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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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4 janvier 2019 5 04 /01 /janvier /2019 16:09

Comme souvent dans les films de Naruse, la "femme dans la tourmente" du titre, c'est la grande actrice Hideko Takamine... Elle interprète Reiko, dont le film nous apprendra bien vite (sans le moindre flash-back cette fois) qui elle est: veuve d'un soldat mort au tout début de la guerre, et recueillie, puis gardée par habitude par la famille de celui-ci, Reiko porte à bout de bras le commerce familial depuis 18 ans, ainsi du reste que l'éducation du petit dernier, Koji (Yuzo Kayama), qui n'avait que 7 ans quand sa belle-soeur est venue dans la famille. Ils sont proches, très proches même, sans que Reiko ait jamais soupçonné quoi que ce soit. Mais lorsque le film commence, la crise est là: d'un côté, l'épicerie familiale périclite face à la concurrence sévère de la grande distribution alors e plein boom; de l'autre, Koji a 25 ans et sa famille se désespère de le voir faire quelque chose de sa vie. Enfin, même si elles ne le diront pas, les soeurs de Koji estiment qu'il est temps que Reiko assume sa vie seule, en clair: qu'elle débarrasse le plancher...

Superbe évocation, une fois de plus, d'une femme solitaire face à une tempête figurée, ce mélodrame admirable combine aussi l'évocation du quotidien familial dans sa banalité, et l'illustration quasi documentaire d'un Japon en proie à des changements radicaux, près de vingt années après la guerre; les deux personnages principaux incarnent d'ailleurs bien cet "avant" et cet "après": Reiko, dont le mari a été tué pendant les combats, est toute faite d'inquiétude, mais aussi d'une résignation face aux conventions et aux lois morales du Japon, qui l'empêcheront aussi bien d'avouer que d'assumer son amour pour le jeune homme de dix ans son cadet. Koji, en revanche, né avant mais éduqué après la guerre, fait partie de cette nouvelle génération qui essaie, expérimente, et parfois n'a pas peur de parler: c'est lui qui va le premier s'ouvrir de ses sentiments. Mais il est aussi piégé par ses sentiments, et va s'abandonner un peu facilement dans les plaisirs à portée de main...

Et le film se résout d'une façon magistrale, dans une sorte de rencontre-séduction orchestrée par Koji dans un train qui les emporte tous les deux loin, très loin. Mais si la rencontre a lieu, elle finit mal, très mal... Ce film, au script sans temps morts, et aux acteurs formidables (Takamine en tête, comme d'habitude), est une merveille, l'un des plus beaux films de Naruse, ce qui n'est pas rien!

 

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Published by François Massarelli - dans Mikio Naruse
25 novembre 2018 7 25 /11 /novembre /2018 16:51

Une maison de geishas, à Tokyo: les femmes qui y travaillent se serrent les coudes ou se chamaillent, mais elles sont quand même le plus souvent aussi soudées que possible. Sauf que les temps sont durs: les femmes ne rajeunissent pas, les jeunes recrues manquent à l'appel, et l'établissement est facilement à la merci de la vilenie des autres, comme cet homme qui vient les faire chanter parce qu'il sait qu'une femme qui y a été employée était en dessous de l'âge légal. Et il accuse la maison de l'avoir prostituée... Mais surtout, les solutions financières qui s'offrent à la patronne, Tsuta (Isuzu Yamada), sont souvent insatisfaisantes, et cachent de sombres desseins...

Avant tout, c'est une galerie de portraits qui s'offre à nous, sous les anecdotes qui s'enchaînent. Naruse consacre l'essentiel de sa mise en scène à organiser les allées et venues dans l'établissement, et à dresser des liens ténus entre les êtres, les lieux et le temps qui passe. Sans aucune rupture chronologique, il nous invite à suivre en huis-clos ou presque, le devenir des personnes qui travaillent, entre débrouille et coups d'éclat, entre fâcherie et réconciliation. Ce n'est pas un hasard s'il a choisi les plus grandes actrices pour son film; outre Isuzu Yamada, il a aussi convoqué Kinuyo Tanaka pour jouer le personnage qui sera l'un des fils rouges du film, la bonne Rika, qui arrive pour travailler au début du film, mais que tout le monde appellera Oharu.

Et la fille de Tsuta est interprétée par Hideko Takamine, magistrale dans l'une de ses 20 interprétations pour Naruse. Son personnage de Yatsuko est celle qui résiste à l'idée de devenir geisha, et se cherche justement une profession durant tout le film. Son regard sur la maisonnée est un mélange d'affection sans illusions pour les êtres qu'elle côtoie, et d'un réalisme froid: la jeune femme sait que les jours de l'établissement que tient sa mère sont comptés. 

Le regard est tendre mais sans concession, et le ton est souvent enlevé, sans jamais se départir d'une certaine dose de pathos. Il ne faudrait évidemment pas s'imaginer qu'on est face à une comédie, ni face à un film misérabiliste: ne pas confondre, au passage, ce film avec les oeuvres de Mizoguchi (La rue de la Honte, par exemple) qui traitent eux plus spécifiquement de la prostitution; si les deux terrains sont parfois dangereusement proches, la gratification sexuelle n'est pas une loi absolue du métier d'une geisha; le film joue pourtant un peu de cette ambiguité, avec le nombre d'allusions aux ravages de l'âge...

 

 

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Published by François Massarelli - dans Mikio Naruse
25 novembre 2018 7 25 /11 /novembre /2018 16:34

Les titres contenant le mot "nuages" sont assez courants chez Naruse. Deux films majeurs au moins, Nuages flottants (1955) et Nuages d'été (1958) le premier film en couleurs et Scope du metteur en scène, sont considérés à juste titre comme des classiques de l'oeuvre. Le mot est évidemment bien choisi, quand on pense à la notion de parcours sans avenir des personnages qui sont représentés dans ces films. Nuages épars ne fait pas exception à la règle: le dernier long métrage de Naruse est une fois de plus un mélodrame d'un grand pessimisme, dont les drames intimes renvoient souvent à une proximité avec les films de Douglas Sirk...

Yumiko (Yoko Tsukasa) et son mari ont tout pour être heureux: elle est enceinte, et lui travaille pour un ministère qui projette de l'envoyer travailler aux Etats-Unis. C'est pratiquement fait... Sauf qu'un soir on apprend le décès de l'époux, renversé par une voiture conduite par un homme ivre. Celui-ci (Yuzo Kayama), poussé par ses patrons à montrer le Tokyo by night à des clients de passage, culpabilise, et tente de prendre contact avec Yumiko. Au gré de leurs deux vies brisées, ils vont se rencontrer: elle pour essayer de tirer un trait sur son passé, lui pour offrir son aide et sa compassion afin de pouvoir continuer à aller de l'avant... Les sentiments, bien sûr, vont se mêler de la partie.

Pour son dernier film, le metteur en scène a du accepter de composer et de concéder, ce qui s'explique aisément: en 1967, le cinéma ne se porte pas très bien au pays du soleil levant, à plus forte raison dans le cadre vieillot des studios, qui ne peuvent concurrencer ni l'attrait des films de la "Nouvelle vague" indépendante, ni la présence de la télévision; le Scope, les couleurs (très douces), mais aussi la présence de vedettes très en vue (non seulement le chanteur Yuzo Kayama, mais aussi la jeune Mie Hama, connue pour sa participation à un James Bond), tout cela prouve de quelle façon Naruse tente de rendre son film attractif au grand public. Au final, il n'en reste pas moins une nouvelle preuve du pessimisme incorrigible du cinéaste, et de son talent pour filmer à la fois les sentiments dans tout ce qu'ils ont d'absolu, et le désespoir de la condition humaine... Surtout, bien sûr, quand on est une femme. Yumiko est un formidable personnage qui rejoint les héroïnes les plus intéressantes, celle de L'histoire d'une femme, de Quand une femme monte l'escalier, de Nuages flottants aussi: des femmes prises entre leur dignité, et leur désir. Eprises de l'une, mais inexorablement poussées vers l'autre... En dépit de ses longueurs, ce beau film est une étape importante dans la carrière du cinéaste.

 

 

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Published by François Massarelli - dans Mikio Naruse
17 août 2017 4 17 /08 /août /2017 17:14

Kikuko (Setsuko Hara) vit avec son mari Shuichi (Ken Uehara) chez ses beaux-parents: ils n'ont pas d'enfants, et le mari boit, découche, et d'une manière générale affiche vis-à-vis de son épouse un mépris de plus en plus encombrant. Les parents, qui ne sont pas dupes, n'ont pas la même façon de réagir à la crise: la mère (Teruko Nagaoka) tend à relativiser, et à se dire que si Shuichi s'est détourné de Kikuko, c'est probablement que celle-ci n'a pas su gérer la crise... Mais le père (So Yamamura) , lui, prend ouvertement le parti de la jeune femme, et va essayer de l'aider à sa façon, en agissant sur la vie de son fils. Mais l'arrivée de Fusako (Chieko Nakakita) , la soeur de Shuichi, qui vient de quitter son mari avec ses deux enfants et a décidé de retourner au domicile parental, va souligner un peu plus le déséquilibre...

Fragilité du quotidien, environnement familial, un Japon en paix, mais dont les tourments intérieurs se manifestent dans la cellule familiale, c'est l'univers habituel de Naruse, qui sonde ici une détresse féminine avec une rare acuité, avec tendresse mais sans pitié pour autant. L'enjeu du film n'est pas le retour de l'amour pour les deux héros, mais la liberté de la jeune femme. Les efforts du beau-père portent évidemment vers un rapprochement, puisqu'il manoeuvre pour que son fils arrête ses aventures, mais il se rend vite compte qu'à se mêler de ce qui ne le regarde pas, il provoque des situations inattendues, et qui portent préjudice à d'autres... En particulier quand il rencontre la maîtresse de Shuichi, juste après que celui-ci l'ait quittée: la jeune femme est enceinte... Subtilement, Naruse introduit des personnages qui prouvent qu'il y a une évolution au Japon, comme la secrétaire du vieil homme, qui va mener son enquête autour de Shuichi, afin d'aider le vieil homme dans son entreprise. Elle est, d'ailleurs, habillée à l'occidentale, contrairement à Kukiko.

Le portrait est double, celui d'une femme admirable, et d'un homme qui va porter vers elle des efforts moraux au chevaleresque certes vieillot, mais il est si gentil... La fin montre la façon dont il va accepter, à la fin, sa rébellion jusque dans ses inévitables conséquences, c'est-à-dire qu'il sait très bien qu'elle va quitter son mari. Mais il l'accepte... Ce que pas beaucoup d'hommes de cet âge auraient accepté, sans doute... Magnifique histoire de femme, cette histoire cruelle n'est finalement pas exempte d'une certaine forme d'optimisme!

Cela étant dit, le cinéaste et don légendaire pessimisme reprennent malgré tout leurs droits, par le biais d'une structure complexe d'une part, dans laquelle la fuite inexorable du temps se fait sentir par un émiettement d'anecdotes et de points de vue (souvent celui de femmes, du reste: la mère de Shuichi, puis Fusako, sa soeur, puis la fille de celle-ci mais aussi les nombreuses femmes qui participent aux épisodes consacrés à l'adultère); et surtout le fil rouge du film reste cette certitude que derrière l'histoire de la tristesse d'une femme négligée, une autre histoire secrète, celle de l'affection grandissante et vouée à l'échec d'une femme pour son beau-père, se cache, manquant de se révéler au grand jour dans l'ultime scène. 

 

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Published by François Massarelli - dans Mikio Naruse
26 octobre 2016 3 26 /10 /octobre /2016 09:25

Une femme, un homme: Hideko Takamine et Masayuki Mori se sont connus durant la guerre, et courent après leur histoire commune. Le Japon en miettes ne peut pas les aider, pas plus que les conventions, et encore moins eux-mêmes. Les deux fragilités s'affrontent en cherchant désespérément un territoire commun, au gré de flash-backs orchestrés de main de maître.

Comme si souvent chez lui, ce film de Mikio Naruse adopte le point de vue d'une femme, Yukiko. A la fin de la guerre, elle a tenté de joindre n homme avec lequel elle a eu une brève, mais torride, histoire d'amour. Il lui avait vaguement promis de quitter son épouse, mais celle-ci est là et bien là, et la donne a changé. Se sentant coupable auprès de sa femme, Kengo Tomioka n'est plus enclin à continuer sa relation avec Yukiko, et va essayer de l'éloigner... Mais l'adultère, cahin-caha, va continuer, avec des périodes d'éloignement durant lesquelles les amants vont se retrouver avec d'autres personnes, et d'autres, de rapprochement, durant lesquelles la passion, toujours vivace, va reprendre ses droits...

La chronique, comme dans Histoire d'une femme, est effectuée avec recours à des flash-backs soudains. Jamais annoncés, ils viennent éclairer l'amour de Tomioka et de Yukiko d'un jour nouveau. On y voit surtout le comportement souvent rustre de Tomioka, qui semble tout faire pour éloigner la jeune femme, dès leur première rencontre. Il y est aussi vu souvent comme un prédateur, un homme incapable de se contrôler, dès qu'une jeune et jolie femme passe à sa portée... Encore une fois il s'agit d'une mélange entre une vision sans concession de la masculinité Japonaise, et du point de vue d'une femme amoureuse sur son amant...

Hideko Takamine trouve dans le rôle de Yukiko une de ses plus grandes caractérisations, et le style de Naruse, tout en douceur, passe par la confrontation entre deux désespoirs résignés, plus que par le conflit et les cris. La douleur de ce couple maudit pré-date l'intrigue du film, et il est clair que les deux protagonistes se sont lancés dans leur amour, comme dans un baroud d'honneur. Ils vont essentiellement vivre leur passion en se terrant dans des quartiers délabrés, comme on cherche refuge dans un passé révolu, entre bains et hôtelleries... Les deux y laisseront des plumes, et l'un d'entre eux la vie... 

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Published by François Massarelli - dans Mikio Naruse
27 juin 2016 1 27 /06 /juin /2016 15:21

Ce film est l'avant-avant dernier long métrage de Mikio Naruse, et en apparence il est dans un premier temps très éloigné de l'univers du metteur en scène: en effet, un crime a été commis, et la police enquête. L'entourage de la victime apprend ce que tout le monde soupçonnait plus ou moins: l'épouse de Sugimoto le trompait, et un de ses amants l'a tuée. Mais qui, et pourquoi?

...On le saura assez tôt. D'ailleurs, "qui?" n'est pas une question qu'on se pose très longtemps. Le film commence par la vision d'un homme très distrait, qui semble errer sans but dans la ville. Isao Tashiro (Keiju Kobayashi) va s'installer dans un café, où le rejoint par hasard son ami Sugimoto (Tatsuya Mihashi). Celui-ci tente de joindre son épouse, sans succès. Quand le toujours aussi maussade et absent Tashiro rentre chez lui, auprès de son épouse Masako (Michiyo Aratama), il dit à sa famille ce qu'il vient d'apprendre: Sugimoto a été contacté, il est arrivé un accident à son épouse. Le lendemain, ils en savent un peu plus: elle a été assassinée dans des circonstances particulièrement sordides... Mais Tashiro n'en sait-il pas un peu plus?

Le crime va agir en révélateur, et l'enquête va bien vite disparaître au profit de l'interrogation a posteriori, des remises en cause, et d'une sorte de catharsis généralisée: Isao Tashiro remet en question son appartenance à la société, et ne peut vivre avec un secret auquel il a lui-même du mal à croire, Masako souhaite éviter un scandale qui aurait des répercussions sur la vie de ses enfants, et Sugimoto se demande si la mort de son épouse, qu'il n'a pas su garder auprès de lui, ne serait pas le signe d'un nouveau départ. Dans ce film, la crise de la quarantaine prend un aspect profondément douloureux, dont l'élément déclencheur est Saruyi Sugimoto (Akiko Wakabayashi), une perverse mangeuse d'hommes qui a semble-t-il tout fait pour se faire tuer... A l'heure des profonds changements de la société Japonaise, souligner ce fait tend à montrer que ce film est très conservateur, mais c'est aussi, et surtout, une figure de mélodrame, car le vrai drame dans ce film ne se joue pas chez les Sugimoto, mais bien chez les Tashiro. Le visage impassible de détachement de l'époux meurtrier, celui interrogateur de l'épouse dévouée sont les éléments que Naruse choisit de placer en pivot de ses compositions, dans des plans qui tous nous annoncent le drame. Même avec un film mal foutu, et un peu tricheur sur les bords (cette enquête qui sert de déclencheur, et qui ne va nulle part!), Naruse reste un cinéaste du tourment, un esthète de la remise en question, qui sait installer comme personne une atmosphère de regrets et de fin de la fête...

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Published by François Massarelli - dans Mikio Naruse
9 juillet 2014 3 09 /07 /juillet /2014 10:59

Le monde de Naruse est exclusivement contemporain, et pour lui le champ de bataille, c'est la famille et la vie quotidienne. Et dans certains films, mais pas tous, c'est le couple marié qui est le centre de son univers... Le repas tire son titre d'une réalité sociale qui fait que la femme et l'homme mariés ensemble font finalement le lien entre eux essentiellement au travers du repas, et que dans le japon des années 50, ou les traditions ont la peau particulièrement dure en dépit de l'héritage de la guerre, la femme est là pour assurer l'intendance. C'est le cas de Michiyo (Setsuko Hara), mariée de son propre chef avec Hatsunasuko (Ken Uehara), un agent de change modeste mais avec des valeurs: il ne souhaite pas participer à la spéculation boursière contrairement à ses copains, ne fait pas la noce, ne trompe pas sa femme... Et pourtant Michiyo, épouse exemplaire mais sans enfants ne semble pas pouvoir tirer de son mariage autant de satisfaction qu'elle espérait. L'arrivée intempestive de la nièce d'Hatsunasuko, Satoko (Yukiko Sumazaki) va précipiter une brouille: la jeune pétroleuse est un rien trop entreprenante avec son oncle, et elle aspire à vivre dans un trourbillon qui sied assez peu avec la vie rangée des deux héros. Et Michiyo laisse le doute s'installer, et remet en question la validité de son mariage.

Ce film délicat est surtout fait de petits riens, mais il est habité d'une chaleur humaine communicative. La façon dont Naruse installe l'univers de Michiyo, les habitudes, mais aussi l'indifférence inconsciente manifestée par son mari, le tout en laissant la jeune femme raconter elle-même sa vie, est très efficace. Le petit théâtre de Naruse sait parfois être cruel, bien plus cruel d'ailleurs que ce film, mais ici on est confronté à une mise en évidence des frustrations de la condition féminine, qui ne passe absolument pas par une prise de position militante comme celle de Mizoguchi: de fait, c'est un constat amer que fait Mikio Naruse par la voix de Michiyo: une femme, disent-ils en substance, a plus à attendre que de devenir la bonniche de son mari. Une vie entière passée à servir ne suffira pas à la satisfaction de l'héroïne. Que ce qui manque soit la passion, le désir, la sexualité, la réussite sociale, l'affection, la maternité, ou même (On est au Japon, rappelons-le) une vie professionnelle, on ne se prononce pas: toutes les portes sont volontairement ouvertes... Raison de plus pour considérer ce très beau film comme une excellente introduction à l'oeuvre de Naruse.

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Published by François Massarelli - dans Mikio Naruse
16 août 2012 4 16 /08 /août /2012 10:23

Quand une femme monte l'escalier... en direction de son lieu de travail, un bar dans le quartier de Ginza, à Tokyo, elle s'arrête un instant pour considérer le cours de sa vie. Et on est totalement dans l'univers de Mikio Naruse, dans un enchevêtrement savant de moments du quotidien enchainés avec un incroyable talent par le réalisateur qui nous donne à voir son sujet de prédilection en cette aube des années 60: le bilan amer de la vie d'une femme à la croisée des chemins. Pourtant, contrairement à Histoire d'une femme, tourné l'année suivante, pas de flash-back ici, tout est situé en cette période de crise dans la vie de Keiko (Hideo Takamine): elle est hôtesse de bar, travaille sans relâche, mais voit autour d'elle les autres femmes évoluer différemment; son amie Yuri par exemple a joué le tout pour le tout, et a réussi à trouver des appuis pour ouvrir son propre établissement, tout en lui volant sa clientèle. Pas d'amertume entre elles, juste de l'inspiration: Keiko est tentée de faire de même, et démarche activement les financiers probables, généralement des clients, en compagnie de Komatsu (Tatsuya Nakadai), le fidèle comptable, amoureux d'elle en silence. Une autre femme qui se débrouille, apparemment, c'est Kundo; elle aussi a de l'ambition, mais elle n'hésite pas à aller plus loin, et couche sans vergogne dans le but d'acquérir son indépendance. entre ces deux exemples, la vie difficile de Keiko va basculer, elle qui a trente ans est entrée dans la dernière période de sa vie au cours de laquelle elle pourra soit se marier soit devenir sa propre patronne...

 

Les choix de Keiko sont nombreux au début du film; les sentiments tout d'abord, dans la mesure ou le personnage joué par Nakadai (génial, comme d'habitude) ne fait aucun mystère de son attirance; elle peut même devenir la maitresse d'un autre homme, mais au vieux dégoutant qui lui fait des avances (Ganjiro Nakamura), elle préfèrerait l'homme qu'elle aime en secret depuis cinq ans, et que par orgueil elle n'a jamais démarché pour de l'argent (Masayuki Mori); elle peut aussi suivre l'exemple de Yuri (Keiko Awaji) mais elle aura vite la surprise d'apprendre que son amie et rivale est au bout du rouleau sous la pression... Elle peut peut-être se marier, mais le seul prétendant raisonnable (Daisuke Kato) s'avèrera plus que décevant; et bien sur, elle a aussi l'option de coucher, mais elle s'y refuse. Confrontée au cap de la trentaine, Hideo Takamine promène son beau visage lumineux en faisant illusion, mais le point de vue du film ne trompe personne sur le fait qu'elle soit clairement à un tournant dramatique de sa vie. Le cinémascope, en noir et blanc, la musique de Toshiro Mayuzumi largement inspirée du jazz chic du Modern Jazz Quartet, qui sied parfaitement à ces histoires de sorties nocturnes, contribuent à donner un écrin magnifique, de grande classe, à une histoire terrible de vie gâchée, racontée avec une étonnante franchise par un maitre.

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Published by François Massarelli - dans Mikio Naruse
10 août 2012 5 10 /08 /août /2012 17:25

http://1.bp.blogspot.com/_TEyvXPoVuNY/Rs1RogJzx8I/AAAAAAAAAWY/_WNwlA62Ig8/s320/Nuages+d'%C3%A9t%C3%A92.jpgAu milieu des mélodrames contemporains essentiellement urbains de Mikio Naruse (Quand une femme monte l'escalier, pour ne citer que le plus célèbre), ce film apparait de prime abord comme une halte rurale inattendue, mais on va vite se rendre à l'évidence: si le film parle effectivement de la condition paysanne, Naruse dresse un constat maussade, et parle comme à son habitude de gens arrivés à une période difficile de leur vie.

 

Yaé, veuve de guerre, reçoit un journaliste, Okawa, venu étudier les effets d'une réforme des héritages imposée par les Américains, et lui expose la situation familiale: elle-même est presqu'une esclave pour sa belle-mère, jusqu'à ce que son jeune fils se marie. Son frère Wakusé est quant à lui confronté à des problèmes: son grand fils Shin travaille désormais dans une banque, et souhaite s'affranchir de la tutelle paternelle, qui lui coute; Hatsu, son deuxième fils d'une deuxième épouse, a vieilli sans trouver d'épouse, et il faut le marier; enfin, Jun, le troisième fils, d'un troisième mariage, souhaite prendre son indépendance lui aussi: devant tant de manquements à la tradition, le frère de Yaé est submergé par le conflit de générations. de son coté, les rencontres de yaé avec Okawa se multiplient, et vont progressivement la pousser à s'affirmer, à tenter elle aussi de s'affranchir des traditions. Plus grave, elle tombe amoureuse de lui, alors qu'il est marié...

 

L'enchevêtrement de personnages, mélangés par Naruse au gré d'un chengments permanents de points de vue, ne rendent pas la navigation facile dans le film, mais l'accumulation des anecdotes et des rapports entre es gens sont une récompense pour le spectateur, qui s'atache forcément à tous ces gens, à Shin et Hamako, les deux cousins qui tombent amoureux, indifférents aux tractations de leurs parents, en coulisse; à Hatsu et Michiko, qui vont assumer tant et si bien leur mariage arrangé qu'ils vont de leur propre chef prendre les devants; à Chié, la condisciple de Yaé tellement indépendante qu'elle apprend à conduire; à Wakusé, le paysan si attaché à ses traditions qu'il ne se rend pas compte qu'il souhaite imposer à ses enfants les mêmes limites que lui imposait son propre père et dont il a tant souffert... Mais surtout il y a Yaé, personnage central, à laquelle naruse a donné les scènes les plus belles; cette rencontre sur la plage avec Okawa, durant laquelle les sentiments commencent à se révéler à travers des non-dits... puis l'adultère est montré comme un développement logique, assumé avec tristesse par l'héroïne. Le réalisateur a confié à l'actrice Chikage Awashima le rôle de ce trait d'union entre tous les êtres, qui finit par constater que tout s'est arrangé, que tous ont évolué, mais qu'elle est elle-même toujours au même point...  Naruse est tellement rare, que n'importe lequel de ses films est une occasion de se réjouir de toute façon.

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Published by François Massarelli - dans Mikio Naruse
8 mai 2011 7 08 /05 /mai /2011 17:27

Avant même le générique du film, des images de rue, comme en écho au concept soulevé par le titre: la rue comme métaphore de la vie en même temps que son cadre... les premières images sont énigmatiques, marquées par un montage serré, la touche des premiers Naruse. des gens qui vivents, se retrouvents, s'attendent, travaillent, passent dans la rue. Des éléments économiques aussi, une vitrine avec des bijoux, puis une autre avec des viennoiseries... la décor est planté, l'univers aussi, pour un film peu banal de Mikio Naruse: en conflit de plus en plus ouvert avec la Schochiku, il ne voulait pas de ce sujet. Des quatre autres films muets conservés de l'auteur de ce film, on constate qu'un seul n'est pas écrit par lui, le plus mélodramatique, Après notre séparation. Ici, c'est encore de mélo qu'il s'agit, et naruse n'en veut pas parce qu'il a trouvé son univers et ne souhaite pus revenir en arrière, à plus forte raison pour traiter un sujet qu'il considère comme un feuilleton sans envergure... le film lui sera imposé avec la condition qu'il fasse ce qu'il veut ensuite.

Sugiko est serveuse dans un bar, et elle a un amoureux, un homme dont la famille souhaite qu'il fasse un mariage prestigieux, mais lui n'en a cure: il veut Sugiko. Celle-ci est courtisée par un studio de cinéma qui s'intéresse à sa plastique, bref tout va pour le mieux... mais Sugiko a un accident, renversée par un jeune bourgeois, et son petit ami, sans nouvelles, disparait purement et simplement de la circulation. Sugiko commence à fréquenter Hiroshi, le riche automobiliste responsable de l'accident, et entre les deux, l'amour commence à poindre. Hiroshi va donc, contre la volonté de sa mère et de sa soeur, épouser Siguko. tout est pour le mieux? Pas sûr...

Le destin, une fois de plus incarné par non pas un, mais deux accidents de voiture, va donc placer Sugiko sur un terrain glissant, et son environnement aussi. Mais la cible de naruse, c'est aussi et surtout la bourgeoisie et ses préjugés, les manies qui consistent à privilégier le prestige sur l'amour, tout un carcan de conventions sociales qui emprisonnent aussi bien Hiroshi que Sugiko. comme en écho, l'amie serveuse de Sugiko qui a saisi l'opportunité laissée vacante par Sugiko et est devenue actrice: elle aussi est rattrappée par les préjugés, et demande à son petit ami de resteer à l'écart, puisqu'il est d'une autre classe... un monde de classes, donc, dans lequel il faut s'élever, et tout abandonner. Au beau milieu de ce film, la personnalité de Setsuko Shinobu domne sans mal, impérieuse, au visage de marbre, dur et sévère à la fin, autant qu'elle était douce et optimiste au début. On comprend un peu Naruse, qui souhaitait dépeindre un monde mois fermé, moins circonscrit par les conventions de la fiction: ici, l'histoire aboutit à une étape ou certains des protagonistes trouvent le bonheur, mais qu'on ne s'y trompe pas, cette Sugiko, qui choisit un conflit sans concessions contre sa belle-famille, qui reprend sa liberté dans un monde dominé par les hommes, au risque de rester dans l'incertitude - et au plus bas de la classe ouvrière -  toute sa vie, avec la plus belle des dignités, est bien une héroïne de Mikio Naruse, une grande.

Le réalisateur, à la veille de s'essayer au cinéma parlant, utilise le montage d'une façon toujours aussi inventive, avec ses inserts étonnants (Et même déroutants parfois, comme cette conversation entre deux amants entrelacée de vues de lampes éclairées et de bâtiments), ses plans en mouvement qui balaient l'espace, ses séquences de montage rapide: l'accident de la fin, vu entièrement par le biais des obkets personnels des victimes qui dévalent une pente sans fin, et un chapeau qui arrête sa course sur un rocher... Naruse va donc faire ce qu'il veut à l'issue de ce film: quitter la compagnie à laquelle il a travaillé depuis 24 films.

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Published by François Massarelli - dans Mikio Naruse Muet 1934 Criterion *