses cavaliers qui nous rappellent une autre chevauchée, décidément dans toutes les mémoires.

Donc, c'est très distrayant, mais le fait est que Griffith n'a plus de bouleversement à apporter. Ce film a été exploité avec un système de sonorisation (Déjà essayé sur Dream Street, en 1920) et un procédé d'illumination pour compléter les teintes, déjà utilisé dès Broken Blossoms. On remarquera que les innovations techniques ainsi mises en avant par la publicité sont extérieures au film: après Intolerance et son histoire compliquée, Griffith n'a peut-être plus envie de prendre des risques. Après tout, en 1921, il appartient à la vieille garde; ce film, un véhicule pour les soeurs Gish qui s'apprêtent à quitter Griffith, est bouclé avec panache, mais sera suivi d'autres oeuvres qui peineront, si on en croit les réactions des critiques, contemporains et autres, à rivaliser avec les Lubitsch, Stroheim, Chaplin, Ingram... Mais il faut défendre ces films, qui nous réservent sans doute d'autres frissons, des petits plaisirs, et peut-être plus... Ici, réjouissons-nous de quitter les soeurs Gish ensemble, dans un film haut en couleurs.

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Published by François Massarelli - dans Muet 1921 David Wark Griffith Lillian Gish *
1 novembre 2016 2 01 /11 /novembre /2016 18:47

The unseen enemy est un de ces thrillers comme Griffith en produisait presque sans réfléchir, avec ses héros assiégés, son héros qui rameutait de l’aide, son téléphone, unique lien entre le dedans et le dehors, et ses moyens de locomotion en pagaille qui servaient à sauver tout le monde. Il ne fait pas exception à la règle: tout le monde est sauvé à la fin. Alors, pourquoi en parler? Sans doute que l’arrivée des Soeurs Gish est un événement suffisant en soi, pourtant il entraîne plus de déception que de satisfaction; non qu’elles jouent mal: ce sont les sœurs Gish, enfin!

Non, c’est plutôt Griffith qui nous déçoit a posteriori. Il croyait dur comme fer que des deux, le génie, c’était Dorothy, pas Lillian, et il s’est employé à donner à Dorothy le beau rôle et des tonnes de choses à faire, et à Lillian, rien ou presque. Cette situation durera quelques mois avant que Griffith ne se rende compte de sa bourde…

Mais n’anticipons pas. Ce film nous conte donc la lamentable histoire de deux jeunes sœurs, orphelines depuis peu, et dont le frère vient apporter une somme d’argent, mise en coffre sous les yeux torves d’une femme de ménage louche… Celle-ci va téléphoner à des bandits de sa connaissance, qui vont profiter du fait que les deux jeunes filles sont seules pour venir dérober l’argent, pendant que les deux filles, apeurées, contactent leur frère par téléphone, pendant qu’elles ont enfermées.

Le dispositif de la maison assiégée est ici complexe, avec d’abord une menace qui vient de la maison elle-même, avec la complicité de la domestique, le déplacement, par rapport au modèle de The lonely Villa, du centre d’intérêt des bandits : les deux sœurs sont dans une pièce et le magot dans la pièce ou sont les bandits; la cerise sur le gâteau, c’est un petit espace par lequel les deux pièces communiquent: il permet aux bandits de passer un bras avec une arme, qui tire en aveugle quelques coups de feu. 

Ici, à la vision de ce trou dans le mur dont dépasse une forme phallique (et chargée) se situerait une inévitable lecture Freudienne, mais celle-ci a probablement besoin d’un coup de pouce supplémentaire; retournons en arrière, et ajoutons un personnage: au début du film, les deux jeunes filles sont dehors, et Bobby Harron intervient: il joue le petit ami (Un gentil benêt) de Dorothy. Celle-ci lui refuse un baiser au moment de le voir partir pour ses études, et il s’en va tout penaud. Lors du siège, donc, avec Lillian toute traumatisée qui se réfugie dans ses bras, Dorothy décide de tenter le tout pour le tout, et s’approche du fameux trou dans le mur, lentement, en rassemblant tout son courage. La caméra reste cadrée sur Lillian, ce qui fait que Dorothy dépasse bientôt du cadre. Le plan suivant nous montre l’action élargie, et Dorothy qui s’approche du trou, dans le but de saisir l’arme sans doute, mais le bras surgit brusquement, et elle renonce, apeurée. A ce moment, Griffith coupe et nous montre, deux secondes durant, le gentil fiancé. A la fin du film, les deux amoureux, une fois les filles sauvées, s’échangeront enfin un chaste mais décisif baiser.

Ouf! Le siège d’une maison, nous dit Griffith, n’est pas que l’atteinte à la famille; du reste, avec des parents décédés, une domestique traîtresse, et un frère qui est trop grand pour rester à la maison, cette famille est réduite aux deux jeune filles. Les connotations sexuelles de ce film vont donc particulièrement droit au but, et apportent rétrospectivement à toutes ces scènes de maisons assiégées, d’enfermement et de femmes qui prennent les armes, l’initiative, et le taureau par les cornes une lecture sans ambiguïté. Il est dommage que Griffith n’ait pas eu mieux à faire de Lillian Gish, qui se contente de rester à l’écart pendant la scène de flirt entre Harron et Dorothy, et qui contrairement à sa sœur a peu d’accessoires pour soutenir son jeu; quant on sait l’usage qu’elle saura faire de tout accessoire possible et imaginable dans ses films ultérieurs, c’est vraiment dommage. Mais ce n’est que partie remise…

 
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Published by François Massarelli - dans Muet David Wark Griffith Lillian Gish Dorothy Gish
1 novembre 2016 2 01 /11 /novembre /2016 18:43

Ce film contient l’essentiel de son “message” dans le titre : Griffith décide de commencer son court métrage par deux mariages, semble-t-il aisés tous les deux. Seulement l’un des couples va tomber dans les ennuis, puis la pauvreté. Le pli est pris, et Griffith continue de nous les présenter en parallèle, mais c’est justifié par l’intrigue: ils vont se rencontrer. L’intrigue est centrée autour de la décision douteuse que l’homme riche (Edwin August) a prise: il a accepté un pot-de-vin, à l’insu de son épouse (Blanche Sweet). Elle le découvre le jour ou l’homme pauvre (Charles West) s’introduit chez elle pour voler l’enveloppe d’argent du pot-de-vin. Elle décide de laisser partir le cambrioleur qui retourne vers son épouse (Dorothy Bernard). Elle met le mari face à ses responsabilités; celui-ci décide de rendre l’argent et d’aider le couple pauvre à s’insérer.

Le scénario n’est pas, on le remarque, des plus révolutionnaires. Le traitement est intéressant pourtant: apparemment détachée et frivole, l’épouse jouée par Blanche Sweet va non seulement être le pivot de l’intrigue, mais l’essentiel passe par son point de vue. Le montage est utilisé ici moins pour le suspense (La tentative du cambrioleur se tient en un plan) que pour effectuer le parallèle entre les destinées des deux couples et pour souligner les tourments intérieurs : ainsi lorsque le cambrioleur repart chez lui, il nous est montré dans sa cabane, accueilli par son épouse. Blanche Sweet et Edwin August, quant à eux, ont droit à leur espace privatif, séparés dans la maison par une cloison ET par le montage.

Pour finir avec ce film somme toute mineur, ajoutons que Griffith permet à Blanche Sweet (Il est vrai qu’elle joue une riche oisive, donc elle a le temps) d’user de toute sa séduction: robe décolletée, "déshabillé" 1912 pas trop vaporeux quand même. Elle illumine l’écran, on ne voit qu’elle: c’est le but. Précisons que sinon, son jeu est irréprochable, et le serait d'ailleurs y compris si elle était habillée d'un sac de patates.

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Published by François Massarelli - dans David Wark Griffith Muet
31 octobre 2016 1 31 /10 /octobre /2016 17:24

1912 est une année formidable pour David Wark Griffith, qui accumule les oeuvres importantes. Parmi celles-ci, il va faire un pur film de femmes, cru et gonflé, précurseur de Greed, Treasure of the Sierra Madre ou The wind, et dans lequel il va confronter trois de ses actrices au désert: The female of the species.

Dans ce petit drame situé en plein désert, c’est le chaos qui nous est d’abord présenté : une mine désormais improductive ayant fermé, quatre personnes, les derniers, doivent partir : un couple (Charles west et Claire McDowell), la sœur (Mary Pickford) de l’épouse et une troisième femme (Dorothy Bernard). Très vite, le mari va succomber lors de leur traversée littérale du désert, et le sentiment d’abandon, ajouté à des crises de jalousie, ressenti par sa veuve vont attiser la mésentente entre les trois femmes; désormais détentrices de l’autorité puisque l’une d’entre elles a « hérité d’un pistolet par le décès de son mari, elles vont projeter de se débarrasser de la troisième femme. Un événement lointain va leur permettre de regagner une part d’humanité : lorsqu’un couple d’Indiens errants va rencontrer deux prospecteurs blancs, ceux-ci vont abattre l’homme alors qu’il tentait de leur voler de l’eau pour sa femme. Celle-ci va succomber peu après, et Claire McDowell va entendre l’enfant pleurer au loin au moment ou elle s’apprêtait à tuer Dorothy Bernard. L’enfant va redonner une raison de vivre aux trois femmes, mère plutôt qu’épouses dans ce monde ou l’homme n’est pas suffisamment solide pour rester en vie, et leur permettre de survivre au désert. Le dernier intertitre, situé juste avant un plan, dans lequel les trois femmes sortent du cadre, est assez clair: « Womankind »: une humanité réduite à la femme; ce pourrait être le titre du film, tant les efforts de Griffith pour se débarrasser des hommes sont évidents. Ils sont éliminés littéralement (L’Indien, le mari) ou par le scénario: les deux cow-boys qui tuent l’Indien disparaissent aussitôt du film.

Les actrices sont remarquables, peu maquillées, et servies par une caméra toujours plus proche. Pickford fait assez peu de choses, mais soutient McDowell avec un jeu de regards assez intense. Elle fait presque cruelle parfois, en tout cas très endurcie; McDowell est la moins convaincante, quant à Dorothy Bernard, qui joue la moins solide et la plus solitaire des trois, elle a le redoutable honneur de devour jouer la quasi folie, et il est frappant de voir son visage blanc balayé de ses longs cheveux : on voit parfois Lillian Gish en Letty Mason (The wind, Sjöström, 1928). Ce n’est pas un petit compliment… Pour finir sur ce film, on pourrait faire une remarque sur la représentation éminemment freudienne de l’autorité par une arme, mais cela serait probablement redondant. Malgré tout ça va totalement dans le sens du film. Mais laissons Freud de coté, il reviendra dès le paragraphe suivant, et il aura des choses à dire!

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Published by François Massarelli - dans David Wark Griffith Muet Mary Pickford
29 octobre 2016 6 29 /10 /octobre /2016 09:17

La série des courts métrages consacrés à la guerre de Sécession, nommée simplement «Civil war» aux Etats-Unis dans la mesure où ils n’en connurent qu’une, est inaugurée en septembre 1909 avec In old Kentucky, un film au scénario hautement symbolique : Selon la filmographie établie par Patrick Brion, « La déclaration de la guerre civile déchire une famille dont les deux fils finiront pourtant par se réconcilier, après avoir combattu dans des camps opposés. » Le choix du Kentucky était dramatiquement important, puisqu’il s’agissait durant la guerre civile d’un état neutre, un état du sud ayant choisi de ne pas faire sécession par prudence, mais dont de nombreux habitants prendront la décision de rallier l’un ou l’autre des deux camps. Le choix permettait à Griffith de conter une histoire qui renvoie à l’âme Américaine avant tout, mais avait une résonance familiale aussi, puisque le metteur en scène était natif du Kentucky, d’une famille dont le coeur, c’est bien connu, penchait franchement du coté de la confédération, son père, Jacob ayant combattu aux cotés du Général Lee. Pourtant, si les films sont nombreux à revenir à cette guerre, il me semble que c’est moins par le coté personnel que par le coté dramatique que Griffith s’est attaché à revenir souvent à la guerre. Après tout, pour Griffith, c’était un terrain rêvé : les histoires de l’ouest Américain et des Indiens l’intéressaient, mais n’avaient pas ce coté fédérateur et historique qu’il recherchait, dans la mesure où il ne les datait jamais, à plus forte raison s’il devait en critiquer les protagonistes blancs : on peut considérer qu’ils étaient à la fois contemporains et historiques. Les sujets bibliques ou renaissance l’intéressaient pour pouvoir faire concurrence aux Européens, mais ils sont bien médiocres, et académiques aujourd’hui ; non, le sujet de la guerre civile était cet élément dramatiquement rassembleur dont Griffith avait besoin pour emporter l’adhésion du public, et comme il tournait des œuvres distribuées sur tout le territoire, il pouvait privilégier les deux cotés alternativement, afin de ne pas s’aliéner le public de la Biograph. Au moment de voir ces petits films aujourd’hui, il faut se rappeler que dans de nombreuses familles, on avait des anecdotes de la guerre civile, cocasses, patriotiques, authentiques ou romancées, vécues ou rapportées par un tiers. Ce sont toutes ces anecdotes qui vont former le matériau de base de ces courts métrages, qui une fois rassemblées représentent une assez bonne vue d’ensemble de l’héritage de la Guerre de sécession, finie 45 ans plus tôt, en ce début du 20e siècle. Toutes ces raisons expliquent pourquoi au moment de passer au très long métrage en 1914, il a choisi une histoire liée à la guerre civile. Le seul problème est qu’il choisira à cette occasion un matériau un peu trop explosif, mais n’anticipons pas.
L’année 1910 est d’autant plus riche en films consacrés à la guerre civile que le public suit. La plupart des films permettent à Griffith, en jouant sur les cordes universellement sensibles de l’honneur, de la lâcheté, de la perte d’un membre de la famille, d’éviter de prendre ouvertement parti pour un camp ou pour l’autre. Tous ces films reposent sur le savoir-faire désormais solide de Griffith, de ses acteurs et de Billy Bitzer, et utilisent à merveille les ressources des décors naturels du New Jersey, en particuliers les collines qui permettent systématiquement à Griffith de donner du relief à ses compositions. La guerre y est présentée comme une fatalité, un déchirement, et on le voit, les thèmes et les tendances qui seront à la base des ressorts dramatiques de Birth of a nation sont déjà là, sauf le racisme, sinon dans la représentation occasionnellement paternaliste (His trust, His trust fulfilled) des esclaves. Et cerise sur le gâteau, Griffith se sent tant pousser des ailes avec la guerre qu’il va tenter son premier film « long », sur ce thème: c’est à la fin de 1910 que Griffith se lance dans cette histoire mélodramatique dont il entend bien faire son premier film de deux bobines. Le format est déjà expérimenté, dans un contexte peu favorable : la plupart des compagnies Américaines freinent autant que possible afin de ne pas dépasser le film d’une bobine, dans le but de ne pas effrayer un public de masse dont on se dit qu’il n’a aucun pouvoir de concentration. Les films Européens d’une longueur supérieure sont encore considérés comme trop sophistiqués ; le plus souvent, ils sont distribués en bobines séparées, lorsqu’ils sont montrés au grand public, mais c’est assez rare. Pas de chance pour les gens de la Biograph, c’est ce modèle que Griffith s’est fixé : il veut, lui aussi, raconter des histoires plus longues. Mais il choisit, pour cette première expérience, un sujet Américain, plus prudemment, et c’est tout naturellement qu’il se tourne une fois de plus, vers la guerre civile. Le (Ou les) film(s) obtenu(s)ainsi représentent la première des trois étapes vers le long métrage pour le futur auteur de The Birth of a nation. Griffith tourne les deux parties en séquence, en novembre 1910, et propose de sortir le tout en une séance. La Biograph n’accepte pas, mais si un intertitre annonce dès le départ du premier film que les deux œuvres sont bien séparées, et peuvent être vues indépendamment l’une de l’autre, on ne peut qu’en douter.

L’histoire racontée est cousue de fil blanc, et concerne une famille Sudiste dont le père part à la guerre. Il confie sa femme et son fils à son esclave George, un « House slave » qui doit être plus ou moins l’équivalent d ’un majordome. A la mort de l’officier, George se sacrifie toujours plus pour protéger la famille, notamment lorsque la plantation est pillée. Il les accueille dans sa cabane lorsque la maison est incendiée par les yankees, et se chargera de l’éducation de la petite une fois l’épouse morte de chagrin, d’humiliation, et d’épuisement...

Le propos de Griffith est de raconter du bon gros mélo qui tache, tout en faisant passer un message sur la fidélité du bon noir et ces braves esclaves qui ont tout sacrifié pour le bien-être de leurs maîtres ; en gros il s’agit de sa vision de la tolérance, mais la vision des noirs en « Black face » qui applaudissent et gesticulent en roulant des yeux le départ de leurs tortionnaires vers la guerre, ou s’enfuient à la vision des diables bleus dont on sait qu’officiellement, ils étaient justement là pour libérer les esclaves, tout cela rend le message problématique. En tout cas, même en situant le point de vue du coté sudiste, on est en pleine Case de l’oncle Tom. Par contre, tout le film (His trust) prend bien le Majordome George pour héros. Sinon, que de gros sabots! Incidemment, il convient de rappeler que la raison qui poussait Griffith à toujours représenter les noirs en les faisant jouer par des acteurs déguisés (Et très mal maquillés) tenait en fait aux lois raciales de plusieurs états qui interdisaient aux hommes noirs de côtoyer des femmes blanches en public. Il fallait donc utiliser des acteurs blancs, et rendre le déguisement aussi visible que possible.

Les différences entre les deux parties (La première se clôt sur l’arrivée de la famille ruinée dans la cabane) tiennent dans le choix des décors : beaucoup d’extérieurs dans His trust, uniquement des intérieurs, et peu nombreux dans His trust fulfilled. Sinon, bien sur, la première partie se situe en temps de guerre, et permet à Griffith d’assurer ce qui est son forte, les scènes de bataille vigoureuses et fédératrices. Mais la deuxième partie s’éternise, et donne le sentiment s’être un étirement forcé ; bref: à vouloir tenter de ménager le public, et à montrer patte blanche en convoquant toutes les grosses ficelles, Griffith a tout raté : non seulement le film est sorti en deux parties en janvier 1911, mais en plus il est très médiocre, surtout vu en continuité : tout pousse à croire que Griffith a choisi de simplifier à l’extrême ses propos, lui qui avait abordé ce même thème avec une réelle sophistication dans les autres films. Néanmoins, il a posé les premiers jalons d’une évolution qui lui permettra finalement de raconter des histoires plus longues, de le faire accepter par ses commanditaires, et par le public, qui ne s’en est jamais plaint. 

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Published by François Massarelli - dans David Wark Griffith Muet
25 octobre 2016 2 25 /10 /octobre /2016 19:03

Comme The unchanging sea, Ramona ou The girl and her trust, ce court métrage fait partie des premières oeuvres tournées par Griffith en Californie, et d'emblée on est frappé par l'usage dramatique qui s'impose, des scènes dans le désert, à ces petites villes (San Fernando, une ville authentique, mais qui semble un décor de western pur!) qui sont utilisées pour fournir un maximum d'authenticité. le film est un pur mélo, qui repose sur des ficelles un peu grosses, mais d'une certaine façon les qualités du film effacent volontiers les ratés.

Un vieux prospecteur fatigué (W. Chrystie Miller) et sa fille (Marion Leonard)sont dans le désert Californien. Ils ont trouvé de l'or, et s'apprêtent à rentrer chez eux, mais alors que la fille s'est éloignée, un vagabond (Dell Henderson) vole l'or et tue le vieil homme accidentellement. Il erre dans le désert, et s'écroule, mais il est sauvé... par la jeune femme, qui après avoir juré de confondre l'assassin de son père, a fait route vers la ville. Ils rentrent tous deux, et sot attirés l'un par l'autre... Mais que va-t-il se passer quand Marion va découvrir qui est l'homme qu'elle a sauvé?

Laissant ses acteurs gesticuler dans tous les sens, Griffith sait que son décor rachète tous les excès. On est curieux d'imaginer ce que Mary Pickford aurait pu faire d'un tel film, mais en l'état il est déjà puissant, et paradoxalement, on y sent, 9 ans avant, des bouffées du trésor d'Arne de Mauritz Stiller...

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Published by François Massarelli - dans Muet Western David Wark Griffith
25 octobre 2016 2 25 /10 /octobre /2016 18:46

Ce film, qui appartient à une série plus éducative, avec morale à la clé, est intéressant en particulier à deux titres : d’une part par sa construction en trois actes, très étudiée, et soulignée par la mise en scène ; d’autre part pour le jeu et la dilatation du temps : Griffith à l’époque tendait à comprimer le temps, enfilant en un plan de 15 secondes des actions qui auraient pris 15 minutes : la fouille de la roulotte de Dollie, par exemple, ou la mort du vieux chef dans le film précédent. En revanche, dans ce nouveau film, le metteur en scène pousse ses acteurs à délayer les réactions, à jouer de façon mesurée. Un parti-pris intéressant qui se répercutera aussi bien sur le réalisme et la dignité de l’ensemble, mais qui est aussi salutaire afin de préserver l’implication du spectateur face à un film qui prend un chemin assez radical, on le verra.


Après un intertitre moraliste, un panoramique nous dévoile un joli paysage de la nouvelle Angleterre, avant de s’immobiliser sur une jolie et massive maison, dont sortent les trois membres d’une famille : la mère, la fillette et le père. Ils sont heureux, et se promènent : en deux plans, Griffith nous confirme leur bonheur : un champ dans lequel ils marchent, prenant leur temps ; au loin, un bel arbre, au bord d’un plant d’eau. Le plan suivant les voit continuer leur promenade dans un champ de fleurs, jusqu'à ce que la famille emplisse le cadre. C’est la fin du prologue.


Le deuxième acte est celui de l’exposé du drame : la petite fille est malade, et alors que le parents sont inquiets pour la suite des événements, quelqu'un vient chercher le père : il est en effet docteur, et son devoir est d’assister ses patients ; une autre petite fille malade a besoin de lui. Après des hésitations, il va se rendre à son chevet… et laisser mourir sa fille.
Le troisième acte voit le docteur retourner chez lui, et constater le décès de sa fille. Le dernier plan est une répétition inversée du premier, avec le même panoramique qui part cette fois-ci de la maison avant de nous détailler le paysage alentour.

 

Les acteurs de ce film sont des piliers de la Biograph, dont le docteur, joué par Frank Powell, qui deviendra vite l’assistant de Griffith, puis le deuxième réalisateur des courts métrages, sous la supervision du maître. On reconnait aussi Florence Lawrence (la mère), Kate Bruce (La mère de la deuxième petite, future mère Sudiste dans Birth of a nation), et bien sur Mary Pickford, qui joue la sœur de la deuxième petite malade. Le jeu est juste, les seules marques de précipitation étant justifiées : alors que la femme du docteur, inquiète, reste au chevet de sa fille, la bonne va faire le trajet aller et retour entre la maison et la cabane ou le docteur est au chevet de la patiente, à plusieurs reprises, et toujours plus vite. Le contraste entre sa précipitation et la lenteur méthodique du docteur est le principal procédé utilisé par Griffith pour impliquer le spectateur.


Au final, on a le sentiment de voir à travers ce film une somme déjà impressionnante des qualités développées en un an par le metteur en scène de la Biograph : jeu juste et convaincant, efforts de construction savants et payants, et toujours un commentaire social, cette fois un peu paternaliste quand même : bien que riche, ce docteur sacrifierait y compris sa fille pour faire son devoir et sauver une petite fille pauvre, Le décor accentuant d’ailleurs les différences sociales entre les deux maisons. En tout cas, voici encore un film majeur.

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Published by François Massarelli - dans Muet David Wark Griffith Mary Pickford
25 octobre 2016 2 25 /10 /octobre /2016 18:42

Sorti en mars 1909, ce film est moins connu que A corner in wheat, dont il partage pourtant le caractère "social"; il est probablement bien plus archaïque, tant idéologiquement que picturalement ou par son montage. Le début fait même craindre le pire, mais le scénario qu’il a lui-même écrit permet à Griffith de se rattraper: un jeune professeur de violon idéaliste, éconduit par sa jeune élève, accepte d’intégrer un groupe d’anarchistes qui lui confient la mission de faire sauter la maison du père de sa dulcinée. Faisant le guet durant l’opération, le son du violon joué par la jeune femme le fait se raviser, et il va tout tenter pour sauver la famille. Un mélodrame dans lequel les révolutionnaires sont donc d’abominables anarchistes qui, sous prétexte d’abolir les différences sociales, veulent évidemment tout faire sauter ; en plus, Griffith dote l’un de ses anarchistes d’un absurde costume masqué du plus beau ridicule, et les révolutionnaires font des serments solennels à roulements d’yeux: des gros sabots, donc...

Le dispositif de mise en scène part d’un début peu intéressant, dans lequel Griffith annonce par un intertitre toute l’action du plan à venir, soit 4 minutes. Ce type d’annonce qui détruit tous les effets en racontant toute l’action se retrouvera jusque dans Orphans of the storm , mais ici, il ajoute au pensum. Heureusement, le metteur en scène va pouvoir, à la fin du film, recourir au montage pour relever le niveau, dans une scène qui commence d’ailleurs par une évocation poétique d’une rue de New York, dont on trouve un peu l’équivalent chez Feuillade lorsqu’il nous montre les rues désertées de voitures de Paris: Lorsque les anarchistes s’introduisent chez le financier par la cave, Griffith démultiplie les cadres : la cave, ou une bombe va être posée ; la rue, ou le héros fait le guet, et l’intérieur de la maison, ou la jeune femme va jouer du violon. Griffith unifie les trois plans en montrant le jeune homme qui réagit à la « Voix du violon » du titre, en implique le public : nous sommes prêts à soutenir le jeune homme puisque désormais sa cause est juste, et nous sommes d’autant plus impliqués dans le suspense qu’il est assez rapidement en mauvaise posture, groggy, assommé par l’autre malfaiteur, à proximité de la bombe fumante.
Malgré cette fin plus prenante et cette utilisation émotionnelle du montage , le film reste lourd, ne serait-ce que par sa convention et son manichéisme paternaliste. Mais Griffith, éternel schizophrène, va faire exactement le contraire avec un film plus connu…

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Published by François Massarelli - dans David Wark Griffith Muet
25 octobre 2016 2 25 /10 /octobre /2016 18:37

Structuré en trois actes, ce petit film à suspense n’est petit que par la taille : 17 minutes. Sinon, il a tout du classique. Il concerne les aventures d’une jeune fille (Blanche Sweet), dont le père est télégraphiste dans une gare et le fiancé conduit une locomotive. Elle remplace son père, on lui confie la paie des ouvriers de la mine proche, et des vagabonds l’attaquent… un scénario classique pour Griffith, qui lui permet de développer le suspense et de montrer une jeune femme soutenir un siège contre des bandits sans scrupules.

Les trois actes sont une des surprises de ce film ; la structure est très adroite, avec des passages inattendus compte tenu du peu de temps dont le film dispose : la première partie prend le temps d’exposer la relation antre l’héroïne, l’apparemment fragile Blanche Sweet, et son cheminot de fiancé. Lors de leur rencontre, tous deux se rapprochent de la caméra, et Bitzer capte dans ses moindres détails l’expression de la jeune femme, et la délicatesse du jeu de l’actrice est impressionnante : on sait quelles simagrées il demandera à Mae Marsh de jouer dans Intolerance pour lui demander d’interpréter la jeunesse. Le lyrisme de Griffith s’exprime ici dans les choix de décors pour l’idylle : la campagne et la nature, bien sur, avec un passage à l’ombre d’un arbre dont les feuilles viennent cacher partiellement le visage de la jeune femme. A la fin de la première partie, le fiancé part en locomotive, et le père demande à sa fille de le remplacer, ce qu’elle fait illico.

La deuxième partie est une deuxième exposition, quasi documentaire : la paye des ouvriers arrive et doit être acheminée jusqu'à la gare de l’histoire. C’est bien sur le fiancé qui amène le colis, et lorsqu'il décharge la paie du train, elle l’aide. A l’arrière-plan, on aperçoit les vagabonds qui sortent discrètement de sous le train, et vont se cacher derrière la gare. La dernière partie, celle du drame, peut se jouer, et le train part, laissant la frêle jeune femme seule avec les bandits, l’argent et son destin…

Il est inutile de résumer la dernière partie qui coule de source, si ce n’est en disant qu’il y a du montage parallèle (plutôt que le téléphone, c’est bien sur le télégraphe qui sert de lien entre les différents protagonistes), que les bandits utilisent un bélier improvisé (un banc) pour enfoncer la porte, que Blanche Sweet a de la ressource, et que bien sur c’est très excitant.

Ce court métrage est une réussite totale, qui mérite bien sa réputation, et qui fera l’année suivante l‘objet d’un excellent remake par Griffith lui-même, The girl and her trust. Un film, en tout cas, qui confirme que si Griffith aura parfois tendance à stéréotyper ses personnages féminins, il savait aussi leur confier des rôles particulièrement actifs, sans tomber dans la caricature. Qu’il me soit permis ici de révéler la conclusion, après le dénouement : les bandits, encadrés par les forces de l’ordre, s’inclinent avec panache devant la jeune femme, qui rit de bon cœur. Blanche Sweet joue ici un personnage précurseur des grandes héroïnes de serial…

 

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Published by François Massarelli - dans Muet David Wark Griffith