Ce film de 1929 (également connu sous le titre d'Amis de combat) est une fois de plus un film dont l'ensemble du métrage a disparu, à l'exception de courts extraits assemblés dans une continuité qui résume l'intrigue pour le visionnage à la maison. Les copies existantes, tirées d'une source en 9.5 mm, sont dans un très mauvais état, comme du reste les autres films muets d'Ozu!
C'est une comédie, qui doit une fois de plus beaucoup aux grands comédiens, Harold Lloyd en tête, dont un gag célèbre (Basé sur la consommation inopinée de boules de naphtalines, dans Grandma's boy, 1922) est ici détourné. Les héros sont deux amis qui cohabitent et partagent tout, au point de s'associer dans un garage un peu miteux.
Les deux hommes provoquent sans le vouloir un accident, et renversent une jeune femme. celle-ci est sans domicile, ils la recueillent, et organisent une cohabitation...
Le film rejoint pour partie l'argument de Jours de jeunesse, à travers le fait que les deux amis vont devenir rivaux pour l'affection de a jeune femme, en vain: elle va rencontrer un étudiant, un gendre parfait, avec laquelle elle part pour la ville à la fin du film, sous les yeux tristes, mais résignés, de leurs deux amis.
Le titre s'explique par une scène au cours de laquelle les deux complices exorcisent leur rivalité à la lutte, mi-sérieusement, mi-sportivement...
Le film est évidemment, plus encore que J'ai été diplômé, mais..., l'ombre de lui-même. C'est dommage, une fois de plus de devoir conclure qu'il faudra nous en contenter, l'état des collections de cinéma Japonais muet étant ce qu'il est.
Le plus ancien film existant d'Ozu, qui est le seul de 1929 à subsister dans une version intégrale, est une comédie, l'une de ces histoires d'étudiants, qui étaient si populaires à l'époque sur les écrans Nippons que la Schochiku poussait le réalisateur à en tourner plusieurs par an. On peut sans doute se dire que c'est ce qui lui a donné son métier, d'ailleurs.
L'intrigue tourne autour des efforts particulièrement peu glorieux de deux étudiants, des co-locataires, pour séduire une jeune femme. Ils la connaissent tous les deux, mais n'ont pas la moindre idée du fait que chacun d'eux est le rival de l'autre pour les affections de Chieko (Junko Matsui). Ils sont par ailleurs tous les deux bien différents: Watanabe (Ichiro Yuki), un fainéant aux allures supérieures, menteur, farceur et insouciant, a d'ailleurs rencontré la jeune femme par un stratagème un peu limite (Il souhaitait louer sa chambre à une jeune femme, mais choisissait les candidates sur leur mine...). Il est obsédé par le magnifique film Seventh Heaven de Frank Borzage, dont il a des photos et une affiche géante placardés sur tous ses murs, et il en cite d'ailleurs une phrase clé: "I am a very remarkable fellow"... De son côté, Yamamoto (Tatsuo Saito) porte des lunettes, ne sait pas quoi faire de son long corps élancé, et s'il est motivé par les études, et stressé par les examens (contrairement à son copain!), il ne se met pas en posture de les réussir, à cause de son obsession pour Chieko. Quand ils ont fini leurs examens, les deux compères apprennent que la jeune femme souhaite aller faire du ski: chacun d'entre eux va annoncer à l'autre son désir de sports d'hiver! Ils se rendent donc en montagne, mais ils ne sont définitivement pas doués...
Le slapstick, parfois présent dans le film, n'est pas un domaine dans lequel Ozu est à l'aise. C'est essentiellement Yamamoto qui en fait les frais. Il serait difficile, surtout quand on connait l'obsession d'Ozu pour l'acteur, de ne pas penser à Harold Lloyd, mais je rejoins Briony Dixon quand elle dit que les tentatives d'installer une comédie de l'embarras à la Hal Roach (Par exemple un moment durant lequel Yamamoto se retrouve sans le savoir avec de la peinture fraîche sur la paume) sont particulièrement ratées. Les aventures des deux jeunes hommes dans la neige sont plus réussis, de même que l'atmosphère estudiantine dans les dortoirs de la station...
Mais ce qui marche mieux, c'est bien sûr la comédie de caractères, la façon dont les deux amis, soit se serrent les coudes, soit (lorsqu'il est enfin établi qu'ils ont compris la situation) se font une concurrence plus sévère. Le plus touchant reste bien sûr Yamamoto, mais les deux sont mis à égalité par leur échec académique, à la fin du film, et surtout par le fait qu'aucun d'entre eux ne gagnera les faveurs de Chieko. Ce qui est notable, par contre, c'est que cette fois, Ozu se garde de glisser vers le pathos. Le ton reste léger jusqu'au bout.
C'est un film long, plus de 100 minutes, et ça amène un certain nombre de redites. La première partie en particulier, celle qui situe les personnages, n'est pas des plus réussies. Finalement, les enjeux et les difficultés causés par le séjour au ski, restent la meilleure source d'aventures pour les deux compères. Et c'est là qu'Ozu tentera d'ailleurs quelques expériences, notamment sur le point de vie, en adoptant celui de Yamamoto à ses pires moments: quand il tombe, par exemple, la scène est vue par un plan chaotique pris par une caméra qui est agitée dans tous les sens. Un plan de Chieko est vu à travers la buée de ses lunettes, et si le gag le plus récurrent du film nous montre Yamamoto qui enfourche ses skis, et... tombe en arrière, un plan nous en montre le contrechamp, avec un horizon qui se retrouve tout à coup vertical...
Bref, un film... de jeunesse, justement. Ozu raffinera vite, très vite même, son style, das d'autres comédies, mais aussi d'autres genres.
Des premiers films d'Ozu, il ne reste pas grand chose. Les copies existantes de ce titre, par exemple, dérivent toutes d'une version courte destinée au visionnage à la maison. On y a le gros de l'intrigue, ramassé sur.... onze minutes! Inévitablement, la continuité, mais aussi le développement des personnages, s'en ressentent. mais encore un fois, j'insiste bien: c'est le seul moyen de voir ces films aujourd'hui, et à moins qu'une copie plus complète fasse surface, ce qui serait étonnant, on n'aura pas mieux...
Nomoto (Minoru Takada), qui vient de réussir ses examens brillamment, se présente à un entretien pour un travail. Mais on ne lui propose qu'un poste qu'il estime indigne de lui, ce qui provoque une réaction de rejet de sa part: il décide d'abandonner l'idée de travailler. Aussi, quand sa mère (Utako Suzuki) et sa fiancée (Kinuyo Tanaka) viennent s'installer chez lui afin d'accompagner son départ dans la vie, il est obligé de mentir, de plus en plus, et d'occuper ses journées pour prétendre se rendre au travail...
C'est une comédie, oui, mais jusqu'à un certain point: tous les films d'Ozu, y compris les plus légers parmi lesquels ses premières comédies muettes, contiennent si ce n'est un ingrédient tragique, au moins un certain degré de pathos, et celui-ci n'y échappe pas: quand sa mère, qui n'a vu que du feu dans le quotidien de son fils, retourne chez elle, Nomoto annonce la situation à sa fiancée. celle-ci "trouve un travail", dont Nomoto ne tarde pas à réaliser que l'emploi en question est de tenir un bar dans le centre ville, ce qui l'amènera à reconsidérer son coup de tête. Ainsi le film devait-il, dans sa continuité perdue, se noircir dans sa progression...
Dans les fragments, souvent disjoints, qui nous restent, on retrouve ce style si fréquent dans les films muets d'Ozu, d'une mise en valeur du quotidien, pour des personnages qui sont coincés entre deux cultures: un environnement Japonais, mais un désir d'Amérique, présent comme toujours à travers des détails de comportement et surtout de décoration: ici, une affiche du film Speedy, de Harold Lloyd (réalisé par Ted Wilde), placardée au mur chez Nomoto, nous rappelle la dette profonde du metteur en scène pour les films Américains qu'il aimait tant. On devine d'ailleurs, à travers le comportement de Nomoto dans le film, ce mélange de fierté, de modernité et de désinvolture, que l'influence de ce film particulier de Lloyd ne s'arrêtait pas à la présence de l'affiche. C'est une hypothèse: pour des raisons que j'évoquai plus haut, je ne peux évidemment pas l'étayer plus...
Un dernier point, ceci est l'un des plus anciens films existants de l'actrice Kinuyo Tanaka. Epouse du scénariste du film (Hiroshi Shimizu, un spécialiste du mélodrame qui était supposé tourner le film avant qu'il ne soit finalement confié à Ozu), elle aura une longue et glorieuse carrière, non seulement d'actrice, mais aussi de réalisatrice.
The last performance, le film qui a suivi le célèbre Lonesome dans la carrière de Fejos, est une oeuvre bien différente de ce dernier. Si les premières scènes montrent les mêmes tentations de donner à voir un kaléidocope d'images pour présenter le monde dans lequel les acteurs vont évoluer, la mise en scène en est ensuite plus traditionnelle. Mais si Fejos a toujours admis avoir accepté la commande de l'Universal afin de travailler avec Conrad veidt, l'univers de l'acteur l'a singulièrement inspiré...
Pour son dernier film muet Américain, Veidt ("Erik le Grand", surnom auto-proclamé) est un illusionniste-hypnotiseur, vedette d'un show européen dont a célébrité dépasse les frontières. Il est fou amoureux de Julie, son assistante (Mary Philbin, la partenaire de Veidt dans le magnifiqueThe man who laughsde Paul Leni, en 1928), et n'a jamais vraiment envisagé que celle-ci puisse ne pas l'aimer. Le trio se complète d'un assistant, Buffo (Leslie Fenton), au comportement distant et vaguement cynique. Un jour, Erik surprend chez lui un cambrioleur qu'il décide d'engager plutôt que de le dénoncer à la police: Mark Royce (Fred Mckaye) va tomber amoureux de Julie, et le drame de la jalousie sera inévitable...
Le film est un show entièrement dédié à Veidt, qui trône au milieu d'un monde dont il est persuadé d'être le monarque absolu, objets, foule et aussi êtres, à commencer par Julie qu'il emprisonne symboliquement en l'inondant de messages d'amour et de portraits de lui. Dans sa loge, le magicien a des masques de lui-même, et tout est tout en lui revient à sa propre certitude de sa supériorité... Mais si le film devient un drame de la jalousie lorsque Erik est amené par Buffo à voir Mark et Julie enlacés, et à enfin comprendre qu'il n'a aucune chance de pouvoir vivre heureux avec la jeune femme, c'est autant de la jalousie du héros que de celle de Buffo dont il est question. Devant un patron aussi énorme, aussi imposant (Voir l'ombre gigantesque qu'il projette sur les amants lorsqu'il les surprend) Buffo est lui aussi un amoureux rejeté, qui ne va chercher de secours que dans le dépit, et qui va provoquer sa propre perte en trahissant le secret de Julie et de Mark. La légende de l'acteur Veidt avait déjà, d'une façon scandaleuse, été associée à l'homosexualité dans le film militantAnders als die Anderende Richard Oswald en 1919, mais ici, c'est en contrebande que Fejos introduit le sujet, permettant d'enrichir considérablement le portrait baroque d'un narcissique, sans pour autant faire de Buffo un monstre, comme on le fera dans le portrait des homosexuels jusqu'aux années 70.
Ces deux derniers films muets d'un auteur fascinant et trop rare sont une redécouverte essentielle, même si on admettra aisément la supériorité évidente deLonesomesur le suivant, réalisé à une époque ou le touche-à-tout Fejos (Etudiant en médecine, metteur en scène, anthropologue et ethnologue!!) commençait déja sérieusement à s'ennuyer à Hollywood...
High treason est un film parlant, mais la version la plus communément montrée est la version muette. Mais paradoxalement, pour un film vu dans une version muette ça se voit qu'il est parlant et sonore! L'importance de la parole et du son, dans cette parabole futuriste et pacifiste, st telle que Maurice Elvey a trouvé un certain nombre de moyens de les transmettre malgré tout, à commencer par une exigence d'énonciation aussi claire et lisible que possible, de la part des acteurs du drame.
L'histoire est inspirée d'une pièce de théâtre de Noel Pemberton Billing, et nous montre, en plein coeur de l'entre-deux-guerres, la préoccupation forte des nations, à savoir la peur que ça ne recommence comme en 1914. Le film est situé en 1950, dans un monde essentiellement divisé entre continents, et les deux plus importants "groupes" sont les Etats-Unis d'Europe, d'un côté, et l'empire des Etats Atlantiques, de l'autre. Ne cherchez pas, le premier groupe est représenté par Londres, le deuxième par New York... Un accident a lieu sur une frontière (ce qui serait donc situé sur la frontière Américano-Canadienne), et le ton monte entre les deux pays. A Londres, l'inquiétude semble n'avoir aucune prise sur Michael Deane et Evelyn Seymour, qui roucoulent encore et toujours, mais... Il est major dans l'armée, et elle est la fille très engagée du président d'une association pacifiste internationale. Il va y avoir du grabuge, et pas seulement entre les nations...
Maurice Elvey a-t-il vu Metropolis? C'est une évidence, mais j'irai plus loin: d'une part, le film prend sa source (visuelle, je ne parle pas ici de sa source dramaturgique) dans le même constat, au vu des grandes métropoles Américaines dont le cinéma relayait l'image chaque jour, que le futur ne pouvait aller que dans le même sens que les cités modernes: toujours plus haut, toujours plus grand! C'est cette réflexion de Lang qui est à la base de Metropolis et Elevey ne va pas dans une autre direction... Sauf que, contrairement à lang qui a situé son film de science-fiction dans une cité et une cité seulement, Elvey internationalise son intrigue situé entre ville et campagne (La frontière au début du film) , d'un continent à l'autre. Il nous montre parlements et sièges de gouvernements, sièges industriels également, et étend encore plus le champ d'action en montrant un élément crucial, utilisé par Lang, mais uniquement pour la communication "verticale" entre Joh Fredersen et ses subalternes: la télévision, ici, est partout, démocratique, quotidienne. Et elle joue un rôle dramatique. Elle est complétée par le visiophone... Notons que la version muette nous donne bien à voir les émissions de télévision, mais elles sont complétées par des intertitres, directement sur l'écran. L'écran du poste de télévision, bien sûr...
Mais si Elvey a vu Metropolis, et qu'il a cherché à étendre son champ d'action afin de ne pas, justement, copier le grand film de Lang, il est prisonnier d'une pièce de théâtre qui est quand même bien mince, et disons-le, d'une naïveté allègre. Mais je pense que c'est inévitable, n'oublions pas que la science-fiction cinématographique n'a rien d'un genre établi, et qu'on n'en utilisait le biais que pour des messages généralement grandiloquents, supposés avertir les générations futures. Il suffit de constater la morale simplissime de Metropolis, ou la tentative gentiment idiote d'exporter la révolution sur Mars dans Aelita, pour s'en convaincre. Donc dans High treason, le conflit militaire qui guette est bien vite remplacé à l'écran par un conflit entre militarisme (Représenté par Jameson Thomas qui interprète le Major Deane) et pacifisme (Incarné avec une certaine fougue par Benita Hume, dans le rôle d'Evelyn Seymour). Le titre est dû à un événement crucial qui est situé vers la fin: la seule solution pour les pacifistes (dont le film adopte le point de vue) est d'effectuer un acte de haute trahison...
Le conflit nous est montré en réalité comme une spéculation de la part de gros groupes militaro-industriels, et bien sûr, ils sont situés à New York! De son côté, le point de vue sur la justice prend acte d'une vision supérieure, au-dessus des groupes constitués et de la justice des hommes. C'est pratique, et ça permet de rendre le message "actuel" en 1929. Mais ce qui est "actuel" aussi, c'est la vision d'un futur, d'abord divisé entre des conglomérats immenses, dont on n'imagine pas un seul instant qu'ils ne sont pas des empires centralisés. D'autre part, les gens, dans le futur envisagé ici, portent bien facilement l'uniforme. Une façon de nous rappeler cruellement que le fascisme, en 1929, apparaissait encore comme une forme de modernité, et on en retrouve des relents visuels dans de nombreux aspects du film...
Mais on y trouve aussi des trouvailles rigolotes, comme cet homme orchestre à la tête d'un synthétiseur géant, durant une scène de danse (Les instruments qu'il reproduit sont insérés en surimpression, dans la version muette); dans cette même scène, la danse est rendue visuellement différente, par un mouvement arrêté toutes les trois ou quatre secondes, tous les danseurs restant immobiles un instant. A la fin de la danse, deux escrimeuses en maillot viennent remplacer les danseuses sur la piste... L'ombre de Metropolis plane aussi sur les images de l'industrie, avec ses hordes d'ouvrières venues enfiler un uniforme blanc pour travailler à l'effort de guerre. Enfin, le metteur en scène soigne sa réalisation, avec utilisation de maquettes, et des séquences de destruction assez enlevées...
Donc oui, c'est une curiosité, dont la réception en 1929 a été sans doute assez froide. Il y avait tant de films insipides, parlants et chantants, à voir... Mais c'est aussi une preuve qu'à sa façon, le cinéma Britannique était quand même une force vivace, curieuse de tout, et qu'il y avait en Grande-Bretagne des metteurs en scène prêts à relever certains défis. Et tous, décidément, ne s'appelaient pas Alfred.
Ce film qui date de la dernière année du muet n'est peut-être pas le joyau de la couronne des années 20, mais il est quand même valable à plus d'un titre: d'une part, cette petite comédie sans prétention est l'un des deniers films majeurs (entendre par ce mot, produit par un studio important, en l'occurrence la First National, et avec en vedette une star notable) à avoir été retrouvés, sachant que ce genre de découverte sera désormais très rare compte tenu de l'utilisation de pellicule "nitrate".
Ensuite, la Warner, désormais propriétaire du film, a mis des moyens conséquents dans la restauration, ce qui est une excellente nouvelle; enfin, il y a Colleen Moore, dans un rôle qui n'est plus de son âge, mais on s'en fout: elle est une 'flapper' qui tombe amoureuse de son patron, et celui-ci, interprété par Neil Hamilton, la met à l'épreuve car il doute de sa moralité.
Colleen Moore peut ainsi s'en donner à coeur joie et passer d'une émotion à l'autre avec une virtuosité qui laissera pantois, et comme elle est, rappelons-le, une ancienne danseuse, elle joue de son corps avec une aisance peu commune y compris à l'époque du muet. Elle a un rôle qui la rapproche beaucoup de Clara Bow qui avait triomphé dans un personnage assez proche (It, Clarence Badger, 1927), mais on peut aussi penser à la jeunesse dorée incarnée par Joan Crawford dans Our dancing daughters en 1928... Seiter n'est pas Lubitsch, mais il fait bien son boulot, et la splendide copie est une autre bonne nouvelle. Le film est typique de l'approche du cinéma Américain dans ces années du "jazz age": on montre la jeunesse, tout en lui donnant une leçon de savoir-vivre. Notons que le père du héros, sensé incarner la docte sagesse, s'avère finalement un peu plus sensé que son fils... Mais un peu trop pragmatique pourtant! Prenant acte du fait que son fils fricote avec une employée de son magason, il la licencie sur le champ...
"Jazz age": ça mérite peut être un rappel en forme d'explication: en ces années 20, faites de contradictions, d'une part des pères-la-pudeur ont eu la peau de l'alcool et d'autre part la débauche est devenue un sport national. C'était le rôle des stars, Clara Bow, Joan Crawford ou Colleen Moore, d'incarner un juste milieu: des filles qui aiment faire la fête, mais sans pour autant s'abîmer dans la luxure: c'est tout le sujet de ce film, justement...
Un intertitre sans équivoque nous prévient: Jeanne d'Arc, c'est la nation, c'est la naissance de la France... De mon point de vue, forcément, ça ne commence pas bien. Pourtant, sans épiloguer sur le fait qu'il soit important ou non de célébrer l'esprit national (Pour ma part, j'ai tranché depuis longtemps: lr concept de nation ne sert à rien d'autre qu'à rejeter les autres et on en a la preuve tous les jours), le film démontre à sa façon que c'est un peu vrai: il prend Jeanne d'Arc comme une héroïne tangible d'un peuple en train de se fédérer, et le fait en nous contant une histoire dont on connaît les tenants et les aboutissants, la part d'Histoire et la part de légende, la part de faits rigoureux et la part de superstitions. Car Jeanne d'Arc est, bien sûr, indissociable de tous ces éléments. On peut (c'est mon cas) ne pas partager cette fascination de l'extrême-droite pour un personnage dont le parcours est, d'un point de vue laïc, bien trop religieux pour être honnête, et être malgré tout ému par ce destin humain... C'est ce qui fait le prix de ce film qui cherche à fédérer tous et toutes autour de ce petit bout de bonne femme... Interprété par une actrice méconnue de tous ceux qui ne sont pas des habitués du cinéma muet.
Ce film fait partie de tout un pan du cinéma qui n'a pas été couvert, ou presque, par les grands historiens du cinéma Français, les Sadoul, Jeanne ou Ford, qui n'étaient préoccupés que de faire coïncider leur vision du cinéma avec une idéologie, Sadoul en particulier, ou de considérer l'histoire du septième art sous le seul angle de la distribution de hochets et de bons points. On admet un Renoir, on vénère un Gance, un Epstein ou un L'Herbier, on fait entrer un René Clair (d'autant qu'il a pu se transformer en son propre hagiographe, c'est pratique), un Feyder ou un Feuillade par la petite porte, mais les Le Somptier, de Morlhon, Bernard, Perret, Volkoff, Fescourt et autre de Gastyne, porteurs d'une vision d'un art jugée populaire, sont forcément louches... Les années 80, la redécouverte du muet par des gens neufs (Kevin Brownlow, grand admirateur de ce film, en tête), et la mise en route d'un chantier de reconstruction moins arbitraire par les cinémathèques, ou le CNC, ou d'autres, ont changé la donne. C'est à Renée Lichtig et à la Cinémathèque Française qu'on doit la reconstruction de ce beau film méconnu, qui est condamné à rester dans l'ombre du film de Dreyer. Et toutes proportions gardées c'est injuste, bien sûr!
Le cinéma muet n'a pas attendu très longtemps pour s'emparer du personnage et de son histoire: Méliès a sorti un film en 1899, déjà à la recherche de sujets populaires... mais il n'était pas le premier, ce privilège revenant au méconnu Georges Hatot (1898) qui tournait parfois pour les frères Lumière. A cette époque, l'héroïne est encore d'essence surtout populaire, la béatification n'intervenant qu'en 1909, et la canonisation en 1919. En cette période qui faisait suite à la première guerre mondiale, la "sainte" Jeanne d'Arc était forcément du pain bénit (si j'ose dire) pour l'extrême droite nationaliste, et ceux-là étaient influents en cette époque de cocardes: qu'on en juge, on a acquitté la même année le meurtrier de Jaurès. Mais revenons à nos moutons... Jeanne d'Arc a été aussi l'héroïne de films Italiens (en 1908 et 1913) et bien sûr d'un imposant et très intéressant film de 1916, Joan the woman par lequel Cecil B. DeMille prenait le contre-pied des isolationnistes Thomas Ince (Civilisation) et David Wark Griffith (Intolerance), en en faisant dans une scène inattendue la conscience de l'Europe qui appelait à l'union sacrée contre la barbarie Allemande! Comme on le voit, Jeanne d'Arc est décidément indissociable de l'idéologie. Les deux derniers films muets mettant en scène Jeanne d'Arc sont donc La passion de Jeanne d'Arc de Carl Theodor Dreyer (1928, produit par une petite compagnie indépendante, La Société Générale de films), et cette Merveilleuse vie sortie par Natan en 1929, dont le script est de Jean-José Frappa.
Frappa est un journaliste, qui a surtout travaillé dans le cinéma Français dans les années 20. On lui doit en particulier le scénario de deux films de Raymond Bernard, Le miracle des loups en 1924 (Qui comporte de nombreuses similitudes avec cette Merveilleuse vie), et le fantastique Joueur d'échecs de 1926. Marco de Gastyne, pour sa part, est un décorateur (Pour René Le Somptier, entre autres) passé à la réalisation en 1923, et dont cette superproduction imposante de 1928-1929 est sans doute le plus important des films. Et n'oublions pas de parler de Simone Genevois: l'actrice à laquelle on a confié le rôle de Jeanne d'Arc n'est pas une inconnue (Rien que sur ce blog, on peut se référer à deux films majeurs qu'elle a interprétés, La maison du mystère de 1923, réalisé par Alexandre Volkoff, et bien sûr Napoléon d'Abel Gance, qu'on ne présente plus). C'était, au début des années 20, une enfant-star, et sa participation à ce film historique est probablement l'apothéose de sa carrière. Non seulement elle est fantastique dans ce rôle difficile, mais en plus elle a un atout considérable, y compris sur la redoutable Renée Falconetti, qui au moment d'incarner Jeanne en 1927, avait 35 ans: Simone Genevois avait 16 ans au début du tournage de ce film, ce que de Gastyne et elle-même ont rapidement transformé en une garantie impressionnante de naturalisme.
Le film tel qu'il existe (On parle de copies de 16 bobines qui auraient été présentées en 1929, les versions actuellement disponibles tournent autour de 11 ou 12, donc deux heures) présente essentiellement un certain nombre d'épisode de la vie de la jeune femme, de sa "vocation", à sa fin tragique. On commence par faire un état des lieux, vu à une certaine distance des combats de la Guerre de cent ans: le film nous montre la vie à Domrémy, parfois lieu de passage de soldats en partance pour les combats. De Gastyne choisit de privilégier un naturalisme impressionnant sur les lieux, les comportements et le mode de vie des habitants de cette Lorraine du moyen-âge, en tournant dans des lieux aussi proches que possible de ce qu'on savait de l'époque: les scènes d'intérieur, éclairées à la cheminée, ont une vérité impressionnante. Tout comme l'arrivée des soldats, vécue avec curiosité par la population locale qui reste prudemment à distance... Durant tout le prologue, Simone Genevois et le réalisateur maintiennent Jeanne à distance: c'est la partie la plus privée du personnage, ainsi que celle qui requiert le plus de foi de la part du spectateur! Si les copies actuelles maintiennent un premier degré absolu sur les "visions" de Jeanne (Oui, c'est bien Dieu qui lui confie sa mission), le film trahit par son état le fait que certains de ces passages, uniquement disponibles dans des versions en 9.5mm, ont du être coupées à certaine occasions. Et de Gastyne choisit de faire de cette jeune Jeanne un mystère en la donnant à voir de plusieurs points de vue: son père Jacques d'Arc, un compagnon de jeu, mais aussi un soldat de passage à la veillée, sont tous impressionnés par la jeune femme. Nous aussi: le regard de Simone Genevois, son visage, témoignent d'une vie intérieure qui ne sera, dans ces séquences, jamais vraiment révélée. C'est ce qui fait tenir le film debout, y compris pour une personne qui n'a pas forcément envie de croire à tous ces faits religieux. L'important après tout, et on rejoint totalement Dreyer sur ce point, c'est que Jeanne d'Arc y croyait, elle, de façon inconditionnelle. Grâce à Simone Genevois, de Gastyne n'a aucun mal à nous en persuader.
Ensuite, le film se morcelle: des intertitres nous résument l'action en usant de ouï-dires, ou de formules du genre "la rumeur se répandit comme une traînée de poudre". Mais on va à l'essentiel: l'emblématique entrevue de Chinon,entre Jeanne (que la cour s'apprêtait à congédier d'une chiquenaude) et le roi Charles, lorsque celui-ci échange sa place avec Gilles de Rais pour ridiculiser la jeune fille, mais Jeanne n'est pas dupe. Puis elle fait la promesse de libérer la ville d'Orléans, et enfin de faire sacrer le roi à Reims. La bataille d'Orléans est un modèle de grandiose cinématographique, qui tranche par bien des côtés sur le spectaculaire à la sauce Américaine, tout en l'égalant. Sans surprises, c'est une scène qui a du coûter cher, très cher... Je devrais d'ailleurs plutôt dire une série de scènes, parce que ça se passe en trois temps: le départ vers Orléans, avec une foule de plus en plus imposante, de soldats, de pages, de gueux, de moines... C'est là que le récit tranche sur le cinéma Américain: le départ vers Orléans aurait probablement été réglé en un ou deux plans, avec un nombre de figurants conséquents, et un décor fait d'une longue route droite, permettant en un seul plan de visualiser l'armée. Mais l'effet recherché ici est tout différent: le foisonnement, l'indiscipline mais aussi la ferveur de l'armée sont évidentes, et ils ne suivent pas une route en file indienne: on les voit traverser en ordre dispersé, certains à cheval, d'autres à pied, une prairie... Et la séquence dure, mais atteint ses buts. Parmi ces buts, bien sur, tout faire pour faire durer l'attente vers la bataille... On passe ensuite au point de vue des Anglais qui apprennent l'arrivée de l'armée de Jeanne, puis enfin à la bataille elle-même, menée de main de maître par de Gastyne, qui retrouve l'esprit des scènes de violence du Miracle des Loups de Raymond Bernard... ainsi que son décor: la cité de Carcassonne tient en effet le rôle de la ville fortifiée d'Orléans. Cette bataille, qui dure toute une bobine, est une scène impressionnante qui mériterait de rester parmi les grandes scènes classiques du cinéma muet.
Après Orléans et la blessure de Jeanne (Traitée avec un réalisme impressionnant et des gros plans hallucinants du visage de Simone Genevois), une courte scène semble presque bâclée, celle du couronnement de Charles. Pas sûr qu'il était nécessaire d'y passer plus de temps que les deux minutes que dure la séquence, mais elle impressionne au moins par les moyens mis en oeuvre: tournée à Reims même, elle semble avoir nécessité 500 figurants! mais le film s'emballe ensuite, avec une série de scènes durant lesquelles Charles apprend le résumé du reste, plus désastreux, de la carrière militaire de Jeanne d'Arc, sa défaite à Compiègne et son arrestation par les Anglais. Une façon d'expédier le sujet gênant entre tous, le fait que les "amis" de Jeanne d'Arc l'ont sans doute assez peu soutenue, mais aussi une façon de passer à l'autre pan hors du commun de l'histoire de la jeune femme, la partie la mieux connue de sa vie puisque tout a (sans doute, il convient d'être prudent lorsque politique et religion se mêlent aussi étroitement) été consigné.
Nous savons que Dreyer a consacré tout son film de 1928 au procès de Jeanne d'Arc, qu'il a traité à la fois comme la réalité et la fiction (en en triturant la chronologie de manière à tout faire tenir dans une journée de tension). Mais de Gastyne souhaite faire de son procès l'aboutissement d'un parcours spirituel et humain, la fin aussi d'une histoire, d'où un traitement différent. D'une part, le tempo du film se ralentit considérablement. Ensuite, cette fois plus que jamais le point de vue de l'essentiel de ces scènes sera celui de la jeune femme, qui se comporte face à ses juges de multiples façons, toutes logiques: arrogante quand on questionne sa foi, habitée par la même conviction depuis le début, elle peut aussi être souriante, douce, gentille même avec ses juges. Tout un éventail de comportements et d'émotions que le personnage nous a déjà donnés à voir au travers des 90 minutes qui précèdent: la détermination de Jeanne face à son père réticent à la voir prendre les armes, sa façon de s'imposer à des soudards, y compris des gros lourdingues comme La Hire (Fernand Mailly), ou le trouble Gilles de Rais (Philippe Hériat n'a pas besoin d'être très démonstratif, jouant essentiellement de ses yeux qui en disent long, pour une caractérisation qui restera dans les annales au moins pour son économie!), sa force de caractère... Dans ces scènes, suite logique de tout ce qui précède, c'est sans jamais se mentir ni se renier qu'elle affronte son procès, mais le spectateur en sait toujours un peu plus: le jeu est, bien sur, pipé. Dreyer gardait le silence sur la manipulation à laquelle se livraient les Anglais et les juges acquis à leur cause. De Gastyne y sacrifie et nous montre la traîtrise des geôliers qui manoeuvrent pour que Jeanne, se parjurant, finisse quand même au bûcher... On ne lui en voudra pas, ce type d'intrigue facile atteint son but et reste complètement dans le cadre acceptable et dramatique du film.
Reste que, comme Falconetti, Simone Genevois doit affronter la venue inéluctable d'une mort horrible, dont le signe avant-coureur est la perte de ses cheveux, une scène impossible à jouer sans la vivre... Falconetti y est bouleversante, Genevois aussi. Là où Dreyer choisit de se concentrer sur le drame intérieur de Jeanne, et filme les visage du début à la fin de son film, de Gastyne choisit de reprendre de la distance pour son final, tourné sur une place de village (Cette scène n'a pas été tournée à Rouen, bien sûr) où se pressent des badauds. Is prennent de l'importance au fur et à mesure de la scène, qui est splendide. La mise à mort de Jeanne est comme de bien entendu, odieuse, terrifiante, et semble ressentie par une Simone Genevois réticente, dont les pieds nus semblent ne plus pouvoir la porter... Le film se termine sur le même constat que La passion, avec le chaos, un fait qui n'a rien d'historique nous dit-on... Les Anglais, les ecclésiastiques sont pris de panique, et avec eux le public de l'exécution. Tout le monde déserte la place, où le bûcher se tient. Le dernier plan nous montre, à bonne distance, le feu en train de s'éteindre, il n'y a plus une trace de la jeune femme.
On reste pantois devant la maîtrise de la plupart des scènes dont j'ai parlées plus haut. Je reste un peu plus réservé quant au film en tant qu'ensemble, dont j'ai le sentiment de n'avoir quand même vu qu'un condensé, aussi habile soit-il... Mais Marco de Gastyne, et cette oeuvre résultant de 18 mois de tournage, de la patiente construction et reconstruction d'un univers moyen-âgeux dont il souhaitait donner pus de vie à voir que ce que les images d'Epinal nous montraient à l'époque, mériteraient aujourd'hui un peu plus de considération. Et s'il n'avait fait que ce film, le metteur en scène mériterait quand même d'être rappelé au bon souvenir des historiens... et du public. Ce film est parfois présenté, souvent mentionné, mais peu vu; une cassette vidéo est parue chez René Chateau en 1996, et depuis... plus rien.
C'est d'autant plus dommage que le film présente en plus une prestation exceptionnelle d'une actrice de 16-17 ans, qui a tout donné dans ce rôle: Simone Genevois est bouleversante. Quant à caractériser ce qui différencie ce Jeanne d'Arc de l'admirable film concurrent (Au-delà du fait que le film de Dreyer contrairement à celui-ci ne couvre que le procès, et se tient à l'écart de toute interprétation religieuse un tantinet naïve), je pense que c'est par la différence entre l'interprétation de Renée Falconetti et celle de Simone Genevois qu'on aura la clé: Renée Falconetti a interprété une Jeanne privée, apeurée mais habitée, alors que Simone Genevois, qui a l'âge du rôle, nous donne à voir l'image publique, donc historique de Jeanne d'Arc face à ses accusateurs.
Six ans avant Ford et son célèbre film à l'atmosphère noire tourné pour la RKO, le cinéaste Allemand tournait une première version du roman de Liam O'Flaherty à Londres, pour le compte de British International Pictures. A la vue de ce dernier, on est totalement surpris de la façon dont l'histoire a choisi l'un (Le film de Ford) au détriment de l'autre (Celui de Robison), tant l'avantage de ce film, qui porte la marque de cette période durant laquelle le cinéma hésitait entre muet parlant, est flagrant. Peut-être, que l'importance du metteur en scène a été la seule raison. Peut-être parce que le film Anglais est surtout connu pour sa version partiellement parlante, aussi: dans un film Anglais, sensé se situer à Dublin, quand tous les personnages ou presque parlent avec un accent Oxfordien, la vraisemblance a du plomb dans l'aile! Mais le fait qu'il ait fallu doubler Lars Hanson (Gypo Nolan) et Lya de Putti (Katie Fox) a probablement joué un rôle... Mais quand on voit la version muette, largement supérieure, il n'y a plus de doute possible.
A Dublin, en 1922, les révolutionnaires (Opposés donc à l'établissement d'un gouvernement qui serait indépendant mais toujours affilié à l'empire Britannique) envisagent de mettre un terme à la lutte armée, pour entrer plus sereinement en politique... Mais ils ne sont pas aidés: durant leur réunion, les forces soutenant le gouvernement les attaquent. Durant la confusion qui s'ensuit, le chef de la police locale est tué par le révolutionnaire Francis McPhilipp. Il doit se cacher... Gypo Nolan, son meilleur ami, est amoureux depuis toujours de Katie, la petite amie de McPhilipp, et il va profiter de son absence pour la conquérir. Quand l'homme recherché revient en ville une dernière fois pour voir sa mère, il passe chez Katie, et Gypo les voit s'embrasser. Ce qui est à l'origine un geste d'adieu est mal pris par Nolan, qui prend une décision impulsive: il va donner son copain au poste de police...
Tout le reste découlera de ce geste fou: Gypo n'a pas d'autre motivation que la vengeance, et d'ailleurs il est très étonné quand on lui tend de l'argent, qu'il tente de refuser. Cette somme dérisoire devient d'ailleurs un symbole: celui de sa trahison autant que de sa confusion...Lars Hanson est formidable en homme impulsif, blessé par des gestes qu'il n'a pas compris, lui qui dès le début est dans l'ombre de McPhilipp à tenter d'attirer l'attention de Katie par tous les moyens. Mais une fois devenu l'amant de Katie, le comportement de celle-ci est très clair: elle l'aime vraiment, le lien entre eux n'st pas fait que de pitié. Et Gypo s'ouvre à la femme qu'il aime en lui disant directement qu'il a dénoncé son copain, et il n'y aura pas le moindre doute dans l'esprit de la jeune femme: il faut l'aider!
A cette vision d'un amour total, mais compliqué, le film ajoute une grande part de poésie urbaine qui bénéficie d'une superbe direction des foules et des figurants; la scène de la décision de Gypo, qui le voit fendre la foule en pleine rue pour se rendre au poste de police, est à cet égard splendide... Et Robison, qui comme de juste a tourné tout le film dans l'illusion d'une atmosphère nocturne, se délecte d'un jeu d'atmosphères, d'ombres de fumées et de lumières, qui restent fascinantes... Bien plus que son exercice de style expressionniste, le fortement médiocre Schatten de 1923.
La version parlante du film ne l'est que partiellement, et suivant la mode de l'époque, on n'y parle que dans le dernier tiers. L'examen des deux versions est sans appel... La comparaison avec le Ford aussi: Celui qui prétendait parfois s'appeler Sean Aloysius O'Fearna (Mais s'appelait en réalité Sen Feeney, ce qui aurait été bien suffisant...) était surtout motivé par l'ambiance et l'enfilade de clichés: catholicisme, parcours christique, absorption massive de Guiness, etc. On a souvent l'impression que le Gypo de Ford vend son copain parce qu'il n'a plus de quoi se payer à boire. Grandeur et décadence...
C'est paradoxal: après l'avoir vu hier, je n'ai finalement pas la moindre idée de ce qui est contenu dans le script de ce film... Il semble qu'il y soit question, dans une histoire qui est finalement assez proche du type de mélodrames de luxe qui ont rendu Erich Von Stroheim à la fois célèbre et maudit, d'une histoire d'amour entre une femme du peuple et un soldat issu de l'aristocratie, dans le Vienne du tournant du XXe siècle. Mais là où Stroheim aurait probablement voulu (Ou prétendu, il y a une nuance) recréer l'Autriche dans ses moindres détails, Sternberg utilise lui des moyens de tricherie plus élaborés, et le film était certainement un jalon important dans la carrière du metteur en scène de Dishonored, Shangai Express ou The Scarlet Empress.
Etait, parce qu'il est perdu.
Sauf pour quatre minutes superbes, qui sont d'autant plus frustrantes qu'elles sont conservées dans des conditions extrêmement rares: il suffit au hasard de comparer ces images superbes avec les passages de Metropolis retrouvés en 2008 dans une abominable copie contre-typée en 16mm, ou encore les fragments restants (Et nettement plus substantiels, car ils totalisent, eux, près d'une heure) de The river de Frank Borzage... L'épisode contenu dans ces quatre minutes voit la jeune Lena (Esther Ralston) à une fête foraine, et assister à divers numéros enchaînés dans un tourbillon d'images. Puis elle est repérée par un jeune officier, puis...
L'année 1929, il valait mieux parler, sinon le succès ne pouvait pas être au rendez-vous. Combien de films Américains ont-ils sacrifiés sur l'autel absurde du micro, cette croyance dans le fait que le muet était définitivement révolu? Du reste, peu de films muets d'envergure ont été tournés cette année-là. Dans cette situation d'expédition des derniers films muets, sacrifiés au tout-bavard, Eternal love ne fait pas exception: généralement considéré comme étant sans le moindre intérêt, et par ailleurs il est vrai qu'il se rattache justement essentiellement au style muet de Lubitsch, plongé dans la routine flamboyante et un peu vide des productions de John Barrymore, des films à l'ancienne, entièrement à la gloire de l'acteur, et tournés selon ses termes.
Et pourtant...
Début du XIXe siècle: dans les Alpes Suisses, une petite communauté montagnarde subit de plein fouet l'occupation Française. A la fin des conflits, la libération est le prétexte d'une célébration durant laquelle tout le village se retrouve à danser et boire. Et Marcus (John Barrymore) en profite pour une fois de plus dire son amour à la belle Ciglia (Camilla Horn), la nièce du prêtre de la paroisse. Il n'est as le seul sur les rangs: Lorenz (Victor Varconi), un utre villageois un peu moins impétueux que lui, est amoureux de la belle. Mais s'il est clair que Ciglia aime Marcus, ce n'est pas au point de céder à ses avances alors qu'il a clairement trop bu. Il rentre donc chez lui, saoul, et ne s'attendait pas à trouver dans sa chambre Pia (Mona Rico), une jeune femme qui le suit partout et qui elle est prête à tout... Y compris, le lendemain, à faire un scandale retentissant: Marcus épouse donc Pia, et Ciglia est promise à Lorenz; le drame couve...
On retrouve ici deux univers: celui de Barrymore y est présent, son impétuosité, le romantisme exacerbé, la flamboyance des sentiments, des actions, du sacrifice et aussi, parfois, l'excès dans le péché! Les clichés qui ont la peau dure, aussi... De son côté, Lubitsch apporte sa science de la mise en scène des liens invisibles entre les êtres, son savoir-faire pour représenter la foule et son idéologie, et bien sur un ton décalé, qui passe par une observation pointilleuse et un sens du détail consommé. Et cerise sur le gâteau, Lubistch a réalisé en 1920, dans les montagnes enneigées du Tyrol, Romeo und Julia im Schnee, une autre histoire d'amour, mais qui était elle traitée beaucoup plus sur le ton de la comédie. C'est d'ailleurs l'une des clés de l'oubli flagrant dans lequel ce film tardif est tombé: ce n'est pas une comédie, mais bien un film ouvertement sentimental, dont la noirceur rejoint l'âpreté souvent associée au lointain souvenir du film perdu The patriot, réalisé l'année précédente par Lubitsch. et juste avant, le metteur en scène avait tourné pour la MGM The student prince, qui faisait évoluer la comédie sentimentale vers le drame... Or ce n'est pas l'image de lubitsch aux Etats-unis; peut-être le metteur en scène a =-t-il aussi peu gouté cet exercice de style?
...En ce cas ça ne se voit pas beaucoup, car s'il a bien fait le travail qui lui était demandé et utilisé son savoir-faire pour tourner des séquences lyriques de LA star Barrymore en montagnard fier, dans les décors absolument magnifiques de l'Alberta, des scènes d'avalanche et des scènes de foule impeccables, ce qui a le plus motivé Lubitsch dans ce film, c'est bien sur l'intime, le fonctionnement visuel d'une communauté en proie à la suspicion et au ragot; il lui fat peu d'images pour installer dès le début du film cette impression de rejet basé sur la jalousie et la bêtise, de Marcus par la population des braves gens qui jamais ne se mêleront d'autre chose que de ce qui ne les regarde pas!
Et la façon dont Lubitsch utilise la caméra et le montage, les détails et parfois leur absence, pour amener une idée à bon port, est ici au sommet de son art: plusieurs scènes pour se faire plaisir, en fait: dans l'une, on voit le prêtre chez lui, servi par sa bonne qui est triste de le voir soucieux. On la suit jusqu'à la pièce ou est Ciglia, et la bonne est triste de la voir soucieuse également. Une cloche: on a sonné: la bonne va voir, revient et apparaît radieuse à la porte: Ciglia pleine d'espoir attend: mais c'est Lorenz. Quelques instants après sa visite, la cloche de nouveau: la bonne va ouvrir, et Ciglia attend: cette fois, quand la porte de la pièce s'ouvre, on aperçoit juste la main de la bonne qui dépose dans la pièce un fusil. Nous savons à qui appartient ce fusil, et Ciglia aussi. Son visage s'éclaire... pas d'intertitre, même pas une image de Marcus, mais le message est passé. Dans l'autre scène qui me vient à l'esprit, Marcus est rentré chez lui après sa tentative maladroite de séduire Ciglia lors d'un bal costumé, et il est flanqué de Pia. Il se débarrasse d'elle sans le moindre ménagement, avant de rentrer dans sa maison. Quelques instants plus tard, il ressort, inquiet: et si la jeune femme était restée pour tenter d'entrer? Il ne la voit pas, rentre de nouveau dans sa maison. Le dernier plan nous le montre entrant dans sa chambre et déposant ses affaires puis regardant droit devant lui, une expression de surprise au visage; nous ne verrons pas ce qu'il a vu, mais la caméra fait un léger détour sur la droite, et au mur, nous apercevons, accroché à une patère, le masque que portait Pia...
Certes, ces jolies efforts de mise en scène sont au service d'un mélodrame des plus embarrassants, et ces belles images ne sont guère plus que le dernier souffle d'un cinéma muet en pleine agonie. Mais dans un film qui tente, à sa façon, de donner la version de Lubitsch de la mise en scène à la Murnau (C'est flagrant dans la façon de montrer les intérieurs de ces maisons rigoristes de montagnards teigneux), qui une fois posé le style de jeu flamboyant et encombrant de la Star incontestée, permet à des acteurs aussi intéressants que Varconi et Horn (Très probablement dirigés en Allemand, ils sont d'une grande justesse) de briller dans des rôles qui échappent eux aux clichés qui auraient pu les handicaper, il y a beaucoup plus que ces conventions. Que ce ne soit pas le meilleur film de Lubitch, c'est entendu, mais c'est un excellent film de John Barrymore.
Pour finir, une petite pointe d'ironie positive: Mary Pickford, qui avait fait venir Lubitsch aux Etats-Unis en 1923, lui gardait rancune de leur mésentente sur le tournage de Rosita. Elle prétendait des années plus tard que c'était un incapable, qu'il n'était motivé que par la représentation des portes... C'est amusant de constater qu'ici, on a en effet une "mise en scène des portes", dans ces scènes qui savent utiliser les rapports entre les gens et le fonctionnement ancillaire des maisons, pour montrer la vie. Mais c'est sans doute aussi très paradoxal, que ce film muet tardif et si mal vu ait survécu justement grâce à l'appui, du vivant de la star; de... la Fondation Mary Pickford, entièrement dédiée à la préservation et au sauvetage des films muets.