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8 novembre 2019 5 08 /11 /novembre /2019 17:17

Sur-vendu depuis des décennies, sans manifestement aucun droit de s'opposer, comme le plus grand film de tous les temps, ce deuxième effort d'Eisenstein ne demande qu'à être vu comme ce qu'il est: un film, à voir objectivement, ce qui paraît impossible. D'une part à cause du pedigree particulier d'un film confié à un artiste dans des fins de propagande, par un état soucieux de se dé-diaboliser auprès du monde entier, tout en assurant le socle idéologique de la Révolution pour les masses. A ce titre, les intentions d'Eisenstein se confondaient avec la mission d'état puisqu'il s'était lancé avec La Grève dans une fresque en plusieurs parties qui célébrait les prémices de la révolution... Entre intentions artistiques et propagande musclée, ça ne facilite pas la mission critique objective. D'autre part, le film est apparu très vite comme un étendard pour une critique Européenne dominée par une gauche pas trop soucieuse de se démarquer du Stalinisme. 

Pourtant le film tend vers UNE scène, bien plus que La Grève qui accumulait les morceaux de bravoure de montage, de cadrage, de caractérisation... Dans ce nouveau film, l'ironie disparaît, au profit d'un flot narratif qui est entièrement au service du message de propagande: l'intrigue est liée à l'histoire des marins du Cuirassé Potemkine, en 1905, qui ont pris part à leur façon à un fort courant évolutionnaire qui agitait alors l'Empire Russe, en se mutinant, et en gagnant la sympathie de la population. 

Le film commence par un exposé des conditions de vie des marins lors d'une escale près d'Odessa, priés par une hiérarchie méprisante de consommer une viande avariée et grouillante de vers, puis harcelée jusqu'à une condamnation à mort collective. Un homme, le marin bolchevik Vakoulinchouk, mène alors la révolte mais se fait tuer lors de la mutinerie. La population d'Odessa va se presser pour lui rendre hommage, mais lors de la fraternisation, l'armée intervient et déclenche un massacre...

Je le disais plus haut, l'humour parfois féroce et génial de La Grève est ici délibérément écarté par Eistenstein au profit d'une narration linéaire totalement galvanisée; le traitement ignoble des marins, la mutinerie, puis l'hommage du peuple sont autant d'occasions pour le cinéaste d'écarter toute tentative de mettre en avant un individu, si ce n'est pour présenter le héros, ou ceux qui vont mourir. Le traitement ironique des supérieurs hiérarchiques, les officiers surtout, se passe de la moindre subtilité: le message est clair, le comportement des officiers Tsaristes de la marine était totalement inhumain, et le cinéaste adopte un manichéisme tranquille particulièrement assumé dans son montage...

Le point fort du film, bien sûr, est la séquence des escaliers d'Odessa, rendue épique par un montage impressionnant. La foule se presse, et depuis dix bonnes minutes le fil ne nous montre que la fraternité et la joie des habitants et des marins qui se rencontrent autour de la dépouille de Vakoulinchouk. Eisenstein réussit (un exploit!) à éviter dans cette partie d'être léni(ne)fiant en adoptant un montage hyper serré, puis... il lâche l'armée. A couper le souffle, la séquence devient indescriptible, avec un tour de force pour le cinéaste: il réussit à mêler les plans d'une foule compacte et soudée, prise pour cible par les soldats, et les plans de quelques victimes reconnaissables; un enfant, sa mère, une jeune mère qui lâche un landau, et une vieille dame à bésicles. Des images qui ont fait le tour du monde, à juste titre. Elles se passent d'ailleurs de commentaires...

Ce qui n'est pas le cas de l'épilogue longuet dans lequel le cinéaste essaie de jouer avec le suspense d'une hypothétique fin tragique pour le bateau, cerné par la flotte: il construit plan après plan la menace, avant de lâcher un pétard mouillé: les marins des autres bâtiments fraternisent à leur tour... Pour un peu, Eisenstein placerait la révolution d'Octobre en 1905! Mais ce n'est pas la leçon d'histoire qui me dérange, simplement le fait qu'après le climax foudroyant de la scène des escaliers, il s'embourbe dans la figure imposée de propagande. Et son choix de privilégier la masse au détriment de l'individu dessert à mon sens le film qui devient un catalogue de scènes sans relief, avant que le montage ne s'emballe enfin pour la scène des escaliers d'Odessa, certes proprement géniale à elle toute seule...

Mais six minutes de génie peuvent-elles rendre un film aussi indiscutable?

Au final, je continue à refuser à ce film son statut poussiéreux, qui du reste ne lui rend pas justice... Mais si Le cuirassé Potemkine (Pas plus à mon avis que Citizen Kane) n'est définitivement pas pour moi ce soit-disant "meilleur film du monde" dont on nous rabâche les oreilles, ce n'est pas parce qu'il serait mauvais, c'est tout simplement parce qu'il n'y a pas lieu d'élire un film de cette façon... Ce dessert bien sûr les autres productions, in fine ça dessert le film lui-même, et ça dessert l'art cinématographique dans son ensemble. Ce film de propagande est aujourd'hui un objet imparfait, un film de transition d'un cinéaste qui avait goûté à la liberté, et est maintenant, même s'il ne le sait pas encore, pris au piège de la propagande d'un état qui va bientôt devoir cesser de se pencher sur le passé glorieux de la révolution pour essayer de chanter les louanges de la réussite Soviétique.

Et Eisenstein, qui va devoir à son tour faire des publicités pour les tracteurs, sera en première ligne...

 

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Published by François Massarelli - dans 1925 Muet Eisenstein Demain, nous serons des milliers *
6 novembre 2019 3 06 /11 /novembre /2019 17:34

Le premier film d'Eisenstein, du moins son premier long, était presque un film amateur, marqué par l'enthousiasme et une énergie formidable, communicative et même naïve... C'est ce film qui a mené le réalisateur à sa carrière, marquée par des films ambitieux, importants, et sans doute aussi très frustrants. Cette frustration, selon moi, est partie intégrante de ce premier effort, mais elle n'est pas excessivement gênante, car je crois que ce qui caractérise La Grève aujourd'hui c'est non seulement son inventivité, mais aussi et surtout cette incroyable liberté qui se manifeste à travers cette histoire pourtant marquée par la propagande...

Une usine est la propriété d'un groupe de financiers, qui décident d'accélérer les cadences et de surveiller au plus près leurs ouvriers, en leur mettant dans les jambes un groupe de mouchards tous plus véreux les uns que les autres. Les ouvriers se mettent en grève avec l'appui de la population, les patrons vont frapper fort et la répression sera terrible...

Eisenstein, jeune cinéphile, s'était enthousiasmé pour Stroheim (dont il admirait l'oeuvre entière), Griffith (y compris The birth of a nation, même s'il en désapprouvait évidemment le conservatisme) et Lang... Sans surprise, ces trois modèles se retrouvent à des degrés divers dans La Grève: de Stroheim, Eisenstein va reprendre un sens du détail et une certaine tendance au naturalisme; de Griffith il reprend l'énergie et la clarté de la mise en scène quand il s'agit de montrer la lutte entre deux clans, ce qui va le servir dans un film qui sera on ne peut plus manichéen. Enfin, de Lang, il va s'approprier la lente montée vers la violence, notamment celle présente dans les scènes de révolte de Dr Mabuse, qui ont représenté pour lui un modèle de cinéma d'attraction. Il va pour sa part mener son film vers une explosion de violence et d'injustice, racontée en détail avec la répression de la grève.

Pourtant ce qui me frappe, et ce qui fait sans doute le prix de ce film, c'est que s'il décide très tôt de ne jamais s'intéresser à UN prolétaire en particulier, en privilégiant constamment la masse sur l'individu (Lénine est appelé à la rescousse pour amener l'idée via un texte en préface), Eisenstein qui ménage constamment sa foule de gréviste et de prolétaire, en les traitant avec respect, déchaîne une vraie verve de caricaturiste pour présenter les autres: financiers et patrons à gros cigares, mouchards et briseurs de grève qui sont tous des "types" reconnaissables (ils sont affublés de noms 'animaux le plus souvent) et le film est souvent, dans ses scènes d'exposition, une comédie. Par la suite, cette verve s'affinera pour se débarrasser de toute trace de rigolade, même si la caricature demeurera (dans le portrait des officiers du Potemkine par exemple)... Mais ici elle fait mouche, et tranche efficacement avec la violence qui s'ensuivra.

Le message passe, en fait, assez bien: c'est qu'en 1924 quand il tourne ce film, Eisenstein est encore à raconter les époques durant lesquelles la révolution était nécessaire, il n'est pas encore confronté à l'écueil de La Ligne Générale qui l'obligera à être, à la demande de Staline, le chantre des tracteurs... Il y a des longueurs et des balourdises dans La Grève bien sûr, mais elle ne pèsent pas si lourd face au montage brillant, au cinéma d'avant-garde profondément excentrique qui se manifeste ici, notamment de la première bobine qui est époustouflante dans son cadre et dans sa narration goguenarde... Et puis le rire se fige vite: ces briseurs de grève et autres mouchards sont peut-être drôles, mais ils annoncent des morts, des injustices et une spectaculaire charge de cosaques dans les habitations des ouvriers, dans laquelle les morts innocentes en annoncent d'autres, plus célèbres: ce sera sur un escalier...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Eisenstein 1925 Demain, nous serons des milliers *
3 novembre 2019 7 03 /11 /novembre /2019 11:04

Montré en 1923, le film La roue est l'aboutissement d'un travail de plusieurs années, entamé par Abel Gance dans le but initial de créer une tragédie de la modernité, incarnée par cet objet cinématographique entre tous, le train. Le héros du film, Sisif, est un mécanicien-conducteur de locomotive qui un jour n'a fait que son devoir: il a supervisé avec une certaine efficacité les opérations de sauvetage après un déraillement qui s'est situé juste à coté de chez lui. Il a aussi, personnellement veillé durant les opérations sur une petite fille, Norma, dont il s'est aperçu à la fin du déraillement que personne ne venait la réclamer: il a donc pris la décision de la recueillir, afin qu'elle tienne compagnie à son fils unique, Elie. La mère de Norma a effectivement été tuée dans l'accident, et la maman d'Elie est décédée en donnant naissance à son fils.

Les années passent, et on découvre un Sisif ombrageux, querelleur, porté sur le vin, le jeu et la bagarre. Surtout, il mène la vie dure à "ses" enfants, leur interdisant le plus souvent de passer du temps ensemble. Norma est restée très proche de son père, et est encore une jeune femme, insouciante et joueuse, mais elle provoque la convoitise des hommes, ce qui a le don de mettre Sisif dans des colères noires. De son coté, Elie manifeste aussi souvent que possible son dégoût de la vie moderne telle qu'elle s'incarne dans les rails et les installations ferroviaires aux alentours, et il est devenu luthier, obsédé par l'idée de reproduire un vernis à la façon de Stradivarius, afin de créer des violons parfaits. Il aime sa soeur d'un amour profond, tendre, mais dont il n'a pas encore cerné la vraie valeur... Mais il n'est pas le seul: Hersan, un bourgeois qui supervise la travail de Sisif, et le fait aussi inventer des appareils qu'il reprend à son compte, envisage de demander Norma en mariage, et Sisif lui-même a du mal à réprimer son amour fou pour celle à laquelle il n'a pas osé avouer qu'elle sa fille adoptive... Dans un premier temps, le seul facteur de stabilité de la vie de Sisif, c'est son métier: il est un excellent conducteur, et travaille avec coeur. Mais jusqu'à quand?

J'accuse, en 1919 tranchait sur la production habituelle de Gance, qui venait de réaliser deux mélodrames bourgeois, Mater dolorosa et La dixième symphonie. Le film, qui proposait une vision hallucinée d'un poète sur la guerre mondiale, avait établi Gance comme un metteur en scène à suivre, ambitieux pour ne pas dire fou, un visionnaire qui avait à coeur d'utiliser toutes les ressources du cinéma: c'est exactement ce qu'il a fait avec La roue, spectacle monumental dont les versions les plus longues ont atteint plus de sept heures de projection; les versions que j'ai vues initialement, raccourcies à respectivement 133 minutes (Une copie établie par Gance lui-même qui limitait le film à 12 bobines afin de le rendre exploitable) et 261 minutes (La restauration sortie en DVD par Flicker Alley, qui tente de réincorporer tout le matériau existant des versions disponibles à l'exportation dans une version aussi proche que possible de l'originale) gardent l'impression d'un film épique qui d'une certaine manière réussit à faire ce que cherchait Stroheim avec Greed: traiter un matériau cinématographique en lui donnant une dimension romanesque, tout en utilisant des ressources proches du naturalisme.

Sur ce dernier point, le symbolisme du film peut paraître en contradiction: il n'échappera à personne que la présence de "Sisif" renvoie à la mythologie Grecque, et que la deuxième partie sise sur les pentes du Mont-Blanc, qui voit Sisif-Sisyphe monter et descendre en conduisant un funiculaire, insistent sur cette analogie; de plus, Elie et son métier renvoient à cette obsession pour Gance de faire de ses héros des poètes (J'accuse, La Fin du monde), des compositeurs de génie (La dixième Symphonie, Un grand amour de Beethoven), voire des dramaturges (Molière, son premier scénario pour Léonce Perret, un rôle qu'il a d'ailleurs interprété lui-même): Bref, des artistes. Cette obsession de représenter l'artiste comme étant au-dessus du monde peut évidemment faire sourire, et on est du même coup à des années-lumières de toute prétention naturaliste... sauf que la façon dont Gance dirigeait ses acteurs (Séverin-Mars en Sisif et Ivy Close en Norma sont particulièrement remarquables) leur permettait de vivre leur rôle au maximum: il était le seul à savoir ce qu'il allait ce passer, et il les guidait en permanence; par ailleurs, les scènes situées dans la vie quotidienne des cheminots respirent la vraie vie, et il se dégage une certaine tendresse de ces caractérisations... 

Avec La Roue, Gance souhaitait d'une part représenter le monde des machines et le monde des hommes l'un avec l'autre, tout en s'attaquant à l'absurdité de l'existence. Mais il montrait aussi l'obsession humaine qui le condamne à vivre entre désir et travail, ce dernier étant la seule solution pour échapper à l'animalité. Si Sisif n'avait pas eu son travail, que se serait-il passé?

Il faut bien dire que les circonstances ont tout fait pour éloigner le metteur en scène de son but initial: durant la préparation du film, son épouse, Ida Danis qui avait survécu à la fameuse épidémie de grippe Espagnole de 1918, a soudain développé des complications, et la tuberculose a été diagnostiquée très vite. Il fallait donc faire en sorte que le tournage soit compatible avec les séjours de plus en plus fréquents en sanatoriums, et le plan de tournage a suivi la maladie: Nice et les studios de la Victorine, puis Chamonix et le Mont-blanc. De fait la deuxième partie, est entièrement située dans la montagne. Le film commence par des images de rails qui se rejoignent et se séparent, une métaphore courante que reprendra à son compte Hitchcock dans Strangers on a train; dans un premier temps, le film suit le plan de départ, en particulier dans la première partie La rose du rail (Un surnom dont aussi bien Sisif que Hersan ont affublé Norma): le train est partout, et la roue est cet objet qui symbolise la vie difficile du cheminot Sisif. Celui-ci est vu d'abord très assuré à la barre de sa locomotive ("Norma", bien sur!), et Gance s'amuse avec le montage, de façon excitante. Mais très vite, les séquences consacrées à ces périples en locomotive seront hantées par la mort, en particulier sous la forme de tentatives de suicide. Sisif terminera sa carrière de conducteur de locomotive en "suicidant" la Norma... Une trace de la mort programmée d'Ida Danis?

Mais à cette mort annoncée de la femme de sa vie, le sort allait aussi ajouter le destin de Séverin-Mars: l'acteur était malade, au point de pouvoir incarner la mort de Sisif durant la deuxième partie sans forcer le maquillage. Du coup, le film est beaucoup plus un film sur la mort qu'un film sur la roue... La mort incarnée dès les premières images par l'accident ferroviaire spectaculaire, suivie de la confrontation fatale dans la montagne entre Elie (Gabriel de Gravone) et Hersan (Pierre Magnier); celle-ci est suivie d'une course contre la montre dans laquelle Gance joue avec le montage de façon sublime, mais Elie mourra quand même... on n'est qu'aux trois-quarts du film, et tout est consommé, le reste sera d'ailleurs consacrée à la lente et inexorable agonie de Sisif, et à la façon dont il parviendra à faire la paix avec sa fille, bien qu'il l'ait très vite accusée d'être responsable de la mort de son fils. De la dimension sociale (Les cheminots et leur crasse opposés aux orgies de Hersan et compagnie), la deuxième partie ne retient pas grand chose, se concentrant sur l'élévation de Sisif, qui vit désormais le plus loin possible de celle qu'il a tant aimé, dans la montagne. Tourné sur les lieux même, le film est d'une beauté incroyable...

Chaque grand film de Gance est un acte de foi, tant pour le metteur en scène que pour ses techniciens, ses acteurs, et leur public. Avec La Roue, le réalisateur a créé un film génial au sens premier du terme, dans lequel l'invention est permanente, et qui bénéficie du don de soi de tous ceux qui y ont participé. Que le film ait finalement dévié de son chemin initial en devenant une oeuvre sur l'acceptation du destin, aussi lamentable soit-il, sur l'inéluctabilité de la mort et dans lequel la roue symbolise à la fois le temps qui passe, l'obligation de travailler, et le passage sur terre, peu importe: Gance fonctionnait ainsi, il suffit de voir ce qu'il souhaitait faire avec son Napoléon, et ce qu'il en subsiste dans le film. N'empêche, pour moi, avec ses innovations techniques, ses trouvailles de mise en scène et son atmosphère d'une cohérence permanente en dépit des circonstances, ce magnifique poème bouleversant du début à la fin, reste pour moi son plus grand film.

A noter: la Cinémathèque Française, prenant le taureau par les cornes, a mené une restauration de la version la plus longue possible du film, en quatre parties, et qui totalise sept heures. Une restauration exemplaire, qui a commencé par un long inventaire des éléments disponibles, avant de mener à une reconstruction détaillée et un remontage sensé, de A jusqu'à Z. Un travail de titans, qui a abouti à une version manifestement irréprochable... Un travail qui est à l'heure actuelle prolongé par une restauration similaire du long métrage suivant de Gance. Dans cette version sans doute au plus près des voeux de Gance, on peut voir de quelle manière le metteur en scène a étiré son film en quatre chapitres tous aussi cohérents que possible, et comment il a, de fil en aiguille, réduit son rectangle amoureux en laissant une dernière partie à seulement deux personnages, les deux plus importants, dans un décor qui devrait être celui d'une féérie mais devient la fin d'un long cauchemar. Il a exorcisé à sa façon le drame personnel, et a souligné aussi du même coup le drame vécu par Séverin-Mars, qui vivait ses derniers instants... C'est fort, c'est imposant, et c'est décidément un très grand film.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Abel Gance 1922 **
26 octobre 2019 6 26 /10 /octobre /2019 18:09

3 années avant de devenir l'alter ego de Buster Keaton, Eddie Cline a comme beaucoup fait ses classes chez Mack Sennett. Ce film est taillé pour le talent particulier de Louise Fazenda, qui y interprète une jeune vendeuse de fleurs un brin excentrique, aux affections changeantes...

Lors de la prestation d'un chef d'orchestre très populaire (Ford Sterling), une jeune femme (Phillys Haver) présente dans le public lui fait des oeillades à répétition, ce qui embarrasse particulièrement son fiancé (Billy Armstrong)! Quand ce dernier remarque qu'une petite vendeuse de fleurs (Louise Fazenda) en pince sérieusement pour le musicien, il se saisit de l'opportunité et fait croire au chef d'orchestre que la pauvresse est en fait une riche héritière... Ce qui ne sera pas du goût du fiancé de celle-ci (Jack Ackroyd).

Il se passe beaucoup de choses dans ce petit film de 21 minutes, et pourtant il appartient à cette période de transition durant laquelle Sennett faisait tout pour raffiner son style. Mais la qualité de l'interprétation, la montée inéluctable vers un final essentiellement physique (et donc ultra-violent) est un grand moment de pur bonheur primal. Et si le film est aujourd'hui notable pour ses affaires liées à la sexualité (tous les personnages sont plus ou moins prêts à trahir leurs affections avec le premier ou la première venue) et plus si affinités (Phillys Haver se déguise en homme afin de séduire Louise Fazenda), le film est aussi intéressant pour une série de scènes qui anticipent sur le film Our relations que Keaton tournera en compagnie de Cline, quelques années plus tard: les frères et cousins de Louise Fazenda sont comme une immense menace sur son fiancé, le jour de son mariage...

Et puis Louise Fazenda, actrice comique établie chez Sennett, a un style particulier, très différent de celui de Mabel Normand qui devait soit jouer la carte physique, en commettant des acrobaties, soit jouer la carte du physique en interprétant des rôles de jeune première charmante. Fazenda fait tout pour s'enlaidir, et bien sûr n'y arrivera pas (parce que tout le monde est beau)... Mais elle paie de sa personne et participe aux chutes, cascades, et autres coups.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Comédie
23 octobre 2019 3 23 /10 /octobre /2019 15:29

Je ne peux pas me résoudre à comprendre pourquoi René Clair a coupé son premier film, en 1950 (pas le seul d'ailleurs, il a aussi taillé dans Sous les toits de Paris et A nous la liberté), et je ne peux que condamner un geste décidément courant et irritant (Chaplin, Kubrick, Peter Weir) qui tend à nous priver, objectivement, de la réalité physique d'un film en son temps et en son heure. Comme il est de bon ton chez les critiques Français de dire amen à certains réalisateurs, et de condamner les autres, Clair faisant partie de la première catégorie, personne ne semble s'en émouvoir. Maintenant, admettons que le film est un film amateur, ne cherchant pas à être autre chose, et qu'il était peut-être encore pire dans son incarnation originelle... Mais là n'est pas le sujet. D'autant que c'est la version intégrale de Paris qui dort qui est désormais disponible dans une magnifique édition restaurée en 4K, chez Pathé, avec ses qualités, et ses défauts de 1923...

Parfois acteur, souvent journaliste, toujours cinéphile, Clair était à cette époque suffisamment passionné pour se lancer dans un film, pour lequel il décrocha un contrat avec Henri Diamant-Berger. Ecrit et mis en scène par lui-même, avec Henri Rollan et entre autres Albert Préjean, Paris qui dort est une introduction idéale à son univers...

Le gardien de la tour Eiffel (Rollan) se réveille un matin, surpris: là, en bas, plus rien ne bouge... Il descend pour constater et se retrouve seul, tout seul. Les autres Parisiens sont bien là, mais endormis, figés dans un geste: un voleur sur le point d'être attrapé par un agent de police, un homme qui allait se jeter dans la Seine, des clients d'un restaurant: plus personne ne bouge! Mais il est rejoint avant longtemps par le pilote (Préjean) et les passagers d'un avion qui vient d'atterrir: eux non plus n'ont pas été touchés par le phénomène étrange qui a endormi la capitale (Et, incidemment mais ça n'a pas l'air de choquer qui que ce soit, le monde entier)... Ils vont donc se livrer à des pillages en règles, cambriolages faciles, repas gratuits dans les meilleurs restaurants et même vol de Joconde, avant de se rendre compte de l'inévitable: qu'est-ce qu'on s'ennuie quand tout est permis...

Quant à l'étrange phénomène, ils auront bien sûr une explication, définitive et se passant avantageusement de commentaire: savant fou.

L'oeuvre de Clair, à l'époque du muet, est encadrée par la Tour. Son premier et son avant-dernier film des années 20 lui doivent beaucoup, et ici, on retrouve cet émerveillement d'enfant qui est l'essence même du court métrage de 1928 (La Tour, justement), dans la plupart des plans. ces gens, des oisifs de fait, forcés par l'étrange arrêt du monde à ne plus rien faire, sont basés à la Tour Eiffel, s'y amusent, testent leur équilibre, etc... Des vrais gosses, si vous voulez mon avis. C'est sans doute là que se situe le meilleur de ce petit film sympathique mais si mal foutu, dans le plaisir de la transgression légère, du méfait gentiment irresponsable.

Mais le film installe aussi, à sa façon, le style et l'univers d'un metteur en scène lunaire, et bien souvent trop poli: il y aurait eu tant à faire avec ce film, qui a au moins un avantage certains sur les Gance et L'Herbier et consorts (oui, c'est bien à mes yeux un film avant-gardiste): il n'a aucune prétention d'aucune sorte. Juste l'envie de se laisser aller à une rêverie gentiment irresponsable, et située délibérément là-haut, à 300 m de hauteur: autant dire à l'écart du monde...

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Published by François Massarelli - dans Muet René Clair 1923 **
21 octobre 2019 1 21 /10 /octobre /2019 23:14

How to make movies n'a jamais été exploité entier du vivant de chaplin, et est fascinant à plus d'un titre: d'une part, il s'agit d'un documentaire, réalisé par Chaplin pour présenter son personnel, son environnement de travail et bien sûr la vision de son nouveau studio pour First national est fascinante: c'est de là que sont partis The KidShoulder armsThe pilgrim ou ses films United artists!

Ensuite, le projet a été longuement mûri, puisque il incorpore des plans pris sur le lieu de construction du studio avant l'ouvrage: on y voit Chaplin, auquel un génie (Albert Austin, semble-t-il) accorde son rêve le plus précieux: un studio. Puis des prises de vue enchaînées nous montrent en quelques secondes la construction, et enfin, Chaplin heureux comme un gosse arrive sur place. Le maquillage est là, mais pas la moustache, et le patron est en costume de ville. Le tour du studio est vu avec humour, et on assiste à des recréations de tournage et de répétition (D'après les costumes de Loyal Underwood et Henry Bergman, c'est au moment du tournage de Sunnyside que ces plans ont été tournés), mais qui sont l'objet de vrais gags. On voit aussi les pin-ups convoquées par Chaplin pour la danse de Sunnyside faire les bathing beauties au studio, le minuscule Loyal Underwood se faire malmener, les acteurs (Bergman, Underwood, Purviance, Wilson...) bullant, se mettant soudain à travailler à l'approche du patron, etc. On voit aussi Chaplin en plein montage, seul, comme le veut la légende, et Albert Austin, sans maquillage, supervisant le développement de la pellicule. Enfin, un exemple de film est montré, et pour le film Chaplin a recyclé un film Mutual inédit sur le golf, avec Eric Campbell et John Rand. Il a du l'abandonner assez tôt, et il est fascinant, non parce qu'il anticipe sur les séquences de golf de The Idle Class, mais surtout parce que Chaplin y est encore au stade du tâtonnement, et du coup improvise beaucoup: on voit son personnage rire, mais... ce n'est plus son personnage, c'est lui.

Le fait de tourner ce film consistait pour Chaplin en une déclaration d'amour au cinéma, une affirmation aussi de sa puissance, il est clairement le patron. La forme, très pince sans rire, est une excellente surprise même si elle ne doit pas nous tromper sur la vraie personnalité de ce géant du cinéma. La joie d'un studio nouveau était certainement une autre motivation de faire ce film récréatif, mais le choix de ne pas le montrer fut sans doute du à une volonté de contrôler au maximum son image, et son influence: il ne se fera pas facilement photographier, ou filmer par la suite en pleine action, à part pour Souls for sale (1923). Le film de 16 minutes a été heureusement préservé par Chaplin, et monté par Kevin Brownlow et David Gill qui en ont montré des extraits dans Unknown Chaplin. Finalement ils en ont assumé sur instruction de la famille Chaplin le montage intégral... Il me semble un passage obligé pour qui s'intéresse à Chaplin, à son art, et à son style, parce que ce faux documentaire est totalement empreint de son esprit...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Comédie Charles Chaplin
20 octobre 2019 7 20 /10 /octobre /2019 11:37

Partant du principe que "tout le monde a deux personnalités en soi donc Onésime aussi", Durand nous montre les dédoublements du personnage créé par Ernest Bourbon en un être bon et un être maléfique... Des dédoublements qui sont propices à des truquages fort bien menés, et une séquence de poursuite dans les bois qui est délicieusement poétique...

Bourbon est à son meilleur quand il "dialogue" avec lui-même, quand afin de réussir le truquage, il lui faut être prudent pour chaque geste. C'est un petit film, mais il a de réelles qualités...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Comédie Jean Durand
20 octobre 2019 7 20 /10 /octobre /2019 11:30

Onésime (Ernest Bourbon) va hériter... Mais dans vingt ans seulement, selon la décision de feu son oncle: en effet, celui-ci jugeait que le jeune homme est trop idiot. Il va néanmoins inventer un mécanisme d'horloger pour faire accélérer le temps et toucher son héritage en seulement quarante jours...

Voilà, c'est tout.

Comment ça, c'est tout?

C'est vrai que cette intrigue est plus que squelettique, et c'est un prétexte des plus transparents pour un déchaînement de gags liés à la vitesse extrême à laquelle, à l'inverse de ce que fera Clair dans Paris Qui Dort, Durand nous montre les parisiens. Avec une certaine dextérité, il a monté des vues documentaires des rues de la ville, accélérées, avec des séquences tournées spécifiquement: le mariage fou furieux dans lequel les deux mariés se secouent mutuellement, le nourrisson qui grandit tellement vite quand on l'agite qu'il en devient Gaston Modot, il y a de quoi marquer durablement, ce que le film a fait: à sa façon, c'est un des classiques de Durand...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Comédie Jean Durand
20 octobre 2019 7 20 /10 /octobre /2019 11:26

Onésime (Ernest Bourbon) a un problème: il a bu pour 3 francs et soixante-quinze centimes, et il ne les a pas... Méphisto apparaît et lui donne une pièce de cinq francs... Contre une modeste contribution. Quelques minutes après, le diable vient chercher l'infortuné consommateur... Et l'emmène avec lui aux enfers.

Pour le reste, on est chez Méliès, et un Méliès fatigué: quelques acrobaties, trucs photographiques de transformation, et autres gags mous plus tard, on apprend que c'est un rêve: la belle affaire...

Bon, et sinon, pour les 3Fr.75?

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Published by François Massarelli - dans Jean Durand Comédie Muet
20 octobre 2019 7 20 /10 /octobre /2019 11:19

Zigoto (Lucien Bataille) et sa nouvelle épouse (Berthe Dagmar) voudraient bien passer leur deuxième journée ensemble, et se font "des baisers, des promesses et des serments"... Mais trois copains (dont Bourbon et Grisollet) ont décidé qu'ils allaient passer la soirée avec eux.

D'un côté, les amoureux ne vont pas s'en apercevoir, mais de l'autre, les trois copains vont se battre, déclenchant une destruction méthodique et complète du mobilier, puis ils vont aggraver (avec l'aide des pompiers, aussi méthodiques qu'eux dans la sauvagerie) un incendie qui s'est déclaré dans la cuisine, provoquer l'abattage des murs, puis l'écroulement de l'immeuble: la logique de destruction des comédies de Jean Durand pouvait être fatigante, mais ici il s'en dégage une poésie inattendue.

...Qui se clôt sur une promesse inattendue (on est chez Gaumont, donc les bébés sont apportés par des cigognes) lorsque les deux amoureux sortent des décombres de ce qui est tout l'immeuble, et avisent avec ravissement un matelas.

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Published by François Massarelli - dans Muet Comédie Jean Durand