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2 juin 2022 4 02 /06 /juin /2022 11:45

Sur la Côte d'Opale, entre champs, hameaux, mer et dunes, nous suivons un homme (David Dewaele), un vagabond selon les standards de la société. Il est, plus ou moins, redresseur de torts, et doté de pouvoirs surnaturels, dont il n'use qu'à bon escient. Un ange?

...Alors c'est un ange exterminateur: quand son amie (Alexandra Lematre), dont nous ne connaîtrons pas le nom, se plaint de son beau-père et de ses mains baladeuses, le héros prend un fusil et le tue: motivé par une morale supérieure, sans un mot de trop, il règle la justice à sa façon... Pour la jeune femme, c'est son amoureux, mais lui se refuse à elle, et l'encourage à une sorte de méditation vis-à-vis des éléments...

Difficile de résumer un film dans lequel Dumont, une fois de plus, se refuse à toute explication satisfaisante, et joue avec les codes de la religion, mais pas seulement: car si ce héros sans nom, qui semble traquer le mal pour l'extirper des êtres et de la communauté (d'où l'expression apportée dans le titre, "Hors Satan", qui confirme au moins qu'on est face à une sorte d'exorciste), semble bien prier dans la première scène, et apprend ce geste de joindre les mains en creuset comme pour prendre une offrande, il le fait non pas devant un autel ou une croix, ou quelque divinité que ce soit, mais bien devant le soleil, ou parfois devant la nature.

Et s'il se refuse à coucher avec la jeune compagne de ses instants de tranquillité, c'est aussi parce que pour lui, le rapprochement physique semble être une transmission phénoménale d'énergie, comme en témoigne l'unique scène de sexualité typique du cinéaste dans le film: pas de préliminaire, naturaliste, à la limite de la bestialité, et... se finissant par un échange inattendu de fluides, comme si la routarde un peu brute de décoffrage avec laquelle il s'accouple était libérée d'un seul coup d'un démon...

La présence d'une morale au-dessus des hommes, la peinture d'un monde en pleine survie malgré le XXIe siècle, la sexualité comme dernier recours avant la folie, des acteurs taiseux et gauche, aux trognes volontiers dures: ce film intransigeant résonne comme une sorte de résumé parfait de l'oeuvre de Dumont; c'est aussi l'un des plus remarquables, esthétiquement, et l'un des plus beaux. Un film qui une fois de plus vous poussera à vous faire votre propre opinion, quelque part entre un dévoiement de la religion, retournée vers la nature, ou l'affirmation ironique d'un paganisme triomphal...

 

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Published by François Massarelli - dans Bruno Dumont
17 octobre 2021 7 17 /10 /octobre /2021 16:25

Aspirant à devenir religieuse, sous le nom d'Hadewijch, Céline est pourtant priée de "retourner dans le monde", par la mère supérieure de son couvent. Une décision qui la choque et qu'elle ne comprend pas car elle pense que ça la condamne à ne pas pouvoir aimer et être aimée de Dieu... Car Céline est plus que croyante: elle est amoureuse de Jésus, et c'est d'ailleurs cet extrémisme, considéré comme fortement narcissique, qui l'a fait expulser du couvent!

Revenue à ses parents, une riche et influente famille bourgeoise qui vit sur l'île de la Cité, la jeune femme cherche un moyen de retourner à Dieu, et rencontre Hyacine. Le jeune homme, un peu délinquant, un peu voleur, est clairement amoureux d'elle mais accepte son refus d'aimer un mortel. Il va lui présenter son propre frère, un théologien Musulman, qui se prend qui aussi d'amitié pour Céline, qui va chercher en lui des réponses à son désir d'élévation. Lors de leurs conversations, Nassir en vient à présenter à son amie la nécessité de la lutte armée pour rendre possible le royaume de Dieu sur terre...

Déboussolée, Céline? Clairement, celle qui estime en passant à quelques mètres du couvent où elle souhaitait passer le reste de sa vie, qu'elle y est née vraiment, se perd dans le monde qui l'entoure, mais elle n'est pas totalement fermée pour autant. Elle est, aussi, en révolte, et dit à Hyacine qui est venu manger chez elle, du mal de son père membre du gouvernement! Ce que lui reprochera le jeune homme. Hyacine est nettement moins déboussolé qu'elle, et semble accepter certaines barrières, aussi, que se refuse à reconnaître la jeune femme: quand elle l'attend à la sortie de la mosquée, il le lui reproche. Pour Céline, il y a de la curiosité à l'égard d'une religion qui semble vécue dans une certaine harmonie par ses fidèles. 

Nassir est un homme séduisant, théologien accompli (et lui-même docteur en philosophie, c'est lui qui a écrit la leçon que prodigue son personnage à des fidèles dans le film, et que vient écouter, en auditrice libre, Céline); leurs discussions vont tourner à une certaine forme de radicalisation, mais tout en douceur... Ce qui va précipiter la jeune femme vers un engagement totalement inattendu... Le contraste entre Hyacine, un jeune délinquant certes, mais avec une morale, qui ne cherche ni à recruter, ni à convertir, ni à changer Céline, juste à la comprendre, et Nassir qui est séduit par le feu sacré de la croyance qui s'exprime d'une façon passionnée et désordonnée chez la jeune femme, et va lui demander de sacrifier son humanité en l'aidant à tuer... Un développement complexe et douloureux, à l'âge post-11 septembre, qui offre un visage de l'aveuglement religieux qui est bien plus subtil que tout ce qu'on imaginerait aujourd'hui!

Mais ce qui est si passionnant dans le film reste la crise mystique de Céline-Hadewijch, une aspirante nonne qui cherche en Dieu, sans doute, une sorte d'amant. Le nom n'est pas choisi au hasard, celui d'une religieuse flamande avide de construire avec Dieu une relation totale et extatique. Dumont a dirigé Julie Sokolowski en la poussant en permanence vers une sorte de malaise, un doute qui est visible sur son visage, mais le personnage est aussi constamment dans une certaine forme de contradiction, qui éclate au grand jour dans une scène qui a voit prier, nue, puis se glisser dans un lit... Parfois aussi illuminée que Jeanne d'Arc, elle le dit à Nassir et Hyacine: elle veut être à celui qu'elle aime, et celui qu'elle aime, c'est Jésus. L'un ne la comprend pas; l'autre comprend cette quête d'absolu et comment l'exploiter... Un absolu qui semble impossible à vraiment obtenir, et pourtant...

Pourtant, comme André Demester dans Flandres qui revient de l'horreur de la guerre et de la trahison meurtrière d'un ami et souhaite reprendre sa vie à zéro, Céline revient de l'horreur , dans un final énigmatique. Elle est au couvent, et elle recommence à chercher l'absolu, en se laissant couvrir par la pluie froide. Puis elle va au bord d'un étang et se jette à l'eau, pour mourir. 

Et c'est là qu'entre enfin dans sa vie un personnage, celui d'un petit délinquant, David, qui a fait de la prison plusieurs fois. Quand il n'est pas en cellule, il vient travailler au couvent, et là, c'est l'été, il est torse nu: il a vu la jeune femme entrer dans l'eau, il la sauve et la prend dans ses bras.

 

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Published by François Massarelli - dans Bruno Dumont
7 octobre 2021 4 07 /10 /octobre /2021 11:33

Que cache le regard perdu et les sourcils sombres d’André Demester (Samuel Boidin)? L’agriculteur passe des journées morne à son tracteur, sous le regard mystérieux de Barbe (Adélaïde Leroux), son amie d’enfance, qui quelquefois le prend par la main, et dans la froide humidité des après-midis Flandrins, le conduit dans les fourrés où ils ont un rapport sexuel - pas d'autre mot pour un acte mécanique et qui ne semble pas trahir le moindre élément affectif. Puis elle s’en va en lui faisant la bise… Dès le départ il y a quelque chose qui ne va pas entre ces deux-là, et ça tient à leurs sentiments. A ce qu’ils n’expriment pas, et même à ce qu’ils chassent : quand on le lui demande, en présence de Barbe, André nie l’évidence: non ils ne sont pas ensemble, et quand elle se laisse séduire par un autre sous ses yeux, André souffre mais ne le dira pas.

A des kilomètres de là, les deux hommes vont faire partie de la même troupe, dans la même guerre (anonyme, ce pourrait être en Irak, en Afghanistan, ou ailleurs; ça a été tourné en Tunisie), et leur petit groupe (sept soldats) est plus marqué par le conflit interne que par la camaraderie. La guerre y est filmée comme un acte désespéré, nihiliste, mais les rapports entre les hommes, eux-mêmes, sont pires encore: inévitablement, quand les deux protagonistes se retrouvent seuls l’un avec l’autre, ils se retrouvent non pas en camarades, mais en rivaux… Et ça va dégénérer, malgré toutes les bonnes résolutions.

Barbe, de son côté, a une histoire très compliquée: sa mère a fini dans un hôpital psychiatrique, pour des troubles qu’elle semble partager… Son principal problème est-il lié à son attitude très particulière face au sexe, cette passivité et cette acceptation presque servile des désirs des hommes de sa vie? A-t-elle choisi de se tenir à l'écart des sentiments parce qu'ils sont dangereux pour elle?

Loin des Flandres, les scènes de guerre ont beau faire penser à Full Metal Jacket, l’austérité qui s’en dégage est impressionnante. Le cinéaste nous conte une odyssée minable de sept hommes qui vont se fédérer autour… d’un viol. Pas tous, néanmoins : devant l’action de leurs camarades, les deux rivaux en amour assistent dans un premier temps au crime de leurs camarades qui déshabillent une combattante et lui passent dessus à tour de rôle (une scène aussi rigoureuse que violente, bien entendu), mais l’un d’entre eux fera le choix de faire comme eux. Pas l’autre…

A la fin, enfin, les deux copains-copines se retrouvent au pays. L’atmosphère est lourde, car de l’eau a coulé sous les ponts. Il y a eu un enfant, dont on ne sait pas ce qu’il devient… André Demester, lui, a au moins appris une chose : il sait, maintenant, non seulement quels sont ses sentiments à l’égard de la petite Barbe, mais aussi qu’il doit le lui dire…

 

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Published by François Massarelli - dans Bruno Dumont
3 octobre 2021 7 03 /10 /octobre /2021 08:28

Sensé continuer la veine de Ma Loute et P'tit Quinquin, ce Coin-Coin étrange et venu d'ailleurs est d'ailleurs la suite de ce dernier... Donc, c'est alors qu'il cherchait, sans doute, un raccourci qu'il ne trouverait jamais que Coin-coin les a vus... Les flaques de glu.

De la glu, ou une sorte de bouse qui sent fort, assimilable soit à "un gros tas ed'brin" pour reprendre une expression locale, soit à du gasoil, il en pleut parfois littéralement. C'est, je crois, un gag.

Autre gag, l'enquête sur ces phénomènes probablement extra-terrestres échoit au commandant de gendarmerie Van Der Weyden et à son fidèle Carpentier, comme ça on retrouve tout son monde, puisque Coin-coin, c'est Quinquin qui a grandi...

On se confronte à l'évolution du monde, par exemple Eve, la petite amie du héros, a désormais une copine, ce qui déclenche parfois des commentaires acerbes. Calais n'étant pas loin, on croise beaucoup d'Africains et de migrants divers. Là aussi, les commentaires fusent: les "héros" ne sont pas en reste. Un parti néo-fasciste, le Bloc, va participer aux élections, et manifestement la présence des migrants est une aubaine pour eux: toute la population les soutient, et Coin-coin est même engagé pour faire partie du service d'ordre.

Et puis ça dégénère: les flaques extra-humaines donnent naissance à des entités qui provoquent le clonage de quelques humains, dont le commandant et Eve; les gendarmes n'y comprennent rien; Coin-coin fricote avec une fille qui le mène par le bout du nez (entre autres); des déguisements de carnaval se font voir, dont un du commandant; le clergé ne s'arrange pas, et les soupçons de pédophilie avec; on parle de zombies à la fin; l'apocalypse pousse les gendarmes à délirer sec, tout le temps: cascades automobiles, dialogue idiot en permanence, logorrhée et surtout un prout facial permanent, dont le commandant use et abuse pour signaler son trouble.

Cette suite qui ne va nulle part s'imposait-elle? Pour ma part je dirais bien non.

"Non."

 

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Published by François Massarelli - dans Bruno Dumont Comédie
1 octobre 2021 5 01 /10 /octobre /2021 19:13

Désespéré après l'accident qui a coûté la vie à sa femme et son enfant, le lieutenant de police Pharaon de Winter (Emmanuel Schotté), arrière-petit-fils du peintre du même nom, vit avec sa mère, sort souvent avec ses amis, un couple: Joseph (Philippe Thullier) et Domino (Séverine Caneele). Il a envie de Domino, et elle en a conscience, mais elle continue à la laisser évoluer autour d'elle parce qu'il lui inspire de la pitié... Mais aussi, De Winter, sous les ordres d'un commissaire pète-sec, enquête sur un crime odieux: on a retrouvé le cadavre du d'une pré-adolescente, violée puis tuée. 

Dès le départ il me faut parler d'une sorte de tactique d'agression utilisée par Dumont: la première séquence nous montre De Winter, qui erre dans la campagne comme un fou, il est vrai qu'il est fou: de douleur. Il court puis se jette sur la terre humide... Le soupçon, parfois, qu'il ait quelque chose à voir avec le meurtre, nous prendra parfois, et c'est bien normal... Le titre, après tout, est L'humanité et à tout prendre, Pharaon De Winter est un humain. Doté d'une forte empathie, d'une immense tendance à la compassion et d'un très fort besoin... De tendresse, de câlins, quoi, ce qui va pousser Domino à mal lire en lui et lui proposer, un peu trop crûment, de la caresser...

Puisqu'on en parle, et même si chez Dumont c'est assez fréquent, on verra à trois reprises Domino et Joseph dans leurs ébats, et si la passion semble parfois y être, ce qui est frappant, c'est à quel point le cinéaste évite justement de s'appesantir sur la plastique de la sexualité. Non qu'elle soit bestiale, non, mais cette représentation crue, encore, de l'acte, qui donne souvent l'impression d'avoir été réellement effectué devant la caméra par des acteurs qui n'ont pas beaucoup de possibilités de lui échapper, est surtout anatomiquement correcte. Comme l'est la présence de deux citations de L'origine du monde de Courbet; la première fois, c'est particulièrement choquant, et c'est à nouveau une agression: c'est la fillette qui est morte, le vagin ensanglanté... Un plan que très honnêtement on n'avait pas envie de voir. La deuxième fois fait écho à la tentative gauche de Domino, et cette fois c'est elle qu'on voit dans cette impudique position... 

Mais chez De Winter, qui enquête et tente de survivre à son chagrin, lentement, mollement même, l'empathie et la recherche d'un contact rassurant passe parfois par des extrêmes, ainsi quand ses investigations professionnelles le mènent dans une institution psychiatrique, il sollicite un peu de tendresse de la part d'un soignant, qui s'exécute. Puis quand il fait face aux coupable de crimes, il a une réaction étonnante: la caresse, pour un dealer qui a l'air de ne pas en revenir... Puis face au violeur une fois attrapé, De Winter lui roule un patin... 

Là encore, la provocation l'emporte chez Dumont, qui échappe par ces divers à-côté au naturalisme de son film précédent. En De Winter il semble avoir trouvé une boule de compassion, un homme avec trop d'amour à donner et qui n'a plus personne à qui le donner, mais aussi un nouveau "Jésus" un peu plus explicite que celui de l'énigmatique titre du premier film de Dumont... Le film, tourné une fois de plus dans le Nord avec des acteurs non professionnels (et le principal d'entre eux a probablement été choisi pour sa gaucherie et sa lenteur, qui envahit tout le film), est énigmatique même si sa recherche difficile d'épiphanie, d'élévation et de sacré passe par des énigmes parfois séduisantes, à travers cet étrange personnage, hanté par la mort, amoureux d'une ombre, descendant d'un peintre et habitant dans une rue qui porte son nom, puisque ce peintre était local et célèbre... Moins abouti, plus ambigu que La vie de Jésus, L'humanité trouvera lui aussi un écho dans l'étrange et plus burlesque P'tit Quinquin, 15 années plus tard. Il n'a, en attendant, pas encore livré tous ses secrets...

 

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Published by François Massarelli - dans Bruno Dumont
30 septembre 2021 4 30 /09 /septembre /2021 18:35

D'emblée, on constatera que ce film, le premier long métrage de Dumont, est la matrice d'une bonne part de son oeuvre: tournage en Nord-Pas de Calais, comme on disait avant, avec des gens du cru pour acteurs, absence de tout embellissement, et une intrigue linéaire qui s'abstient du moindre manichéisme. L'intrigue a d'ailleurs (comme le film suivant, Lhumanité) beaucoup en commun avec l'univers de P'tit Quinquin, la série de 2014 qui a surpris tout le monde par son humour. C'est pourtant la même région, et en quelque sorte un peu les mêmes gens...

L'heure n'est pourtant pas à la rigolade: épileptique, Freddy (David Douche) profite un peu de sa maladie pour ne pas faire grand chose: mobylette avec les copains, promenades en amoureux avec Marie (Marjorie Cottreel), qu'il connaît depuis longtemps, parce qu'ils sont voisins, et ils sont très amoureux. Et bien sûr, des siestes à deux... Accessoirement, Freddy est tambour à l'harmonie municipale... Depuis quelques temps, lui et ses copains ont vu une famille de Maghrébins, dont ils aiment se moquer, comme du reste à peu près toute la population de Bailleul! Mais le fils de cette famille, Kader, qui a les mêmes occupations qu'eux (c'est à dire glander et faire de la mobylette), tourne autour de Marie et celle-ci ne lui est pas indifférente...

Ca finira mal: ici, le racisme est partout, chevillé au corps de tout un chacun, comme d'autres idées nauséabondes, d'ailleurs: apprenant qu'un ami de Freddy est en train de mourir du SIDA, un voisin demande "Il est homosexuel, alors? Comme tous les gens de la télé!". Mais justement, ce qui me frappe, c'est à quel point Dumont investit dans ses personnages, ne se contente pas de les étiqueter racistes, il leur donne une vraie dimension, et un parcours fait d'épiphanies, d'illuminations, d'élévations même: l'amour, pour commencer, et puis le plaisir de rouler en mob... au risque de se planter gravement. Freddy, plusieurs fois, arbore les stigmates de chutes qui auraient pu être graves. Le film porte d'ailleurs une grande attention au corps, que Freddy montre aussi souvent que possible, torse nu sur son vélomoteur, et Marie, voire la mère de Freddy sont également vues dans leur naturel. C'est qu'on touche ici à l'essence même de l'humain. Les scènes de sexualité sont, de fait, parfois plus que crues.

Mais le sujet du film, c'est le mal qui est partout. On le sait maintenant, il n'est pas que dans le Nord, on le trouve aussi sur les murs de nos villes (et ça ne va pas s'arranger), sur les plateaux de télévision, dans la tête des uns et des autres. D'où la nécessité absolue d'un film honnête, qui appelle un chat un chat, comme on dit, et qui montre la mécanique souvent affective et impulsive du racisme... Pas que du racisme, d'ailleurs, la bêtise mâle en prend pour son grade: les cinq garçons ont profité d'une cohue pour tripoter et déshabiller une majorette parce qu'ils la trouvaient trop grosse. C'est à ce moment-là, quand on offrait à Freddy de s'excuser d'un viol (qu'il ne reconnaît pas comme tel) qu'il aurait pu inverser le cours des choses. C'est le moment que choisira Marie pour lui dire qu'il est hors de question qu'elle reste avec quelqu'un capable de faire ça.

Jésus? Ne le cherchez pas, le titre est métaphorique plus qu'ironique: les uns verront en Freddy un martyr de la cause raciste, engueulé par un policier effaré par sa violence; les autres verront en Kader, sacrifié sur l'autel de la bêtise de masse, un symbole de ce qui ne tourne pas rond dans la société actuelle: certes le film date de 1996, mais il faudrait être sourd, muet et aveugle pour ne pas avoir constaté à quel point le monde d'aujourd'hui en rajoute dans cet écoeurement permanent.

Et ce premier film-matrice, tourné par un novice avec trois francs six sous  dans sa région, avec des non-acteurs magnifiquement dirigés, est impressionnant de maîtrise. Voilà...

 

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Published by François Massarelli - dans Bruno Dumont
23 septembre 2021 4 23 /09 /septembre /2021 10:30

Dans l'étrange et rugueux univers de Bruno Dumont, P'tit Quinquin avait tout pour surprendre: certes, il avait déjà filmé le Nord (au sens large puisqu'ici il s'agit du Pas-De-Calais) et ses habitants, privilégiant aussi souvent que possible et en fonction des besoins des non-acteurs, ou acteurs non professionnels pour être plus exact. Mais son cinéma se faisait globalement bien plus remarquer pour son naturalisme que pour d'autres ingrédients. Car ce film en quatre épisodes, ou cette série, choisissez la dénomination qui vous conviendra, est dans on intention une enquête policière burlesque...

Dans un petit village sur la Côte d'Opale, on trouve le cadavre d'une vache qui contient tout ou presque, mais en morceaux, du cadavre d'une femme, bientôt identifiée comme étant Mme Lebleu, fermière... Bientôt d'autres cadavres vont s'ajouter: un immigré d'Afrique centrale, M. Bihry, sera lui aussi trouvé dans un bovin; M. Lebleu, le mari éprouvé, sera découvert dans sa fosse à purin; le fils Bihry se tirera une balle dans la tête après avoir tenté un baroud d'honneur en forme de jihad sans grand conviction; la petite Aurélie, une adolescente qui avait une relation confuse avec ce dernier, sera retrouvée mangée par des cochons, et enfin on trouvera le corps d'une majorette, qui entretenait avec M. Lebleu des rapports d'affection, sur la plage, avec des attributs de sirène...

L'une des clés du mystère semble être la morale, puisque les deux premières victimes étaient amants et que toutes les suivantes ont un lien: le veuf, puis sa maîtresse, ou encore le fils d'une victime, puis une jeune femme qui a été tentée d'avoir une relation avec lui... 

Mais arrêtons-nous, quelques instants: j'ai écrit, plus haut, "burlesque", et au vu de ce résumé d'une sombre affaire (qui ne sera d'ailleurs absolument pas élucidée dans le film!) qui implique des nombreux décès, tous plus sordides les uns que les autres (tiens, il me revient à l'esprit qu'à un moment, on a trouvé la tête de Mme Lebleu sur une bouse de vache...) on peut se demander ce qui justifierait un tel adjectif! C'est qu'en laissant les gens du cru s'exprimer à leur façon, en encourageant le recours aux idiotismes les plus farfelus, et en confiant l'enquête à deux policiers certes chevronnés, mais surtout fortement pittoresques, Dumont a fait pencher vers le loufoque et l'absurde cette sombre histoire de possession d'un village par un démon qui restera anonyme...

Car les deux gendarmes de Calais qui mènent l'enquête, le commandant Van Der Weyden (Bernard Pruvost) et l'inspecteur Carpentier (Philippe Jore) sont des limiers d'un genre nouveau: le premier, un quinquagénaire au corps gauche, au visage mobile (bardé de tics et de mouvements nerveux), a une diction qui semble avoir une vie propre et indépendante de sa volonté, avec comme il se doit un fort accent nordique et des considérations qui font appel à un bon sens, disons, gendarmistique (notamment ses vues sur le couple formé par une fermière locale et un travailleur immigré, nous rappelle l'influence des idées nauséabondes d'un parti néo-fasciste très implanté dans ces régions); le deuxième est dévoué au premier et le compète, en exprimant parfois de manière plus simple et plus directe, les mêmes considérations. Les deux forment un couple indissociable, uni dans ses dialogues qui reposent sur une solide base de phrases répétées jusqu'à l'absurde ("On est au coeur du mal, là, Carpentier" "c'est sûr, mon commandant")... Et l'intégralité de cette enquête semble vue du point de vue des enfants, de P'tit Quinquin (Alane Delhaye), le gamin d'une autre famille Lebleu, qui s'emmerderait ferme qu'il n'y avait les copains, le vélo, la plage et les bagarres, sans oublier la petite Eve (Lucy Caron), son amoureuse qui monte sur son vélo pour leurs équipées sauvages sur la cote. Leur point de vue de gamins qui souhaitent vivre leur vie tout en participant à une enquête qui les mobilise, débouche sur une vraie poésie, même si eux aussi sont rattrapés par la xénophobie ambiante...

On est parfois par terre, parfois pantois, parfois embarrassé aussi devant cette humanité (rappel ici d'un autre film de Dumont qui lui aussi montrait une enquête) qui ne cherche pas à s'embellir, et Dumont multiplie d'ailleurs les provocations de casting, privilégiant souvent des acteurs qui ont les plus grandes difficultés à parler ou se faire comprendre (le médecin légiste tient le pompon), et même des gens qui ont des difficultés motrices, pour les mettre en avant. la gêne que nous ressentons est-elle de notre fait ou un but délibéré du metteur en scène, je n'ai à ce stade pas de réponse. Et la donnée idéologique, cette trace de racisme dans les personnages, au vu des résultats  d'élection, nous fait nous poser la question: le personnage est raciste, certes. Mais quelle part ces gens prennent-ils dans cette flambée xénophobe? Comme le dit le commandant de gendarmerie, on est au coeur du mal, et la morale, l'intolérance, le soupçon quant au voisin, et des comportements antédiluviens quant au moeurs sont ici mis en valeur, d'une façon qui pourrait bien être une nouvelle forme de naturalisme. Dont d'ailleurs, dans une pirouette, Dumont souligne les contours à travers un échange rigolo entre Carpentier et Van Der Weyden, qui commentent le fait qu'on ait trouvé des restes humains dans le corps d'une vache: "la bête humaine... c'est du Zola, mon commandant!" "On n'est pas là pour philosopher, Carpentier!"...

...Quant aux crimes, je vais vous dire ma façon de penser: c'est le cagoulard qui a fait le coup.

 

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Published by François Massarelli - dans Bruno Dumont Comédie
28 novembre 2018 3 28 /11 /novembre /2018 18:17

Transformé, assagi, ou tout simplement inscrit dans une évolution? On a connu un Dumont embarqué dans une croisade naturaliste qui débouchait sur des films durs, tendus et dont le jeu confié à de seuls acteurs non-professionnels était VOLONTAIREMENT approximatif, sans parler des plans fixes de 14 minutes sur une vache qui regarde passer les trains... On l'a connu aussi en pourvoyeur paradoxal d'une mini-série sur Arte, P'tit quinquin, qui obéit aux mêmes principes que ces premiers longs, à savoir un tournage Nordiste avec uniquement des amateurs du cru. Une oeuvre étrange, qui distille à la fois une atmosphère burlesque et une impression forte de malaise, liée à l'impression insistante que les acteurs d'un jour étaient utilisés justement pour leur incapacité à jouer, et pour leur étrange naturel, à leur corps défendant.

C'est la raison pour laquelle Ma Loute est réjouissant: cette fois, les acteurs amateurs et débutants (certains qui jouaient pour la première fois se sont ensuite lancés dans une carrière) sont accompagnés d'acteurs professionnels, et quels: Juliette Binoche, Valeria Bruni-Tedeschi, Jean-Luc Vincent et Fabrice Luchini, qui tous d'ailleurs jouent les membres d'une même famille, des bourgeois de Lille qui sont un peu des étrangers en côte d'Opale, où ils vont passer leurs vacances, par opposition aux acteurs locaux qui tous (sauf les enfants de la famille bourgeoise) jouent des gens du peuple, et les policiers...

En 1910, sur la Côte, une série de disparitions étranges secouent une petite localité de pêcheurs. L'inspecteur Machin enquête, secondé de son fidèle adjoint Malfoy. Pendant ce temps la famille Van Peteghem prend ses quartiers d'été: le père André, la mère Isabelle, les filles, et Billy, la fille-fils d'Aude Van Peteghem, la soeur d'André. Ils seront rejoints par Christian, le frère de Madame, et Aude déjà citée. Enfin, troisième groupe de protagonistes, la famille de L'éternel Brufort, ce dernier ayant une affaire lucrative avec son fils Ma Loute: ils aident moyennant finances les riches bourgeois à traverser les gués à pieds secs.

Et accessoirement, ils les mangent: pour le spectateur, l'affaire des disparitions mystérieuses est réglée très vite! Mais ce n'est pas ce qui importe: l'essentiel, c'est la poésie rêveuse et surréaliste de cette confrontation de deux mondes, l'un brut de décoffrage (La famille de pêcheurs locaux anthropophages), et l'autre tellement décadent qu'il en est mille fois plus grotesque. C'est ce climat de loufoquerie dans lequel un policier en surpoids admet qu'il préfère descendre une dune "en roulant sur les fesses, c'est plus pratique"... Un curé à demi fou consacre les fidèles réunis pour une procession à Notre-Dame-des-Flots (La Vierge des Marins) en leur disant Pêchez, pauvres Pêcheurs, Maquereaux et Morues! et Billy, la fille de Juliette Binoche, est-elle une fille qui se déguise en garçon, où un garçon qui se déguise en fille qui se déguise en garçon? et pour finir, si vous avez envie de voir Juliette Binoche partir complètement en vrille, ou Fabrice Luchini, toutes dents dehors, clamer "Allons faire du char à voile, quoi?", ce film est votre seule chance d'accomplir ce rêve: deux heures, mais oui, de bonheur, par l'auteur de ce tas de boue gluant qu'est Twentynine Palms, ça ne se refuse finalement pas... 

 

 

 

 

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Bruno Dumont
30 juillet 2016 6 30 /07 /juillet /2016 21:51

Le cinéma de Bruno Dumont, ce sont des moments contemplatifs, qui ont la particularité de ne rien contempler, de ne rien donner à contempler. On l'a vu filmant des acteurs non-professionnels dans La vie de Jésus, ou L'humanité, ses deux premiers films, et les poussant à ne pas jouer, mais parfois simplement être... Choisis parce qu'ils étaient ce qu'ils étaient, justement.

Ici, il passe à la vitesse supérieure et met en scène un couple qui s'aime sur une route touristique de l'ouest Américain: Voiture, pompe à essence, faire du sexe dans la montagne, retourner à la voiture.... Puis faire du sexe dans la piscine d'un motel, faire du sexe sur le lit... Une séquence fascinante les montre faire deux KM à pieds pour aller acheter du polish dans un drugstore, en temps réel. A la fin, les deux touristes (Un américain et une Bulgaro-Serbo-Polono-française) se font agresser et lui se fait même violer sous le regard de sa copine, et on est prié de regarder, longuement, péniblement, parce que c'est le sujet, justement: Bruno Dumont admet avoir eu l'idée de ce film comme un plan b, après avoir fini les repérages aux Etats-Unis en compagnie de sa petite amie, pour un film qui est finalement tombé à l'eau. Que le film retrace le périple de gens décalés qui ne vont nulle part tout en se rendant partout prend donc tout son sens...

Je pense que les acteurs jouent mal, et dans deux langues: le Français (Aucun des deux ne le maitrise voire ne le comprend), et l'Anglais. Mais ce qu'il en sort, c'est bien sûr cette impression qu'on ne va nulle part, alors autant regarder... Et ce qu'on voit, c'est un retour méthodique, systématique, à l'état animal: je me suis souvent demandé comment il se faisait que les personnages de Dumont (qui ont une vie sexuelle visiblement active) ne se livraient jamais à des préliminaires, eh bien ce film donne un élément de réponse: cette absence de sophistication dans l'acte sexuel les renvoie à leur animalité et c'est le processus qui va faire régresser l'homme (au détriment de sa compagne comme on le verra à la fin) vers la condition d'un animal qui nous est contée par le menu: nudité, langage de moins en moins pertinent, brutalité, viol, et finalement meurtre.

En attendant, Yekaterina Golubeva est bien meilleure que dans POLA X, de Leos Carax; son rôle, une fois de plus, situe le plus souvent la caméra au plus près de son corps dénudé, mais elle réussit à porter ses doutes et son envie de faire fonctionner un couple qui bat de l'aile. Elle n'est pas aidée par son partenaire, mais on le verra, celui-ci a la mission d'incarner ce glissement vers l'inhumain (pour reprendre l'expression du commandant Van Der Weyden)... 

Quand même, loin des Flandres, il se passe des choses pas très catholiques: je termine en précisant que si on peut faire tenir l'importance d'un film dans ses cinq dernières minutes alors ce serait un chef d'oeuvre du cinéma d'horreur. Mais il y a 105 minutes avant d'y arriver, et donc, vous pouvez soit voir plus haut soit profiter du résumé suivant: voiture, sexe, pipi, voiture, motel, sexe, télévision, engueulade, voiture, montagne, sexe, caca, viol, mort. Ouf!

 

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Published by François Massarelli - dans Zizi panpan Bruno Dumont Mettons-nous tous tout nus