Rien que
dans le titre, on voit bien ici que tout revient à un conte de fées, à un miracle, et que Riskin et capra avaient, d'une certaine façon, trouvé la formule magique. En matière de formule, ils
croyaient pourtant avoir trouvé la potion à fabriquer des Oscars, ce que voulait Harry Cohn, le patron de Columbia, une audace folle pour un petit studio de rien du tout, partagée par Capra
lui-même, très ambitieux dès cette époque, et impatient de montrer son pouvoir de metteur en scène, et sa mainmise sur l'objet filmique. Mais cette année-là, ce fut un autre Frank (Lloyd, pour
Cavalcade)qui rafla les Oscars convoités, et Lady for a day, bien que nominé quatre fois, n'obtint rien. il fallait attendre l'année suivante, et le triomphe de
It happened one night... Mais à l'heure ou un superbe Blu Ray sort (Aux Etats-unis) contenant une version intégrale, avec un superbe transfert effectué d'après le
négatif obtenu par Capra lui-même pour ses archives, à partir d'une copie complète alors que les éléments d'origine disparaissaient dans les années 50, on peut enfin revenir sur ce
classique, l'un des films préférés de capra, et y voir ce qui n'est rien d'autre que la matrice de ses plus grands films, de Deeds à It's a wonderful life en
passant par Meet John Doe. Le voyage vaut le détour, aujourd'hui comme en 1933...
Dès le début, Capra installe le contexte de façon magistrale: New York, les rues et la faune pas toujours très catholique,
malfrats, mendiants, escrocs, policiers bienveillants (L'un d'entre eux -Ward Bond- pique ouvertement une pomme à l'héroïne, allusion à un laisser-faire très ambigu). C'est dans ce contexte
qu'une vieille clocharde, Apple Annie (May robson), tente de joindre les deux bouts en vendant des pommes. On y fait aussi la conaissance de Dave the Dude, un sympathique chef de gang, qui
gagne des paris grâce aux pommes d'Annie, qui lui a toujours porté bonheur. Annie apprend que sa fille Louise, élevée à l'écart en Espagne et qui est persuadée que sa mère est une dame riche de
la bonne société new Yorkaise, va venir avec son futur mari et son futur beau-père, afin que celui-ci puisse rencontrer "Mrs E. Worthington Manville", l'opulente mère de sa future bru. Se jugeant
endetté par la chance qu'elle lui a apporté, Dave se décide à tout faire pour permettre à Annie de jouer le jeu jusqu'au bout, et va l'aider à créer l'illusion de la richesse...
Conte sur
l'entraide, Lady for a day se passe dans un New York ou la crise est partout: voyant annie en beaux habits, une mendiante remarque: 'Vous vous rappellez, quand elle était tout le
temps habillée de cette façon?"; un employé d'un hotel risque sa place (et sera licencié) pour faire suivre le courrier d'Annie qui dissimule sa situation à sa fille, et les bandits parlent de
leurs occupations comme de leur gagne-pain. On ne verra pas les petites gens qui travaillent de façon légitime: ici, on est clochard, bandit, ou gouverneur... Pourtant les apparences sont
trompeuses: ainsi, on improvise un mari à annie avec le "juge" Blake, un "pool shark", c'est-à-dire un joueur de billard professionnel (Guy Kibbee). Il est certes un vrai escroc, mais il est
aussi capable de parler avec la plus grande emphase et une certaine classe. De même, l'entraide passe par des canaux inattendus: dans la maison prétée à Dave pour le temps des la vanue des
invités d'Europe, censée être la maison d'Annie, un valet va se prêter très volontiers à la supercherie, se contentant d'objecter aux manières parfois peu raffinées de certains acolytes de dave
(Ned Sparks y est un savoureux assistant au parler matiné d'argot, qui se voir rétorquer par le valet: "Monsieur, si j'avais le choix des armes contre vous, je choisirais la grammaire")...
Enfin, dans cette histoire ou les bandits se liguent pour réaliser en quelques jours le rêve le plus fou de l'une d'entre eux (tant les victimes de la crise et les hors-la-loi semblent avoir fat
un pacte de respect mutuel), un secours inattendu viendra agir en guise de cerise sur le gateau, comme dans It's a wonderful life...
L'entraide, en ces années de galère, n'est pas l'assistanat: c'est parce qu'il lui doit une certaine réussite, du moins à en
croire sa superstition, que Dave vient en aide à Annie, et mobilise tout son monde. La philosophie populiste de Capra est déja là dans ce film, dont l"humanisme et la tendresse s'impriment dans
chaque scène. De fait tous les gens qui s'investissent sont des fripouilles, de Happy Maguire (Ned Sparks), le raleur, à Missouri Martin (La propriétaire d'un établissment dont la protection de
Dave cache peut-être des magouilles un peu plus subtiles, jouée par Glenda farrell); mais tous ces gens malhonnêtes forment une famille, un univers, cohérent, qui renvoie à l'idée d'une Amérique
microcosmique, comme l'esprit de communauté qui sera à l'oeuvre dans deeds, ou dans la famille de dingos dans You can't take it with you. Dans ce film, tout le monde sort
transformé, à commencer bien sur par Dave the dude qui semble avoir acquis une morale, Annie, qui pourra mourir tranquille, et même le maire, le gouverneur, et le chef de la police, qui ont
désormais des manières plus douces avec leurs subalternes.
Le
mélange de comédie et de drame, deux genres bien souvent illustrés par capra en ces années Columbia, n'est pas tant une façon de pêcher les Oscars qu'on aurait pu le croire; c'est l'expression
d'une sensibilité, propre au metteur en scène, et qui s'exprime de façon directe et efficace. Cette histoire est incroyable, mais elle est forte, elle rend heureux le temps de voir le film, et
c'est tout ce qu'on demande. On imagine assez bien que si on voyait ce film en ignorant totalement ce qu'a pu faire le metteur en scène par ailleurs, on aurait une seule envie, de voir tous ses
autres films... Du reste, c'est une vitrine superbe du savoir-faire du réalisateur, d'une certaine époque aussi, avec les grands Guy Kibbee, Ned Sparks, Walter Connolly, Glenda Farrell, et bien
sur le fantastique Warren William, piqué à la Warner pour l'occasion, comme Kibbee (Ils étaient tous deux partenaires dans Gold diggers of 1933)... Un grand, très grand film de
Frank Capra.