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28 décembre 2014 7 28 /12 /décembre /2014 16:46

Léon Poirier était un homme de traditions, dirons-nous. Elevé dans le cadre d'une institution privée rigoriste, il est devenu régisseur de théâtre puis est passé à la demande de Léon Gaumont à la réalisation de films en 1913, lorsque Poirier vient d'avoir un grave accident qui l'éloigne de ses théâtres. Il tourne cinq films avant de s'engager (Il avait été exempté en raison de son accident) dans l'artillerie. A ce titre, il participera aux combats autour de Verdun... dans les années 20, il s'oriente vers un nouveau cinéma, proche du documentaire, et éloigné des studios. Il tourne notamment en décors naturels La brière, une fiction d'après un autre Léon, Daudet celui-là: pas vraiment un démocrate, mais n'anticipons pas... Après un autre film ambitieux, La croisière noire (Documentaire sur un périple mi-colonialiste, mi-publicitaire organisé par Citroën en Afrique), Poirier décide de fournir sa vision d'une commémoration de la Grande Guerre (Celle qu'on n'appelait pas encore Première guerre mondiale...) afin de coïncider avec le dixième anniversaire de l'armistice. Ne faisant rien comme tout le monde, il va réaliser un film impressionnant, ambitieux, et... profondément humaniste. Bien sur il va aussi laisser par endroit libre cours à sa vision patriotique des choses, mais il va aussi et surtout donner la parole à l'ennemi, et ne jamais céder à la tentation de représenter les forces Allemandes sous le visage d'ogres assoiffés de sang, comme c'était l'usage en France. Cela lui sera d'ailleurs reproché...

Verdun, visions d'histoire n'est pas un documentaire, ni une fiction classique. S'il fallait trouver à le comparer, le seul titre qui me vienne à l'esprit serait The longest day (1962), né comme Verdun de la vision d'un seul homme, Darryl F. Zanuck, et qui retraçait l'histoire du débarquement à travers ses petites histoires, en adoptant les points de vue de la population, de la Résistance, des forces alliées, qu'elles soient Américaines, Anglaises ou Française, et bien sur des Allemands. Poirier, qui a divisé son film en trois parties (Trois "visions", pour reprendre le terme utilisé par le cinéaste dans son découpage), a choisi des "types " de personnages, affublés le plus souvent d'étiquettes plus que de noms: on a donc le "soldat Français", le "fils", "l'intellectuel", la "fille", mais aussi "le soldat Allemand", ou le "Maréchal", un vieil officier Prussien qui tire les ficelles. Et le cinéaste ne se cantonne pas à des prises de vue du côté Français. Il situe son tournage sur les lieux même de l'action, entre Verdun et Douaumont, là ou entre février et décmebre 1916 les forces Allemandes ont centré leur avance, jouant leur va-tout pour trouver la voie vers Paris à travers la vallée de la Meuse.

La première partie, La force, est surtout consacrée à un état des lieux, des forces en présence, mais aussi du moral: moral de l'arrière (Une famille Parisienne attend la suite des évènements, en confiance; un de ses enfants est engagé sur le conflit, l'autre va s'y rendre), moral des troupes (Deux soldats discutent de ce que les civils savent ou ne savent pas), puis état des lieux à Verdun dont les habitants fuient par dizaines. Le choc est imminent, mais Poirier joue plus sur l'aspect solennel que sur le suspense. Le deuxième, L'enfer, retrace les batailles décisives: Douaumont, Vaux, puis l'avancée vers la ville de Verdun. Le cinéaste situe son action au plus près des combats, à hauteur de poilu, et il a fait revenir des protagonistes de laction pour leur fairerejouer les batailles sur les lieux même. Un pari gonflé, mais qui paie par son réalisme. La troisième partie enfin, Le Destin, conte la reprise en mains de la région par les troupes alliées, et la reddition des Allemands. La leçon d'histoire globale, bien menée pais un peu trop riche pour qui consulte le film près d'un siècle plus tard, est accompagnée de scènes qui font mouche: la bataille de Vaux, avec ses condictions hallucinantes pour les soldats Français, est vue par les deux côtés, y compris dans une scène formidable, ou une porte blindée, obstacle à l'avancée des Allemands, est l'objet d'un champ-contrechamp ultime: d'un côté les Français, de l'autre les Allemands...

Le film possède des défauts, hélas, à commencer par son abondance: passionné par son sujet, Poirier a voulu rendre les spectateurs plus proches encore de l'action, et utilise par moments des cartes qui ne font qu'assécher le propos. Il a su rendre les doutes et les passions humaines, mais se heurte aux écueils de son didactisme par endroits. Et, inévitable me dira-ton, à plus forte raison pour un homme de droite, il a une tendresse pour les généraux, y compris ce vieux salaud de Pétain. Il ose un intertitre infect dans sa troisième partie, dans lequel il clame que les soldats vainqueurs de Douaumont l'ont été grâce à l'âme de leur général... Mais il montre aussi un jeune soldat Allemand (Interprété par un certain Hans Braüsewetter) envahi par le doute comme ses confrères Français, et il nous montre également les Prussiens se comporter de façon respectueuse vis-à-vis des Français qui se rendent à l'issue de la bataille de Vaux. et si Poirier laisse parler son nationalisme, et son catholicisme, au moins ne le fait-il que dans sa troisième partie, une fois qu'il a pris le soin de tout mettre en place, puis de narrer le gros des combats. La deuxième "vision" se clôt d'ailleurs sur un sentiment de défaite des Français. La fin du film, après es couplets nationalistes, philosophe un brin sur le sens de l'armistice, et la reddition, puis l'abdication de Guillaume II, représentée comme la possible naissance de la liberté: notre brave soldat Hans Braüsewetter peut enfin briser ses chaines. Pourtant, selon moi, le plus notable aspect de ce film, situé en début de troisième partie, est une scène qui doit autant à The four horsemen of the Apocalypse, de Rex Ingram, qu'à The Big Parade, de Vidor: un soldat Français blessé mortellement s'écroule aux côtés d'un Allemand. Les deux, au moment de mourir, auront le même cri: Mama/maman. Symboliquement, les deux mères, en surimpression, viennent chacune ramasser le corps de son fils, et toutes deux les posent sur la même civière. Puis elles gravissent ensemble un chemin vers le ciel... Au moins les intentions sont-elles claires: Poirier est un pacifiste.

Cette vision à la fois touchante et profondément ridicule est complétée à la fin d'une messe, dans laquelle on sent bien que le vieux fond du metteur en scène reprend le dessus. Au terme de ses 151 minutes, Verdun visions d'histoire est exténuant, et frustrant pour le spectateur habitué aux films Américains contemporains. Mais on ne reprochera en tout cas pas à Léon Poirier d'avoir été ambitieux, et désireux de toucher à l'universalité avec son film: il est parfois naïf, souvent trop riche, mais il contient des dizaines de séquences qui sont impressionnantes par leur mise en scène est leurs parti-pris novateurs. Et le fait qu'on ait ensuite, charcuté le film en en prenant les séquences les plus réalistes, en pensant qu'il s'agissait d'images d'archives, rend paradoxalement justice au réalisateur... Qui s'est empressé de continuer sa carrière en se faisant le chantre du coonialisme, avant de chanter en 1943 les louanges de ce vieux salopard de Pétain. Bah!

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Published by François Massarelli - dans Muet Première guerre mondiale 1928 *
28 décembre 2014 7 28 /12 /décembre /2014 10:00

Voilà un film muet restauré à grands frais, qui tombe à pic pour qu'on y voit le traitement de la première guerre mondiale, non pas telle qu'on la voit en cette année centenaire, ni alors qu'elle se déroulait: Le film du poilu est une tentative de commémoration, réalisée en 1928, à l'occasion du dixième anniversaire de la fin du conflit. Le but clairement affiché est de donner à voir la guerre aux enfants, afin qu'ils n'oublient jamais. Et c'est raté, ils ont oublié, les enfants de 1928: je m'explique.

Dans la première partie, on assiste à la petite vie de tous les jours de trois personnes qui habitent le même immeuble Parisien: une veuve de guerre et son fils, d'une part; un ancien poilu, artiste qui vit dans son atelier de peinture d'autre part. Celui-ci prend l'initiative d'inviter un cinéaste qui vient de finir un montage de prises de vues de la Grande Guerre chez lui, afin de sensibiliser la jeunesse (et les spectateurs) à ce qu'était vraiment le conflit mondial... Nous assistons ensuite à une chronologie des évènements, résumés en à peu près une heure, compilée d'après les cinématographies mondiales, mais surtout les alliés. Le montage en est rehaussé ça et là d'inserts tournés par Desfontaines afin de rendre l'ensemble un peu plus dramatique.

Si le but était de sensibiliser la jeunesse afin qu'un tel conflit n'arrive plus jamais, c'est comme je le disais raté: durant l'heure passée à montrer la guerre, le point de vue unique est celui des alliés, et on y glorifie à tour de bras les généraux, tous isolés de la narration par leur petit intertitre personnalisé... A aucun moment l'ennemi n'y est montré comme autre chose qu'une menace, un mal. Les évènements n'y sont pas mis dans la moindre perspective: certes, l'archiduc François-Ferdinand a été assassiné à Sarajevo, mais pourquoi? et en quoi cela a-t-il précipité la guerre? Et si Verdun a bien été une boucherie, quelle responsabilité les officiers Français ont-ils pris dans les massacres? Et ces merveilleuses armées coloniales qui nous sont montrées, si colorées dans leurs défilés, pourquoi personne ne mentionne-t-il qu'ils ont souvent monté au combat en premier pour essuyer les premières salves? Enfin, on appréciera à sa juste mesure la séquence de 25 secondes qui nous indique que les Américains ont un peu pris part au conflit. Merci, au passage, les gars, et vous nous excuserez, mais on va quand même finir ce beau film par une vision de ce beau drapeau, ce torchon dégueulasse pour lequel le service des armées, qui a pris le soin de restaurer ce film sans qu'aucune réserve idéologique ne l'accompagne (Lisez les textes présents sur le DVD, c'est à vomir), est sans doute prête à nous dire qu'il conviendrait de nouveau d'aller se faire tuer.

Je sais ce qu'on va probablement me rétorquer: autres temps autres moeurs, et en 1928, on ne disposait pas de recul suffisant, mais en fait, historiquement c'est faux: dès 1917, des voix se sont élevées, depuis l'armée Française même, pour contester les façons de faire des officiers, et réfléchir sur la véritable finalité de ce conflit. Dès 1919, dans un film qui cède parfois au délire anti-Allemand ambiant (J'accuse), Gance a pris soin de faire le voeu d'un arrêt généralisé des conflits, au nom du respect du aux morts, TOUS LES MORTS. Dès 1925; trois ans avant ce film, King Vidor a débarrassé l'évocation de la guerre de tout nationalisme avec son somptueux The big parade, auquel Walsh (What price glory) puis Wellman (Wings) ont bien vite emboité le pas. Ils seront suivi en 1930 par deux cinéastes, l'un aux Etats-Unis (Milestone, avec All quiet on the Western Front) , et l'autre en Allemagne (Pabst, avec Westfront 1918). Et pour enfoncer le clou, cette même année 1928, le pourtant très droitier Léon Poirier a commis un autre film commémoratif, le souvent ennuyeux Verdun, vision d'histoire. Lui aussi sacrifie à la mode qui consiste à se mettre à plat devant les généraux, mais au moins rappelle-t-il à toutes fins utiles que dans un conflit comme celui dont il est question, les deux côtés ont souffert. Voilà. Le parti-pris affiché par Desfontaines de rester calé sur l'image d'Epinal est tout simplement impardonnable.

Alors rangez-moi ce torchon bleu-blanc-rouge, il est obscène.

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Published by François Massarelli - dans Muet Première guerre mondiale Navets 1928 *
26 décembre 2014 5 26 /12 /décembre /2014 18:09

1917: La guerre s'invite aux Etats-Unis, et les volontaires affluent: de tous horizons, les Américains s'engagent dans ce qu'ils imaginent être un simple tour de chauffe en Europe au service de la démocratie triomphante. Là ou des hommes du peuple, comme Slim (Karl Dane), soudeur de son état, ou Bull (Tom O'Brien), barman à New York, vont rejoindre l'armée sans détour, un gosse de riche, le fringant Jim Apperson, ne va partir qu'après avoir vu une parade qui passait dans la rue. Et comme d'une part sa fiancée pense qu'il serait absolument adorable en officier, et que ses parents le considèrent comme un bon à rien, il s'engage... On retrouve les trois quelques mois plus tard, à la veille de leur première participation à l'offensive. Ils fraternisent avec les jeunes françaises, surtout l'adorable Mélisande (Renée Adorée, enfin autorisée à "parler" Français sur le tournage de ce film muet, et ça se voit pour qui sait lire sur les lèvres...), ils bricolent des douches, piquent du vin aux paysans locaux, jusqu'au moment ou ils sont amenés sur le front, pour une mission suicide. Deux d'entre eux ne reviendront pas, et c'est dans un trou d'obus qu'il est amené à partager avec un jeune Allemand mourant que Jim va se faire une opinion sur la guerre...

Qu'un studio comme la MGM ait été à ce point engagé dans ce film me dépasse. Je pense que pour la plupart des professionnels qui y travaillaient, la firme au lion était sans doute le rempart absolu d'une certaine idée calibrée et divertissante du cinéma contre un cinéma engagé... Mais Vidor devait avoir des arguments, puisque c'est à l'initiative bienveillante d'Irving Thalberg que ce film révolutionnaire s'est fait. Bien lui en a pris, puisque le film a fait un triomphe au box-office... Pourquoi "révolutionnaire"? Parce que jusqu'à The big parade, la vision de la guerre dans le cinéma mondial est assez simple: il y est généralement question de la lutte du bien contre le mal, de la démocratie Chrétienne contre la barbarie Allemande: J'accuse, The Four Horsemen of the Apocalypse, Hearts of humanity, Hearts of the world, et même Shoulder arms!, tous même combat... Seul Stroheim, qui n'a jamais filmé la guerre, mais en a parfumé ses films, à commencer par Foolish Wives qui regorge d'allusions, a semble-t-il intégré que pour les populations quelles qu'elles soient, la guerre est un enfer. Et ce film, enfin, va aborder le sujet avec réalisme, lyrisme, et en fait Vidor a peut-être changé la donne à tout jamais: il y aura un avant et un après The Big Parade, qui engendrera d'autres chefs d'oeuvre, partageant cette vision plus objective, moins, le mot une fois de plus est grossier et vulgaire, patriotique.

Le film prend son temps, d'ailleurs, et se contente d'une bataille, anticipant d'une certaine manière sur l'économie d'un Kubrick. Les soldats arrivent, pas très rassurés, et on leur dit de marcher. La scène est célèbre, souvent commentée: les Américains, filmés de front, avancent dans un sous-bois, cibles de la mitraille. Ils voient, ou entendent autour d'eux, les copains tomber les uns après les autres, mais doivent avancer. Au bout de la route, façonné er refaçonné par le pilonnage incessant, le terrain devient un gruyère, et l'enfer s'installe. Résumé en un seul conflit, toute l'expérience d'une guerre semble désormais privée de but, et la seule action d'éclat commise par Jim Apperson le sera sous le coup de la colère, lorsque pour venger la mort d'un camarade il va se livrer à un massacre sans raison valable...

Mais les scènes qui nous font attendre ce conflit, en elles-mêmes, sont d'une grande force, installant la confrontation humaine entre les soldats d'un côté (Jim Apperson perdant de sa superbe assez rapidement, confronté à la camaraderie ambiante), ou entre les soldats et les Français de l'autre. Les scènes de flirt avec Mélisande sont sublimes, d'abord parce que Vidor a su installer une complicité (Qui resservira à la MGM) très forte entre Gilbert et Adorée, et a pu les inspirer à trouver un naturel un peu gauche, qui s'approche, mais oui, d'un certain naturalisme. Cela donne d'autant plus de force au film que la romance entre les deux va servir de structure, et bien sur de motivation pour un héros revenu de tout, sauf de son amour pour la petite Française. Et la scène de séparation en fin de première partie, qui laisse éclater le lyrisme cher à Vidor, est inoubliable.

Et puis si ce film est une grande date, c'est aussi parce que le metteur en scène, qui a permis souvent au mélodrame de se doter d'une âme pas toujours tranquille (Wild Oranges peut en témoigner...) semble d'une seule pièce maitresse doter le cinéma Américain d'un classique qui le fait instantanément passer à l'âge adulte... Ce que Stroheim tentait de faire dans son coin, Vidor l'a fait, et dans le confort d'un studio encore en plus! on connaît la suite: grâce à son sens du compromis (La Bohême, Bardelys the Magnificent, deux films qu'il n'avait pas vraiment envie de faire), Vidor pourra récidiver en tournant The Crowd. Mais la suite, c'est aussi l'arrivée de Raoul Walsh, William Wellman, Lewis Milestone, et tant d'autres qui vont continuer à donner à la représentation de la première guerre mondiale ses chefs d'oeuvre.

 

The big parade (King Vidor, 1925)
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Published by François Massarelli - dans King Vidor Muet Première guerre mondiale 1925 **
29 novembre 2014 6 29 /11 /novembre /2014 18:48

Comme La Roue, comme Napoléon, J'accuse emporte tout sur son passage... Pourtant, le film prète le flanc à la critique: il a en vérité deux identités. D'une part, celle d'un drame bourgeois et ampoulé, marqué du sceau de l'éternel mélodrame avec roulements d'yeux et bras levés vers le ciel: Dans le petit village d'Orneval, François Laurin (Séverin-Mars) est marié à la belle Edith (Marise Dauvray) mais celle-ci n'a pas fait un mariage d'amour, loin de là... François est une grosse brute, et elle aime encore Jean Diaz (Romuald Joubé), le poête optimiste, qui le lui rend bien et vit avec sa mère. Diaz transcende sa souffrance amoureuse en écrivant des poésies qui sont autant d'odes à la nature, la lumière... Mais surtout à Edith. Quand vient la guerre, François part le premier, et la jalousie va le ravager, d'autant que Diaz, lui, reste au pays. D'autre part, le film est aussi une évocation de la guerre mondiale, à travers la vie dans les tranchées et sur le front de Jean et François, qui vont finir par se retrouver sur le théâtre des conflits, et devenir amis précisément parce qu'ils sont amoureux de la même femme. Ce qui va probablement être le facteur déclencheur de leur rapprochement, c'est qu'Edith va être enlevée par les Allemands, et rester introuvable pendant près de quatre ans... Mais elle reviendra, avec un enfant, né d'un viol...

Gance a souhaité faire de son film une évocaion au plus près, d'un conflit auquel il a participé, et qui l'a bouleversé. Il a fait de son film à la fois une évocation de la destruction, de la folie guerrière, autant qu'une chronique cocardière dans laquelle on laisse asssez peu de chance à l'ennemi d'être évoqué autrement que comme une menace horrifique: la seule scène qui laisse vraiment voir l'Allemand dans le film est celle qui sert de mise en images du viol qu'a subi Edith. Paradoxalement, François Laurin y est aussi vu, dès le début du film, dans sa brutalité, comme une menace ignoble, à travers une scène de violence sexuelle bien plus explicite encore que celle qui attend Edith face aux Prussiens, mais la comparaison ne sera pas vraiment exploitée. Non, digne des films de l'époque, J'accuse ne remet pas en cause l'image d'Epinal de la barbarie Allemande, ni l'idée patriotique... En témoigne un rôle assez embarrassant joué par le père d'Edith, un vétéran obsédé par la perte de l'Alsace et de la Lorraine, et qui regarde tous les soirs une carte de France mutilée de ces deux régions avant de s'endormir. Comme Napoléon, donc, J'accuse ne peut échapper à une certaine dose de ridicule patriotique (pléonasme).

Jean Diaz, donc, est un poète: comme le compositeur de La Dixième symphonie, comme le fils de Sisif dans La roue, comme Beethoven dans Un grand amour de Beethoven, le personnage est au-dessus des hommes, celui qu'a choisi Gance pour le personnifier lui. Mais il va aussi être celui qui donne son sens au film, en devenant progressivement fou, et ce dès la deuxième partie, lorsque la fièvre le fait délirer, et qu'il se met à regarder dans le vide en répétant à l'envi 'J'accuse'. Il est malaisé de comprendre ce que Gance/Diaz accuse: Dieu? Les hommes? les Allemands? Ceux qui n'ont pas fait la guerre, et se sont engraissés? Mais on peut imaginer qu'il s'agit d'une adresse dans le vide, inspirée par le titre fameux du texte de Zola. Quoi qu'il en soit, cette répétition arbitraire, déclinée de multiples façons, est un des aspects du film qui m'a toujours gêné. J'en reste d'ailleurs à cette impression... Mais le film, porté par un souffle épique qui fait oublier le côté suranné du mélodrame à quatre sous du au triangle amoureux, a été tourné par un visionnaire qui a compris qu'on ne pouvait plus tourner la guerre comme on l'avait fait. Il a donc tout reproduit, les tranchées boueuses, les fêtes canailles et avinées improvisées par les poilus pour oublier la mort qui rode, la saleté, les cadavres partout... Et il a eu cette idée, de transcender le symbolisme en faisant se relever les morts, pour de vrai. Bien sur, c'est un fou qui apporte le message, mais la séquence, qui semble donner un semblant de raison d'être au titre du film, est inoubliable...

Mené avec l'énergie coutumière de Gance, dont on voit qu'il commence déjà à expérimenter sur la matière même de l'image et de la continuité cinématographique (montage, cadrage, surimpression), le film est unique en son genre, et l'un des premiers grands films sur la première guerre mondiale. A sa décharge, le cinéma n'a pas encore appris à se doser en subtilité, d'où la grossière charge anti-Allemande, mais on sait que Walsh, Wellman, et surtout Vidor, vont bientôt corriger cette tendance... Aujourd'hui, en tout cas, J'accuse, avec sa richesse phénoménale et son excentricité intacte, avec son ingénuité revendiquée et sa naïveté intrigante, continue de fasciner, et se pose en préambule insolent d'une période de génie pour Abel Gance.

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Published by François Massarelli - dans Abel Gance Muet Première guerre mondiale 1919 **
13 octobre 2014 1 13 /10 /octobre /2014 07:48

On connait bien The Bond, le petit film de propagande filmé par Chaplin à la fin de la guerre. Le metteur en scène était alors engagé avec fougue (Et pour cause), aux côtés de Doug & Mary, pour soutenir l'effort national. Ce film de court métrage, une production de Mary Pickford distribuée par Paramount, est bâti sur le même principe: interpréter une situation courte qui va illlustrer le besoin de serrer les rangs et de contribuer à la victoire prochaine. Mary Pickford y incarne une jeune femme insouciante et vaine qui prend soudain conscience devant la multiplication des signes de l'importance pour elle d'économiser et d'acheter un "bon de la liberté", au lieu de dépenser son argent en futilités. Elle est opposée à sa meileure amie qui elle continue de ne penser qu'à elle. A la fin du film, la situation devient plus concrète encore avec le retour d'un fiancé parti combattre, interprété par Monte Blue.

Tourné avec soin, pensé dans ses moindres détails, le film est bien plus que le témoin glorieux d'une époque ou un artefact notable d'une nation en période de guerre: il est au même titre que ses longs métrages, une oeuvre de Mary Pickford, dont l'énergie est ici le moteur de l'entreprise. Un film très soigné pour une cause qui lui tenait clairement à coeur.

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Published by François Massarelli - dans Muet Première guerre mondiale
17 mai 2014 6 17 /05 /mai /2014 18:13

Des soldats qui avancent tant bien que mal sur un champ de bataille, une image somme toute banale dans le cinéma, vue dans tant de films de guerre, les uns à la suite des autres. Quelques séquences se distinguent malgré tout: la vision frontale de soldats Américains avançant inexorablement dans un sous-bois pendant que certains d'entre eux tombent, touchés par les balles ennemies, dans The big Parade; l'avancée colossale d'une armée au sol relayée par les longues files d'avions qui se dirigent tous vers le même point, un front qui promet du chaos et du sang, dans Wings; plus très de nous, les tranchées arrosées de sang et jonchées de cadavres d'hommes et d'animaux d'Un long dimanche de fiançailles... Je n'ai bien sur pas pris mes exemples au hasard: Vidor, Wellman, Jeunet on tous en commun d'avoir souhaité illustrer la grande guerre afin de dénoncer la guerre. Et c'est ce que fait, bien sur, ce quatrième long métrage de Stanley Kubrick. Il va donc lui aussi sacrifier à cette tradition, et montrer à son tour le coeur d'une bataille. Il choisit une voie particulièrement difficile, en phase avec des plans-séquences d'un type fréquent dans le premier acte: la caméra montre la progression d'hommes dans une tranchée, soit en reculant afin de montrer les hommes marchant en avant derrière elle (Un général qui se donne bonne conscience en public en venant visiter 'ses' hommes, et en insultant comme un salaud les hommes qui semblent souffrir), soit en suivant un homme qui avance dans la tranchée, se rendant d'un pas sur vers une but inéluctable (Kirk Douglas mène l'assaut avec ses hommes et est le premier à sortir de la tranchée). Kubrick a donc choisi de couvrir la bataille en deux ou trois plans, tous en travelling latéral, nous montrant ainsi la bataille et ses difficultés dans une cohérence impressionnante, sans pour autant avoir recours à des inserts de détails. Les acteurs souffrant de façon visible, on peut avancer l'idée qu'il s'agit de l'une des traces de la vérité, cet ingrédient omniprésent des premiers films du metteur en scène, nés de sa fibre documentaire. C'est aussi un moyen honnête d'aborder la peinture des combats dans un film qui dénonce la guerre dans des termes d'une violence inédite.

L'intrigue de ce film est inspirée de plusieurs faits réels, qui eurent lieu à divers endroits du front entre décembre 1914 et l'ensemble de l'année 1915: l'Armée Française, afin de "galvaniser le moral des troupes", tout en décourageant les éventuels déserteurs, a procédé à des punitions de bataillons, considérés comme fautifs du péché de lâcheté, en tirant au sort des hommes et en les exécutant après un faux procès (On appelle ça une cour martiale, et comme les juges, jurés et avocats sont des militaires, c'est forcément truqué). Il n'est donc pas étonnant que Les sentiers de la gloire ait été empêché de sortir en France durant 18 ans: il ne fut pas censuré, mais il était déconseillé aux United Artists de tenter de l'y distribuer, distinction subtile. C'est Kubrick lui-même qui a été à l'instigation du script, dont il a écrit le premier traitement, à la demande de Dore Schary qui se voyait bien inviter le metteur en scène de The Killing à la MGM! Mais ce sera finalement la toute petite mais vaillante compagnie de Kirk Douglas, Bryna, qui permettra au film d'exister, moyennant, bien sur, un rôle héroïque pour l'acteur.

A deux pas du front, deux généraux (George Macready et Adolphe Menjou) devisent et prennent la décision de faire un coup fumant: ils sentent que le front ne bouge plus, qu'on s'installe dans la routine d'une guerre de tranchées, et décident de prendre une colline stratégiquement bien placée, et qui résiste vaillamment. C'est quasiment impossible, mais le calcul du général Mireau (Macready) est simple: si on lance une compagnie suffisamment forte en nombre, les trente ou quarante pour cent d'hommes qui survivront à l'attaque seront en nombre suffisant pour ensuite garder l'objectif. le colonel Dax (Douglas), commandant les bataillons en question, refuse dans un premier temps mais est obligé d'accepter les ordres. L'attaque est une telle débâcle que Mireau perd son sang froid: dans un premier temps, il demande à l'artillerie de viser les troupes Françaises, puis devant le refus des artilleurs, prend la décision de faire un exemple, en désignant cent hommes à prendre dans les dix bataillons. Raisonné par le général Broulard (Menjou) et par Dax, il finit par accepter de porter l'exemple sur trois hommes seulement: les soldat Arnaud et Férol, et le Caporal Paris. Les trois hommes sont défendus par Dax, avocat dans le monde réel, mais le procès est écrit d'avance...

Le film n'est pas remarquable que pour la force de ses idées, bien sur, mais elles sont particulièrement singulières dans le contexte des "Trente Glorieuses" et du conformisme des années Eisenhower. Bien sur, le film n'attaque en apparence qu'une armée étrangère, dans un contexte totalement éloigné des préoccupations de l'Amérique qui rappelons-le n'était pas encore impliquée dans le conflit au moment des faits... Mais ce n'est pas à l'armée Française que s'attaquait Kubrick: il semble bien qu'il s'en prenne aux militaires, au militarisme, et à la guerre en général. Et surtout il en profite pour déboulonner de façon spectaculaire la notion même de héros: d'une part, un acte héroïque, dans le film, est surtout une affaire de hasard, un geste pas forcément anticipé dans le chaos ambiant; on voit bien que l'ensemble des soldats du film (Je parle ici des humains, pas des officiers professionnels, qui sont du reste retranchés dans leur château) y compris le colonel Dax qui lui vit au plus près des hommes, dans la tranchée, cherche essentiellement à survivre; comme le dit Férol en pleurant avant d'être exécuté, 'Je ne vais plus jamais voir personne': c'est la mort qui occupe les esprits. Un autre condamné se rend compte au matin de son exécution qu'il n'a "pas eu de pensée sexuelle" depuis le moment de sa condamnation, et n'en revient pas avant de s'effondrer. Il n'y a pas de héros, que des survivants et des morts en sursis.

Et Kirk Douglas dans tout ça? la chance pour Dax de sauver ses hommes est minime, et de toute façon purement symbolique. il gesticule bien sans relâche pour porter à ses supérieurs un point de vue humain, pour leur demander de reconsidérer, et va non seulement défendre les trois hommes devant une cour odieuse par son indifférence à toute argumentation contraire, mais aussi tenter plusieurs dernières chances: l'une d'entre elles va être de porter à l'attention de Broulard l'anecdote de Mireau demandant à faire canonner ses propres troupes durant le combat. Bien sur, le vieux Broulard va tourner l'affaire à son avantage, ne sortant le brûlot devant Mireau qu'une fois l'exécution accomplie... Dans ces conditions, Dax, dont Broulard est persuadé qu'il n'est motivé dans ses actions que par la perspective d'hériter du siège de Mireau. Seul face à une hiérarchie campé sur ses privilèges, sans aucune considération pour les hommes de la troupe, Dax n'a aucune chance de faire aboutir ses tentatives.

Kubrick a encore progressé de façon impressionnante depuis The Killing, comme on l'a dit au sujet de son utilisation de la caméra mobile (Qui ne le quittera bien sur jamais désormais). Il mène de main de maître un film dans lequel il reconstitue de façon impressionnante (A l'exception de la coiffure de Kirk Douglas, bien entendu) l'atmosphère de 1915; et il se livre à des expériences payantes, lors du tournage des scènes situées dans l'énorme château ou vivent les officiers à deux pas des tranchées: il utilise des lentilles qui vont souligner l'espace incroyable dont disposent les généraux, les tableaux aux murs, et les domestiques (Ou ordonnances, on est chez les mirlitaires, après tout) à l'arrière-plan qui déménagent le mobilier ou les tableaux au gré des caprices des officiers. Il ajoute à ceci un son dominé par des prises en direct, dans une réverbération qui souligne encore plus l'espace vide des lieux, qui contrastent terriblement avec l'univers des tranchées. Il compose ses plans d'une façon assurée, comme en témoigne la belle illustration de fusillade au dessus de ce texte. On peut aussi noter l'apparition d'un sens du détail qui ne quittera jamais Kubrick, avec en particulier une statuette du minuscule empereur Napoléon, célèbre dictateur d'un tout petit pays au XIXe siècle, durant une scène cruciale... Cette manifestation d'ironie n'est bien sur pas la seule, puisque le générique du film est accompagnée d'une martiale Marseillaise, dont le dernier accord est faussé.

Ce beau film impitoyable et triste se termine sur une scène étrange, presque énigmatique. Un compère un brin sadique présente à une assemblée de soldats carnassiers une jeune Allemande, une 'prise de guerre' (Christiane Harlan, future Mrs Kubrick). Elle chante, devant des hommes qui se calment progressivement, un chant qu'ils finissent par accompagner en fredonnant, pleurant tous. Un exorcisme, en quelque sorte, pour les soldats qui sont les survivants d'un traumatisme, mais qui vont quelques instants après, repartir au combat... Dax les a vus, entendus, et décide de leur donner encore quelques minutes... Cette séquence superbe finit de rattacher ce film aux grandes oeuvres humanistes qu'étaient Wings, The Big parade ou All quiet on the Western front. Tous ces films avaient aussi leur séquence de fraternité, ou d'échange, ou d'oubli. Reculer pour mieux se faire flinguer, en quelque sorte... Par qui, par l'ennemi, ou par les siens? Comme le dit le général Mireau au début du film: si toute la compagnie participe à l'effort, 5% d'entre eux seront tués automatiquement par les tirs de leurs camarades. Sinon, on peut aussi les fusiller.

 

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Published by François Massarelli - dans Stanley Kubrick Première guerre mondiale Criterion
22 mai 2012 2 22 /05 /mai /2012 19:19

Un petit village, en Allemagne, qui vit au rythme de ses habitants. on voit le postier, un monsieur d'un certain age, tout fier de son nouvel uniforme. on voit l'instituteur, un homme bien et tout simple qui a le respect des livres et l'affection de la population. Et puis il y a des gens, des braves gens, des petites gens, des gens normaux, dont la petite Frau Bernle, et ses quatre fils. Le plus vieux, Joseph, rêve d'aller aux Etats-Unis, le plus jeune est encore étudiant... Un beau jour, Frau Bernle offre à son fils la possibilité d'acomplir son rêve et de partir s'installer à New York. Durant ces tranquilles journées de bonheur, c'est à peine si on remarque la garnison locale qui s'installe... C'est que le temps de la guerre est venu, et aucun des quatre frères n'y échappera... Seulement l'un d'entre eux ne combattra pas du même coté, c'est tout.

Le très beau film de John Ford est l'une des preuves les plus tangibles de l'influence de Murnau non seulement sur Ford, mais d'une manière générale sur la Fox, en cette superbe année 1928. Ford réutilise le décor du marais de Sunrise, pour obtenir une superbe scène de soldats qui marchent dans la brume, et une macabre découverte qui se transforme en tragédie familiale... La guerre, filmée du point de vue d'une famille dont les membres meurent les uns après les autres, est un mal symbolique qui sépare les gens, et dont mine de rien, l'un des rescapés est Américain... Mais il n'y a pas de message cocardier pour Ford ici, juste un récit poignant et tendre, sur une famille d'êtres humains. Si on n'est pas toujours loin de la caricature (Mais sous influence Allemande, puisque la vision du postier avec son bel uniforme tout penaud à l'idée de propager des mauvaises nouvelles avec ses lettres officielles  bordées de noir, renvoie directement au Dernier des hommes de Murnau...), c'est parce que le film bénéficie d'une tendance visuelle à l'allégorie, et se situe dans un décor (Européen) réinventé, une sorte de paradis perdu, un village reconstitué en studio, qui permet à la caméra étrangement mobile de Ford (par opposition à Three bad men, par exemple) de s'approprier l'espace d'une manière très efficace, sous l'influence décisive de son collègue Allemand. Mais s'il ne choisit pas délibérément de privilégier les USA  (Plus réalistes) sur l'Allemagne, il montre quand même des circonstances différentes: on voit les trains de l'extérieur, en Allemagne, mais on a droit à visiter un wagon de métro aux Etats-unis... L'Amérique reste le pays de l'avenir ou Joseph tente sa chance, et aura des enfants, alors que l'Europe est un peu l'endroit du passé. Ailleurs, Ford se permet une petite blague discrète à l'attention de ceux qui ont vu Die Nibelungen de Lang: lors de l'introduction de Johann (Charles Morton), le forgeron, il cite la scène d'ouverture du grand film très germanique...

Et puis dans ce film qui s'intitule Four sons, comment faire l'impasse sur la mère? Après Mother Machree, avant Pilgrimage, avant The grapes of wrath, cette mère Fordienne jouée par Margaret Mann est un personnage qui a toute la tendresse de Ford, et qui lui donne le rôle central, dans le film, mais aussi dans deux scènes composées autour d'elle: elle fête son anniversaire en compagnie de ses quatre fils, tous autour de la table. c'est un moment sacré. Au début du dernier acte, elle est seule, et les imagine tous autour d'elle, par la magie de la surimpression... Le dernier acte du film nous conte comment Joseph la fait enfin venir chez lui, et ce qui n'aurait du être qu'un simple happy ending devient une anecdote riche, celle d'une vieille dame accidentée par la vie qui est perdue dans une grande ville, ne parlant pas la même langue que les habitants...

Film essentiel, de Ford bien sur, mais aussi de la Fox (Au même titre que Sunrise, Seventh Heaven, Street Angel et A Girl in every port), Four sons est aussi l'un des grands films Américains de 1928, une année exceptionnelle... La perfection du muet!

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Published by François Massarelli - dans John Ford Muet 1928 Première guerre mondiale *
9 avril 2012 1 09 /04 /avril /2012 16:23

Avant ces "quatre cavaliers" de 1921, Rex Ingram passe toutes ses premières années de réalisateur (1916 à 1920) à la Universal, à tourner des mélodrames, enchainés les uns aux autres... dont il ne reste rien, sinon une bobine de The reward of the faithless (1917). Si l'arrivée du réalisateur d'origine Irlandaise à la Metro est pour lui une chance incroyable, c'est en particulier à cette épopée délirante qu'il le doit: petit studio (Universal) ou grand studio (Metro), après tout, la différence dans le Hollywood de 1920 n'est pas si importante. Ce qui compte alors pour un réalisateur, c'est d'être arrivé, d'avoir un nom. L'age des studios commencera vraiment avec la fusion de Metro avec Goldwyn et Mayer en 1924; le producteur prendra vraiment le pas sur le réalisateur. C'est donc à un age d'or qu'Ingram commence sa carrière, à peu près au même moment que d'autres grands noms: Stroheim en 1919; Ford en 1917; Borzage comme lui en 1916... Ingram gardera sa conception d'être le seul auteur de ses films jusqu'à la fin, il s'y perdra d'ailleurs, comme tant d'autres artistes. Mais cette dimension est toute entière représentée dans son film spectaculaire et visionnaire de 1921, dont on a coutume de parler en raison de la présence d'un jeune premier qui va, enfin, exploser et devenir vite l'idole la plus significative des futiles années 20; Rudolf Valentino. C'est vrai, et cela fait partie intégrante de la légende du film, mais cela ne doit pas occulter le fait qu'avec ce film, son 15e, la carrière de Rex Ingram est elle aussi spectaculairement lancée...

Film-charnière, la superproduction (11 bobines, et une durée actuelle de 132 minutes) est une adaptation d'un roman de Vicente Blasco Ibanez, comme le sera plus tard Mare Nostrum. le film est une grande date du cinéma Américain, et se trouve à la frontière entre symbolisme (déja présent dans des oeuvres ambitieuses comme Intolerance de Griffith, ou Civilisation de Ince) et un certain réalisme du cinéma de genre, généralement privilégié par les cinéastes. Ingram, esthète du mélodrame, s'est plu ici à rester sur une ligne médiane... Prenant prétexte de la guerre qui vient de se dérouler, il laisse libre cours à son gout pour le spectacle et s'adonne comme un gosse au plaisir de jouer avec les moyens imposants qui lui sont alloués... D'une certaine façon, on a droit avec ce film de studio à une oeuvre d'auteur comme passée en contrebande: cette tendance allait devenir une habitude chez Ingram, avant qu'il ne quitte Hollywood pour l'Europe pour contrôler ses films de façon plus personnelle.

Le script est signé d'une grande dame, June Mathis, la forte personnalité qui dirigeait le département "Scénarios" de la Metro; à ce titre, elle allait suivre sa compagnie à la MGM, et être mélée à des films cruciaux, comme Greed ou Ben-Hur. L'histoire est celle d'une famille coupée en deux: immigré en Argentine, Madariaga a deux filles: l'une est mariée à un Français, Marcelo Desnoyers (Josef Swickard), un socialiste qui a fui la conscription en 1870, et l'autre est mariée à un Allemand, Karl Von Hartrott (Alan Hale). Celui-ci est amer: son ambition était de faire main basse sur la fortune du vieux Madariaga, et il espère que ses trois fils vont lui permettre au moins d'en tirer quelques bénéfices. mais Marcelo a un fils, qui sera forcément le premier à hériter: Julio (Valentino), hélas est un jeune homme vain, porté sur les plaisirs, égoïste et séducteur, le tout étant copieusement encouragé par son grand-père. Pourtant celui-ci ne choisira pas, il divise sa fortune par testament à ses deux filles. Après sa mort, les Desnoyers et les Hartrott retournent en Europe...Marcelo se construit un chateau au rabais, Julio devient peintre dans le but principal de s'entourer de jolies filles, et Karl ronge son frein, jusqu'à la déclaration de guerre, qui va bouleverser la France, le monde, et bien sur la descendance du vieux Madariaga, dont les uns vont se trouver à combattre les autres. Parallèlement à cette intrigue historico-familiale, on fait la connaissance de Marguerite Laurier (Alice Terry), une jeune femme mariée à un homme qu'elle n'aime pas, et qui tombe amoureuse de Julio. Celui-ci, confronté à l'amour, va changer, et Marguerite, dont le mari va s'engager, va découvrir le sens du devoir...

La mise en scène d'Ingram est impressionnante, le réalisateur ne se contentant pas de suivre avec sagesse l'intrigue. Il fait feu de tout bois, et chaque scène est pour lui l'occasion de passer constamment du récit au symbole. Il s'amuse à lier entre elles les scènes d'une façon fluide, et multiplie les niveaux de point de vue au sein d'une même scène. Par exemple, il fait avec la première apparition de valentino, la mythique scène du tango, la preuve  de sa maitrise, en partenariat avec son monteur, le fidèle Grant Whytock: il nous montre le café ou aiment à se retrouver le vieux Madariaga et son petit-fils, et on a une série de plans d'exposition, pris depuis les rangs des consommateurs alors qu'un couple s'essaie sans grand succès au tango. Julio commence à s'insérer dans la danse, et dès lors, Ingram nous gratifie d'un plan de sa partenaire qui manifeste son mécontentement. Il oscille ensuite entre le point de vue de Julio, celui du vieux, qui exulte de voir son petit-fils réussir sa séduction (la métaphore sexuelle est tout sauf voilée), et les plans d'ensemble. La scène est superbe, et a beaucoup contribué à la légende de Valentino... une autre séquence montre les rapports complexes entretenus entre les scènes, dans le flot narratif extrêmement cohérent: Marguerite est en visite dans le studio de Julio, et les deux sont en discussion: elle lui avoue qu'elle a le sentiment que leur relation  est juste, qu'elle n'aime pas son mari. il approuve, forcément. Ingram coupe, et on est chez un voisin, le mystique Tchernoff, sorte de prophète et philosophe; il parle à un ami de Julio en épluchant une pomme, et se met à disserter d'un air mystérieux sur le péché originel. la scène suivante montre l'impact sur la rue et ses gens de la déclaration de guerre. A la fin, Tchernoff et son ami, qui ont été témoins de l'émotion sucitée par la nouvelle, croisent marguerite qui  rentre chez elle. entre ces trois scènes, on a ainsi un écheveau clair d'intrigues: la guerre set déclarée, elle va séparer les deux amants. Et par ailleurs, Marguerite et Julio ont dépassé le stade de la relation platonique...

Le film est non seulement superbe visuellement, parfaitement servi par la photo de John Seitz (un autre partenaire systématique du metteur en scène) constamment envahi par le symbolisme, depuis le "centaure" Madariaga, dont les deux parties de la famille vont se déchirer jusqu'à se retrouver face à face sur le champ de bataille, jusqu'à la vision symbolique des quatre cavaliers évoqués par l'illuminé Tchernoff (Nigel de Brulier), figure christique volontiers floue. Rex Ingram semble, à l'imitation sans doute du roman, plaider pour l' internationalisme, d'ailleurs incarné par l'Amérique (Nord ou sud, peu importe), mais il cède quand même à la tentation de charger l'ennemi allemand, représenté dans son militarisme ridicule (un pléonasme, d'ailleurs),avec ses monocles, et sa tendance à se transformer en brute épaisse, avinée et violeuse, en temps de guerre. L'intrigue est centrée sur un personnage de jeune homme lâche et égoïste, dont la prise de conscience viendra tardivement, dans des circonstances tragiques. Ingram n'hésite pas, 6 ans avant Napoléon, à mettre en scène l'exaltation patriotique dans une scène de Marseillaise folle, teintée dans certaines copies en bleu, blanc et rouge... Le film, avec ses excès, se situe dans une ligne pas si éloignée du J'accuse de Gance. mais là ou Gance concentre son talent narratif sur le drame privé d'un triangle amoureux ç tiroirs avant de passer à l'évocation des morts de la grande guerre, Ingram multiplie les personnages, Julio, Marguerite, Marcelo, Chichi la soeur de Julio, son fiancé André, Karl, ses trois fils... De cette accumulation maitrisée, un grand maelström d'images nait. Oui, diais-je, il y a des excès, des exagérations. Le mélodrame va trop loin en permanence, mais cette profusion d'émotion reste plus forte que la somme de ses défauts. Ce fim qui part dans toutes les directions porte en germe une oeuvre baroque et intense, proche de Stroheim (Un ami proche d'Ingram, qui lui confiera ainsi qu'à Grant Whytock le montage de Greed) par sa capacité à sonstruire une narration fleuvre cohérente, héritée de l'exemple de Griffith, mais louche déja du coté des esthètes fous du cinéma, que seront Sternberg, ou le disciple auto-proclamé, le génial Michael Powell... Contrairement à Stroheim chez qui chaque détail compte, et sera évoqué, ici le tout est un kaléïdoscope de détails dont l'accumulation fait sens. Vu dans de bonnes conditions, ce film tombé dans le domaine public, c'est à dire disponible dans d'ignobles copies, n'a pourtant rien perdu de sa capacité à vous clouer au sol.

 

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Published by François Massarelli - dans Rex Ingram Muet Première guerre mondiale 1921 *
11 mars 2012 7 11 /03 /mars /2012 11:44

Pourquoi toujours revenir à cette guerre ? Après tout, il y en a eu d’autres, et toutes, en étant cynique, sont photogéniques… Mais il y a une série de raisons probablement qui font de la première guerre mondiale un sujet cinématographique par excellence pour dénoncer toutes les guerres. C’est à la fois la dernière guerre à l’ancienne (Résultant en une série de batailles impliquant des combattants face à face) et la première guerre moderne, combattue partout dans le monde, dans l’eau, sur terre, sur les airs… Et d’autre part, le traumatisme a été fort, et relayé par le cinéma balbutiant. De fait c’est aussi une de ces premières guerres que l'on peut mettre en images en s'inspirant de films d’époque.

Lewis Milestone, reconnu comme un esthète touche-à-tout (Two Arabian Knights, 1927 ; The racket, 1928), a eu les mains libres, et c’est courageux de la part de Carl Laemmle Jr, qui dirigeait un studio pas encore solide sur ses jambes, d’avoir ainsi fait confiance à quelqu'un qui allait mettre tous les moyens possibles et imaginables à sa disposition, transformant même la production en un film parlant en cours de route. On le sait, le film a fini par recevoir un Oscar bien mérité…

On pourrait faire une comparaison entre ce film et Saving Private Ryan, de Spielberg : comme l’épopée du débarquement, All quiet on the Western front vient après un grand nombre de représentations, et tente de donner une approche frontale et ultra-réaliste. Mais des jalons importants lui ont pavé le chemin : depuis 1918 et 1919 avec Hearts of humanity et Hearts of the world, le cinéma a progressé dans sa représentation du conflit, en se débarrassant des oripeaux nationalistes (Wellman ne jette pas la pierre aux Allemands dans Wings), en montrant le conflit comme un désastre émotionnel intime (The big parade), et en allant toujours plus loin vers l’expression de la tragédie humaine via des images à la stylisation savante. Mais All quiet va plus loin que tous les autres avant lui: En adaptant le roman de Remarque, Universal révolutionnait tout, adoptant le point de vue de l’ennemi. Une conversation entre les soldats essaie de faire du sens avec le conflit, l’un d’entre eux se demande en effet ce que Guillaume II reproche aux alliés; Kat (Louis Wolheim) va plus loin, en prophétisant la mort des monarchies. Ces idéaux dans lesquels on croit reconnaître bien sur une certaine façon de penser Américaine, vont plutôt dans le sens d’un internationalisme militant. C’est le sens de cette superbe scène durant laquelle Paul (Lew Ayres) réfugié dans un trou de boue, tue un soldat Français pour se protéger, et va devoir passer des heures avec le cadavre, ses remords et ses doutes en attendant que la pluie de mort cesse..

Il serait vain de se contenter de dire que, placé dans le contexte de la fin des années 20, ce film de Lewis Milestone est le meilleur film réalisé jusqu'alors consacré à la première guerre mondiale. En effet, son pouvoir n’a en rien diminué depuis 1930, et son message reste valide : l’histoire suit des jeunes engagés volontaires, Allemands, et poussés par leurs aînés, pères, oncles et professeurs, à aller mourir pour la patrie. Bien sur, les deux atouts du film, une bande-son fabuleusement travaillée, en ces débuts du parlant, et un parti-pris de ne pas abandonner la richesse visuelle, les mouvements de caméra et le montage nerveux du muet, jouent en son avantage mais aussi datent clairement le film (On le voit comme un contemporain parfait de M de Fritz Lang dans la volonté de dissocier image et son afin d’élargir la palette du muet plutôt que de  se contenter d'enchaîner les scènes dialoguées comme le faisaient les films contemporains). Pourtant, l’indignation palpable devant l’horreur de la guerre, des personnages autant que des acteurs et techniciens, fait encore mouche. Et la succession savante d’anecdotes, avec ses passages obligés et ses rites de passage, construit un objet filmique impressionnant, encore aussi violent dans sa peinture des conflits (Peur, horreur, fatigue, hygiène déplorable, besoin de se réfugier dans l’alcool et les filles, rien ne nous est épargné, et on est encore plus terre-à-terre ici que dans Wings), et dont les images sont sans doute les plus ressemblantes aux actualités de 1916-1918. Non, elles sont même plus fortes encore: n’oublions pas que les images des conflits sont toujours commandées à l’armée, qui salit tout ce qu’elle touche, et qui ment par essence. L’art fait, ici, mieux que le semblant de réalisme, et comme on le disait à l’époque, il faudrait voir et montrer le film jusqu’à ce que les patriotismes, les chauvinismes, les nationalismes et la guerre disparaissent pour toujours. Vaste programme… On doit rêver, pourtant, sinon rien n’a plus aucune importance.

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Published by François Massarelli - dans Première guerre mondiale Pre-code 1930 Muet Lewis Milestone **
11 février 2012 6 11 /02 /février /2012 16:56

Ce premier Oscar du meilleur film (Qu'il soit plus ou moins mérité que d'autres, comme Seventh Heaven ou Sunrise, importe peu) est une sacrée claque! Tourné en pleine fin de l'age d'or du muet, il est le dernier grand film spectaculaire avant longtemps, et reste encore aujourd'hui une très grande date dans la représentation de la première guerre mondiale au cinéma. La Paramount voulait d'ailleurs frapper un grand coup, en, confiant directement à un vétéran des forces aériennes la rude tâche de représenter le combat aérien, ce qui n'avait jamais été fait. Ce qu'en a fait Wellman est tout bonnement époustouflant, embarquant des caméras sur les avions pilotés par les acteurs eux-mêmes, et assurant avec le concours de l'armée Américaine une reconstitution minutieuse des combats, aussi bien aériens (Sur des ciels exclusivement nuageux, afin de voir les avions se détacher nettement) que terrestres, pour lesquels un terrain a été entièrement transformé en gruyère à coups d'explosifs...

 

1917: Jack Powell (Charles "Buddy" Rogers), jeune homme d'origine modeste et amoureux de la belle Sylvia (Jobyna Ralston), s'engage pour aller en europe. Il rêve de voler, et va donc profiter de l'aubaine. Avec lui, il retrouve son rival David Armstrong (Richard Arlen), le fils de la plus riche famille de la ville; les deux deviennent amis, mais David n'ose révéler à Jack que Sylvia l'a choisi lui, et préfère par amitié le laisser à ses illusions. Les deux jeunes hommes deviennent des pilotes, et la guerre se poursuit, mettant un jour en péril leur amitié...

Une intrigue franchement secondaire, mais qui a de l'importance pour la Paramount aussi bien que pour le public, nous permet de suivre les pas de Mary, l'amie d'enfance interprétée par Clara Bow, alors la plus grande star de la firme. Elle fait elle aussi une contribution à l'effort de guerre, en conduisant un camion de médicaments sur les routes de France. Elle croisera Jack, dont elle est amoureuse, lors d'une soirée un peu trop arrosée aux Folies bergères.

Au-delà d'une représentation très réaliste de la guerre, dont même l'excellent The big parade n'avait offert qu'une vision suggérée des conflits, le film est fascinant pour son refus du manichéisme. C'était déja le cas chez Vidor, mais on les voyait finalement très peu;  jamais ici les Allemands ne sont représentés comme autre chose que des combattants; on n'a pas, comme dans The four horsemen of the Apocalypse, ou Hearts of the world, voire dans J'accuse, l'impression que ce sont des brutes sanguinaires et inhumaines. D'ailleurs, les gestes de bravoure alternent en permanence avec des mains tendues, des moments ou des passerelles sont jetées entre les deux camps belligérants, par fair-play ou par simple humanité: un aviateur Allemand lâche un message au-dessus de l'aérodrome allié pour informer de la mort d'un américain, et Wellman montre à la fin du film une croix de fer sur laquelle un jeune soldat Allemand est allongé, mort... Symboliquement, le film est très clair: lorsque Jack, qui croit son ami mort, se venge sur tous les avions allemands qu'il trouve sur sa route, l'ironie veut qu'il abatte aussi son copain qui a réussi à fuir les lignes ennemies en subtilisant un appareil Allemand... ainsi, c'est une fois de plus frère contre frère, humains contre humains. Wellman sépare la croix de fer, symbole du militarisme allemand, et les soldats... Le parcours de Jack, qui est comme tous les ados américains au début du film, se clôt sur l'arrivée d'un homme, accessoirement d'un héros (Il ne rejette pas l'hommage comme le fait John Gilbert à la fin du film de Vidor, mais on sait qu'il en est embarrassé), qui a grandi en 18 mois bien plus qu'il ne l'aurait cru. La famille et la fiancée de David pleurent en silence, mais comme le dit Mme Armstrong à celui qui de fait est le responsable de la mort de son fils, on ne peut pas en vouloir éternellement aux gens... Dans ce film, il n'y a pas de méchant, juste un conflit. Même la conventionnelle rivalité amoureuse entre David et Jack pour le coeur de la belle Sylvia est basée sur une méprise, et la jolie fille riche a pitié de Jack, sans pour autant en rajouter dans la condescendance.

Wellman joue ici sa carrière, et si on peut croire son fils qui affirme qu'avant ce film le metteur en scène n'avait pas produit grand chose d'intéressant, le fait est que ce coup d'éclat va l'imposer. Beaucoup de producteurs malmenés vont s'en plaindre, mais tant pis: on assiste là à l'éclosion d'un immense cinéaste. Déjà, il étonne par sa capacité à composer en toute circonstance, par le talent dont lui et ses monteurs feront preuve devant la cohérence des scènes de bataille, certaines étant filmées aussi bien depuis les avions que depuis le sol, et il sait déjà donner du poids à certaines scènes en les esquivant: la mort de David, par exemple, vue symboliquement via une hélice d'avion qui s'arrête, ou encore la plus fameuse scène du film: celle avec Gary Cooper. Le cadet White, joué par Coop, est juste une silhouette au début du film. Les deux héros arrivent à leur centre d'entrainement, et s'installent dans leur tente qu'ils partagent avec ce grand gaillard; celui-ci s'en va pour voler, et ne reviendra pas. On assiste à l'accident par le biais de la vision des ombres de deux avions, des ambulances qui se précipitent, depuis la tente même. Déjà, Wellman fait preuve de ce culot devant les passages obligés, le résultat étant d'une force émotionnelle brute, qui implique fortement les personnages et le spectateur (Voire les spectateurs seuls, comme dans la fameuse fusillade de The public enemy, vue à travers la seule bande-son.) On peut éventuellement se plaindre de l'ajout d'une partie non-essentielle au film, avec une Clara Bow qui est là pour générer des entrées. Mais les romances un peu puériles entre David, Sylvia, Jack et Mary servent aussi à souligner les différences sociales qu'on croyait inéluctables entre les riches (David, Sylvia) et les Américains plus modestes (Jack, Mary). La guerre, qui fait de Jack et David des égaux, voire des frères, permet aux moins bien lotis de s'en sortir. L'Amérique se sort ainsi de ses conflits de classe. La scène de la visite de Jack aux parents de David nous fait penser que les parents riches du héros morts vivront tout le reste de leur vie sur des souvenirs ressassés... Une page est tournée, nous dit Wellman. Lui, il le savait, qui a fait cette guerre, en est revenu, et a rameuté tous ses copains pour jouer dans le film. Voilà, tout ça, ça fait un film qu'il était temps que la Paramount sorte du formol: il est superbe. Le seul regret que je puisse exprimer devant le Blu-ray sorti en ce début d'année, c'est que personne n'ait essayé de redonner vie à la version "Widescreen", en 65 mm, avec des passages en écran large. Pourtant celle-ci serait préservée. Dommage...

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Published by François Massarelli - dans William Wellman Muet Première guerre mondiale Clara Bow 1927 **