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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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25 juin 2012 1 25 /06 /juin /2012 11:28

Le vétéran de la MGM Woody Van Dyke était réputé pour son efficacité, son métier, son coté direct et l'imperturbable stakhanovisme qui lui permettait au studio d'enchainer film sur film, sans discontinuer, jusqu'à sa mort prématurée en 1942. Ses oeuvres les plus personnelles, au tournant des années 30, mettaient généralement en scène des aventuriers aux prises avec une vie sauvage, intense, juingles et bêtes exotiques... White shadows in the south seas, Trader Horn ou Eskimo sont quelques-uns des titres de ce Merian C. Cooper de la MGM, dont Tarzan the ape man représente en quelque sorte un compromis idéal entre aventures exotiques et jungle de studio... Mais dès 1934, avec Manhattan melodrama, ou The Thin man, l'homme s'est aussi exercé avec une surprenante efficacité à donner sa visiondes contours du film noir, sérieux et tragique d'un coté, humoristique de l'autre, avec à chaque fois derrière le savoir-faire, un style.

 

C'est ce Van Dyke-ci qu'on retrouve à la manoeuvre avec ce film tardif, l'un de ses derniers. Un prologue Parisien nous apprend qu'un certain Ward Andrews, sujet Anglais, s'est évadé d'un hopital psychiatrique, et on retrouve Ward Andrews, en compagnie de son ami Philip Montell. Ils ne se sont pas vus depuis longtemps, chacun affirmant revenir d'un long voyage, mais cest Philip qui dit revenir de France... Ils se rendent chez Mme Montell, qui vit avec une jeune femme de compagnie, Stella. Les deux compères tombent tous deux amoureux, mais c'est Philip qui se mariera avec elle. Très vite, elle sera amenée à le regretter amèrement, le jeune homme étant particulièrement tordu, voire inquiétant...

 

Van Dyke a appris avec la série des Thin Man, dont il a réalisé quatre épisodes, à poser en quelques plans, et une ou deux scènes, une exposition parfaitement fonctionnelle. Il se livre à l'exercice, ici, avec deux parties: d'une part l'anecdote de l'hôpital, avec Oscar Homolka en simili-Freud, dans laquelle on ne voit jamais le personnage de "Ward Andrews" et ensuite la rencontre entre Andrews et Montell. Le mystère soulevé très vite par le film, lequel des deux hommes s'est réellement évadé, n'en est pas un très longtemps, Montell n'avançant pas masqué du tout, et de fait, avec l'angoisse de savoir jusqu'ou le personnage va aller, on est un peu en teritoire Hitchcockien, d'autant que le dernier acte du film concerne l'histoire d'un faux coupable. Une autre filiation existe, aussi, avec Hitchcock bien sur (Rebecca et Suspicion), mais aussi avec d'autres films de ce genre, dans lesquels une femme se rend compte, ou croit se rendre compte, qu'elle est mariée à un psychopathe: Gaslight, bien sur, de George Cukor, vient à l'esprit... Parallèlement, l'interprétation de Robert Montgomery, George Sanders (Dans un rare rôle sympathique) et Ingrid Bergman est excellente.

 

Bref, avec Rage in heaven, un film réalisé à l'aube du genre qu'est le film noir, Van Dyke s'affirme une fois de plus comme un petit maitre de tous les styles, parfaitement à l'aise dans le fait de mettre en place un climat de malaise, même si bien sur, le maitre du genre qui venait tout juste d'arriver aux Etats-Unis n'a pas encore dit son dernier mot.

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Published by François Massarelli - dans Noir Woody Van Dyke
15 juin 2012 5 15 /06 /juin /2012 10:27

Quand on y pense, il n'y a pas grand chose qui ressemble à Seven, du moins dans ce qui est sorti auparavant; on peut quand même reprendre l'hypothèse (D'ailleurs confirmée par les commentaires audio de Fincher sur certains films) qu'il ait été influencé par Michael Mann et son Manhunter (1986), d'autant que ce dernier film repose sur le lien qui s'établit entre un tueur et un "profiler", celui-ci étant sollicité jusqu'aux limites de l'identification; on peut sans aucun doute attribuer l'existence du script de Seven au grand succès de Silence of the lambs, de Jonathan Demme, qui a remis le thriller au gout du jour en obtenant une inattendue distinction pour un film de ce genre: la statuette de meilleur film aux Academy awards de1991... Si ce n'était pas clair à l'époque de la sortie du film alors que le bleu Fincher était un quasi inconnu, le reste de sa carrière a confirmé que si le metteur en scène s'est acquitté d'un travail exceptionnel, ce qu'on prenait pour une fascination exercée par le mal sur le metteur en scène est une fausse piste. Bien sur, il s'intéresse au mal, mais ce qui frappe aujourd'hui, après avoir vu les films ultérieurs, en particulier The panic room, Zodiac, The social network et The girl with the dragon tattoo, c'est l'étonnante posture morale du metteur en scène. Lui qu'on accuse à tort et à travers de faire dans l'excès de virtuosité, est surtout un champion du placement juste et rigoureux, de la scène parfaitement accomplie, et a su se placer sur un terrain mouvant en sécurité, montrant la fascination exercée par le mal sur des êtres en prise directe avec le crime, mais à bonne distance... Ses films sont d'abord et avant tout des histoires consacrées à des êtres mus autant par une vision morale qu'une obsession savamment contrôlée, ...jusqu'à un certain point de rupture.

L'inspecteur Somerset, qui va prendre sa retraite, est flanqué pour ses derniers jours d'un nouveau, le jeune et impulsif David Mills. Les deux hommes font équipe, en bougonnant, sur une meurtre crapuleux et sordide, un homme ayant été retrouvé ligoté, devant une assiette qui a servi d'arme du crime, le tueur ayant obligé sa victime à manger jusqu'à éclatement. Les deux hommes qui ne s'apprécient guère vont devoir vite s'apprivoiser, en effet, ils vont être confrontés à la découverte d'autres crimes perpétrés par le même tueur, tous en rapports avec les sept pêchés capitaux. Et ils ont aussi vite rencontrer l'homme qu'ils recherchent, un certain John Doe, autant dire un inconnu, qui a une oeuvre à accomplir...

"John Doe", David Mills et William Somerset: trois hommes, trois visions du monde, mais ils partagent quelque chose, du moins théoriquement; ils ont une morale. Celle-ci est différente: pour "Doe" (Kevin Spacey), la morale est à peu près aussi simpliste que celle du baptiste le plus néandertalien, mais ce qu'il en fait n'est pas banal. il n'oublie même pas de s'inclure dans son plan diabolique, en prenant conscience de sa propre insuffisance humaine. Il est un visage du mal, idéal puisque insaisissable. On en saura bien peu sur lui, Fincher privilégiant les informations génériques à son égard... Lors de la confrontation avec les deux détectives, l'inspecteur Mills tend à le prendre pour un simple maniaque, alors que Somerset trahit par des regards expressifs l'inquiétude que lui inspire le fou homicide. Chez Mills (Brad Pitt), la morale est liée à une vision impulsive du bon droit, ce qui le pousse parfois à commettre des as de travers, l'un des plus notables étant cette façon de défoncer la porte du coupable, dont le domicile n'a été trouvé que grâce à une source illégale. Mills est un flic inachevé, qui a des leçons à prendre de Somerset, et dont l'impulsivité est motivée par une certaine tendance à l'indignation. Enfin, Somerset (Morgan Freeman), qui a de la bouteille, et des lettres, est un homme d'expérience, qui tente par tous les moyens de conserver son sang-froid en toute circonstances. Il est reconnu instantanément par tous comme un sage, à tel point que Tracy, l'épouse de Mills (Gwyneth Paltrow), se confiera à lui afin de dire ce qu'elle ne peut pas dire à son époux... Le film est finalement un confluent de ces trois visions.

La rigueur de Fincher est très impressionnante, qui le pousse à ne commettre aucun faux pas dans ce film, en particulier en matière de point de vue: on n'aura jamais le point de vue du criminel, à l'exception d'une scène magistrale, au cours de laquelle il rejoint "ses" enquêteurs, pour effectuer avec eux la dernière partie de son plan. Si on a vu Doe à deux reprises, c'est toujours via le point de vue de Mills et Somerset. Mais au cours de cette scène située à la fin du deuxième acte, les deux inspecteurs rentrent au poste, et dans le même plan, une voiture s'arrête, dont on ne voit que les roues, et la partie inférieure de la carrosserie. un homme descend, on ne voit bien sûr que ses jambes, et de dos il se rend au poste. dans les plans suivants, on ne peut le voir qu'au loin, alors que la caméra continue à cadrer Mills et Somerset... Fincher a introduit Doe dans le cercle de narration, il va désormais pouvoir lui aussi nous faire partager son point de vue.

Mise en scène, planification, ces mots sont de fait communs au vocabulaire de Fincher et de Doe. On le sait, Seven est un film dur, de par l'inventivité des scénaristes, qui se sont surpassés pour donner à voir une "oeuvre" novatrice de la part du film. C'est sans doute de cette donnée que vient la réputation usurpée de complaisance du metteur en scène. Mais ce qui a vraiment attiré Fincher est ailleurs... On n'a que rarement filmé avec tellement de détresse la noirceur du crime. Le film reste un des plus étouffants et claustrophobes de la carrière de Fincher, avec ses plans de ville ruisselante de pluie, ses petits matins blêmes, et ses conversations autour d'un cadavre à faire vomir. Le rythme, la façon dont le metteur en scène manipule le suspense, et la montée de la tension, tout concourt à faire de Seven une expérience, un voyage un peu hallucinogène, en dépit de l'extrême rigueur narrative. C'est dire si le deuxième long métrage d'un petit génie inconnu a mérité son succès énorme. Il sera aussi beaucoup imité, mais c'est sans importance: il est, de fait, unique.

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Published by François Massarelli - dans David Fincher Noir
2 juin 2012 6 02 /06 /juin /2012 07:51

Le propos de la Warner avec ce film était sans doute de donner de la hauteur au mélodrame en racontant aussi méthodiquement une affaire de justice. Le film est sorti après Fury (Fritz Lang, 1936) dont il n’y a que peu de chance qu’on ait eu envie de le copier, puisque il n’a pas eu un grand succès ; They Won’t forget, de LeRoy, est venu plus tard, et a été l’objet de plus d’attentions de la part de la firme: Claude Rains était une étoile montante, et George Brent dans ce film de Curtiz est plutôt sur le déclin, sans compter qu’il n’est pas omniprésent à l’écran: Mountain justice est dominé par Josephine Hutchinson, une actrice capable, mais dont la carrière n’a pas provoqué de raz-de-marée public. Ce drame noirissime chez les hillbillies était donc un film B, mais cela n’a pas empêché Curtiz de s’intéresser particulièrement au film, et en bon contrebandier, de faire passer pas mal de choses par les chemins détournés qui le caractérisent.

Ce n’est pas tant l’intrigue dans son ensemble qui a intéressé le metteur en scène : une jeune femme éduquée habitant les Appalaches avec sa famille, soucieuse de faire avancer les choses en poussant les habitants arriérés à laisser la médecine s’intéresser à eux, rencontre un jeune avocat qui, manque de chance, est précisément venu pour un procès dans lequel le fruste et brutal père de l’héroïne va être condamné. Il s’ensuivra une aggravation des rapports entre la jeune femme et son père, un ressentiment très fort entre celui-ci et l’avocat qui l’a fait condamner, et une haine de plus en plus forte des habitants pour la jeune femme, identifiée comme une influence extérieure… Cela ira jusqu’à la violence et la mort, et au-delà.

La désintégration d’une famille en proie à des passions d’autant plus fortes qu’il s’agit d’un choc de civilisations plus que d’un conflit de générations, la capacité de résistance de l’obscurantisme, le jusqu’au-boutisme de l’extrémisme des gens locaux, et la lente montée de l’horreur sont les choses qui ont intéressé Curtiz ici, plus que le coté didactique, ficelé qu’aurait eu un film de procès. Fury avait à cœur de démontrer le mécanisme des mouvements de foule, et d’inscrire cette démonstration dans une fable amoureusement contée par un maître, qui culminait dans une scène de procès, convoquant la morale de la société et la confrontant à une morale plus élevée, qu’elle soit humaine ou religieuse. They won’t forget sera lui aussi, avec talent d’ailleurs, un film de procès, dont les coups de théâtre s’inscrivent (Pour autant que mes souvenirs lointains du film me permettent de vraiment m’en souvenir !) dans une logique de suspense judiciaire. Le film de Curtiz évite soigneusement de s’appesantir sur les procès, qui sont les moments durant lesquels George Brent peut faire sortir son talent, disons pas vraiment spectaculaire. Non, le principal intérêt du film, c'est l’évolution du calvaire de Ruth Harkins, dont la première scène fait pourtant une héroïne à la Blood: assistante du médecin local (Guy Kibbee) qui vient de procéder à un accouchement, elle est vue, et son volontarisme avec, avec autant de méfiance que le docteur lorsqu’elle tente de persuader les gens de faire appel à des moyens plus modernes pour leur communauté; on est naturellement surpris lorsque l’on voit cette jeune femme éduquée, qui tranche sur les gens locaux rentrer chez son père, et celui-ci va dominer le film de toute la force de la menace qu’il représente : terrorisant ses filles par la sécheresse de sa communication, intervenant en meute pour empêcher sa fille de fréquenter un étranger à la foire, rentrant chez lui après la prison pour voir une maison décorée avec un peu de frivolité par ses filles et sa femme, et commençant à tout casser méthodiquement avant de corriger sa fille aînée dans une scène d’une violence qui rappelle en plus ironique (Mais oui) Broken blossoms (David Wark Griffith, 1919): Curtiz a recours à des silhouettes et des ombres, et cadre d’une caméra en position basse un napperon sur le mur, seule décoration autorisée dans ce foyer traditionnel, sur lequel est écrit Tu aimeras ton père et ta mère

Les épisodes situés en dehors de l’environnement fruste des montagnes sont réduits à l’essentiel, Curtiz ne situant qu’une scène en extérieurs dans les épisodes New-Yorkais, une promenade à Central Park qui sert vraisemblablement de fausse piste. Après l’épisode, le retour au pays sera ultra-violent, avec des suggestions d’infanticide et un parricide patenté. Les ombres, ces acteurs que Curtiz préférait dans de nombreux films, sont ici déchainées : il ne s’agit pas seulement de signer son film à la façon de Hitchcock, ce qu’il faisait en se livrant à une petite scène d’ombres chinoises dans tous ses films ou presque, mais d’étendre le cadre de ce qu’il peut montrer en suggérant ce qu’il ne peut pas filmer (Les scènes de violence, l’accouchement) en profitant d’une certaine économie de moyens (Contrairement à un Borzage qui réclamait manifestement des décors à fenêtres, Curtiz les suggérait par des ombres. C’est souvent le cas dans ce film) et par-dessus le marché Curtiz situe le gros du film dans la nuit, dans des masures montagnardes sombres qui ré-haussent le coté glauque de l’histoire.

Si on cherche les seconds rôles Curtiziens dans cette sombre histoire, on sera servi, mais l’histoire d’amour boiteuse entre Guy Kibbee (cet acteur est très attachant) et l’admirable Margaret Hamilton sert autant de bouche-trou sans intérêt que de comic relief à la Ford. Du reste, ces deux personnages permettent quand même d’humaniser un peu les montagnes par leur bonté et leur soutien à l’héroïne. Mais une surprise de taille, lors du deuxième procès, est réservée par une jeune actrice (Marcia Mae Jones) qui a un cri du cœur, inattendu et d’autant plus fort que la situation de sa sœur, Ruth, est arrivée à un paroxysme dramatique. Autant dire que le film va loin, et que Curtiz, typiquement, va sans doute plus loin que ne l’avaient prévu les producteurs, qui n’ont pas du s’impliquer de façon très importante dans ce film ; lui, si: cet histoire d’exil forcé (D’un état vers l’autre, mais Ruth aime ses montagnes, elle le dit à George Brent dans une très jolie scène diurne) , accompli dans la violence et le renoncement à la liberté élémentaire (Y compris avec la bénédiction des autorités, bienveillantes en ces années Roosevelt telles que les représente la Warner), ne peut que lui ressembler. Et on ne me fera pas croire que la fin soit un happy-end, pour Curtiz, comme pour son héroïne : Ruth Harkins, à la fin du film, condamnée à ne jamais revenir afin de rester libre, erre entre deux mondes, comme décidément beaucoup de héros de Michael Curtiz.

 

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Published by François Massarelli - dans Michael Curtiz Noir
23 février 2012 4 23 /02 /février /2012 16:52

Adaptant un roman d'Ed McBain (Evan Hunter), publié sous le titre de King ransom, Kurosawa reprend dans un premier temps un dispositif cher à l'auteur: il va passer de personnage en personnage, créant un kaléidoscope de points de vue qui permet au spectateur d'embrasser la situation de façon plus complète, mais surtout de voir changer sa perspective. Rashomon n'est donc pas si loin... Même si l'auteur du film a décidé d'être fidèle à l'auteur du livre au moins sur un autre point: si l'intrigue est transposée au Japon, c'est malgré tout une histoire contemporaine, et de fait un film passionnant, l'un des meilleurs de Kurosawa. Le titre Anglais est High and low, et le titre Japonais se traduirait facilement en Le ciel et l'enfer.

Kingo Gondo (Toshiro Mifune) est un industriel auquel tout a jusqu'à présente plutôt bien réussi; il est à la tête d'une confection de chaussures, avec suffisamment de pouvoir pour prendre des décisions importantes. S'il est arrivé au sommet via la dot de son épouse, il a maintenu certaines exigences qui font de lui un patron respecté de ses employés... mais pas de ses actionnaires. Il s'est couvert, en empruntant et en hypothéquant sévèrement pour devenir l'actionnaire principal et sauver le caractère des produits qu'il confectionne. Au moment ou il apprend cette nouvelle à son épouse, il reçoit un coup de téléphone: un homme lui annonce avoir kidnappé son fils, et lui réclame 30 millions. Mais le petit Jun est toujours dans la maison, et il est facile de conclure que c'est finalement Schinichi, le fils du chauffeur, qui a été enlevé. Le kidnappeur réclame malgré tout ses 30 millions. Gondo fait appel à la police et aux hommes de l'inspecteur Tokuda (Tatsuya Nakadai); il est déterminé à ne pas payer, afin de préserver l'oeuvre de sa vie, et son futur, mais il finit par se ranger à l'avis de sa femme, qui refuse de mettre en danger la vie de Schinichi. la course contre la montre commence...

45 minutes durant, le film est situé dans la maison de Gondo; on voir clairement tout ce temps, à chaque fois qu'un personnage regarde par la fenêtre, que celle-ci est au-dessus de toute la région. Plus tard, lorsque le film s'ouvre à l'extérieur, on la verra, visible de loin, en particulier par le kidnappeur qui n'a jamais caché être en mesure de voir chaque fait et geste de l'appartement... Mais ces 45 minutes, pour étouffantes et tendues qu'elles soient, établissent non seulement la situation et sa tension inhérente (On est, bien sur, en plein film noir), mais aussi le véritable enjeu du film, qui sera souvent repris par les principaux "passeurs" de point de vue, les policiers réunis autour de Tatsuya Nakadai, qui par leur mouvement incessant vont permettre au spectateur de changer de point de vue, et d'adopter même brièvement celui du kidnappeur lui-même, aperçu assez tôt dans le film. Si Gondo est au départ un patron Japonais assez impitoyable, prêt à sacrifier un enfant à sa réussite, il va faire machine arrière, et cette humanité qui le caractérise va permettre au spectateur de se faire sa propre vision sur cette vie 'entre le ciel et l'enfer'. Les classes sociales et leurs différences sont bien présentes, ne serait-ce qu'à travers les rapports complexes entre Gondo et son chauffeur, le père de l'infortuné garçon. Pour Gondo, le fait que son fils ait été kidnappé n'a pas la même résonance que si c'est le fils de son chauffeur. Pour Madame Gondo, en revanche, la différence n'est pas si grande, et pour les policiers comme le kidnappeur, cela ne change rien: les uns doivent faire leur travail et arrêter l'homme, l'autre va profiter de la situation pour alléger Gondo de son argent, le but étant de toute façon d'humilier celui qui se croit au-dessus de tout, littéralement.

Tourné en Scope Noir et blanc (Sauf pour une petite idée inattendue, un joli filet de fumée rose...), mais au plus près des personnages, comme dans l'urgence, le film est divisé en trois parties: la première, donc, est ce huis-clos étouffant dont il était question plus haut; la deuxième, consacrée aux premières avancée de l'enquête, ainsi qu'à l'échange, effectué via un train en mouvement, entre les valises d'argent et l'enfant (Magnifique scène de suspense ferroviaire!!); enfin, la troisième partie voit les enquêteurs s'approcher de la vérité, et tendre un piège à l'homme (Tsutomu Yamazaki), le traquant jusque dans les plus répugnants bas-fonds. Le mouvement du film, décidément, est celui d'une chute vertigineuse... Kurosawa profite donc du dispositif de McBain autant pour montrer toute l'enquête et sa progression dans les moindres détails, ce qui est rendu possible par un film qui prend son temps; mais il rend aussi une vision du monde qui est plutôt difficile à entrevoir de chez Gondo, ce que celui-ci comprend à la fin: invité par le kidnappeur-meurtrier à une dernière entrevue, peu avant son exécution, il est en toute fin du film laissé seul à son reflet dans une vitre: Kurosawa ne fait finalement aucune différence entre le héros Gondo, admiré, mais amer (Il a tout perdu et va devoir repartir à zéro, lâché par ses salauds d'actionnaires qui ne peuvent faire confiance à un homme qui sacrifie l'argent à un enfant qui n'est même pas le sien...), et Takeuchi, l'homme qui a vécu dans la zone et dans la haine toute sa vie, et dit ne pas craindre l'enfer: il y est né. Et sur ce, Kurosawa lâche le mot "fin".

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Published by François Massarelli - dans Akira Kurosawa Noir Criterion
26 novembre 2011 6 26 /11 /novembre /2011 17:58

Sous ce titre-coup de poing, digne d'un roman policier à tendance noire comme ceux qui ont inspiré Chien enragé ou Entre le ciel et l'enfer, se cache un démarquage fascinant de Hamlet... Bon, Kurosawa n'en est pas à son coup d'essai, ayant déja transformé Macbeth en Chateau de l'araignée, mais le défi, ici, implique de placer l'intrigue du drame sombre de Shakespeare dans un Japon moderne, celui de la finance et du business qui plus est... Et si le résultat fait aujourd'hui partie des films les plus méconnus du réalisateur, c'est malgré tout une fois de plus une réussite, un film hanté, sans bien sur vouloir jouer sur les mots...

Le jour du mariage de Nishi (Toshiro Mifune), un jeune homme qui vient de faire une ascension fulgurante dans l'entreprise de son beau-père, les journalistes sont à l'affut: on ne parle que des rumeurs de corruption et de coups bas qui auraient marqué l'histoire récente de la corporation. De plus, on murmure que le mariage est surtout pour le vieux capitaine d'industrie Iwabuchi (Masayuki Mori) une occasion de placer sa fille boîteuse (Kyoko Kagawa) tout en confiant le poste à un homme qui saura reprendre les rênes dans la bonne direction un jour... Mais dès le jour du mariage, des signes, des faits alarmants s'accumulent: on soupçonne Iwabuchi et ses seconds d'avoir précipité le suicide d'un ancien collaborateur, Furuya; or de nombreux évènements  semblent revenir avec insistance sur cette mort qui a eu lieu il y a cinq ans...

 

A la situation de déliquescence du royaume Danois dans la pièce originale, Kurosawa substitue donc une entreprise dont la solidité repose sur des marchés truqués, et un complot à sa tête... A Polonius, il oppose Iwabuchi qui sera autrement plus résistant. Mifune, en homme venu de nulle part et qui adopte avec astuce la duplicité de rigueur (Plutôt que les relents de folie du personnage de la pièce), va donc mener sa vengeance, hanté par la mort de son père Furuya. Mais pour faire bonne mesure, Kurosawa a également donné vie, si je puis dire, à un fantôme, puisque le personnage joué par Mifune sauve du suicide un subalterne, Wada, avant de laisser la rumeur de sa mort se répandre. Ainsi, il s'attache les services d'un homme que tout le monde croit mort, qui est assez terne, un peu lâche, et déboussolé: il est beaucoup plus une réminiscence des deux paysans de La forteresse cachée, de certains personnages picaresques des Sept samouraïs, que de Rosencrantz et Guilderstern qui font une apparition dans Hamlet... On est, quand même, chez Kurosawa. Son appropriation de la pièce de Shakespeare passe par les codes du film noir (Une superbe  scène de tentative d'assassinat, en particulier, joue sur les ombres, la lumière, le suspense), une solide dose d'abstraction, voire de simplicfication graphique: une grande partie des scènes se passent en intérieurs, tranchant ainsi avec l'habituelle vision d'une nature omniprésente chez Kurosawa. Il ya aussi ce rappel du suicide, acte fondateur du film, et qui est représenté par cet immeuble dont on isole une pièce, soit en la marquant d'une rose (Au mariage, un gateau ainsi décoré circule, premier signal d'alarme pour le clan Iwabuchi), soit en l'iluminant de l'intérieur, comme dans un plan assez spectaculaire.

 

Pourtant, on s'en doute, cette vengeance orchestrée par un homme apparement déterminé et exceptionnel, n'ira pas au bout. Comme chez Shakespeare, on s'appuie sur "Ophélie", victime collatérale des agissements de son père, mais aussi du désir de vengeance et de l'amour que Nishi lui porte. Et un autre indice véhiculé avec insistance par la mise en scène nous rapelle que le plan de Nishi, aussi noble et justifié soit-il, est voué à l'échec: tout ici est inachevé; dès le mariage, on entend des musiques qui seront coupées court. La bande-son regorge de ces musiques qui vont et viennent sans jamais être menée à leur conclusion, et les scènes d'inachèvement se suivent; le fils dIwabuchi qui apprend la duplicité de Nishi, le menace d'une correction qu'il ne lui donnera jamais, Iwabuchi achète un somnifère dans le but de se suicider peut-être, mais l'utilisera d'abord pour neutraliser sa fille, avant d'y faire de nouveau allusion dans une dernière scène qui semble se clôre sur du vide. La tentative nocturne de se débarrasser de Shirai, l'un des lieutenants de Iwabuchi, n'aboutira pas, et la mort de deux personnages très importants, vers la fin, se jouera hors champ, narrée après coup par un personnage qui n'en a vu que ce qu'il en a déduit... Comme de plus, ce personnage a échangé son identité avec l'un des morts, il clôt le film sur une note sardonique: non seulement la noble vengeance est vouée à l'échec, mais l'existence des hommes peut être arrêtée même sans qu'ils meurent... On est donc un peu chez Shakespeare, peintre acide de la folie meutrrière des grands de ce monde, mais surtout on est bien chez Kurosawa, le moraliste en colère du Japon meurtri d'après-guerre, qui se reconstruit dans la douleur...

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Published by François Massarelli - dans Akira Kurosawa Noir Criterion
19 août 2011 5 19 /08 /août /2011 17:13

L'ange ivre se faisait remarquer par son atmosphère, et par la peinture fascinante du Japon disloqué d'après-guerre, pour un metteur en scène qui rêvait de réaliser LE film néo-réaliste ultime sur le Japon d'alors. Il ne sera, de son propre aveu, pas satisfait de Chien enragé, probablement parce qu'il ne s'en tiendra pas à cette interprétation, et qu'il s'interposera entre la réalité de ce qu'il montre et la vision du spectateur. Pourtant, il est passé assez près d'un film partiellement documentaire, avec ses longs passages montrant Toshîro Mifune déguisé, enquêtant sans relâche dans les bas-fonds, lâché dans les rues de Tokyo. Des passages bruts, sans dialogues, presque sans rythme autre que l'enchevêtrement de plans. Pour cette histoire de jeune policier qui perd son arme, devenant de fait responsable des crimes commis avec, et confronté à un vétéran de la police méthodique, lent, façon Maigret (Simenon était une source avérée, admise par Kurosawa lui-même pour ce film), quoi de mieux que de revenir à la confrontation entre Mifune et Shimura? Mais cette fois-ci, comme dans le Duel silencieux, la précédente collaboration des trois hommes, le rôle de premier plan serait tenu par Mifune, faisant de ce film vécu par un homme en devenir, un voyage initiatique douloureux par delà les frontières du bien et du mal.

 

Le couple "jeune flic, vieux briscard " était sans doute l'atout majeur du cinéaste, qui choisit précisément de retarder la rencontre, et par la même l'entrée en scène de Takashi Shimura en commissaire Sato. d'une certaine manière, le jeune policier Murakami (Mifune) a brulé ses dernières cartouches au moment ou il est assigné aux cotés de son collègue expérimenté à une enquête en rapport avec la perte de son arme. C'est frappant de voir le contraste, déja présent dans la première partie du film, entre Mifune rongé par sa faute, et ses collègues désabusés, qui tendent toujours à minimiser son geste. Shimura ne va pas surdramatiser, ayant recours à son petit bonhomme de chemin (L'acteur est un maitre pour ce qui est d'incarner les pragmatiques méthodiques, même s'il sait parfois allier une certaine fulgurance à sa façon de faire, comme dans les Sept samouraïs. Ici, il ne quittera pas son train de sénateur, ce qui lui sera presque fatal.). Comme avec L'ange ivre, une grande partie de l'essence du film se niche justement dans la confrontation entre les deux hommes. Mais cela reste l'histoire de Murakami, qui doit résoudre son problème seul une fois Sato mis de côté. mais la méthode du vieil homme a triomphé de toutes les hésitations de son subalterne, et porté ses fruits... A temps pour une confrontation finale enetre Murakami et son double, le bandit qui lui a volé son arme.

 

La perte d'une arme devient dans ce film la perte des repères. Ou est le bien? ou est le mal? Murakami, vétéran de la guerre, aurait tout aussi bien pu finir gangster, et son "doule" provient lui aussi des troupes démobilisées, porte les mêmes vêtements, pourrait être lui. Cette égalité des personnages est parfois oralisée dans le film, elle fait partie des enseignements que Murakami doit acquérir; On retrouve cette idée dans une scène de "profiling", durant laquelle le jeune policier est assis au milieu de tout un groupe d'hommes, tous plus ou moins habillés comme lui, et dont il sait qu'e l'un d'entre eux est l'homme qu'il recherche. Il doit mentalement reconstruire le cheminement du tueur pour construire les indices (traces de boues sur la pantalon, par exemple) qui lui permetront de le reconnaitre. Comme de juste, le moment de la reconnaissance n'est pas univoque, les deux hommes se lèvent simultanément... Cette notion elle se confirme dans une scène à la beauté vénéneuse: dans un champ, Muralami et le tueur se font face; comme souvent dans ces scènes de duel, la nature est très présente; on voit le sang qui coule d'une blessure au bras de Murakami tomber sur un fleur... Le centre de la scène, c'est l'arme, l'objet qui a uni les deux hommes. Le bandit tire, blesse l'autre, mais celui-ci ne bouge pas, puis se jette sur le son double et le menotte. Epuisés, l'un et l'autre prenent un petit temps pour se remettre de leurs émotions, avec le même halètement, couchés dans l'herbe. comme seule musique pour cette séquence, du piano se fait entendre: c'est une jeune femme qui joait, et qui s'arrête de jouer quiand elle voit ce qui se trame à l'extérieur.

 

Cette tendance de laisser les musiques ambiantes envahir la bande-son fait partie des stratégies de réalisme du film. Kurosawa, qui a beaucoup fait tourner son film L'ange ivre autour d'un décor très marqué de méracage péri-urbain pollué et nauséabond, s'autorise avec ce film à multiplier les décors et lieux, arguant du fait que c'est dans un tramway que l'inspecteur Murakami s'est vu subtiliser son arme, et qu'il va donc devoir errer dans la ville à la recherche d'indices. Cette promenade dans la vie se prolonge du début à la fin du film, alternant descriptions de lieux, surtout nocturnes (cabarets, restaurants, hôtels), et galerie de personnages (Laissés pour compte, prostituées, danseuses, trafiquenats en tous genres...). Avec le parcours de Murakami pour entrevoir la fragilité de son choix moral, cette galerie nous montre la survie de tout un peuple en proie à des conditions précaires, permettant de relativiser la responsabilité criminelle du "chien enragé", le bandit.

 

Film noir "à la Kurosawa" classique et prenant, c'est un nouveau chef d'oeuvre, tant pis si le maitre lui-même en était peu satisfait. C'est aussi l'un des films qui illustre le mieux le refus du manichéïsme, la vision profondément humaniste de Kurosawa, son attrait pour l'initiation aussi peu orthodoxe que possible.  Et de Sugata Sanshiro à Madadayo, les relations maitre-élève sont omniprésente chez Kurosawa. Celle-ci est l'une des plus belles...

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Published by François Massarelli - dans Akira Kurosawa Noir Criterion
11 août 2011 4 11 /08 /août /2011 18:51

Avec son septième film, paru après Je ne regrette pas ma jeunesse et Un merveilleux dimanche, Kurosawa passe vraiment à la vitese supérieure, trouvant dans le film noir et atmosphérique un vecteur efficace pour continuer son évocation du japon de l'après-guerre, et couplant deux merveilleux acteurs qui vont, séparément ou ensemble, énormément lui apporter. de fait, aucun des 16 films qui suivront ne se fera sans l'un, l'autre, ou les deux: takashi Shimura est la star de clui-ci, ce qui est notable dans la mesure ou il était plutôt abonné aux petits rôles avant ce film. Kurosawa lui donnera souvent un rôle important, dans les Sept Samouraïs et Ikiru en particulier. Sinon, dans le second rôle du yakuza tuberculeux soigné par le docteur alcoolique de Shimura, on voit enfin Toshiro Mifune apparaitre chez Kurosawa... faut-il le présenter? Un choix heureux, qui selon moi a changé la course du monde, pas moins!

 

Le docteur Sanada vit dans un taudis, autant par choix (il veut soigner les laissés-pour-compte) que parce qu'il est lui-même un peu une épave; il se prévient contre les infections et les maladies en absorbant des doses massives d'alcool. Un soir, alors qu'il soigne la plaie par balle d'un yakuza, Matsunaga, il constate que celui-ci, comme beaucoup de ses "clients", est atteint de tuberculose, à un stade très avancé. Il va tout faire pour intervenir, et du même coup les deux hommes vont se confronter, et abolir ensemble d'une façon étonnante les frontières entre le bien et le mal....

 

Un médecin alcoolique, des mares de boues fumantes, des êtres déclassés (Le premier plan est sans compromission, montrant des prostituées qui jettent des cigarettes devant un lac de détritus), et la tuberculose qui rôde: maladie de l'intérieur, on sait que de tous temps cette maladie a été particulièrement eficace dans le cinéma de fiction, représentant à elle seule tous les maux de l'être humain, ceux qui le mangent de l'intérieur. A ce titre, la métamorphose du très dangereux et violent Matsunaga en un ange mortel de la vengeance dans ce film âpre est un très grand moment de cinéma. La peinture d'un monde en pleine panade, dans lequel un vieil alccolique tente de faire ce qu'il peut pour améliorer le sort d'autant de personnes possible. Après une sepctaculaire flambée de violence, la fin tend à montrer que c'est effectivement possible, grâce à la guérison d'une petite fille qui désormais peut elle aussi avancer. mais c'est au prix de nombreux sacrifices: combien de Matsunaga mourront? Et combien de temps l'ange ivre va-t-il tenir, compte tenu de sa consommation impressionnante de liquides? Un très grand film, qui est un peu la seconde naissance d'un très grand cinéaste.

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Published by François Massarelli - dans Akira Kurosawa Noir Criterion
22 juin 2011 3 22 /06 /juin /2011 07:52

http://moviereviews.allmyblog.com/images/moviereviews/1_20110412_014241.jpgFleischer, qui se tournera quelques années plus tard avec The Boston strangler et Number Ten, Rillington Place vers des affaires sordides contées dans leur plus rigoureux réalisme, oscille ici entre une tranquille narration, légèrement orientée par un prologue nous indiquant qu'il va y'avoir un meurtre, et des moments baroques parfois un peu étranges. Il s'inspire d'une anecdote réelle, un fait divers de 1906, d'ailleurs lié au développement du cinéma, et son héroïne, Evelyn Nesbit, est la conseillère du film, qui ne peut que difficilement prétendre à l'objectivité...

 

Evelyn Nesbit était une chorus girl, qui a rencontré l'architecte Stanford White; les deux se sont courtisés, bien que White soit marié, et selon les journaux de l'époque, l'homme d'âge moyen aurait drogué et violé la jeune femme, avant de "se débarrasser d'elle" en la aplaçant dans un pensionnat, à ses frais. Elle a ensuite épousé un homme riche et impulsif, Harry Thaw, qui a décidé un soir d'abattre White en public, afin de laver sa brutalité passée. Il a été acquitté suite au témoignage de son épouse, qui a permis aux juges de conclure à sa folie...

 

Le film change un certain nombre de choses, mais garde les grandes lignes en en faisant justement les termes du procès, et le supposé viol reste la raison qui pousse Thaw (Farley Granger) à tuer White (Ray Milland). mais ce que nous voyons est bien différent, et c'est là qu'intervient le baroque, justement: le supposé viol ressemble plus à la suite logique d'une soirée très romantique, partagée par white et Evelyn dans un studio que l'architecte a décoré, et dans lequel une superbe balançoire tourne décidément toutes les têtes; Evelyn est manifestement consentante ici... le fait que la dame ait été la consultante du film jette un doute, bien sur. le fait que le film ait été produit dans les prudes années 50 aussi. Quoi qu'il en soit, avec les réserves d'usage (Joan Collins est tarte, et la reconstitution bien sage, malgré des couleurs souvent rutilantes et poussées), c'est un film à porter au crédit du versatile talent d'un metteur en scène étonnant.

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Published by François Massarelli - dans Noir
27 décembre 2010 1 27 /12 /décembre /2010 11:08

Ace in the hole, également connu sous le titre de The big carnival, et en France sous le titre de Le gouffre aux chimères, n’aurait sans doute pas été entrepris sans le succès phénoménal de Sunset Boulevard. Il est un film plus noir encore, dans lequel les personnages principaux sont corrompus au-delà de toute espérance, ce qui n’était pas le cas du film précédent. Le film n’a pas plu, pour tout un tas de raisons, et ce malgré les précautions de Wilder et son élégance légendaire: c’est un film, une fois de plus, d’une grande beauté… Et d’une noirceur sans égale. On revoit ici la tentation de faire jouer à fond les codes du film noir, comme à l’époque de Five graves to Cairo, Double indemnity et bien sûr comme dans Sunset Boulevard.

Charles Tatum (Kirk Douglas), journaliste New-Yorkais déchu dont la carrière périclite après un démarrage en flèche, arrive pour s’installer à Albuquerque, au Nouveau-Mexique. Il est vite en proie à la simplicité des habitants, et les prend de haut, ce que n’améliore pas son attitude vis-à-vis de ses patrons. Un beau jour, il découvre par hasard un fait-divers local: suite à un éboulement, un homme est coincé dans une Mesa, et le journaliste a tôt fait de monter l’affaire en épingle, prenant le contrôle d’un cirque médiatique dont il entend bien tirer les marrons du feu, avec la complicité de l’épouse cynique de Leo Minosa, l’homme qu’il faut secourir, mais aussi du shérif véreux du comté.

L’humour n’est pas absent de ce film, contrairement à sa réputation. Le début, montrant un journaliste odieux arriver à Albuquerque, utilise avec esprit le décalage, en évitant d’insister sur le coté dépassé du lieu: à aucun moment le film ne nous donne l’impression de soutenir Tatum dans son dégoût pour la ville et ses habitants, et c’est clairement lui qui n’a pas sa place ici. Mais le sérieux l’emporte bien vite dans le ton, au détriment des habitudes comiques de Wilder. Il n’empêche pas de nous faire considérer le film comme une violente satire, qui vise moins l’indignation du spectateur que le fait de dénoncer symboliquement une dérive qui à l’époque restait envisageable, mais est aujourd’hui une réalité, des médias: Charles Tatum ne considère l’élément humain que comme un ingrédient formel, répétant à l’envi qu’il lui faut de l’«human interest». Il fait donc fi de tous les aspects vraiment humains, conduisant sa petite aventure médiatique comme un metteur en scène ou un producteur de télévision; s’il souhaite ardemment que Leo ne meure pas, ce n’est pas par amitié pour l’homme, c’est par souci du public. Cette charge au vitriol est d’autant plus forte qu’elle s’appuie sur un jeu de plus en plus maîtrisé par Wilder entre le personnage principal et certains personnages secondaires; voir à ce sujet les conciliabules crapuleux avec le shérif en mal de réélection… Wilder commente sur les marches à suivre par un plan superbe et très symbolique, qui voit le père de Leo et sa femme, regardant tous deux Tatum partir pour parler avec l’homme coincé sous les éboulis. Elle regarde, d’un air froid et vaguement moqueur, pendant que le vieil homme se signe…

Au-delà de cette charge des médias, ici sévèrement mais pas injustement attaqués (ils seront pourtant particulièrement amers sur ce film), Wilder a réussi aussi à s’attacher au portrait d’une Amérique de tous les possibles, ce qui était là encore déjà le cas de films aussi disparates que Double indemnity, Foreign affair et bien sur Sunset Boulevard. Mais à Tatum, personnage constamment odieux qui incarne l’agressivité des journalistes et des médias, Wilder impose d’une part Mr Boot le patron de Tatum, ainsi que le jeune photographe que Tatum essaie en vain d’entraîner dans sa chute. Les petites gens, tels le père de Leo, ou encore les autres membres de sa famille, son épouse exceptée, sont encore des échantillons d’être humains, qui appartiennent à une autre classe que Tatum. Mais il y a une autre dimension, dans ce monde représenté par le Nouveau-Mexique, qu’on pourrait croire assez peu typique de l’Amérique. Lorsque Tatum arrive, qu’il contemple de sa tour d’ivoire (Symbolique, mais il s’agit quand même d’une voiture en panne, remorquée par une camionnette de dépannage) les gens autour de lui, foule bigarrée et cosmopolite, Indienne, Hispanique ou Anglo-Saxonne, on voit l’œil malgré tout de Wilder, artiste attaché à une représentation discrète de la diversité, qui passe le plus souvent par ces noms qu’il se plait à inventer, les Phyllis Dietrichson et Walter Neff (Double Indemnity) , voire Krahulic (The seven year itch). Le cynisme de Tatum, ici, passe complètement à coté de cette vision idéale d’une Amérique multiculturelle qui vit aussi simplement que possible.

Toujours peintre d’une Amérique actuelle, tout comme il se plaisait à faire des allusions à Veronica Lake dans The major and the minor, Wilder a donc fait leur fête aux médias dans ce film, qui s’il est bien une grande date de son oeuvre, n’en reste pas moins une exception, un film sur lequel on ne peut absolument pas dire qu’il s’agisse d’une comédie, et qui dédie tout entier ou presque son temps aux égarement odieux d’une personnage terrifiant de cynisme. Le dernier plan, qui voit Tatum s’écrouler face à la caméra, l’œil aussi près que possible de la lentille, clôt de façon très efficace et magistrale un film âpre, méconnu et indispensable.

 

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Published by Allen john - dans Billy Wilder Noir Criterion
26 décembre 2010 7 26 /12 /décembre /2010 16:15

Au sortir de son troisième film, Wilder se sent plus fort, et va pousser un pion décisif; c'est vrai que les années 40 sont l'age d'or du film noir, mais on dit ça aujourd'hui précisément parce qu'on a le recul ET les classiques. En 1944, après quelques films décisifs (Huston, Walsh, Hitchcock, ...), tout reste à inventer. Mais Double indemnity ressemble bien à un film-somme sur le genre: Wilder avait sciemment étudié ses classiques, notamment Hitchcock, et son chef-opérateur John Seitz lui avait emboité le pas. Le style de ce film est d'une grande classe, très réussi, et bien sur il ne manquera pas de commentaires pour aller jusqu'à subodorer qu'il est trop parfait, voire lisse: Trop appliqué... Tant pis: l'idée était de finir un film, pas de l'ouvrir aux quatre vents. Wilder cherchait à faire son Hitchcock, et pour quelqu'un qui souhaitait faire montre de ce qu'il pouvait faire, c'est une réussite sans précédent.

 


Au milieu de cette narration si classique, faite d'une dose calibrée au millimètre près de voix off, visions nocturnes, ombres, suspense parfait, érotisme suggestif et rasades d'alcool enfumé, il est toujours instructif de chercher la petite bête, celle qui rattachera ce film au reste de l'oeuvre de Wilder. Ca ne vous semble pas curieux de voir ce film, parfait exemple d'un film noir stricto sensu, totalement isolé dans la filmographie de Wilder? Et pourtant y-a-t-il plus Wilderien que Barton Keyes, interprété génialement (Sans aucun excès) par Edward G. Robinson? Il est le sujet du film, celui dont on ne verra que le versant public, avec la petite dose d'intime révélée à son ami-fils, Walter Neff. Si Robinson joue bien le sujet, le point de vue est systématiquement autre, passant par le biais de Neff, l'homme qui trahit son père, celui qui croit à la fois être la victime d'une femme fatale (C'est parce que tu le veux bien) et le maître de sa destinée: un loser, donc, qui se paie le luxe de choisir qui s'en sortira en jouant les protecteurs face à Lola et Zachetti. Neff, au nom trop anonyme pour être autre chose qu'un vulgaire homme, est parfait pour rejoindre la cohorte de andouilles Wilderiennes: les vulgaires, les minables: le Jack Lemmon d'Avanti avant de se libérer sous la pression amicale de Juliet Mills, par exemple, le Nestor Patou qui n'a pas encore succombé aux charmes d'Irma la douce, ou encore Bogart en has-been décalé dans Sabrina: tous ces gens auxquels on a envie de botter les fesses afin qu'ils changent. La différence avec ce Neff, c'est que lui, d'avance, est condamné, incapable de changer; il y aura plus de tendresse pour les autres, qui seront souvent "sauvés" par Wilder. Ici, point de salut, au-delà du lien sublime de tendresse qui lie Neff à son" Père" Keyes.

Phyllis Dietrichson: quel nom! encore une trace du grand Wilder, cette capacité à inventer les noms qui nous agressent, ou nous caressent, ou vous donnent tout de suite la clé de l'énigme. Le nom lui seul nous informe que cette femme est mal mariée, le nom de famille qu'il y a quelque chose à enlever... Barbara Stanwyck est unique dans le film noir par sa plastique imparfaite, je pense que c'est juste de dire cela: elle en est encore plus fascinante, mais l'exagération de ses traits par cette incroyable perruque, la vulgarité des détails soulignés par la mise en scène, le dialogue, la situation, le décor: la façon dont Wilder joue sur la quasi nudité au début du film, reprise immédiatement par la voix off de Neff. Elle est, plus que Neff qui ne succombe à cette escroquerie généralisée que parce qu'il le souhaite, le personnage qui se déguise, passage obligé d'un film de Billy Wilder; Mais Neff, lui, passe de l'autre coté du miroir, un monde, d'ailleurs ou les portes ne s'ouvrent pas du bon côté, comme on peut le remarquer dans une scène de suspense célèbre...

Autre chose frappante, c'est l'escamotage du corps: un homme meurt, mais on meurtre est vu au travers d'un visage, celui de la femme qui se tient à ses cotés, mais qui sait ce qui se trame. C'est un écho de la scène fameuse de la lampe dans le film précédent, et à partir de là, M. Dietrichson, la victime, va purement et simplement disparaître du film: une façon de nous dire à quel point ce personnage, méchant homme détestable il est vrai, n'a aucun intérêt: c'est un McGuffin.

Avec ce concentré de film noir, Wilder souhaitait obtenir son diplôme de mise en scène: c'est désormais chose faite. Il souhaitait un Oscar, il se contentera de nominations, et de l'adoubement d'Hitchcock soi-même...

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Published by François Massarelli - dans Billy Wilder Noir