/image%2F0994617%2F20250320%2Fob_f41d8b_mv5bywm5nmiyyjutotfiyi00n2zilwjkogutot.jpg)
Oui, car si en "français" le film est connu sous le titre passe-partout de The Insider, ce thriller d'espionnage est en fait doté d'un tout autre titre pour les anglo-saxons, un titre qui fait allusion au petits secrets, déformation professionnelle, que les espions qui composent la faune du film gardent les uns envers les autres: "tu étais où, hier soir?" "...Black bag: secret défense!". Maintenant, où commence la légitimité de garder le silence sur une opération sensible, et où finit la tentation de profiter du "black bag" pour tout cacher, à plus forte raison à une épouse ou un époux qui lui ou elle aussi, est un(e) espion(ne)?
C'est l'ambitieux, et très ironique concept de ce film, le meilleur de Steven Soderbergh depuis Contagion. Il commence par un plan-séquence d'une grande classe, un truc de mise en scène pour renvoyer aux riches heures du film noir, d'une part... et un moyen original de mettre l'accent sur un personnage, et sa rigidité: car nous suivons George (Michael Fassbender), espion Britannique, dans les escaliers qui descendent vers une boîte de nuit, où il rencontre l'un de ses supérieurs. Ce dernier a une mission à lui confier: en effet, un traître sévit dans les rangs, et les cinq potentielles "taupes" sont donc à surveiller, et même à tester (car George est un spécialiste du détecteur de mensonges): parmi les noms, celui de Kathryn (Cate Blanchett), l'épouse de George. Nous l'avons suivi, sagement derrière sa nuque raide pendant son arrivée à la boîte de nuit, mais maintenant, le reste de son visage est visible, et de deux choses l'une: soit il est d'une exceptionnelle froideur, soit il cache très bien son jeu.
/image%2F0994617%2F20250320%2Fob_bc29ae_c56592ccfb439b78adf01258f1b98743-17417.jpg)
On ne va pas y aller par quatre chemins, ce n'est pas simple sans doute dit comme ça, mais le film est encore plus tortueux! D'ailleurs, ce plan d'arrivée nous permet de voir que nous sommes un peu en coulisses du monde de l'espionnage; car les agents secrets du pays semblent bien enclins à se détendre après les missions: boîtes, bars, pubs, bar à sushis... Verre en terrasse, dîner à six. Les protagonistes sont tous en couple, mais deux seulement sont mariés ensemble, George et Kathryn. George dit qu'il hait le mensonge et les menteurs, et semble avoir fait de sa raideur un trait professionnel... mais quand il dit à son épouse qu'il est prêt à tout pour elle, y compris à tuer, on n'hésitera pas à le croire sur parole, tout comme pour elle, car ces deux-là ont facilement ce type de serment à la bouche...
...et au vu du film on les croit sur parole!
...La manipulation, la mise en scène, thème essentiel du metteur en scène, décliné de film en film, entre les casses (Ocean's 11, 12, 13 et Logan Lucky), les manipulations de masse (Contagion, Side effects), la guerre de la drogue (Traffic), voire la simple rencontre entre un braqueur et sa nemesis amoureuse, une inspectrice (Out of sight): tout ou presque revient à cette notion qu'en toute chose, il convient d'adapter, de manipuler, d'avancer ses pions. On ment souvent chez Soderbergh, et on le fait aussi au public.
Et puis ce film est probablement le plus grand sac de Mac Guffins au monde: un Mac Guffin, je le rappelle, c'est selon Hitchcock un procédé de scénario qui donne au héros quelque chose à faire (une mission, par exemple) sans trop de détail pour ne pas encombrer le spectateur... Le film regorge d'explications et de discussions "techniques" qui sont autant de manifestations de poudre aux yeux, car les questions essentielles deviennent bien vite, qui manipule qui? qui a tué sui? et pourquoi? Mais bien vite on se rendra compte que toutes ces questions reviennent au même: c'est à dire au vide. Car sans aller aussi loin dans le cynisme kafkaïen que Clouzot (Les Espions), il semble bien que les agissements de tous ces professionnels du mensonge d'état soient plus terre-à-terre... ou personnels, en tout cas, qu'il n'y paraissait au premier abord. Le film devient très vite un jeu de pistes, dans lequel il devient assez facile de se choisir un ou deux "guides". Avec du suspense, des retournements de situation, des dialogues virtuoses, et, mais oui, une dose solide et roborative d'humour noir et froid.
/image%2F0994617%2F20250320%2Fob_dff872_49778e7e6d4c9034a536445d2f399cfb.jpg)