
Ce film est une suite à plus d'un titre... Soderbergh n'a jamais caché qu'il savait à quel point son Ocean's 11 serait condamné à être vu comme un film alimentaire: possédant un certaine classe, rempli de stars, cohérent et excitant, oui, mais fondamentalement creux. Il a tout fait pour en tirer parti, et y glisser ses propres envies, expériences et clins d'yeux divers et variés, mais au final, le film a eu un succès qu'on pourrait qualifier de... programmé. Celui d'un produit de série, dont le public pouvait finalement facilement revendiquer les contours et dans lequel on pouvait prendre un authentique plaisir facile. A ce stade, une suite était, bien sur, inévitable, d'autant que le film de casse porte en lui toutes les possibilités de retour de ses héros. La seule prouesse, pour Jerry Weintraub, consistait en la réussite d'un plan d'action lui permettant de faire revenir non seulement son réalisateur, mais en plus... ses 13 stars (Les 11, plus Garcia et Roberts)... Et c'est exactement ce qu'il a fait. Y ajoutant, tant qu'à faire, Catherine Zeta-Jones, Robbie Coltrane et Vincent Cassel, tant qu'à faire... Sans compter des apparitions de Bruce Willis et Albert Finney.
D'une certaine façon, le film s'arrête là: il donne souvent l'impression de reposer sur un script qui aurait été écrit en fonction des envies des stars justement, de se trouver à tel endroit (Les gars j'ai une course à faire à Amsterdam, il n'y aurait pas moyen d'y organiser un casse, par hasard?)... Par conséquent, le film voyage en permanence: Las Vegas et d'autres endroits aux USA, les studios de Burbank bien sur, mais aussi les Pays-Bas (Amsterdam, Haarlem), la France (Gare du nord, des plages du sud), Italie... Le script existe pourtant, et se pose en pur prétexte pour faire revenir tout le monde: les 11 vivent tous une retraite plus ou moins assumée, en jouissant pleinement de leur argent, et découvrent que la belle vie est finie, puisque Terry Benedict les a retrouvés, et exige qu'on lui rembourse avec des intérêts exorbitants les sommes dérobées lors du casse. Les bandits doivent donc se remettre ensemble, et obtenir un tuyau pour faire un boulot qui leur rapportera vite et bien. Plusieurs problèmes vont se mettre en travers de leur route: d'une part, le premier travail u'on leur propose est à Amsterdam, et ce que seul Frank (Bernie Mac) sait, c'est que Rusty (Brad Pitt) a un passé Européen qui a de solides ramifications en Hollande: son ancienne petite amie Isabel (Catherine Zeta-Jones), rencontrée à Rome, est une inspectrice d'Europol basée à Amsterdam, et elle sait parfaitement qui est Rusty et quelle est son activité. Plus grave, elle sait qu'il a connaissances de certaines techniques, puisqu'elle lui a elle-même filé les tuyaux! D'autre part, le deuxième problème, c'est que les "11" ont de la concurrence! Un bandit Français, le noblillon François Toulour dit "Le renard de la nuit", a appris qu'on considérait Ocean comme le meilleur dans sa catégorie, il a donc décidé de remettre les pendules à l'heure... Et pour se faire déclenché la compétition en donnant à Benedict les infos qui lui manquaient...
Inutile de chercher à comprendre, il suffit, je pense, de se laisser entraîner à travers les dédales, et accepter que lorsque un personnage dit par exemple 'ne comptez pas sur moi es copains' comme le fait Carl Reiner à un moment, c'est probablement pour rester en réserve et pouvoir intervenir au pire moment! Il en ressort une impression de morcellement qui n'est pas sans rappeler que le maître de Soderbergh s'appelle Alain Resnais. Et du coup, le metteur en scène pousse toujours plus loin ses amusements avec la continuité, le montage et la chronologie pour accomplir avec encore plus d'audace son métier d'illusionniste. Et il le fait en nous éloignant bien sur de la vraie nature qui est... Le vide.
Comme les bandits expérimentés (Pitt, Clooney, Coltrane) qui font croire à leur jeune bizuth (Damon) qu'ils ont une conversation codée alors qu'en fait ils disent n'importe qui avec un air mystérieux, comme ces appellations jamais expliquées de techniques de cambriolage que tout le monde au presque semble connaître sur le bout des doigts, le film tourne en vérité autour de rien: des cambriolages qui ratent, des manipulations pour contrer les manipulations, des policiers qui n'en sont pas, des passages en prison qui sont en fait programmés et inscrits dans les plans... tellement de rien que ça finit par donner le vertige. Et le rien ultime, c'est:
Soit le fait qu'il est question de voler l'oeuf de Fabergé, soit un truc vide. Et en prime il s'agit de le remplacer par un hologramme de l'oeuf de Fabergé (Un hologramme étant généralement un outil qui sert à cacher le vide, c'est bien connu)!
Soit l'idée saugrenue de planter ça et là à l'intérieur du film la ressemblance de Tess Ocean avec... Julia Roberts, et la faire jouer, précisément... Tess se prenant pour Julia Roberts. A ce stade, soit c'est du foutage de gueule (Terme technique servant à faire exactement la même chose que les hologrammes, soit cacher le vide des idées derrière la prouesse technique ou conceptuelle), soit c'est une mise en abyme de génie.
Tout ça pour dire qu'il y a quand même des chose à dire sur ce film volontiers idiot et inutile, qui aurait pu tourner à une sorte de film de vacances long et horripilant. Il se pose en développement possible, expérimental, et prolonge de façon spectaculaire le champ des possibles soulevés par Ocean's 11. Il débouche aussi sur un tour de passe-passe organisé autour de... rien, un rien orchestré, conceptualisé, codifié... Ce qui est toujours sympathique en soi... Il sera suivi d'une autre suite, qui sera fort différente, mais c'est une autre histoire.