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28 août 2019 3 28 /08 /août /2019 19:06

Un décor ultra-codifié, des personnages dérivés d'archétypes, une histoire réduite à l'essentiel, et des dialogues souvent réduits à leur plus simple expression... Le premier film de Sternberg de retour de l'expérience de Der Blaue Engel, surprend forcément. Comme peut surprendre le fossé considérable entre l'apparence brute, non raffinée, de sa star dans le film précédent, et sa toute nouvelle sophistication, où a été gommée l'apparente indifférence de Lola Lola vis-à-vis du monde...

Au Maroc, dans une petite ville, se télescopent plusieurs personnes autour d'un cabaret: un légionnaire (Gary Cooper) qui tombe toutes les femmes sans exception (y compris celle de son adjudant et ce dernier, on s'en doute, ne le prend pas très bien); un peintre Français, richissime admirateur des femmes des autres, mais qui a fait le voeu de rester à l'écart du mariage (Adolphe Menjou); enfin, une chanteuse de cabaret qui vient d'arriver et qui a un numéro basé sur une approche provocante et cynique (Marlene Dietrich). Les deux hommes, chacun à leur façon, vont tomber amoureux de la jeune femme, et...

On ne sera pas surpris: Sternberg a privilégié l'atmosphère sur les scènes de son film, et c'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles le dialogue est à la portion congrue. Difficile de croire à ces situations qui semblent emprunter à toutes les images d'Epinal du film de légion (un genre très en vogue jusqu'à la fin des années 30), mais les personnages ont une tendance à nous attirer vers nous: y compris Marlene Dietrich, sauf bien sûr quand elle chante...

...Si on peut appeler ça chanter. Reprenons:

Si je regrette que le chloroforme qui a été employé pour créer L'ange Bleu (de tous les classiques obligatoires, probablement le film que je déteste le plus) tend à plomber la première partie du film, j'apprécie de quelle façon Marlene Dietrich, par l'implication personnelle de son personnage de plus en plus évidente au fur et à mesure du film, finit par le sauver. deux scènes, en particulier, quasi muettes, sont fantastiques: la fin, sur laquelle je ne vis rien dire puisqu'il paraît que ça ne se fait pas, mais aussi une très belle séquence où elle entend, d'un salon, les clairons de la troupe qui revient. Elle se précipite dehors, et dévisage absolument tous les légionnaires qui reviennent d'une bataille, longuement, remontant le flot des hommes blessés.

...Si ce n'est pas de l'amour fou, ça y ressemble drôlement. Quels que soient les défauts occasionnels de ses films, leur kitsch assumé, Sternberg n'a pas son pareil pour nous envoûter autour d'un amour sensuel, brutal, entier et profane, qui faisait furieusement tâche à Hollywood. Et comme en plus il le faisait dans le cadre d'un effort photographique inédit (même si Morocco n'est pas le mieux préservé de ses films), le cinéphile a de quoi en profiter.

Tant qu'ELLE ne chante pas.

 

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Published by François Massarelli - dans Pre-code Josef Von Sternberg
26 juillet 2019 5 26 /07 /juillet /2019 17:21

De grands films consacrés au premier conflit mondial sont sortis dès 1930...

Dans celui-ci, deux frères, Anglais (hum...), les Rutledge, sont en vacances avec leur ami Karl (James Darrow) chez lui, en Allemagne, quand l'un d'entre eux, le coureur Monte (Ben Lyon) a une aventure qui tourne mal: il est en plein rendez-vous amoureux avec l'épouse d'un général à monocle quand celui-ci débarque. Monte prend hâtivement la poudre d'escampette, et c'est son frère Roy (James Hall) le raisonnable, qui devra se battre en duel à sa place...

Quand ils reviennent à Oxford, pas de chance: la guerre est déclarée. Mais avant de partir, l'un par devoir, l'autre par désoeuvrement (je schématise), ils vont tous les deux tourner autour de la belle Helen (Jean Harlow), fille de la bonne société Britannique (Hum! Hum!): Roy va se croire son fiancé, mais cette fois c'est Monte qui va remplacer l'autre.

Puis ils font la guerre, les avions, tout ça... Gestes héroïques, prison, sacrifice, etc. A la fin les alliés gagnent.

Howard Hughes a commencé son film en 1927, après la sortie de Wings, ce qui n'a pourtant pas empêché l'ombrageux producteur d'attaquer Warner en justice quand ils ont sorti The dawn patrol. Le film a eu un nombre inquiétant de réalisateur crédités: Marshall Neilan, débarqué après quatre semaines, Luther Reed, dont je ne sais pas s'il a eu le temps de tourner quoi que ce soit avant d'être viré sous un prétexte quelconque, puis Edmund Goulding, mais c'est finalement Hughes qui a fini le film, trois années après le début du tournage, et des centaines de rejet de prises. James Whale était en charge de la direction des dialogues et de leur authenticité (mais pas de l'accent, manifestement, ni de l'intelligence des dialogues), et le film fait appel à des techniques qui sont remarquablement à cheval entre le muet et le parlant: certaines scènes tournées avant la décision de se doter de dialogues, ont été ensuite synchronisées de manière plus ou moins adroite, les scènes dialoguées en Allemand ont été dotées d'intertitres pour la traduction, et trois systèmes de couleurs ont été employés: des teintes comme au plus beau temps du muet, le procédé Multicolor (mais le film a été tiré sur support technicolor) pour une série de scènes bavardes situées vers le début, et le procédé Handshiegl pour les flammes dans des séquences de haute voltige.

Oui, parce que ce film qui est crétinissime de bout en bout n'existe que pour permettre l'existence de deux ou trois scènes tournées à grands frais, dans les airs, par des as de la grande guerre: il y a d'ailleurs eu des morts. Ces scènes sont à la fois techniquement spectaculaires et dramatiquement d'une affligeante platitude...

Car comme je le disais, il y a eu des films formidables dès 1930 pour parler de la première guerre mondiale. L'un d'entre eux était All quiet on the western front, de Lewis Milestone, et sinon il y a aussi eu Westfront 1918 de G.W. Pabst. Bref: celui-ci, de très loin, ne fait pas, mais alors pas du tout partie de la liste. Mieux vaut en rire...

 

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Published by François Massarelli - dans Première guerre mondiale Pre-code James Whale
25 juillet 2019 4 25 /07 /juillet /2019 09:56

Le film qui inaugure la carrière de Cukor à la MGM n'est pas une franche comédie, ce serait trop simple. Par contre, c'est de toute évidence un film de prestige, une sorte de Grand Hotel II après le carton du film-mammouth de Edmund Goulding qui osait rassembler une pléiade de stars dans le décor d'un palace, et a obtenu un succès phénoménal en retour. La formule avait du bon, la MGM s'est donc empressée de trouver le moyen de recommencer...

La pièce de Edna Ferber et George Kaufman a été adaptée, entre autres, par la plume acerbe de Herman Mankiewicz (celui dont son frère Joe a toujours dit "le génie, c'est lui"), et ça se sent. Plutôt qu'un lieu commun à tous les personnages, cette histoire qui en combine plusieurs nous conte les quelques jours qui précède un dîner où se retrouveront les personnages...

Oliver Jordan (Lionel Barrymore) est un armateur fini, raboté par la crise, et qui découvre à la faveur d'évanouissements répétés que son coeur est arrivé au bout de sa course. Son épouse Millicent (Billie Burke) a tellement pris des habitudes dans la haute société qu'elle ne se rend pas compte, et a décidé d'impressionner en organisant un dîner pour un Britannique de passage (qui ne se déplacera d'ailleurs même pas), quitte à y inviter, pour faire plaisir à son mari, le nouveau riche Dan Packard (Wallace Beery), et son épouse Kit (Jean Harlow), deux Américains très moyens, épouvantablement vulgaires, mais attirés par le clinquant. Et Dan pense pouvoir utiliser la soirée pour noyer le poisson, car il s'apprête à déposséder Oliver de son entreprise... Egalement invités, le médecin de famille (Edmund Lowe) des Jordan et son épouse (Karen Morley), et ça promet du sport: le bon docteur prodigue ses soins à Mme Packard qui elle lui prodigue ses charmes... Pour donner un peu de brillant à la soirée, Millicent a également invité la grande actrice Carlotta Vance (Marie Dressler), vieille amie de la famille, et un de ses collègues, l'acteur alcoolique (et fini) Larry Renault (John Barrymore). Ce que personne ne sait, c'est que Renault est l'amant de Paula (Madge Evans), la fille des Jordan qui n'a que 19 ans. Renault les a aussi, mais plusieurs fois... Et puis il y a aussi un autre problème: Renault se suicide juste avant le dîner...

Le film oscille constamment entre comédie (au vinaigre, bien sûr) et drame, servi par des performance exceptionnelles: celle de Wallace Beery pour commencer, j'ai un problème sérieux avec le bonhomme, mais c'était un grand acteur. Et ici meilleur que jamais... M'est avis que Cukor s'est mis en tête d'utiliser la personnalité de chaque acteur au maximum, et chaque personnage prend du même coup une vérité impressionnante. Donc oui, le film est bavard, mais c'est un bavardage salutaire... Et le courage de Marie Dressler qui joue quasiment son propre rôle, et celui de John Barrymore qui interprète un acteur has-been, lessivé par le parlant, surnommé "The great profile" (il n'en a qu'un, ajoute-t-on) et devenu alcoolique et consommateur de petites jeunes femmes, a quelque chose de stupéfiant...

Le film en devient presque la naissance à lui tout seul du style de Cukor, cette tendance à constamment confondre la comédie et le drame, derrière une classe de façade, et à croquer avec un talent fou les femmes: qu'elles soient de la génération d'avant celle d'avant (Dressler), parvenue en couchant (Harlow), déconnectée des réalités à force de luxe (Burke, et ses préparatifs névrotiques pour la soirée!), trahie et souffrant en silence (Morley), ou à l'aube d'une vie qu'elle va s'empresser de gâcher (Evans)... L'Amérique de 1933, vue à travers ses femmes.

N'empêche que le meilleur moment du film reste, vers la fin, un échange légendaire entre Harlow et Dressler: 

Harlow: I was reading a book the other day (je lisais un livre, l'autre jour)

Marie Dressler ne dit rien, mais s'arrête d'avancer, médusée...

Dressler: Reading a book?? (un livre??)

Harlow: Yes, it's all about civilisation or something, (...) do you know that the guy said that machinery is going to take the place of every profession? (Oui, un livre sur la civilisation ou quelque chose comme ça... Vous savez que le type disait que les machines vont bientôt replacer toutes les professions?)

Dressler: Oh, my dear, (elle la regarde des pieds à la tête) that's something you need never worry about! (Ma chère vous n'avez aucun raison de vous en inquiéter)

 

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Published by François Massarelli - dans George Cukor Comédie Pre-code
5 juillet 2019 5 05 /07 /juillet /2019 07:16

A première vue, il n'y a sans doute pas de quoi se relever la nuit... Un film assez routinier, avec des stars entre deux contrats, dont une en devenir, et une intrigue mi-figue mi-raisin, située dans cette ville dont les films pre-code nous persuadent toujours qu'elle est à la fois un paradis sur terre et une antichambre de l'enfer... Paris.

Michael Trevor est un Américain qui vit à Paris, et il s'est relevé d'un scandale qu'il a vécu aux Etats-Unis, où il était l'éditeur d'un journal. Maintenant, c'est moins glorieux: il prétend travailler sur un roman, mais en réalité il imprime une feuille de chou semi-clandestine dans laquelle les pires potins sont galvaudés. Elle n'est pas vraiment faite pour être lue, en réalité, puisque elle sert de "munitions" dans des affaires de chantage, dont il se sort toujours indemne... Un jour, en "agissant en intermédiaire" entre le journal en question et une de ses victimes Guy Kibbee, persuadé que Michael lui rend un service en ami), il rencontre la nièce de celui-ci, Mary (Carole Lombard), et pour les deux c'est un coup de foudre. Michael remet toute sa vie en question...

A seconde vue, c'est un curieux mélange: Carole Lombard est sous-employée, "l'autre femme" est une accumulation de clichés (une collaboratrice de Trevor, qui a vécu et qui l'aime en silence, interprétée par Wynne Gibson), la mise en scène se contente d'aligner des décors élégamment constitués (Ah, Paris!) mais le rythme se traîne, Guy Kibbee nous fait espérer de la comédie... Oui, mais il y a William Powell. Tout en finesse, superbe même quand il ne fait rien, doté de son propre rythme de sa propre mise en scène, il est royal. Capable de sauver un film s'il le souhaite, ou s'il sait que ça sortira son studio de l'embarras... Inutile de dire que quand il sort du cadre, on s'ennuie.

 

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Published by François Massarelli - dans Pre-code
31 mai 2019 5 31 /05 /mai /2019 16:13

Le titre annonce la couleur: Hip, c'est une hanche... Il est souvent question du corps féminin, dans cette petite comédie musicale due au petit studio Radio pictures, qui allait bientôt fusionner avec RKO, mais c'est beaucoup plus dans le décor qu'au premier plan. Toutefois, la toute première scène, un numéro vaguement chorégraphié (avec un style qui tente de faire du Busby Berkeley sans trop de moyens) y va carrément: des mannequins prennent leur bain sur un podium, leur modestie protégée par des objets stratégiquement placés, pendant que Ruth Etting pousse la chansonnette... On est à Maiden America, une entreprise qui produit des cosmétiques, et on s'y inquiète d ela concurrence effrénée de Madame Irene. Mais la jeune vendeurse Daisy fait la connaissance de deux bons génies, supposés avoir le génie de la vente...

...Sauf que les deux garçons en question sont des escrocs. Et puis, qu'importe le script et l'intrigue, ce qui compte dans ce film c'est la dose solide de farfelu, qui est bien fournie mais sans doute pas tout à fait assez. Au moins, il y a une scène d'anthologie: les deux escrocs (Wheeler et Woolsey) se lancent dans une chorégraphie hallucinante, en compagnie de Thelma Todd et Dorothy Lee qui participent à la fiesta sans trop se poser de questions. Cinq minutes de pur bonheur qui sont sans effort le sommet du film. Pour le reste, c'est une comédie musicale fauchée et pre-code. Comme des dizaines meilleures que certaines, pire que d'autres...

Pour finir, si on regarde sans doute ce film plus pour y voir la grande Thelma Todd qui joue cette fois la patronne d'une entreprise et qui commençait à glisser vers des rôles plus murs avant que la tragédie ne nous en prive,  en tout cas je peux dire que j'ai vu un film avec les deux comiques étranges que sont Wheeler et Woolsey. Ils ne sont pas incompétents, non... Pas totalement insupportables, pas manchots non plus; mais... n'est pas Laurel ou Hardy qui veut. Ici, ce serait plutôt un mélange entre Groucho sous tranquillisant et Jimmy Durante sobre pour l'un, et un compromis entre ce pauvre Zeppo Marx, et un Harry Langdon bavard pour l'autre... 

 

 

 

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Musical Pre-code
6 mai 2019 1 06 /05 /mai /2019 14:58

Dans un zoo situé, je vous le donne en mille, à Budapest, nous allons assister à une journée, suivie d'une nuit, durant lesquelles une foule de choses vont se passer: une orpheline va s'échapper de son groupe en visite car elle est majeure et elle sait qu'elle va être "louée" pour du travail forcé; un petit garçon va échapper à la surveillance de sa nourrice, et commencer une nuit à haut risque aux abords des cages de félins tous plus dangereux que les autres; enfin, Zani, un employé du zoo qui est un peu la mascotte des lieux, va risquer pour la énième fois de se faire virer, pour sa propension à "voler" les fourrures des visiteuses fortunées. C'est un militant, quoi... Les trois événements vont se télescoper et bien sûr cette collision va provoquer un certain vent de panique au Zoo de Budapest...

On ne quitte absolument jamais le zoo, du moins durant les 80 premières minutes du film. Après, il y a une courte codé, mais pour l'essentiel le film se déroule au milieu des animaux et cages. Le monde se divise en plusieurs camps: ceux qui aiment Zani et ceux qui ne le supportent pas, par exemple; d'un côté les orphelines, toutes désireuses de favoriser l'évasion d'une d'entre elles, et de l'autre la responsable du groupe qui souhaite l'empêcher car la jeune femme est "promise" à une entreprise qui ne manquera pas de l'exploiter. Les visiteurs qui aiment les animaux, et ceux qui ne les voient que comme des bêtes curieuses... Tout ça est un univers, un microcosme, que filme l'équipe de tournage, avec une invention photographique constante... du moins c'est ce que les copies en circulation laissent plus ou moins deviner, car la photo de Lee Garmes aurait besoin de meilleures circonstances pour être vue à sa juste valeur.

Le film prend son temps, sous la forme d'une comédie d'abord, avant de s'emballer poétiquement avec la "rencontre" de Zani (Gene Raymond) et Eve (Loretta Young): leur rapprochement physique est filmé comme une évidence, avec une forte charge érotique dans le fait que le désir de la jeune femme crève les yeux, quand le jeune homme feint l'indifférence... Le final de ce film métaphorique, qui s'emballe un peu dans tous les sens, surprendra, tout en décevant un peu: on a l'impression d'une soudaine flambée de violences diverses, motivée par la vision du final délirant et sadique de Tarzan, the Ape Man de Woody Van Dyke! Mais si le contraste entre la poésie quasi-Borzagienne de cette visite d'un lieu différent où la sensualité et la nature vont de pair, et un final avec lions qui menacent et sauvetage de dernière minute est un peu trop fort, il fait bien admettre que cette soudaine violence sied bien à un film inquiet qui choisit un lieu de paix, soudainement soumis à la montée de la haine, et à quelques manifestations de l'imbécillité humaine. Maintenant, on peut toujours se demander dans quelle mesure ce film de 1933 était visionnaire, ou s'il ne s'agit que d'un hasard.

 

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Published by François Massarelli - dans Pre-code
29 avril 2019 1 29 /04 /avril /2019 16:17

 

Dès le début, on sent, on sait qu'on tient un film exceptionnel: la façon dont Walsh choisit de mettre le spectateur au coeur de ce qu'il veut lui montrer, la qualité joviale de la reconstitution du New York de 1900, et le ton volontiers vulgaire, voire limite grossier, du film, nous plongent de façon inéluctable dans le petit peuple des coins les moins fréquentables la grosse pomme: l'histoire montre la rivalité entre deux hommes aux moeurs légères (l'un - George Raft - admet vivre du jeu, l'autre - Wallace Beery - tient un bar dont les activités restent dans le cadre de la loi, mais bon, on a vu des métiers plus franchement moraux); la rivalité tient à peu de choses: ils ont chacun leur équipe de pompiers volontaires (payés au sauvetage, le premier incendie venu donne lieu à des bagarres), ils sont managers de boxeurs, ils luttent également pour le titre d'homme le plus populaire du Bowery, et bientôt, une femme se met entre eux: Lucy (Fay Wray) est hébergée par Chuck, mais aimée par Steve... Walsh, grand conteur, se laisse aller à son plaisir, et ça se sent; les acteurs qu'ils a convoqués n'ont jamais été aussi bons, et ne le seront jamais plus: Fay Wray, la "Scream Queen" de King Kong, joue Lucy, et Wallace Beery et George Raft se disputent ses faveurs. le film est plongé dans un bain cosmopolite de la plus belle eau, dans lequel on appelle un chat un chat, contrairement aux films de la Warner qui évitaient de nommer les ethnies à l'époque, les Chinois, les Italiens, Les Juifs, les Irlandais, ici tout le monde est typé, mais vit en bonne intelligence avec son voisin. La prostitution, la débrouille, les combines, tout est bon, et on est en droit de douter de la légalité du péage de la main à la main, réclamé par les policiers, sur le Brooklyn Bridge alors récemment construit... On voit d'ailleurs très peu la police, occupée ailleurs...

Le film est donc bien plus qu'une nouvelle variation sur le thème entamé avec What price glory? à la Fox: les copains-ennemis qui se chamaillent en permanence mais finissent par admettre s'adorer. Le film, bien que produit à l'extérieur du studio où Walsh a jusqu'à présent passé le plus clair de son temps (c'est une production de la 20th century de Zanuck, avant que les deux compagnies ne fusionnent), emprunte d'ailleurs sa fin au film de 1926. Je n'ai pas mentionné Jackie Cooper, qui à cette époque était un peu l'ombre de Wallace Beery à la MGM: il est son alter ego, et sert beaucoup à révéler l'humanité du bonhomme. Plus subtilement, il sert de trait d'union entre les deux hommes, bien plus que Fay Wray. Enfin, il joue un peu le rôle d'une version idéalisée du conteur lui-même, qui a souvent affirmé que ce film était pour lui un retour à l'enfance.

On devrait pouvoir voir ce film plus souvent, ce serait un plaisir, comme d'ailleurs ses petits frères, Regeneration (1915), premier film de gangsters de Walsh, dans lequel il se remémore sa vie à New York, The Roaring Twenties (1939), sur le passage des années 20, et l'adorable Strawberry Blonde (1941), sur la naissance du siècle. Grand connaisseur, et admirateur de Walsh, Scorsese lui a piqué l'anecdote des pompiers pour son Gangs of New-York.

 

 

 

 

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Published by François Massarelli - dans Raoul Walsh Pre-code Comédie
28 avril 2019 7 28 /04 /avril /2019 11:20

A l'origine de ce film, il y a une pièce de Michael Morton, déjà adaptée trois fois au cinéma: une fois en Pologne, avec Pola Negri, et une version Américaine de 1916 par Edwin August, et une autre en 1918 par William Parke. Et comme si ça ne suffisait pas on peut penser que cette pièce a pu aussi servir de base à certains aspects de The red dance, de Raoul Walsh. Une impression renforcée par le fait que ce film de 1931 en utilise d'ailleurs une séquence...

Le point de départ de cette histoire profondément anti-tsariste, est une anecdote: les Juifs étaient, dans la Russie de 1913, empêchés d'aller ou bon leur semblait, sauf les femmes qui possédaient un "passeport jaune", un laisser passer qui permettaient aux prostituées de voyager librement. Une idée qui est attribuée dans le film au très libertin Colonel Andreyev (Lionel Barrymore). L'intrigue est la suivante: Marya Kalish (Elissa Landi), une jeune enseignante Juive, est obligée de se procurer un passeport jaune afin de rendre visite à son père qui a été mis en prison. Quand elle veut le visiter, il est trop tard: d'une part, il est mort, et d'autre part, elle est désormais fichée comme prostituée... 

Il ne faut sans doute pas chercher de vérité historique, dans ce film où on demande à Raoul Walsh de se concentrer sur un huis-clos qui est sensé faire le sel du film: Marya, seule de nuit avec Andreyev, qui joue au chat et à la souris avec elle depuis le milieu du film... Mais ce qui intéresse Walsh, c'est l'action au sens large, celle qui déplace les montagnes et implique les peuples. On ne s'étonnera donc pas qu'il soit plus à l'aise avec deux autres moments du film: le début où le sens de léconomie et du raccourci du réalisateur lui permet de camper une Russie opprimée en dix minutes survitaminées, et la fin, quand Marya et son amant, un journaliste anglais (un très juvénile Laurence Olivier) fuient la Russie qui est en proie à une déclaration de guerre qui menaçait déjà depuis quelques bobines...

Pour le reste le film fait un peu partie du purgatoire imposé à Walsh après l'échec de The big trail. Il reste plaisant à voir, pour sa liberté de ton d'une part, pour les excès de Lionel Barrymore, qui en fait tellement que ça en devient drôle, pour les seconds rôles à repérer: James Marcus, un copain de Walsh, était un peu son Ward Bond à lui; ici, il est un chanteur dans une scène de cabaret; Boris Karloff joue un soldat aux mains baladeuses; et Ivan Linow, qui jouait dans The Red Dance, et dans The River de Borzage, était à cette époque réduit aux figurations-éclair. On le repère assez facilement: cette trogne ne ment jamais... 

Et puis il y a une scène absolument splendide: dans ses appartements, la nuit, Andreyev de dos s'approche de Marya. Celle-ci a une arme. La caméra s'approche du colonel au point de ne nous laisser voir que le dos de sa tunique. Un coup de feu retentit, et l'homme tombe, révélant Marya qui halète. Elle porte une robe blanche, et est uniquement éclairée par une lampe à abat-jour, à droite. La partie gauche de son visage est donc dans l'ombre.

Chassez le naturel de l'artiste, il revient au galop, et avec du clair-obscur!

 

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Published by François Massarelli - dans Raoul Walsh Pre-code
27 avril 2019 6 27 /04 /avril /2019 16:06

Ce western spectaculaire est à la fois la marque de l'intention d'un producteur (William Fox) et d'un metteur en scène (Raoul Walsh) de donner une véritable noblesse au genre, d'une part, et le chant du cygne des histoires de l'ouest sauvage telles qu'elles ont été contées durant les années 20: de The covered wagon à The Big Trail, en effet, c'est tout un pan du western "pionnier" qui se dessine, à l'opposé des films plus crus, plus intimistes, tournés par wagons entiers de bobines à la Universal depuis les années 10, mais aussi par Cecil B. DeMille ou Thomas Ince. Mais si ce courant a disparu, c'est effectivement non seulement au désintérêt du public (Three bad men, de Ford, avait été un relatif insuccès commercial alors que deux ans plus tôt The iron horse avait lui été un énorme succès), à la méfiance des producteurs qui sentaient passer la note, mais aussi et surtout à l'échec public de ce film qu'il le doit...

Une caravane massive se prépare à amener des pionniers vers l'Oregon, à l'assaut des rivières, forêts, tribus Indiennes, et montagnes qui leurs barrent la route. Celle-ci ne sera pas de tout repos, car en plus de tous ces dangers, l'homme qui conduit tout ce troupeau hétéroclite de pionniers, d'immigrants, et d'animaux, est un bandit, le redoutable Red Flack (Tyrone Power, Sr), assisté de son âme damnée Lopez (Charlie Stevens) et du joueur professionnel Thorpe (Ian Keith), un Sudiste qui semble fuir le Sud plutôt que d'y retourner... Heureusement, Breck Coleman (John Wayne) veille: c'est un homme attaché à la caravane pour faciliter les échanges et le dialogue avec les populations Indiennes, et il est droit, franc, et a en plus un compte à régler avec Flack et Lopez... de plus, il s'intéresse de près à la jolie Ruth Cameron (Marguerite Churchill), l'une des pionnières du convoi...

C'est merveilleux: non seulement dans ce film à la durée spectaculaire, tourné en écran large (Le procédé 65mm Grandeur, un ancêtre du 70mm et du cinémascope), on assiste avec bonheur à tous les passages obligés de ce type de récit, racontés de main de maître par un génie du cinéma d'action, mais ce dernier a réussi à convaincre le studio de lui laisser carte blanche. Ainsi, dans une production hallucinante qui oblige déjà l'équipe à véhiculer des chariots, des troupeaux, et des gens sur des routes aussi proches des pistes originales que possible, à tourner en séquence c'est à dire de façon chronologique afin de profiter au mieux des paysages et de permettre aux acteurs un certain confort dans la continuité de leur rôle, Walsh improvise des séquences entières lorsque le paysage l'inspire, et il s'imprègne en permanence de l'esprit pionnier! C'est un film qui a beau conter une histoire du XIXe siècle, on y retrouve l'exploit qui a consisté à faire ce film dans la magnifique nature Américaine, armé en prime d'un système de prise de vue qui était particulièrement inconfortable... Sans parler du son! Walsh passe son temps à se jouer de la difficulté de l'écran large, dont il fait de remarquables compositions, tout en maintenant sur deux heures un rythme soutenu.

Et cela va sans dire (C'est souvent la seule chose qu'on a à dire sur le film, et ça me semble un peu court tant son souffle épique est communicatif), Wayne est impeccable, ne se doutant sans doute pas qu'après ce rôle de premier plan dans un film spectaculaire, il serait obligé de passer 9 années au purgatoire des productions médiocres... Et Walsh d'ailleurs allait être aussi mal loti, comme du reste le western dans son ensemble. Mais ce film est tellement enthousiasmant (Contrairement à l'insipide Cimarron,de Wesley Ruggles sorti l'année suivante et qui en dépit d'un Oscar non mérité n'allait pas pouvoir inverser la destinée du western) qu'on lui pardonnera volontiers les menus défauts que sont une diction parfois embarrassante, le parlant n'en était qu'à ses débuts, et une tendance à se réfugier derrière le concept si douteux de la Destinée manifeste: cette idée selon laquelle la destinée de l'homme blanc était de redessiner les contours du monde en conquérant l'Amérique. Billevesées et conventions: on a un western, un vrai, un beau, un grand.

The big trail (Raoul Walsh, 1930)
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Published by François Massarelli - dans Western Raoul Walsh Pre-code John Wayne
20 mars 2019 3 20 /03 /mars /2019 22:35

Helen Faraday a rencontré son mari alors qu'elle se baignait dans une rivière en compagnie d'autres danseuses; il était en vacances en Allemagne et elle faisait partie des curiosités locales... devenue mère de famille aimante aux Etats-Unis, il va falloir qu'elle redevienne une artiste car Ned Faraday est malade: exposé au radium, il risque même la mort; il faut financer un séjour à l'étranger pour le guérir... Elle retourne sur scène, et va rafler la mise en un soir: en effet, un playboy, Nick, est fasciné par l'artiste et lui donne un très gros chèque. Dès le lendemain, Ned part pour une cure, mais Nick est toujours là...

Un mélodrame, donc, mais un gros, un qui n'hésite absolument pas à faire dans l'excessif, le kitsch voire le franchement invraisemblable... Avec Herbert Marshall dans le rôle de son mari et un tout jeune Cary Grant dans celui de l'amant, Marlene Dietrich est encouragée à en rajouter dans les grandes largeurs. Il est évident que c'est un film pour la galerie, une sorte d'expérience qui multiplie les figures du style: ne serait-ce que pour passer de la ménagère Dietrich à la meneuse de revue Marlene, Sternberg fait en permanence le grand écart, et son film essaie de faire concurrence à tout ce qui se pratique à l'époque: Baby face, d'Alfred Green avec Barbara Stanwyck, Susan Lennox de Robert Z. Leonard avec Greta Garbo pour la fuite en avant, et Three on a match de Mervyn Le Roy pour la déchéance fulgurante de Ann Dvorak...

Tout y passe dans ce film dont une fois de plus l"esthétique prime fermement sur l'intrigue, et dont les scènes mémorables s'enchaînent sans vergogne: la scène inaugurale où Sternberg joue avec la nudité (et donc la censure) en montrant des Américains tout émoustillés devant des naïades en tenue d'Eve, mais aussi la célèbre danse avec Marlene Dietrich en orang-outang (mais oui!!!) qui joue d'ailleurs sur les pires clichés coloniaux, et d'autres: une scène nous rappelle le pouvoir de la mise en scène d'un auteur qui avait déjà un talent fou à l'époque du muet: le mari vient de reprendre son enfant à son épouse en fuite, et elle regarde partir le train en silence, mais en un ou deux gestes, l'immense douleur se fait sentir...

Ce n'est pas un grand film, c'est presque un état des lieux,une déclaration d'intentions, ou un catalogue. Mais la photographie est soignée à l'extrême comme de juste, les excès sont tellement voyants qu'ils en deviennent des prouesses, et de toute façon, dans ce monument de kitsch, personne n'est dupe: comment s'étonner qu'à sa façon ce film soit devenu un classique?

Hélas: elle chante, trois fois. Trois fois de trop.

 

 

 

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Published by François Massarelli - dans Pre-code Josef Von Sternberg