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23 juillet 2019 2 23 /07 /juillet /2019 11:38

Ceci est le plus ancien des courts métrages de Bowers tournés avec acteurs, dont lui-même, qui nous soit parvenu. Des différences sensibles entre le synopsis tel qu'il  été publié de l'autre côté de l'Atlantique, et le film tel qu'on peut le voir (une version française de deux bobines, avec intertitres du plus pur style "comique français 1925") m'incitent à la prudence, c'est pourquoi je n'émettrai pas l"hypothèse selon laquelle le film serait complet. Enfin en l'état, il est au moins cohérent...

Charley a décidé d'inventer une machine dont il est persuadé que l'humanité l'attend de pied ferme: un système qui rend les oeufs incassables. Sans grande surprise, ça n'intéresse personne... sauf bien sûr l'association des expéditeurs d'oeufs, qui lui font une commande. A lui maintenant de construire la machine... Mais ce ne sera pas ça le plus difficile, non: le plus ardu sera de trouver les oeufs pour se livrer à l'expérience, et les ramener en un seul morceau...

On est dans une Amérique semi-rurale, largement explorée par le monde de Mack Sennett, et où Bowers n'a aucun mal à nous faire accepter son personnage d'inventeur farfelu, en décalage complet avec l'environnement. Son film est franchement loufoque, d'abord gentiment, avant une séquence d'animation d'anthologie: pour ramener des oeufs, l'inventeur les a entreposés dans un panier placé en sécurité, juste au-dessus du moteur de sa Ford T. Quand il veut les récupérer, il arrive juste à temps pour assister à l'éclosion... d'une cinquantaine de toutes petites voitures...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Comédie Charley Bowers
22 juillet 2019 1 22 /07 /juillet /2019 17:28

En langage mirlitaire, A.W.O.L. signifie Absent WithOut Leave, soit absent sans permission... Le but ici était pour l'armée, au retour d'un conflit traumatisant, d'éduquer les troufions qui avaient tendance à devancer l'appel de la liberté... 

On y suit donc les aventures d'un soldat qui suit les tentations d'une jeune femme qui l'emmène avec insistance faire des tours en bolide, et l'animateur s'en donne à coeur joie à jouer avec les ois de la physique dans une séquence éblouissante, qui hélas ne bénéficie pas d'une très grande visibilité à cause du style schématique de l'animation de l'époque...

 

 

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Published by François Massarelli - dans Charley Bowers Muet Animation
22 juillet 2019 1 22 /07 /juillet /2019 17:19

Ce film serait (attention à ce conditionnel, il a son importance, vu l'état des connaissances sur l'animateur) le seul court métrage consacré par Charles Bowers à Mutt and Jeff, deux héros de comic strip particulièrement populaires et qui ont eu droit à leur propre série de cartoons animés entre 1916 et 1926. L'animation en est rudimentaire, et selon les pratiques alors en vigueur dans le dessin animé, totalement calqué sur la bande dessinée...

Les deux héros y tiennent un restaurant, et pendant que l'un cuisine, de façon, disons, inventive, l'autre sert les clients; et bien sûr, les repas sont éminemment folkloriques...

Je suppose qu'il n'y a pas grand chose de plus à attendre des Mutt and Jeff, que ce que propose ce film rudimentaire. C'est soigné mais c'est un univers austère, fait de trait noir sur fond blanc... Bowers y raffine un monde très personnel où l'ingénierie a son importance, et peut-être ronge-t- son frein...

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Published by François Massarelli - dans Muet Charley Bowers Animation
19 juillet 2019 5 19 /07 /juillet /2019 11:36

C'est l'un des derniers films muets de son auteur, et il y reprend le souffle social bien particulier qui faisait déjà l'intérêt de Die Verrufenen en 1925. C'est donc de nouveau un film sur Berlin et ses habitants, sur un thème qui a été beaucoup représenté au cinéma, en particulier dans le cinéma Allemand: on avait déjà du mal à ne pas penser à G. W. Pabst en voyant Menschen untereinander de 1926, qui était un peu comme l'envers de la médaille de Die Freudlose Gasse... Mais ici, on pensera forcément à Das Tagebuch einer Verlorene qui sera réalisé et sorti l'année suivante... C'est à mon avis quelque chose qu'il faut s'efforcer de chasser de son esprit, d'une part parce que les films sont différents, ensuite parce que les intentions sont différentes: une fois de plus, Lamprecht constate, il ne juge pas, ni ne milite pour quelque révolution sociale que ce soit. Ici, en revanche, contrairement aux trois autres de ses films "Berlinois" qu'il m'a été donné de voir, le metteur en scène et sa scénariste fétiche Luise Heilborn-körbitz se tiennent à l'écart de toute volonté de happy-end...

Else (Lissi Arna) est une jeune femme insouciante, amoureuse de Hans (Mathias Wieman), et qui pense pouvoir contourner facilement l'interdit paternel (Gerhard Dahmann) de prendre du bon temps: elle sort donc en douce, mais trouve porte close le soir quand elle revient. Pas d'autre solution pour elle que d'aller frapper à la porte de son petit ami. Dans un premier temps, les deux amoureux font chambre à part, et Hans prétend à son colocataire Max (Paul Heideman) que Else est sa soeur. Mais quand ils trouvent tous trois un travail sous la forme d'un numéro de music-hall, ça devient plus dur à prétendre, d'autant que Max est amoureux d'Else. Une fois la vérité admise le verrou saute: ils couchent ensemble... Et les ennuis commencent: le père qui a eu vent de la publicité autour de sa fille la retrouve et met la police sur le coup, et le patron des trois comédiens commence à tourner autour de Else. Celle-ci, de plus, est obligée de se cacher: La descente aux enfers a commencé...

Il y a dans ce film un aspect arbitraire avec lequel j'ai du mal: Hans dit au père d'Else que s'il continue à la chercher comme il le fait, elle sera obligée de rester dans la rue, et elle finira à la rue... Ca ressemble un peu à un mauvais jeu de mots, mais c'est surtout une faiblesse d'un film dont la prétention est de rester un reflet de la vie: derrière le déterminisme un peu malsain, se cache une vraie grosse convention de mélodrame. Mais ça n'est que partiellement embarrassant, tant le film peut aussi passer pour une fable. Une fable un peu simpliste, mais dans laquelle Lamprecht nous intéresse, deux heures durant, au destin contrarié d'une jeune femme qui est de son temps: Lissi Arna, certes, n'est pas Louise Brooks, mais elle sait insuffler une énergie, une combativité à son personnage, qui emportent l'adhésion. 

Et s'il ne se départit rarement de son style direct et sans fioritures, Lamprecht se fait aussi plaisir, en amoureux du cinéma, avec une séquence superbe, où il détaille en dix minutes le destin de son héroïne, sans jamais la montrer. Une prouesse de montage et d'un choix d'objets et de symboles, montrés à l'écran, qui vont nous renseigner sur la nouvelle vie de femme entretenue de la jeune femme: les préparatifs d'un bain, une collection de Pékinois, les multiples couches d'habillage préparées par les mains d'une domestique, les bouteilles de parfum... Puis les chaussures élégantes, qui sont accompagnées des souliers noirs avec des guêtres de son amant. Enfin, un paravent sur lequel l'une après l'autre, les couches de vêtements viennent s'accrocher... mais la chemise de nuit, elle, y reste aussi: le dernier plan de la séquence est situé sur le côté d'un lit: le bras nu d'une femme éteint la lumière. A côté de la lampe, trahissant la situation, une miniature montre l'image d'une femme totalement nue.

Le film a aussi sa dimension morale, bien sûr, et le rôle joué par Hans est à la fois celui du traître (il va quasiment la répudier sur des soupçons injustifiables) et celui d'un homme qui va faire une tentative de sauvetage de la jeune femme une fois qu'elle travaillera 'unter die Laterne', sous le lampadaire, donc dans la rue. Une dimension naïve qui rappelle le credo de Lamprecht: commençons par agir et ne cherchons pas la solution politique. Un credo répété de film en film, qui allège leur portée au vu des critiques contemporains, mais qui donne curieusement à ces oeuvres oubliées une cohérence rare. Et in intérêt certain: je le répète, on peut penser aux autres cinéastes autant qu'on voudra, il n'empêche, ces films ne ressemblent qu'à eux-mêmes, hors des modes, des genres et des catégories courantes du cinéma de Weimar.

 

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Published by François Massarelli - dans 1928 Gerhard Lamprecht Muet *
19 juillet 2019 5 19 /07 /juillet /2019 11:07

Beaucoup, beaucoup plus qu'une curiosité: ce film a beau être complètement assujetti à l'autre (le film d'animation de Clyde Geronimi, Hamilton Luske et Wilfred Jackson, en 1953), au point d'avoir été disponible un moment sous la forme d'un bonus de luxe dans l'édition DVD du classique Disney, mais je pense qu'il faut quand même le réévaluer: pour commencer, non seulement c'est la première version cinématographique du récit de Barrie, mais c'est aussi la seule à laquelle l'auteur ait participé...

D'ailleurs ça se sent un peu dans le prologue étiré, qui reprend non seulement toute l'action de la pièce, mais en prime essaie de jouer uniquement autour d'un seul décor: la chambre des enfants, le lieu de la maison des Darling qui reste évidemment le plus important. ON assiste donc aux préparatifs du coucher, l'arrivée de Nana l'étrange chien/gouvernante, la vision furtive d'un garçon à la fenêtre par Mme Darling (Esther Ralston), puis les différentes façons de temporiser utilisées par les enfants pour ne pas aller au lit.

Et puis une fois les parents (et le chien) partis, l'arrivée de Peter Pan (Betty Bronson) précédé de la fée Tinker Bell (Virginia Brown Faire): le reste de l'histoire on le connaît... sauf que cette fois, il y a à mon sens beaucoup plus d'ambiguïté dans la distribution. Je vais le dire de suite, afin qu'on ne se méprenne: non, je ne parle pas des rapports entre Wendy-Mary Brian et Peter-Betty Bronson. A aucun moment le spectre d'une quelconque romance entre les deux jeunes femmes n'a du traverser les esprits, ni du metteur en scène, ni des actrices. Le choix de Betty Bronson était dicté par un aspect pratique: ce serait beaucoup plus facile d'employer une actrice plus vieille que le rôle, afin de "détacher"Peter des autres "lost boys" de l'histoire, qu'un acteur plus vieux. Et c'est en garçon (et en lutin espiègle) que Betty Bronson joue le rôle...

Non ce qui est ambigu, c'est le décalage entre les volontés de Peter (rester jeune, et si possible pré-pubère, pour l'éternité) et Wendy (Dès le départ son attirance, même innocente, pour Peter, est évidente, et elle passe tout le film à essayer de lui faire dire qu'il est son petit ami... en vain). Tout le film semble être le rêve de quelqu'un (Wendy?) qui se voit plus ou moins obligé(e) de rester en enfance.

Ce qui date le plus le film, c'est sans doute son appartenance à ce genre qui embarrassait tant le cinéma Américain, le merveilleux. Peu représenté, c'est le moins qu'on puisse dire, le genre fantastique dans le cinéma muet Américain avait tout au plus les sagas d'Oz dans les années 10, certains films avec Anette Kellerman en sirène, l'étrange tentative The blue bird de Maurice Tourneur, (1918) assez séduisant dans l'ensemble, et sinon, The thief of Bagdad. C'est à peu près tout ce qui me vient à l'esprit. Et après? Pas grand chose en fait: en dépit du succès certain de ce Peter Pan, le film de 1925 A kiss for Cinderella serait le champ du cygne du genre, en même temps qu'un retour à la froide réalité d'un succès d'estime aussi bien pour Brenon (qui s'en relèverait) que pour Bronson (qui ne s'en relèvera pas)...

Le choix de coller à la pièce originale est un peu déroutant, et c'est d'ailleurs ce qui rend le prologue de près de 35 minutes assez pesant. Mais Brenon, quand il accède à Never Neverland, y trouve un second souffle, et on sent bien que tout le monde s'amuse. Outre Bronson qui est absolument parfaite pour le rôle, on a Ernest Torrence d'une part, qui fait exactement ce qu'on attend de lui en Capitaine Hook. Et en Tiger Lily, fille de chef indien, on a une nouvelle fois une occasion manquée pour Anna May Wong...

Si Peter Pan est réussi c'est en raison de l'adéquation de Brenon, de son équipe et de tous les acteurs au projet: jamais le film ne s'aventure trop loin dans les coulisses sombres de cette histoire, mais il n'y a pas non plus cette volonté de tout aseptiser d'une façon lisse, comme les choix de Disney dans la production de 1953 ont conduit l'équipe à le faire... Le film est donc un entre-deux particulièrement réussi, où les enfants volent, les crocodiles mangent, et les sirènes bronzent. Certes, ce n'est pas le Voleur de Bagdad; mais ce Peter Pan-ci me semble tellement plus tangible que l'autre, voire que celui, assez désastreux, de Joe Wright...

 

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Published by François Massarelli - dans 1924 Muet Herbert Brenon **
17 juillet 2019 3 17 /07 /juillet /2019 16:39

Peter (Ralph Ludwig), Lotte (Margot Misch) et Frieda (Fee Wachsmuth) sont des enfants placés dans une famille d'accueil, les Zielke: et comme on s'en doute dans un mélodrame, la vie n'est pas rose. Madame Zielke (Margarethe Kupfer) a recueilli des enfants illégitimes parce qu'elle peut en tirer quelque chose, et le père Zielke (Max Maximilian) est alcoolique et violent. Un jour, Peter et Lotte prennent très froid, et Lotte meurt de pneumonie: Peter décide de dénoncer le couple, et va se trouver placé chez une femme (Hermine Sterler) qui est très bonne avec lui. Mais son père (Bernhard Goetzke) réapparaît dans sa vie: il est batelier, et il se figure que devenu un peu plus grand, il peut faire travailler son fils...

Lamprecht choisit cette fois de s'intéresser aux gosses de Berlin, et crée à cette occasion un univers Dickensien, avec en prime un couple d'affreux parents d'accueil qui ont tout des Thénardier! Il choisit aussi de se situer à la hauteur de ses petits héros, et surtout de Peter: il est vrai que le jeune acteur, Ralph Ludwig, est excellent dans le rôle. Mais surtout, et ça lui sera reproché au vu des critiques contemporaines, le metteur en scène adopte le point de vue d'un enfant: ils souffrent, et le reconnaissent; ils envient ceux qui ont plus qu'eux (comme le prouve la toute première scène où on passe de la description des passe-temps d'une petite fille de riches, à la misère des deux héros), mais ils acceptent tristement le monde tel qu'il est, sans le questionner plus avant. Et le film ne le fait pas non plus...

Ce n'est pas la première fois que je le dis: Lamprecht est riche en compassion, et c'est un homme qui est motivé par la générosité. Ses films en font foi; mais changer le monde? Ca ne semble pas l'intéresser... Au moins son film est-il une plongée assez réussie dans la vie de ces enfants, mais on aura du mal à parler ici de réalisme, tant le film se nourrit des traditions du mélodrame et des romans simplistes. Maintenant, on ne quitte de toute façon pas l'univers de Lamprecht, puisqu'il fait ici appel à ses acteurs habituels, et que de nombreuses scènes, de par la vitalité des jeunes acteurs, nous prouvent que le tournage a du être un grand moment pour tout le monde. Cette joie de vivre transparaît au moins à l'écran...

 

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Published by François Massarelli - dans Gerhard Lamprecht 1926 Muet *
17 juillet 2019 3 17 /07 /juillet /2019 08:18

Le titre du film est clair : il est question ici de ces fameuses courses contre la mort, de ces moments où il importe de faire vite pour sauver un personnage. Une fois de plus, Griffith prend du temps pour raconter la vie sentimentale de ses protagonistes afin de pouvoir provoquer plus efficacement la sympathie, en particulier, du public féminin: cette fois, c’est Blanche Sweet qui doit choisir entre Walthall et Wilfred Lucas. Elle choisit le dandy Walthall, mais elle s’aperçoit bien vite avoir fait le mauvais choix: il découche, joue, perd, boit, et va même voler l’argent de la firme ou il travaille (Avec Lucas) pour financer ses soirées de poker.

A la fin, l’épouse inquiète reçoit la visite du collègue de son mari qui l’informe que celui-ci a commis une grave faute, et le téléphone retentit: Walthall, une arme à la main, téléphone à son épouse pour lui dire adieu. Pour une fois, je ne dirai rien de l’issue de la chose, mais on se doute de ce qui suit.

Décidément, la technique est bien au point, et la combinaison téléphone-véhicules est une bonne base… Par ailleurs, le film est aussi centré sur le personnage féminin, avec une scène durant laquelle Griffith utilise le miroir pour accentuer la solitude de Blanche Sweet: le miroir est au fond d’une pièce. A l’avant-plan, la jeune femme dit au revoir à son mari, qui la toise d’une façon trop condescendante pour être honnête. Une fois seule, elle se dirige vers le fond de la pièce et s’écroule sur un sofa, en pleurant. C’est le reflet dans le miroir qui nous renseigne sur cet événement : l’héroïne est désormais habituée à dissimuler ses sentiments et sa frustration à son mari, mais le miroir nous renseigne sur les tourments de son âme. 

 

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Published by François Massarelli - dans David Wark Griffith Muet
17 juillet 2019 3 17 /07 /juillet /2019 08:10

Une jeune femme (Blanche Sweet) vit en bord de mer, dans une petite communauté de pêcheurs. Elle a un petit ami, qui pratique ce métier, et tout va bien dans le meilleur des mondes... sauf que des contrebandiers se sont installés dans le coin et lors d'une de leurs opérations, elle est prise en otage sur un bateau...

Ceci, tout en étant l'un des plus embrouillés parmi les courts métrages tardifs de Griffith, est un peu l'anti-Lonedale Operator. La même actrice qui avait tenu tête à des bandits et sauvé la mise du télégraphe en bon petit soldat est ici réduite à être une otage. Elle va bien sûr attiser la convoitise d'un homme, mais le film repose essentiellement sur la mécanique du sauvetage de dernière minute, avec pour seule valeur ajoutée la rédemption d'un marin qui défend à sa façon Blanche Sweet contre les autres, et se rachète donc avant de se jeter à l'eau. C'est maigre, pour un film qui a du mal à être plus que, disons, "distrayant".

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Published by François Massarelli - dans David Wark Griffith Muet
16 juillet 2019 2 16 /07 /juillet /2019 17:47

Continuant dans la veine de son film Die Verrufenen qui s'intéressait de façon naturaliste à la vie de pauvres berlinois, Lamprecht se lance dans une fresque dédiée à la vraie vie d'un immeuble sous la République de Weimar, utilisant le prétexte du lieu presque unique pour lier les histoires et les personnages entre eux.

Les personnages, c'est bien sûr le mot-clé: l'une des réussites du film dont je parlais plus tôt avait été dans la confection "prise sur le vif" de ces quelques habitants défavorisés de la capitale Allemande. Ce nouveau film n'est pas en reste, et le film repose sur plusieurs anecdotes liées au lieu, un immeuble de centre-ville qui abrite plusieurs familles et plusieurs destins:

La propriétaire, la veuve Büttner (Erika Glässner), est une méchante personne, qui n'est satisfaite que par l'arrivée en temps et en heure des loyers. Elle met un point d'honneur à menacer ceux qui ne paient pas de les mettre dehors. Elle va tomber entre les griffes d'un escroc qui va lui promettre le mariage.

...C'est d'ailleurs la faute de Ria Ricorda Roda, la "conseillère matrimoniale" (Margarethe Kupfer), une brave dame qui semble prospérer avec une affaire qui n'a sans doute pas grand chose d'honnête.

Madame Ipanovna (Olga Limburg) tient une école de danse dans l'immeuble, ce qui donne parfois de la vie dans les escaliers.

Dans les derniers étages, il y a la famille du vendeur de ballons (Berthold Reissig), et un vieux professeur de piano qui a du mal à joindre les deux bouts (Paul Bildt). Il y a aussi une dame qui a sans doute connu des jours meilleurs, madame Von Volgast (Mathilde Sussin) et son fils Dieter (Andreas Bull).

L'intrigue la plus importante, au milieu de tout ça (avec des ramifications évidemment) est celle qui concerne le bijoutier Rudloff (Eduard Rothauser) et ses deux filles: la plus jeune, Brigitte (Renate Brausewetter), travaille avec lui et est attentive aux malheurs des habitants des étages, surtout le jeune Dieter; la plus âgée, Gertrud (Aud Egede-Nissen), est mariée au conseiller d'état Helmuth Köhler (Alfred Abel), mais elle vient de passer en jugement pour avoir entraîné la mort d'un homme en conduisant. Au début du film, on apprend qu'elle vient d'accoucher d'un fils: la famille se déchire autour de la condition de la mère et de l'enfant...

Tout ce petit monde nous est présenté au début par deux infatigables commères, qui donnent un peu un ton léger au film. C'est vrai que contrairement à son précédent effort "Berlinois", Lamprecht a décidé d'insuffler un peu de comédie dans ce nouvel effort qui en dépit de similitudes de structure avec Die freudlose Gasse, reste beaucoup plus optimiste. C'est, tout de suite, un film passionnant, qui sait nous rendre proche des personnages, au moyen de scènes parfois en apparence inutiles, mais qui toutes participent d'un ensemble, soit en faisant le lien entre les êtres et les appartements, soit en créant des passerelles d'une intrigue à l'autre. 

Tout ne sera pas totalement résolu à la fin du film, mais la plupart des personnages vont évoluer, et beaucoup d'entre eux vont voir leurs problèmes résolus: ce qui n'a pas manqué d'attirer sur Lamprecht les foudres de certains critiques qui l'accusaient de légèreté, là où il avait plutôt tendance à  faire passer un message, fut-il naïf: car le futur metteur en scène d'Emil und die Detektive nous parle ici d'entraide, de main tendue et de compassion. Son film n'a rien d'un cri d'alarme politique, mais c'est beaucoup plus un éloge de la générosité, incarnée entre autres par Brigitte et son père. Mais on peut aussi voir cet aspect dans le comportement d'une ballerine anonyme, qui met en rapport Madame Ipanovna et le pianiste, sauvant ainsi ce dernier. Elle avait une bonne raison, car elle lui avait manqué de respect dans l'escalier. Et on en revient à ce que je disais plus tôt sur ces scènes apparemment inutiles: c'est parce qu'elle revient de l'étage où elle a acheté un ballon que la jeune femme bouscule le pianiste, et par voie de conséquence lui vient ensuite en aide. Tout le film fonctionne dans cette tendance à passer d'une strate (d'un étage) à l'autre, par des mouvements qui tous ont une suite, des conséquences, et une logique naturelle et désarmante. 

L'effort d'observation qui préside au film est remarquable, tout comme la mise en scène qui disparaît totalement derrière les personnages et leur destin. Ca donne un film généreux, qui emballe sans jamais faire d'étincelles inutiles. Car il est manifeste, au vu de  ses films, que Lamprecht aime demander de la retenue à ses acteurs, qui sont remarquables de subtilité. Les plus intenses restent, sans surprise, les deux "stars Langiennes", Alfred Abel et Aud Egede-Nissen, qui réussissent à ne pas déparer en jouant suffisamment le jeu. Et l'actrice, qui doit incarner dans le film une prisonnière séparée de son enfant nouveau-né, est sans doute le seul vrai lien de ce beau film avec le mélodrame. Pour ma part, je pense que l'interprétation de celle qui fut une Cara Carozza excessive dans Dr Mabuse, der Spieler, est ici irréprochable.

Voilà qui donne sérieusement envie de continuer à explorer le travail de Gerhard Lamprecht, un metteur en scène qui n'était ni Lang, ni Lubitsch, ni Murnau, ni Pabst, et qui a pourtant réussi à se bâtir une carrière hors des sentiers battus du cinéma Allemand, autour de quelques films hautement personnels, dont celui-ci est un excellent échantillon... Et à travers son plaidoyer pour la générosité et l'entraide, se niche un portrait fascinant d'une société en voie de désintégration, dont on sait ce qu'elle est devenue ensuite: alors ça donne envie de tirer la sonnette d'alarme.

 

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Published by François Massarelli - dans Gerhard Lamprecht Muet 1926 *
16 juillet 2019 2 16 /07 /juillet /2019 17:24

Plus ou moins perdu et reconstruit à partir de plusieurs copies par une poignée de collectionneurs fous qui se sont aperçus qu'ils possédaient des fragments d'un court métrage inconnu de Lloyd, ce film aurait tout pour être rangé dans la catégorie des films très accessoires de l'acteur, en vérité: il date de 1917, soit la période durant laquelle l'acteur expérimentait en transposant le monde de coups de pieds aux fesses de son personnage Lonesome Luke, dans un monde un peu plus réaliste, en incarnant désormais un jeune homme un peu plus tangible, et tout ça par la grâce d'une paire de lunettes. On va même aller plus loin: ce film est répertorié dans sa filmographie comme étant le deuxième court métrage qui le voit chausser cet accessoire.

On ne sait plus vraiment comment il se fait que Lloyd s'en est affublé, en vérité: bien des protagonistes (à commencer par le comédien lui-même, et son producteur et ami Hal Roach) s'en sont attribué les mérites, mais quoi qu'il en soit, c'était une idée de génie, qui fait qu'aujourd'hui on reconnaît immédiatement « le comédien aux lunettes », alors que franchement, ce pauvre Lonesome Luke ne ressemblait pas à grand chose...

L'intrigue ? Eh bien... Lloyd, en voiture avec une petite amie (ce n'est pas Bebe Daniels, et elle va disparaître du film après un plan ou deux), perd sa casquette ; il veut la récupérer, mais elle est entre les mains d'un escroc, et Lloyd ne parvient pas à la récupérer facilement. Pire: dans l'échange houleux qui s'ensuit, un policier (Sammy Brooks) intervient, et donne raison au malfrat. Arrêté, Lloyd n'a pas d'autre ressource que... de taper sur le policier pour se libérer, puis décide de se déguiser pour échapper à la police. Et donc, il enlève son pardessus, sa casquette, et... ses lunettes.

Oui, vous avez bien lu.

Ses lunettes.

A priori, si dans un de ses films, on voyait Lloyd prendre une douche, il porterait ses lunettes: il dort avec ses lunettes. Dans certains films, on jurerait qu'il est né avec.

Mais là, non seulement il s'en débarrasse pour se déguiser (en femme), mais pire : quand un poivrot (Snub Pollard) qui a été viré de chez lui cherche à se déguiser pour retourner au bercail, il va trouver les vêtements, et les lunettes, et donc il ressemble à Harold Lloyd !

Dans le reste du film, on passe de quiproquo en poursuite, et Bebe Daniels intervient, car c'est l'épouse de Snub : elle a donc surpris chez elle un type déguisé (Snub Pollard), qui venait pour cambrioler la maison, car il avait besoin d'argent, et bien sûr elle prend désormais Lloyd, affublé de ses propres lunettes, pour le bandit.

Bien sûr, que c'est embrouillé : mais si je récapitule, on verra mieux l'intérêt du film : car quand il perd ses lunettes, Lloyd perd son identité. On a franchement moins envie de le suivre, et d'ailleurs on le perd plus ou moins de vue. Et ces lunettes finissent pas le résumer, comme le fait que lorsqu'elle souhaite décrire le cambrioleur, Bebe Daniels n'a qu'un seul détail à donner : il avait des lunettes!

Le film prouve donc par A + B que Lloyd se résume à ses lunettes, et qu'elles lui confèrent finalement ce super-pouvoir qui fait qu'on l'aime tant ! A noter dans une scène, un faux raccord : Lloyd perd ses lunettes le temps d'un plan très bref, qui me fait émettre l'hypothèse suivante : et si tout simplement une majorité du film avait été tourné avec l'acteur au naturel, puis les lunettes ajoutées parce que ça lui donnait un je-ne-sais quoi d'indicible ? Le plan en question aurait tout simplement pu être oublié dans la bataille.

Ce qui prouve, pour peu que mon hypothèse soit la bonne, que Pinched est vraiment situé au début de cette aventure optique, et que si ce n'est pas le premier film dans lequel notre comédien arbore son indispensable complément (ce serait le deuxième, voir plus haut), ce serait au moins le court métrage avec lequel il aurait pris la décision de ne plus jamais les quitter.

Et j'ai gardé le meilleur pour la fin: Snub Pollard, qui a fièrement arboré une moustache de gros morse dans tant de courts métrages, est ici glabre...

Décidément!

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Published by François Massarelli - dans Harold Lloyd Comédie Muet