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27 avril 2024 6 27 /04 /avril /2024 08:38

Pour raconter la triste et édifiante histoire de Judee Sill, il fallait le vouloir, et on est confronté, avec ce documentaire réalisé sur plusieurs années, à un travail de passion, qui réussit là où on n'attendait qu'un portrait convenu et compassé, à dresser un portrait qui rend grâce au titre: car si on retient d'abord des deux mots principaux (Lost Angel) le mot ange, il n'en reste pas moins qu'en effet, Judee Sill avait du génie.

Il n'est jamais nécessaire, a priori, de connaître la personne qui fait l'objet d'un tel portrait quand on le regarde, encore moins de l'admirer. Mais ça aide... Et en l'occurrence, Judee Sill était admirable. Pour ressortir un cliché des plus irritants, elle s'est peut-être un peu trompé d'époque... Et pour commencer, quelle enfance! Née Judy en 1944, elle a perdu son père très tôt, et a fini son adolescence sous la coupe de deux irresponsables: sa mère, qui sombrait dans l'alcoolisme, et son beau-père, qui était de ces hommes dont on conseille aux petites filles de ne jamais rester seules avec eux... Comment voulez-vous qu'elle n'ait pas eu l'envie de fuir?

Au passage et pour la petite histoire, Ken Muse, le beau-père en question, était animateur: il a travaillé un temps pour Disney, puis a intégré le département de cartoons de la MGM, avant de se tourner vers la télévision où il a suivi ses patrons Hanna et Barbera quand la MGM a fermé son département animation. En gros, ce sale type a quand même oeuvré sur virtuellement tous les Tom et Jerry réalisés par le duo... Il vivait aisément, ce qui a permis à Judy de disposer de tous les instruments de musique qu'elle pouvait vouloir essayer. Les témoignages, les photos, et parfois les films (amateurs) en attestent: elle était versatile et pouvait jouer de la guitare, du piano, de la contrebasse (un instrument qu'elle s'est appris toute seule), de la clarinette, et certainement d'autres. Elle écrivait, et a commencé à composer dès le début des années 60, en trainant avec quelques hippies et autres beatniks, qui étaient déjà fort nombreux dans la Californie de l'époque...

Elle a aussi rencontré la drogue et la délinquance, puisque avec ses nouveaux amis elle a participé (principalement pour l'expérience, disait-elle plus tard) à des cambriolages de banque, dont un qui l'a menée en maison de redressement... Où elle a enrichi son expérience musicale (c'est là qu'elle a appris à jouer le gospel et qu'elle a développé un jeu aux claviers précis, versatile et virtuose), et développé une vie intérieure qui s'est retrouvée dans ses textes: d'une tendance folk à chanter la déprime, aux bords du blues, elle est passée à un univers où sensualité et religion se sont intimement mêlés, dans un cocktail volatil et explosif...

C'est ce que raconte ce documentaire, construit de façon si académique: d'abord, un enchaînement d'images, puis un témoignage contemporain, à travers un extrait d'un concert des Fleet Foxes où le groupe rend hommage à Judee en interprétant la chanson la plus remarquable de son parcours, The Kiss... Puis la chronologie des événements, des clubs folk où la jeune artiste aimait se produire (elle détestait les concerts rock, et ne se reconnaissait pas du tout dans ce médium), jusqu'à la production de deux albums pour le label Asylum, futur berceau de tout le rock dit "Californien", de Joni Mitchell, Jackson Browne, The Eagles... Un label mené par David Geffen, dont Judee fut, un temps, l'élément le plus prometteur.

Ce que raconte le documentaire, c'est d'abord le génie de Judee Sill, exemples à l'appui, d'où la participation, non seulement de témoins directs, connus ou inconnus (on retiendra surtout les connus, interviewés en direct, filmés ou au téléphone, ou à travers de précieuses images d'archives: Jackson Browne, Linda Ronstadt, David Geffen, Graham Nash, et la jeune avant-garde du Folk-rock Américain), mais aussi de membres de la famille de Judee, dont sa nièce, ou encore d'amis et autres petits amis de passage. On entendra aussi des musicologues, certains passionnés encore aujourd'hui par leur découverte du répertoire de la musicienne, un choc frontal pour tant de personnes...

L'histoire de Judee Sill est bien de son époque, et bien Californienne, on y raconte le parcours de galères, la drogue, la prostitution même. On y rappelle que parfois un artiste non seulement a du génie, mais le sait. Ce n'est pas apprécié, non, mais que voulez-vous: Mozart, Thelonious Monk, Vincent Van Gogh, pouvaient-ils ignorer qu'ils étaient géniaux? Comment auraient-ils pu  paser à côté de l'énorme apport, indéniable, qu'ils ont fourni à leurs arts respectifs? Pour certains, ça leur a été rendu, au centuple, mais pour Judee comme pour Van Gogh, il a fallu se contenter de miettes... 

L'art de Judee Sill est unique, et je le disais, les paroles sont un mélange étonnant, de spiritualité et de profane, entre épiphanie d'une rencontre avec le sacré, et expérience humaine profondément sensuelle. The Kiss, la plus belle de ses chansons, est l'histoire d'un baiser, de ce qui arrive lors de la rencontre de deux bouches ou de deux âmes, vécue comme une transcendance. Jesus was a cross-maker raconte l'irrésistible rencontre avec un homme dont le charisme vous fait oublier la réalité, et quand il sera parti, dit la chanson, vous n'aurez plus que les yeux pour pleurer. Mais en attendant, il aura fourni un frisson inoubliable... The donor (aux arrangements vocaux hallucinants, touchant au versant sacré de la musique de Bach, mais avec les moyens confortables de la technologie d'enregistrement des années 70), The Desperado, Crayon angels, The lamb ran away with the crown, tous ces titres touchent au sublime en transposant le quotidien en une expérience sacrée, quasi-religieuse. Et Lady-O, sa chanson la plus célèbre (reprise par les Turtles), est une ode sans équivoque à une compagne d'un temps, dont les bras accueillants sont un souvenir de douceur.

Les chansons racontent l'indicible, l'expérience du plaisir, la quête de l'absolu, à travers des airs qui tiennent autant du folk traditionnel (guitares acoustiques en bandoulière) que du baroque ou de Bach (elle aimait tellement Bach qu'elle s'amusait à en placer des pastiches un peu partout, avec gourmandise), et surtout du gospel et de la musique western (j'évite de parler de country music), dont elle avait maîrisé les codes avec un don particulier. Il faut voir un musicologue décrire The lamb ran away with the crown, et finir au bord des larmes...

Et comme elle ne souhaitait pas déléguer, elle en était non seulement l'autrice et la compositrice, elle en était aussi l'arrangeuse, et l'orchestratrice. Jim Pons (bassiste des Turtles) et Graham Nash, qui l'ont tous les deux produite, le disaient: on n'avait rien à faire, c'est elle qui s'occupait de tout. Une attitude qui lui jouera des tours: sur scène, elle était capable de s'arrêter de jouer pour agresser un membre du public qui faisait trop de bruit. Une exigence qui la poussera aussi à questionner la façon dont le label, et à travers lui David Geffen, s'occupait de sa promotion. Elle avait une haute idée de son art et de ses deux albums (Judee Sill et Heart Food), et ne pouvait imaginer qu'on en cochonne la réception. Elle estimait qu'on l'avait sacrifiée pour privilégier des artistes plus accessibles... 

Une attitude qui devait se manifester aussi dans sa vie de tous les jours, puisque le documentaire est assez clair: quand elle a eu "un accident", pour lequel elle n'a pas eu de témoins, elle vivait avec un homme violent; la "chute" dont elle a été victime a réveillé non seulement de vieilles douleurs, elle a aussi eu pour effet de relancer son addiction aux opiacées, et si le certificat de décès indiquait le suicide, les proches sont catégoriques: c'est impossible, elle aimait trop la vie.

Judee Sill est décédée en 1979, 6 ans après la sortie de son deuxième album, et vivotait dans Los Angeles, il ne faut pas trop demander comment, d'ailleurs le documentaire ne s'étend pas sur cet aspect, mais souligne qu'elle n'a jamais arrêté de composer... 

Pour donner une voix à l'artiste elle-même, le documentaire fait évidemment la part belle à toutes ses interviews, souvent extrêmement franches. Et une actrice a été chargée de lire de copieux extraits de ses journaux intimes, dont des images (animées) apparaissent à l'écran. On y verra une écriture changeante, caméléon, et délicieusement erratique, de nmobreux dessins, et même quelques peintures. Judee Sill avait tous les talents, et ce documentaire (fort mal distribué, il faut espérer qu'on le verra un jour en France, et pas que dans ce cimetière qu'est Netflix) parvient à donner à voir et entendre son génie. Maintenant il faudrait qu'il puisse toucher non seulement ceux qui connaissaient déjà le talent singulier de l'artiste, mais aussi ceux qui ne l'ont pas encore croisée: il y a pour eux de nombreux bouleversements à venir... Et une artiste qui terminait son premier album (le premier, mais selon moi un chef d'oeuvre total, d'une musicienne qui n'avait pas attendu d'être sous le feu des projecteurs pour développer son art et lui donner une forme achevée, accomplie) par un crescendo orchestral hallucinant qui s'appelle Abracadabra.

Ca lui va bien.

 

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Published by François Massarelli - dans Musique Documentaire
11 juillet 2023 2 11 /07 /juillet /2023 08:56

Pierre MacOrlan, qui sera ensuite chargé du commentaire sur les images de Chenal, nous prévient: ces métiers, glanés au hasard des rues de Paris, certains sont là depuis des siècles et d'autres disparaîtront, certains auront peut-être cessé d'exister au moment de la présentation du film...

Ensuite on assiste en effet à une vue de diverses activités dans Paris, utiles ou inutiles, le plus souvent pour égayer les gens. Toute un univers de débrouille, d'une poésie canaille, se met en place sous nos yeux, entre cracheuse de feu (elle vérifie que la police n'est pas là d'abord) et barbier des quais (il coiffe les sans-abri des bords de Seine), depuis le "désossé" qui montre les possibilités de son corps contre une pièce, aux vendeurs à la sauvette...

Chenal, venu au cinéma en amateur avec une vocation grande comme ça, a beaucoup pratiqué le court métrage documentaire, ou le "point de vue documenté" comme Vigo et Kaufman présentaient leur film A propos de Nice. Mais ici, comme du reste dans Paris-Cinéma du même auteur, le point de vue est tendre, jamais rigolard... Et c'est en effet un Paris totalement disparu ou presque qui se montre ici. Bien sûr la plupart des "métiers" ici montrés ont été remplacés par d'autres qui eux-même passeront le relais à d'autres occupations...

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Published by François Massarelli - dans Documentaire Pierre Chenal
9 avril 2023 7 09 /04 /avril /2023 08:43

En 1895, le 28 décembre précisément, a été présentée au Grand Café une sélection de courtes bandes du Cinématographe: c'est en allant directement les montrer au public, que les frères Lumière ont testé leur invention. C'est qu'il faut bien comprendre le contexte: contrairement à ce qu'on répète l'envi depuis, ils ne sont pas du tout les inventeurs de la photograpnie animée, mais juste des participants à une sorte de compétition informelle, qui paraissait gagnée d'avance par les Américains, et ce depuis l'invention par William K.L. Dickson (et Thomas Edison, et au vu du pedigree de ce dernier en matière de vol des inventions des autres, on se méfie de l'info) du Kinetoscope: oui, des images qui bougent, ça existe depuis 1888... 

Mais d'une part, on n'est pas en cette fin de XIXe siècle dans une économie globale des médias, et si effectivement on peut se rendre dans des nickelodeons pour visionner en solo des films au Etats-Unis, la France n'a pas vu jusqu'à présent d'invention significative. En Grande-Bretagne, en Allemagne, des "petits cousins" des Lumière travaillent à leur système. Mais si les deux Lyonnais ont choisi une présentation publique pour une audience populaire (même si j'imagine que le Grand Café est tout sauf un estaminet pour tire-laines situé dans un coupe-gorge), c'est qu'ils sont sûrs de l'atout principal de leur invention: la projection...

Et c'est l'une des innombrables choses que nous rappelle ce film, montage de 114 films des frères Lumière, et établi d'après la restauration de tous ces films, dont souvent les éléments ont été préservés dans un état très avantageux. Les Frères Lumière avaient trouvé un procédé qui donnait une image stable, et qui pouvait être élargie sur un écran de vaste proportion, pour être vu d'un grand nombre, sans perte excessive de qualité. Et la beauté photographique des films présentés est une preuve de la réussite des inventeurs.

"Inventeurs" plutôt que cinéastes, j'assume le terme, d'une part parce que des deux frères, seul Louis a vraiment assumé le rôle de faiseur de films; ensuite parce qu'il ne l'a pas tant fait que ça, les deux frères ayant payé de collaborateurs pour sillonner la planète et en ramener des images, à leur initiative. Frémeaux, dans son commentaire (au passage, globalement d'une rigueur exemplaire), nous en rappelle les noms: ceux qu'on connaissait déjà, comme Félix Mesguich; et ceux qu'on est content de découvrir (en ce qui me concerne, je n'avais pas connaissance d'Alexandre Promio). Enfin, Louis Lumière, dans une rencontre qui tient du passage de témoin, a rencontré Méliès, et lui a tenu un discours qui minimisait sérieusement la portée artistique du cinématographe, qu'il disait concevoir comme une possibilité de garder des fragments du passé sur pellicule, et permettre aux hommes de voir le monde, mais guère plus. Méliès, lui, avait compris que ça pourrait aller plus loin et l'a démontré.

Il n'empêche: par le choix de montrer les films, rien que les films, entiers et sans fioritures, et de les commenter tranquillement, Frémeaux va démontrer que, tels des Jourdain du cinéma, les deux Lyonnais ont inventé sans le savoir des principes de mise en scène, en particulier lorsqu'ils ont établi, par exemple, des angles de prise de vue qui permettaient une plus grande efficacité (cette utilisation de la diagonale dans la composition de L'arrivée d'un train en gare de La Ciotat, par exemple, qui va devenir la règle pour les scènes de rue), ont su bénéficier de la météo qui les encourageait à sortir la caméra, et ont même à plusieurs reprises réalisé des comédies, de la mythique L'arroseur arrosé, à La charcuterie mécanique, avec son cochon qu'une machine transforme en cochonailles... Ils ont restitué et parfois transformé et prolongé le réel. Ils ont influé sur les journées de quelques quidams, croisés dans la rue et gardé pour la postérité; certains d'entre eux n'ont d'ailleurs pas pu s'empêcher de se faire remarquer, permettant à Lumière d'être aussi l'inventeur malgré lui du cabotinage cinématographique (les trois Sortie d'usine). Ils ont enfin gardé des images de moments, de rues, de lieux, disparus ou altérés depuis. Ils ont inventé non pas l'image qui bouge, mais sa meilleure représentation, et nous en sommes infiniment reconnaissants.

 

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Published by François Massarelli - dans Documentaire Muet Lumière
13 février 2023 1 13 /02 /février /2023 09:32

Le col de Montgenèvre, dans le département des Hautes-Alpes, est situé à la frontière entre l'Italie et la France; c'est le lieu de passage de nombreuses personnes, qui ont fui leur destin pour tenter leur chance en Europe du Nord... C'est aussi, depuis quelques années, le théâtre d'un étrange conflit entre migrants, forces de l'ordre, citoyens concernés qui souhaitent aider ceux qui n'ont plus rien à perdre, et militants de mouvements qu'on avait cru voir disparaître, sûrs de leur bon droit, et absolument certains que leurs agissements (traque de migrants, et dénonciations musclée à la police locale) sont justes. Par-dessus le marché, comme le proclame un graffiti situé sur le versant Italien, à deux pas de la frontière: Il confine ucciso, la frontière a tué...

Le film refuse systématiquement le spectaculaire, et l'emploi d'images choc des arrestations, ou des sales petites ordures d'identitaires qui sont tellement fiers d'avoir recréé l'esprit des milices pétainistes sous le prétexte de venir en aide à la police et à la loi. Sarah Léonor privilégie en permanence une vision neutre des lieux de l'action en rappelant, par le truchement de voix off omniprésentes, que dans ces merveilleux coins de montagne, des gens se cachent, et parfois des gens meurent. Il est souvent fait allusion à Blessing, une migrante Nigérienne qui a été retrouvée dans la Durance...

C'est donc très austère, et un parti-pris qui rend le film très exigeant vis-à-vis de ses spectateurs. Une autre caractéristique du récit, est qu'il passe comme je le disais par des voix off qui sont pour la plupart interprétées à partir de témoignages, ceux de personnes locales qui ont aidé ponctuellement et se sont trouvées en butte avec la police locale, mais aussi d'un de ces petits blondinets qui nous explique "Je suis militant identitaire", comme si ça devait tout excuser. Des extraits d'un film de Pietro Germi nous rappelle que les lieu ont toujours été un endroit de passage mais à une époque, c'était glorifié par le cinéma. Enfin, un chapitre nous éclaire sur le passé encore plus lointain, à travers l'expérience d'un officier de police, qui a aidé justement des gens à passer, par simple humanité car ces gens qui n'ont plus rien risquent leur vie.

Le film, qui se clôt sur l'incertitude d'Eunice, une femme d'origine Africaine qui est passée avec son fils, et attend la suite de sa vie, nous aura aussi rappelé que la loi (française comme européenne) ne dit absolument pas qu'il faille empêcher quiconque de passer, mais bien que toute personne qui passe la frontière et qui manifeste son désir de droit d'asile, doit être accompagnée, escortée et qu'on doit lui permettre d'effectuer sa demande en de bonnes conditions. 

Donc, la police qui traque les migrants, et qui parfois les houspille, les salauds de miliciens qui les dénoncent, sont sous le coup de la loi, théoriquement. Comme quoi même devant un film beaucoup trop austère, on apprend des choses...

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Published by François Massarelli - dans Documentaire
25 octobre 2022 2 25 /10 /octobre /2022 23:36

La vie et surtout, semble-t-il, la mort de Brian Jones, le membre des Rolling Stones qui est à l'origine de l'existence du groupe, celui dont on dit souvent (et en particulier dans ce film) qu'il était au début l'âme du groupe, et qui fait partie du célèbre soi-disant Club 27, donc un artiste parti trop tôt, dans la destruction, avant ses 28 ans...

d'une part, le film fait la part belle au destin tourmenté et surtout à la mort de son sujet, une mort annoncée de multiples façons, dans le film, à travers l'accent sur les mauvaises décisions, pratiques, fréquentations, tout en passant de manière exagérément rapide sur un certain nombre de points: je ne parle même pas de l'anecdote la plus embarrassante sur Jones, la fameuse histoire de l'uniforme nazi (dont une photo nous est présentée), mais... de sa participation au groupe. Alors oui, on verra quelques images et on entendra quelques sons, mais l'impression est qu'en 6 ans, il a traversé le groupe dont on nous dit qu'il l'a fondé sans faire trop de vagues! 

Sans doute y'avait-il un problème de droits, sans doute les survivants ont-ils soit décliné leur participation, soit demandé un prix exorbitant, ou se sont-ils opposés à ce que le film parle trop d'eux.  Peut-être que pour les concepteurs du film, le groupe était finalement accessoire! Presque un accident dans la carrière de Brian Jones...

Mais l'impression qui domine, j'en ai peur, c'est que Brian Jones lui-même a sans doute été un accident dans la carrière du groupe! Une impulsion géniale, un coup d'envoi, puis une lente descente vers la déliquescence pendant que les quatre autres (cinq, en comptant le fidèle Ian Stewart) entamaient une série de décennies impressionnantes, et comme chacun sait ils nous enterreront tous... Sauf Charlie Watts.

Non, ce que veut raconter ce film, à grand renfort de théories, de témoignages dont certains littéralement fumeux (hum...), et tous vaguement contradictoires, c'est que la mort de Jones est en fait un meurtre, voilà tout. Je ne suis pas convaincu, et j'ai tendance à considérer tout film un tant soit peu complotiste comme un machin à éviter, à plus forte raison quand il tente de se déguiser avec les accents de la vérité! Tout le monde n'a pas le talent d'Oliver Stone quand il se lance dans un délire paranoïaque, comme JFK, il peut au moins, lui, le faire avec un certain génie, et c'est de toute façon de la fiction... Ce documentaire musical sans musique déçoit et nous laisse sur notre faim parce qu'ici, les Rolling Stones sont absents. Même Brian Jones!

 

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Published by François Massarelli - dans Documentaire Musical
25 juin 2022 6 25 /06 /juin /2022 08:21

Réalisé en 1943 pour un distributeur de sujets édifiants, j'imagine que ce film était pour les autorités de l'époque un objet sans le moindre risque, une belle histoire propice à intéresser les enfants sans aller plus loin, en phase avec l'idée du retour à la terre: on y raconte le voyage annuel d'un troupeau de chevaux venus de Camargue pour se rendre dans le massif du Vercors...

Le massif du Vercors, ça évoque bien sûr le Sud dans toute sa splendeur, mais ça résonne aussi beaucoup pour ceux qui connaissent l'histoire de France et en particulier cette période durant laquelle les forces d'occupation d'un pays étaient constituées de tout un tas de teutons en uniforme, incapables de penser un seul instant que des forces de résistance pourraient oser, depuis les massifs montagnards, défier leur autorité... D'où l'intérêt de ce petit film, qui utilise pour parler de la transhumance de ces chevaux qui "fuient les hommes", et se dirigent vers ce qui sera le haut lieu d'un maquis, des termes systématiquement associé au souffle de la liberté.

La fin, d'ailleurs, est encore plus explicite, car on y apprend que le Vercors, y compris quand on est un cheval, ça se mérite: il faut, pour reprendre les termes directement tirés du film, "batailler" contre des "ennemis"... Tiens donc! Ce premier court métrage révèle la subtilité d'une cinéaste qu'il faudrait peut-être redécouvrir, en passant au-dessus des diktats des historiens qui l'ont reléguée dans les coulisses de l'histoire: ici, elle s'y montre plus que pertinente, aidée en prime par les très belles images (en 16 mm) d'Henri Alekan.

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Published by François Massarelli - dans Documentaire Jacqueline Audry
28 avril 2022 4 28 /04 /avril /2022 06:41

Nous assistons à la naissance du procédé Cinerama: un prologue (en format 1:33:1 standard) retrace l'évolution de la représentation du mouvement, principalement dans la photographie puis le cinéma, et aboutit à la création du nouveau procédé: l'écran s'élargit, le son se spatialise... S'ensuit une série de représentations: voyages, caméra embarquée sur des véhicules en mouvement, spectacles vus et entendus dans toute leur largeur, etc...

Le nom qui frappera le plus les esprits, au-delà par exemple de la famille Todd (dont le procédé Todd-Ao a été développé en parallèle) est Merian C. Cooper, ci-devant producteur et réalisateur à ses heures, notoirement en compagnie d'Ernest B. Shoedsack, et du coup heureux père d'un célèbre bambin bien poilu: avez-vous jamais entendu parler de... Kong?

Le film est une succession de démonstrations par l'image, avec des moments qui ont sérieusement perdu de leur charme, en particulier ces extraits de spectacles pré-péplum, ou cette longue séquence qui nous fait entendre un choeur de Salt Lake City interprétant des extraits du Messie de Haendel... Le plus intéressant (au-delà de l'intérêt sociologique des données ethniques assez embarrassantes, puisque ce tour des Etats-Unis est 100% blanc) est bien sûr l'extraordinaire final qui est un survol magnifique sur triple écran des Etats-Unis.

On en prend plein les yeux, c'est l'idée: on ne m'empêchera pas de penser que c'est aussi une mise en abyme vertigineuse: un film qui s'abstient de raconter une histoire, mais se présente au public pour démontrer ce qu'il est.

 

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Published by François Massarelli - dans Cinerama Documentaire Merian Cooper Filmouth
16 février 2022 3 16 /02 /février /2022 17:56

La caméra de Lamprecht se promène en Sicile, au pied de l'Etna... Et en profite pour visiter les villages environnants, et saluer la population...

Filmant le volcan, Lamprecht agit finalement bien plus en touriste qu'en cinéaste, se désintéressant bien vite d'un géant de feu, qui bien qu'actif, reste bien sage durant le séjour. Pas de drame en vue donc, et on notera que Lamprecht, qui aimait croire qu'il montrait la vie sans la moindre idéologie, est une fois de plus attiré en optimiste par la vie en apparence indolente des habitants... Le film est manifestement peu connu, absent des filmographies officielles.

https://www.youtube.com/watch?v=sr_ItruvadE

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Published by François Massarelli - dans Gerhard Lamprecht Muet Documentaire
11 février 2022 5 11 /02 /février /2022 09:45

L'histoire de la censure aux Etats-Unis est passionnante, en particulier en ce qui concerne le cinéma: c'est bien simple, on en ferait un film! C'est en gros ce que le documentariste Kirby Dick a souhaité faire, mais on ne s'attendait pas à ce que ça vire à l'enquête policière! 

Le système actuel d'évaluation des films est un héritage de la longue, tortueuse et fort compliquée histoire du Code, comme on l'appelait, cet ensemble de règles adoptées par les studios entre 1922 et 1934, puis érigées en dogme absolu jusqu'aux coups de boutoirs de la libération des moeurs dans les années 60. Voyant qu'on ne pouvait maintenir des règles démodées, et toujours selon eux désireux d'empêcher toute censure, les studios ont donc adopté un système d'évaluation qui leur permettait d'envoyer des signaux aux parents: un film évalué "All", par exemple, est pour tous. Un film "PG 13" indique qu'en dessous de 13 ans, un enfant aura besoin de l'accord (et donc implicitement de la présence) de ses parents pour se rendre au cinéma. Le grand débat réside, le film le montre bien, entre R et NC-17. Un film R, c'est à dire "Restricted" (restreint) est sujet à la controverse, mais un adolescent de 17 ans peut aller le voir. Mais NC-17 est en fait une descendance du fameux X, qui aux Etats-Unis ne désignait pas le porno, mais tout film qui suscitait un maximum d'objections de la part des "évaluateurs", parfois pour des raisons qu'eux-mêmes avaient les plus grandes raisons à donner... Un film NC-17 (ou X) était parfois relativement accepté culturellement dans les années 70: les derniers Pasolini, par exemple, qui y allaient un peu fort, étaient certifiés X, ce qui ne gênait pas outre mesure leur public, le plus souvent adulte. Ca a probablement gêné leur carrière, on s'en doute, mais s'ils avaient été certifiés R ou PG-13, le public serait-il massivement venus les voir? 

A l'âge de la vidéo, des écrans permanents, en revanche, la donne a changé: NC-17 est devenue la marque infamante, l'assurance que les chaînes de cinéma seront sélectives (le Sud en particulier choisira selon toute vraisemblance d'ignorer le film, par exemple), mais surtout, le film le prouve, il y a deux poids et deux mesures: bien souvent, un NC-17 est obtenu pour des raisons de représentation de la sexualité, plus que pour la violence... Et il y a plus intéressant encore: les orgasmes sont comptabilisés, la présence ou non de poils pubiens, voire les coups de reins! Ce qui donne lieu dans le film à des montages hilarants et des animations rigolotes... Mais pour finir sur cet inévitable chapitre, la censure (car c'en est bien une) est effectuée par des gens qui sont bien souvent des représentants hétérosexuels des grands studios, des parents ou des membres déclarés de deux églises (les deux seules qui ont le droit de cité dans l'association, les Catholiques et les Episcopaliens), et les films ciblés par les pires infamies représentent le plaisir féminin, cet inconnu, et bien évidemment les minorités sexuelles...

Le film se concentre ensuite beaucoup sur une enquête menée par une formidable détective privée avec sa belle-fille pour essayer de débusquer les membres secrets de cette organisation qui n'a pourtant aucune (bonne) raison d'être tentaculaire. Et ça devient comique quand le film est soumis à ce même organisme pour classification.

Il a été classé NC-17 en raison précisément du nombre de citations sous forme d'extraits des films qui avaient déjà eu cette marque infamante. Au moins, c'est logique...

 

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Published by François Massarelli - dans Documentaire
28 octobre 2021 4 28 /10 /octobre /2021 10:56

Historien du cinéma, écrivain, Bernard Eisenschitz a passé une grande partie de sa vie professionnelle (et pas que) autour de L'Atalante, le chef d'oeuvre paradoxal de Jean Vigo: paradoxal à plus d'un titre, puisque le cinéaste n'était plus de ce monde au moment où le film a pu être montré, parce que come pour beaucoup de chefs d'oeuvre, l'état même du film, ce qu'il est pour de bon, n'a jamais vraiment été établi, et paradoxal enfin dans la mesure où le film n'était pas un désir de Vigo, plus une commande de ses producteurs... Une commande dans laquelle le metteur en scène allait littéralement jeter son dernier souffle.

C'est donc des rushes nombreux, conservés miraculeusement et accumulés à la Cinémathèque Française, que Bernard Eisenschitz a monté un film de 70 minutes, qui retrace, montre, commente et complète l'histoire du film de 1934: dans ces images, des gestes, des sons aussi, des propositions de montage, des tentations finalement abandonnées, et ici ou là, l'image émouvante de Vigo, amaigri, mais déterminé, fixé sur sa pellicule comme un fantôme. L'image des amis aussi, Eisenschitz nous montre par exemple les copains du groupe Octobre, dont on reconnaît Jacques B. Brunius, parmi les figurants... 

Paradoxal, enfin: complément d'un film auquel il n'ajoute rien, mais peut permettre de nous expliquer à quel point L'Atalante est un beau film.

 

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Published by François Massarelli - dans Documentaire Jean Vigo