Une comédie? Du bout des lèvres... Nicolas Montei (Marcello Mastroianni) est Italien vivant en France, et il est comédien. Acteur serait plus juste, car le mot "comédien" désigne une personne qui fait vivre un personnage, alors que Nicolas, lui, handicapé par son accent, va de petit job en petit job, des "panouilles" comme on disait alors: le matin, il double des dessins animés, l'après-midi il tourne un docu-fiction dans lequel il incarne un personnage du XVIIIe siècle, furtivement; le soir, il apparaît au théâtre, le temps de se faire tuer à la fin d'un acte, puis il file avec son copain Clément (Jean Rochefort) pour un numéro de duo illusionniste dans un cabaret à strip-tease... Bref, il vit et fait son métier, mais le plaisir n'y est plus.
Dans la vie non plus, d'ailleurs: coincé entre un mariage fini mais qui s'éternise, avec deux enfants qui sont à l'affût de toutes les occasions de garder leur père, et un ménage avec une compagne (Françoise Fabian), qui bat de l'aile, puisqu'elle lui reproche sa trop grande proximité avec l'autre (Carla Gravina), celle qui aurait du disparaître de sa vie... En attendant, c'est Clément qui s'en va: il va travailler dans le privé, puisqu'on lui propose un job bien payé dans la publicité chez Panzani...
Le titre est assez clair, Robert avec son complice Jean-Loup Dabadie s'adressent ici avec tendresse aux obscurs, aux sans-grade, aux sans-plaisir du métier. Qui sont parfois, aussi, des sans-le-sou: après leur prestation nocturne, Clément et Nicolas doivent parfois mendier pour obtenir leur cachet, et ça ne marche pas toujours. Je le disais, la comédie est douce-amère, et le propos sombre. Bien sûr que c'est une profession, mais elle n'est pas rose, et le public n'aide pas: ainsi, on reconnaît Nicolas Montei, mais on ne sait pas pourquoi. Quand il signe un autographe, c'est à tout hasard... Et les autres, les gens installés, n'aident pas vraiment, ainsi un metteur en scène du docu-fiction (Xavier Gélin) traite-t-il Nicolas qui arrive en retard de "salaud", ou un metteur en scène de théâtre (Yves Robert) pour sa part, se défoule sur une actrice, qui, il est vrai, n'est pas terrible, terrible... Les acteurs "installés", eux, n'ont aucun regard pour ces troufions du métier.
C'est une grande réussite, car Yves Robert n'a pour autant rien changé à sa façon de faire, ses séquences dominées par la tendresse entre les personnages, la complicité du public acquise au pauvre Nicolas y compris quand il tente une manipulation un rien hypocrite pour se placer auprès de sa maîtresse après avoir échoué auprès de son épouse! et le réalisateur se passe parfois de mots pour conter certains passages de son film, comme une énigmatique rencontre de Nicolas avec une femme qu'on n'identifie pas encore, vie à travers une vitre, sans paroles... Nicolas semble vivre à part des autres une aventure qui risque de le détruire et ses amis et famille avec, et ce n'est pourtant pas faute de l'aimer, comme le prouve en permanence le personnage grave de Françoise Fabian...
Ce n'est sans doute pas encore le grand film-sur-les-copains que Robert et Dabadie rêvent de faire, mais il ne tardera pas, d'autant qu'ils ont enfin trouvé leur interprète: il est dans ce film, et ce n'est pas Mastroianni. En attendant, on peut déguster ce petit film délicat, il est touchant et il vise juste.