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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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26 novembre 2014 3 26 /11 /novembre /2014 17:18

Tourner le Journal d'une fille perdue, le dernier film muet de Pabst, ne serait sans doute pas possible aujourd'hui... Ce n'était du reste pas facile en 1929! Le film a subi les foudres diverses et variées de la censure un peu partout où il a été montré, et le fait d'être muet, en cette fin de règne du cinéma silencieux, ne l'a pas aidé.

Rappelons les faits: ce Journal commence le jour de l'anniversaire de Thymian Henning, la fille du pharmacien. Ce même jour, la jeune femme innocente et naïve a bien vu qu'il se tramait quelque chose dans l'arrière-boutique: la gouvernante de son père, interprétée par Sibylle Schmitz pour un rôle court mais notable, s'apprête en effet à partir: elle est enceinte, et le pharmacien doit donc se débarrasser d'elle... Bien qu'il soit de notoriété publique qu'il est le père! L'associé du père, présenté comme un obsédé sexuel, se porte volontaire pour expliquer à Thymian se qui vient de se passer... Et la virginité de la jeune femme n'en a pas pour longtemps! Neuf mois plus tard, le père et la nouvelle gouvernante, mariés, accompagnent la jeune femme pour placer l'enfant, puis mènent la jeune femme en maison de redressement. En fait de redressement, la jeune femme va surtout apprendre à se débrouiller par elle-même, d'évasion en prostitution...

Aucune visée de dénonciation de l'esclavage sexuel, présenté ici comme une échappatoire si on n'y prend pas garde. Bien sûr, ce n'est absolument pas le propos du film, mais il serait bien facile de s'y tromper: tout au plus, Pabst nous dépeint une société patriarcale hypocrite et vicieuse, qui cache les victimes de ses turpitudes dans des maisons spécialisées ou ou on les maltraite (Valeska Gert est extraordinaire en dirigeante tordue de la maison de redressement) mais cette même société s'offusque de voir les prostituées s'allier, et faire preuve d'une véritable solidarité. Le bordel, par défaut, devient un refuge, tout autant que le reflet distordu d'une morale bourgeoise en bout de course. Et Louise Brooks, à son corps défendant (Elle a toujours déclaré qu'elle n'avait rien compris à ce qui se tramait autour d'elle, dans une langue qui lui restait étrangère même après un an en Allemagne), incarne à merveille cet esprit de révolte légitime de la femme contre l'homme.

Mais qu'on ne s'y trompe pas: quoiqu'un brin sadique avec son héroïne naïve ballottée de bras en bras et qui se réveille après une nuit d'amour, au son d'une confortable liasse de billets de banque, le film est bien à sa façon un conte. Et Pabst, qui avait visé large après ses succès passés, n'a pas totalement pu faire son film à sa convenance, empêché de tourner une fin bien dans la ligne du film, il a du se résoudre à tourner une "happy-ending", relative toutefois. Mais même affublé de cet adoucissement final, le film a gardé son côté abrasif, sa méchanceté rigolarde et son humanisme à fleur de peau.

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Published by François Massarelli - dans Muet Georg Wilhelm Pabst 1929 Louise Brooks **
1 janvier 2014 3 01 /01 /janvier /2014 17:31

Alors que le parlant s'installe, Lang et Von Harbou mettent en chantier ce qui sera leur dernier film muet, un film extravagant et inventif, mais qui peine aujourd'hui à passionner au même titre que d'autres oeuvres du tandem... Ceux-ci ont, il faut le dire, mis la barre haute, et tout comme en dépit de ses mérites, le précédent film Spione (Les Espions) ressemblait à une redite (En gros, l'atmosphère de Mabuse, sans Mabuse!), et peut aujourd'hui décevoir le spectateur de Metropolis, Die Nibelungen ou Dr Mabuse der Spieler, la dernière production de Lang pour UFA semble parfois terne malgré ses avancées, sa cohérence et le soin particulier apporté à ses décors. Après tout, si ce n'est pas la première fois qu'un cinéaste envoie ses acteurs sur la lune, c'est toujours l'occasion de mettre les petits plats dans les grands.

 

Comme tout film de science-fiction, La femme dans la lune crée des précédents incontournables tout en se livrant pieds et poings liés au ridicule en cas de progrès scientifique dans le domaine qu'il explore. Donc, depuis la sortie de ce film, on sait qu'il n'y a pas d'atmosphère sur la lune, mais pour le reste, Lang et Harbou se sont entourés de scientifiques qui ont essayé de rendre le film aussi intelligent que possible. Comme on ne se refait pas, le cinéaste a expérimenté en matière de suspense avec un concept qui est aujourd'hui devenu tellement monnaie courante qu'on ne le remarque même plus: le compte à rebours, au moment du décollage de la fusée qui emporte les héros, est une première!

 

Rappelons brièvement l'histoire, qui permet d'assaisonner la science fiction d'un savant dosage d'espionnage à la Lang: L'ambitieux Helius projette, avec l'aide du professeur Manfeldt, un savant rejeté par l'académie pour avoir fait état de sa certitude de la présence d'or sur la lune, de se rendre sur le satellite. Son idée attire les convoitises, en particulier celles d'un groupe international d'affairistes véreux, mené par un Américain qui répond au nom de Turner. Ceux-ci réussissent à faire pression sur Helius pour que Turner participe à l'expédition, qui emmênera sur la lune non seulement Helius, Turner, et le professeur Manfeldt, mais aussi un couple d'amis de Helius, dont la femme qu'il aime, Friede, et un passager clandestin de 10 ans...

 

Le suspense du film est concentré sur deux passages remarquables: le lancement de la fusée, dont Lang délaye le départ avec un saidisme remarquable, et vers la fin du film le moment ou Turner, sur la lune, commence à se retourner contre ses "hôtes" et essaie de faire cavalier seul en repartant sans les autres. Un passage dont Hergé se souviendra quelques années plus tard... L'esthétique de la lune reconstituée dans les plateaux UFA est remarquable, même si elle est totalement fausse par rapport à la vérité scientifique! mais le principal défaut de ce film, dont les premières 75 minutes (Les plus traditionnelles pour Lang, qui se réfugie dans le feuilleton à rebondissements) restent à mon sens les meilleurs moments du film (Avec une interprétation dominée par le grand Fritz Rasp dans le rôle de Turner), qui tombe durant la partie lunaire dans un certain ennui... L'idylle et le triangle amoureux laissent gentiment froid, et un sacrifice final peine hélas à nous remobiliser.

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Published by François Massarelli - dans Fritz Lang Muet Science-fiction 1929 **
14 juillet 2013 7 14 /07 /juillet /2013 09:29

A Lyon, Irène Guarry (Greta Garbo) est mariée à un riche homme d’affaires, Charles (Anders Randolf). Elle ne l’aime pas, et rencontre régulièrement son amant André Dubail (Conrad Nagel). Celui-ci souhaite que la jeune femme quitte son mari, et divorce, ce à quoi elle se refuse : elle sait que son mari n’acceptera jamais le divorce. Ils conviennent de cesser de se voir… De son côté, Irène rencontre parfois un jeune homme, Pierre Lassalle (Lew Ayres), clairement amoureux d’elle. Elle le laisse gentiment flirter, sans savoir que leurs rencontres ont été épiées par un détective payé par Charles. Un soir, Pierre se rend au domicile d’Irène en l’absence de Charles, et devient entreprenant. Charles intervient, et attaque le jeune homme. En continuant à se battre, ils se retrouvent tous trois dans une pièce, à l’abri de notre regard. Charles meurt : qui l’a tué ? Et quelle est l’intention d’Irène vis-à-vis du jeune Pierre ?

Le premier film Américain de Feyder, et son seul muet, tranche non seulement sur les besognes alimentaires qu’il tournera à la MGM, mais aussi sur le tout-venant des films interprétés par Greta Garbo. Bien sur, on reste dans un cadre de drame mondain, situé dans la bourgeoisie Européenne ; mais le style, le ton et le naturalisme inné de Feyder font merveille. Il a en particulier choisi du début à la fin du film des placements de caméra inhabituels, utilise des mouvements d’appareil avec un sens de la mesure qui est tout bonnement miraculeux. Il y a aussi des idées géniales de mise en scène, rares dans les films muets bien conventionnels de la MGM à l’époque, comme un faux témoignage en direct : Garbo est interrogée sur le meurtre de son mari, et sa propre situation au moment du drame, et elle donne une version que nous savons fausse, illustrée par des images, dans lesquelles l’actrice semble hésiter, mécaniquement, se conformant aux hésitations de la narration.

 

Feyder est moins à l’aise avec l’histoire d’amour bien conventionnelle des deux principaux protagonistes, qui vont devoir se rapprocher lorsque Garbo sera accusée du meurtre de Charles, André devenant bien sur son avocat. Le metteur en scène préférait, c’est manifeste, les sentiments qui s’expriment autrement que par des intertitres (Oh, I love you so much, Irène !) ou des dialogues peu convaincants, il l’a suffisamment prouvé dans la plupart de ses films... Par contre, il a reçu comme mission, comme tous les metteurs en scène qui ont eu a croiser la Divine, de mettre en valeur sa beauté: mission accomplie avec brio!

 

Une autre chose qu'il a toujours su faire, c'est peindre même en contrebande un tableau bien noir des passions humaines: à la fin du film, Irène et André sont certes réunis, désormais débarrassés de l’obstacle encombrant du mari dont on a conclu que la mort était un suicide… et désormais complices involontaires d’un mensonge autour des circonstances en effet peu orthodoxe de sa disparition. Pour un metteur en scène qui avait réalisé un Thérèse Raquin paraît-il formidable (Et dont on déplore plus que jamais la disparition), ce n’est pas anodin.

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Published by François Massarelli - dans Muet Jacques Feyder 1929 Greta Garbo *
10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 16:15

Sorti en 1930, ce film a bénéficié d'une bande-son, mais pas de dialogue. ce qui fait que s'il a bien été un échec, ce n'est pas en raison de la déception qu'il cause, mais tout simplement parce qu'il était muet, ce qui n'était pas de très bon augure à cette époque du tout-parlant, tout-chantant... Quittant la société des films historiques, il emportait avec lui son héroïne du Joueur d'échecs, Edith Jehanne, et reprenait avec son nouveau film la formule du film d'aventures baigné d'histoire, en restant dans une intrigue liée à la Russie. Mais le film fait reposer beaucoup de son argument sur une histoire d'amour, qui nécessitait des acteurs à la hauteur...

 

La Grande Catherine est devenue l'impératrice redoutée de toute la Russie, mais une poignée de fidèles de l'ancien régime rêvent de faire revenir à la vie politique la fille de l'impératrice Elizabeth, qui est entrée au couvent. celle-ci refuse, mais le comte Chouvalov va rencontrer son sosie Tarakanova, une jeune tzigane à la naissance mystérieuse, qu'il va aisément convaincre qu'elle est la fille cachée de l'impératrice. Catherine envoie pour enlever la jeune femme, qui lui fait de l'ombre en prétendant au trône, le comte Orloff. celui-ci, justement, a déja croisé la route de la jeune Tzigane, et ne s'en est pas remis.

 

Les interprètes témoignent d'une volonté de Bernard d'ouvrir son cinéma à toute l'Europe: Olaf Fjord est le comte Orloff, et le comte Chouvanov est interprété par le grand Rudolf Klein-Rogge, nettement plus nuancé ici que chez Fritz Lang. Edith Jehanne joue le rôle double de Tarakanova et de la jeune Elizabeth, et on voit aussi Antonin Artaud en jeune gitan épris de l'héroïne. La Grande Catherine, déja présente dans Le Joueur d'échecs sous les traits de Marcelle Dullin, est ici interprétée par Paule Andrale.

Après l'intrigue musclée et fougueuse de son film précédent, Bernard fait ici respirer le spectateur en concentrant son film sur les personnages d'Orloff et Tarakanova, une fois de plus des amoureux de deux groupes ennemis, comme dans Le Miracle des Loups. Il soigne sa mise en scène, en particulier ses mouvements d'appareils, et sait décidément s'entourer: Jean Perrier aux décors, et Boris Bilinsky, artiste protéïforme, à la création des costumes, font un très beau travail... Mais on peine à s'intéresser autant à cette histoire, romancée mais à la base authentique, qu'au joueur d'échecs... Si la lente agonie de Tarakanova réfugiée au couvent de son "double" est l'occasion pour Raymond Bernard de nous montrer la délicatesse dont il savait faire preuve, on n'est pas aussi enthousiaste devant cette histoire d'amour, dont les personnages n'arrivent pas à nous entrainer derrière eux. C'est dommage, tant on apprécie les efforts de ce metteur en scène pour faire un cinéma différent (A l'instar d'un Gance ou des films Albatros), ce qu'il parvient ici à accomplir par moments.

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Published by François Massarelli - dans Muet Raymond Bernard 1929 *
26 septembre 2012 3 26 /09 /septembre /2012 16:48

Redskin est un film aussi atypique que passionnant, dont l'existence même ainsi que la préservation tiendraient presque du miracle... Son réalisateur, lui aussi forcément original, était d'abord un musicien, et serait entré dans le monde du cinéma en composant des partitions pour les films de Thomas Ince. Il convient d'être prudent lorsqu'il s'agit de parler des films de ce producteur, dont on sait qu'il n'autorisait que rarement ses collaborateurs à tirer la couverture à eux, mais Schertzinger aurait donc débuté dans la carrière en 1915 ou 1916, avant de mettre en scène des films à partir de 1917. Peu de films importants, surtout du solide travail de studio, et du reste c'est en tant que réalisateur sous contrat à la Paramount qu'il s'est vu attribuer la mise en scène de ce film...

 

Le muet était vieillissant, et à cette période, tous les studios essayaient pour leurs films plus modestes de nouveaux gimmicks: musique synchronisée, couleurs, écran large... Redskin, production Paramount, a pour sa part été l'un des longs métrages en couleurs qui se sont distingués une fois que la compagnie Technicolor a commencé à collaborer avec d'autres studios (The Viking pour MGM, The black pirate pour UA, etc...). Le film a été largement tourné en Arizona, sur la terre des Navajos, là même ou quelques années plus tard John Ford viendra tourner ses plus beaux films. Redskin raconte une histoire d'intégration ratée pour un Navajo joué par Richard Dix (Pour justifier sa présence, le héros est né d'un père Indien, et d'une mère Anglo-Saxonne), qui tente de passer par l'université, pour constater qu'il n'est pas accepté à part entière. De retour chez lui, il est rejeté parce qu'il a trop facilement embrassé les valeurs et la science des blancs...

 

Tout en étant très classique dans sa mise en scène, et en possédant un scénario qui ne brille pas par son originalité, le film est plutôt intéressant pour les thèmes qu'il développe, tout en les fondant dans le tissu mélodramatique de l'ensemble. Du coup, il aborde la question de l'intégration en ménageant toutes les sensibilités, nous dit que vouloir forcer l'intégration est une erreur, tout en admettant que les groupes de Natifs Américains se doivent d'accepter une part d'évolution et d'acquisition de la culture Anglo-Saxonne; le film condamne ouvertement le paternalisme aveugle, et le racisme sous-jacent à travers une scène durant laquelle Wing Foot (Richard Dix) est invité à une fête au cours de laquelle il sera agressé pour s'être approché trop près d'une blanche, ou plutôt pour avoir laissé la jeune femme s'approcher de trop près. L'exploitation éhontée et malhonnête des possessions des Indiens (Un ingrédient assez courant du mélodrame, bien sur) est montrée à travers l'anecdote d'un gisement de pétrole situé sur les réserves. Enfin, le film fait oeuvre de pionnier en étant situé en plein territoire Navajo et Pueblo, sur des sites historiques difficilement accessibles (L'un des villages est désormais une destination touristique, mais on ne peut y accéder que grâce à une route tracée justement pour les besoins du tournage de ce film...), avec respect pour les populations locales même si aucun des acteurs principaux n'est un Indien; le Technicolor (Utilisé uniquement sur les épisodes situé en terre Indienne) rend justice de façon intéressante, quand on connait les limitations chromatiques du procédé à deux bandes, à la coloration particulière de ces régions de l'Arizona (Voir à ce sujet The Searchers, de John Ford). et de fait, le film rappelle la nécessité pour tous d'une multitude de cultures, et l'importance de préserver sans pour autant refuser toute assimilation ou évolution, les traditions et le tissu culturel des tribus du Sud-Ouest Américain...

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Published by François Massarelli - dans Muet 1929 Technicolor *
28 juin 2012 4 28 /06 /juin /2012 15:19

Réduit de près de la moitié de sa durée, ce film était l'un des chants du cygne de l'Albatros, la compagnie des russes émigrés qui faisaient des films de prestige pour le grand public durant les années 20. Difficile à juger d'autant que les parties conservées sont issues de plusieurs sources: chutes censurées (Moult nudité) d'un côté, version raccourcie pour le visionnage en famille au format 9,5mm d'autre part... Le film se veut une variation sur le thème du collier de la reine, et déroule les aventures de Cagliostro dans la quiétude des studios Parisiens. Hans Stüwe est un Cagliostro un brin théâtral et par trop transparent; Il évolue au milieu d'une galerie de portraits historiques, parmi lesquels on reconnait Edmond Van Daële en Louis XVI (Lui qui avait interprété Robespierre pour Gance!), Suzanne Bianchetti en Marie-Antoinette, Charles Dullin ou encore Alfred Abel.

 

Richard Oswald est un ancien pionnier du cinéma Allemand (On lui doit Anders als die Anderen (1919), film osé sur l'homosexualité, ou encore une version des Contes d'Hoffman). Une certaine science du cadrage, de l'éclairage et de l'illusionisme cher aux Studios Allemands se distingue aisément dans ce film. De plus, sa mise en scène ici ne se démarque en rien de l'élégance fonctionnelle en vogue. Bref, un film luxueux, dans l'ensemble... Mais vain. ca fait plaisir qu'un film si rare soit disponible, et on apprécie bien sur que la Cinémathèque Française puisse enfin donner à voir au grand public ses collections, mais n'y a-t-il pas plus important, y compris au sein des fonds des films Albatros? Les Nouveaux Messieurs, Carmen, de Feyder; Les films des émigrés Russes: Protazanov, Volkoff, Mosjoukine... Epstein, René Clair... Encore un cri dans le désert.

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Published by François Massarelli - dans Muet Albatros 1929 * Richard Oswald
18 mai 2012 5 18 /05 /mai /2012 12:18

Il était le roi de Hollywood... Principal metteur en scène à la Metro, entre 1921 et 1923, Rex Ingram a subi la fusion entre Metro et Goldwyn, et n'a pas apprécié semble-t-il d'être ravalé au rang d'employé de l'industrie. On raconte souvent qu'une inimitié personnelle entre lui et Louis B. Mayer (il se débrouillait pour qe ses génériques créditent la Metro-Goldwyn, et non la Metro-Goldwyn-Mayer, comme étant la compagnie de distribution de ses films, cela doit donc être vrai) l'avait poussé à affirmer son indépendance après The arab (1924) Mais si la MGM a un temps accepté de distribuer ses films tournés en France (Mare Nostrum, The magician, The garden of Allah), il allait finalement être lâché par le studio devant le manque d'enthousiasme du public. Après sa fuite vers Nice et la Méditerranée, Ingram perd donc vite de sa superbe, et ce film, le premier tourné à l'écart de MGM, le dernier de ses films muets (Qui possédait semble-t-il des séquences parlantes à sa sortie), est aussi l'avant-dernier film de son auteur. Tourné pour le compte d'une société Anglaise, le film est situé à Londres...

 

On fait la connaissance de trois personnages, liés par bien des façons: Lord Bellmont, un industriel qui a réussi, mais est désormais coupé de ses ouvriers dont les conditions se dégradent; son fils Philipp, à la recherche d'une autre vérité après avoir profité pendant des années de la vie d'oisif que lui permettait la richesse paternelle; il souffre aussi dela vacuité de sa mère, qui console son ennui et sa solitude dans la consommation de gigolos; enfin, Lady Victoria, aussi oisive que Philipp, est aussi très amoureuse, et va changer elle aussi sous l'impulsion de cet amour. Les trois passions présentes dans le film, la puissance aveugle, la foi et l'amour sont-elles conciliables?

 

...Non, bien sur. Le conflit à trois têtes dans le film est hautement symbolique, et par certains côtés, on pense à Metropolis et sa sage morale. Mais une fois de plus, Ingram n'est pas un idéologue, et la morale de son film est d'un conservatisme prudent et de bon aloi, comme le montre cette scène vers la fin ou Philipp, sachant son père mourant, calme les grévistes en leur faisant deux trois promesses, et en flanquant un clone de Trotsky au bas de son estrade. Ce qui a compté pour le metteur en scène, c'est de voir évoluer ses personnages dans leurs univers respectifs, de peupler comme il savait si bien le faire ses décors très soignés, mais passe-partout, de faunes millimétrées et dans lesquelles on se doute qu'une fois de plus, chaque figurant avait une tâche très claire à accomplir. Mais quoi qu'il en soit, le film est aussi esthétiquement typique d'Ingram, que peu probant d'un point de vue dramatique. Restent les acteurs: Ivan Petrovitch, débarrassé du maquillage qui l'affadissait dans The magician, il est un jeune premier assez solide. Alice Terry, toujours parfaite, a un rôle ambigu, et subit une tentative de viol (La brute est jouée par Andrews Engelmann, que tous ceux qui ont vu Le journal d'une fille perdue connaissent.) parfaitement orchestrée. Mais en une heure, la précipitation de cette intrigue ne joue pas toujors en sa faveur. Si on jurerait que ce film quelque part sur le continent, les stock-shots de Londres confirment qu'on est bien devant un "Quota-quickie" Anglais, ces films vite faits réalisés pour remplir les quotas de films Anglais à l'exportation. Michael Powell, l'ancien assistant d'Ingram, allait y commencer sa carrière; Ingram y a quasiment fini la sienne... Grandeur, puis décadence.

 

Pour finir, ce film est rare, très rare même: il a été perdu jusqu'en 2008, lorsqu'une copie a été trouvée en Allemagne. Elle est semble-t-il complète, mais muette, ne nous permettant pas d'affirmer que le film possédait bien, à l'instar des films Anglais Blackmail ou The flying Scostman, tous deux tournés la même année, de séquences sonores.

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Published by François Massarelli - dans Rex Ingram Muet 1929
24 septembre 2011 6 24 /09 /septembre /2011 15:45

Si on devait mesurer l'intérêt d'un film à ce qu'en ont dit les historiens et critiques, on serait tenté de passer son chemin devant cet avant-dernier film de F. W. Murnau, le dernier fait à la Fox. Mais à leur décharge, les Eisner, Sadoul et consorts n'ont eu à l'époque de leurs erreurs que la version parlante du film pour s'en faire une idée, et l'histoire de ce film est de toute façon tellement embrouillée qu'il était bien difficile d'y voir clair. Grâce à Janet Bergstrom, historienne exigeante et dont les recherches sur Murnau font autorité, mais aussi grâce à David Kalat, dont le commentaire audio sur l'édition Masters of cinema du film est comme toujours un vrai bonheur, tout en étant une mine d'informations, on peut aujourd'hui parvenir à démêler les fils de l'intrigue rocambolesque des aventures de ce film, tombé victime du parlant. 

Contrairement à une idée répandue, Murnau est encore le maitre de sa propre situation au moment d'entamer le tournage de son troisième film Américain, et a carte blanche pour faire le film comme il l'entend. Il a jeté son dévolu sur une pièce de théâtre, The mud turtle, qui l'enthousiasme dans la mesure ou il va pouvoir la transformer, dit-il, en une symphonie tragique du blé, intitulée Our daily bread. Ces mots volontiers pompeux sont en fait en droite ligne inspirés des mots qu'il utilisait lui-même pour présenter ce qui devait être son grand oeuvre, mais le film a très vite pris une dimension plus raisonnable (Ce n'est, heureusement, pas La ligne générale, et sa partition pour tracteurs...), et est plus proche du mélodrame flamboyant tel qu'il se pratiquait à la Fox sous la responsabilité de Borzage, que d'une quelconque austère allégorie grandiloquente. Le tournage s'est passé sans trop de problèmes, jusqu'à ce que le film soit stoppé par la Fox, désormais mise au pied du mur du son, et dont les exécutifs qui avaient plus ou moins écarté William Fox réclamaient du parlant à corps et à cris. S'il ne dédaignait pas imaginer d'ajouter une scène ou deux qui aurait pu incorporer du dialogue et servir son propos, Murnau s'est de toute façon désinteressé du projet, qui n'était pas fini au moment de son départ. Le film sera donc achevé sous la forme d'un film muet (Celui qui est si largement disponible aujourd'hui), puis a été repris sous la forme d'un parlant, très différent du film muet, et confié à d'autres metteurs en scène. Cette version parlante à la réputation désastreuse, je ne l'ai pas vue, elle n'est en aucun cas disponible en vidéo, mais elle existe... tant pis pour elle.

Lem Tustine (Charles Farrell), le fils d'un céréalier du Minnesota, part à Chicago pour vendre du blé. Une fois sur place, il est empêché de vendre au prix demandé par son père, et rencontre une jeune femme (Mary Duncan), qui est serveuse dans un 'diner', et qui rêve de la campagne, ou elle pourrait enfin respirer, à l'abri des regards concupiscents des hommes corrompus qui viennent manger sur son lieu de travail. Lem tombe amoureux, et Kate est tout de suite attirée à la fois par le bonhomme, et par la vie qu'elle lui suppose. Ils se marient sur place. Une fois Kate arrivée à la ferme, il va néanmoins lui falloir affronter le terrible Tustine père (David Torrence), mais aussi Mac (Richard Alexander), le travailleur intermittent qui va tout faire pour la piquer à Lem. Quant à celui-ci, il va lui falloir affirmer sa masculinité, c'est à dire se battre pour son épouse...

Soyons clair: le seul gros défaut de ce film, c'est sans doute de ne pas être Sunrise. On a tendance à le mettre de coté, et pour commencer le statut un peu particulier de film accompli aux trois-quarts par Murnau tend à faciliter l'oubli. C'est injuste, d'une part parce que le réalisateur est parti de son plein gré, et aurait très bien pu rester en place et finir le film lui-même, ensuite, parce que le résultat final est tout sauf indigne de Murnau. Enfin, Murnau et la Fox travaillaient main dans la main avant le désaccord, et le résultat est un film Fox, c'est à dire une ouvre de la même famille que Sunrise, le cycle Farrell-Gaynor, The River, ou Four sons. The river possède de fait un plus important cousinage, dans la mesure ou le casting en provient largement, et aussi parce que City Girl a été mis en route une fois achevé le tournage du film de Borzage.

Cette vision lyrique du monde rural, dans lequel le mal n'a pas besoin de s'installer, puisqu'il est déjà présent, vient s'ajouter à la thématique déjà riche de Murnau: ses films "paysans" Allemands, dont peu ont survécu (Terre qui flambe et un fragment de Marizza), ont été prolongés par Sunrise. Ce nouveau film vient donc contrebalancer la vision riche mais souvent manichéenne de Murnau, qui présente une ruralité saine opposée à la ville qui corrompt (C'est flagrant dans Sunrise comme dans Terre qui flambe): ici, on tend à inverser l'idée, puisque c'est en quête d'une certaine rédemption et d'une vie saine que Kate embrasse la vie paysanne, mais elle sera rejetée par le père Tustine, et courtisée par des hommes aussi corrompus que la vamp de Sunrise... Parallèlement, Murnau montre une fois de plus un couple en marge, ce qui rejoint le canon Borzagien, et sera prolongé de façon intéressante dans Tabu, mais il revient une fois de plus sur un motif récurrent de ses films: l'intrus, invité dans le cercle (Famille, ville, monde...) par un héros ou un protagoniste proche du héros: Tartuffe, Mephisto (Faust), Nosferatu, La vamp (Sunrise), et plus tard le vieux prêtre (Tabu) sont tous dans ce cas. Mais "l'intrus" ici n'est pas Kate, quoique le titre Français soit L'intruse: Mac représente le danger qu'on laisse s'installer, voire le vieux Tustine qui se met entre Lem et Kate... Et cette fois encore, comme Hutter qui ne comprend rien, comme le couple de Tabu, comme Faust qui accueille avec bonheur le retour de sa jeunesse, ou comme Orgon fanatisé, le combat est rude; Farrell prête une fois de plus ses traits et son grand corps gauche à un homme qui n'a pas fini de grandir, et qui a besoin de tous les encouragements de Kate pour s'accomplir... En attendant, le lyrisme des plans de Kate et Lem qui s'approchent de la ferme, avec du blé à perte de vue, ne sont pas près d'être oubliés...

 

Voilà, ce petit mélodrame qui se concentre en priorité sur une jeune femme, le seul rôle conséquent de Mary Duncan dont on possède plus qu'une trace incomplète, et à laquelle le titre rend explicitement hommage, est un film-testament de celui qui a soudain décidé de faire du cinéma autrement, sans studio et sans stars et qui part le faire tant qu'il en a encore la possibilité. Si la "tragédie " du blé n'est plus qu'un lointain souvenir, il semble que l'abandon de ce projet a été fait sans douleur, au profit une fois de plus d'un film de studio qui n'a rien d'indigne. Kalat souligne les points communs entre City girl et Days of heaven, de Terrence Malick; on sait aussi que Vidor tournera en 1934 en indépendant lui un film intitulé Our daily bread. Ce ne sera pas non plus La ligne générale... City Girl, fait avec passion, bien  terminé par d'autres qui n'en ont pas vraiment trahi la vision, est une pierre blanche de plus dans la belle oeuvre essentielle de F. W. Murnau.

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Published by François Massarelli - dans Friedrich Wilhelm Murnau Muet 1929 **
26 mai 2011 4 26 /05 /mai /2011 08:25

Quitter le muet: aujourd'hui, on a une idée tellement simple de cette période, qu'on oublie qu'il a été long pour le muet de mourir. Il y a eu un "interrègne", pour reprendre le mot de Michel Chion, entre le muet et le parlant. Borzage, qui a participé à la refonte parlante de son film précédent (The river), a donc tourné avec Lucky star un film parlant, dont comme souvent à l'époque une version muette a été établie (D'autant que lors du début du tournage, le but était de tourner un film muet). Il y a fort à parier que les scènes dominées par les dialogues ont été tournées avec un plan fixe, sur lequel la scène s'ancrait. Ici, si le style de Borzage est moins baroque que dans Street Angel (Ce qui était déja le cas avec The river), on constate que le metteur en scène a imprimé son style à cette "version muette". ce n'est en aucun cas un pis-aller, mais bien un grand film muet, comme City Girl de Murnau, dont la version parlante a été de plus supervisée par un autre metteur en scène... Que ce dernier film muet soit une fois de plus un rendez-vous entre Frank Borzage et le couple fétiche de la Fox, Janet Gaynor et Charles Farrell, fait que l'on ne peut que se précipiter sur Lucky Star, avec gourmandise et émotion. 

Tim Osborn revient de la guerre avec les jambes paralysées, et il se lie d'amitié avec une jeune fille, Mary Tucker, qui est la seule à lui rendre visite; il s'amuse à la changer, lui apprend à se mettre en valeur, à mieux se tenir. La sympathie entre les deux tourne vite à l'amour, mais la mère qui est méfiante de Tim (Un éclopé, dit-elle) lui préfère l'uniforme de Wrenn, un bon à rien qui prétend vouloir la main de Mary, mais qui a d'autres idées en tête. Il faudrait que Tim réussisse à trouver un moyen de renverser la situation...

L'intrigue de ce nouveau film s'inspire de nouveau, après The river, du romancier Tristram Tupper, dont on reconnait l'univers rural et le coté "Amérique de toujours", si bien incarné par le village de rondins du film précédent, et les maisons de bois dans un décor tout en collines et en vagues de ce film. On reconnait dans le décor la singulière touche Fox, celle qui a donné Sunrise et Seventh Heaven, et qui continue à se distinguer en construisant des univers cohérents en studio dans les films de Borzage (The river), Ford (Four sons) et bien sur Murnau (Four devils). Harry Oliver n'est pas Rochus Gliese (le génie amené par Murnau dans ses bagages, pour Sunrise), mais son village est très remarquable, par l'enchevêtrement de chemins, de collines, de ponts et de barrières. On y a froid (Les hommes dans la scène d'ouverture ont une haleine visible...), et il y neige merveilleusement. Le même décor semble être utilisé pour figurer le front, lors des séquences de guerre, toujours aussi stylisées chez Borzage.

La guerre, comme toujours, joue les trouble-fêtes, l'incorporation de Tim est la fin d'un monde, comme dans Lazybones et Seventh Heaven. C'est surtout un dommage qui arrête nette l'ascension de Tim Osborn, dont le travail était de vérifier les lignes télégraphiques et téléphoniques: à ce titre, on le voit faire l'ascension d'n poteau, et rester là-haut. Toujours cette irrésistible attraction du ciel chez les héros Borzagiens. cette fois, pourtant, contrairement à Street Angel, c'est Charles Farrell qui va être cloué au sol par le biais de sa paralysie. Mais la guerre aura d'autres conséquences pour un autre personnage: Wrenn, qui est sergent durant les hostilités, va profiter de son uniforme, et propager des mensonges sur sa réussite.

Du ciel vers le sol, Tim s'adapte très bien à son sort, et bricole des objets pour l'aider dans sa vie quotidienne. Il semble ne regretter que sa solitude, mais d'une certaine façon cette acceptation est une mauvaise idée. Il lui faudra une vraie motivation, à travers l'amour de Mary, pour tenter de remarcher...

On retrouve Cendrillon, ici, avec la complicité grandissante entre la souillon Mary Tucker, encore un rôle superbe pour Janet Gaynor, et la "bonne fée" interprété par tim, qui lui apprend à se moucher, l'encourage à bien se tenir, et lui apprend l'hygiène, tout en révélant sa beauté. Cendrillon est prète à aller au bal (avec des chaussures neuves, mises en valeur par un intertitre), mais lle revient avec Wrenn, en prince charmant auto-proclamé... La métamorphose orchestrée sur Mary ne suffit pas à Tim, il s'en rend compte, et il va lui falloir admettre qu'il lui est nécessaire de changer lui aussi, s'il veut la sauver, et aussi la mériter.

Si la mise en scène est plus simple que dans Street Angel, qui représente pour l'instant le degré de sophistication le plus important des films de Borzage, on constate d'une part une utilisation exceptionnelle de l'espace, ces décors dont il était question plus haut. Cela nous permet des scènes comme celle du bain: Tim s'apprète à donner un bain à Mary, et la déshabille. Il lui demande son age, elle répond qu'elle a presque dix-huit ans, et embarrassé, il lui suggère de se laver elle-même: elle prend sa carriole et quitte la ferme de Tim, pour aller à la rivière plus loin, mais elle est toujours à portée de regard de la ferme de Tim. celui-ci jette un regard, puis gêné regarde ailleurs. C'est tout un univers esthétiquement superbe, qui renvoie visuellement tant à l'expressionnisme (un film comme Der Schatz, le Trésor de Pabst, se joue sur le même type de terrain en perspective faussée) qu'à des estampes japonaises (les nuances de gris utilisées)...

Les conditions météorologiques sont intéressantes. le film commence sur un matin, et se clot dans une lumière renfiorcée par la neige. Celle-ci accompagne le miracle du film, en même temps que le blanc omniprésent accentue la luminosité du cadre, signé par Chester A. Lyons et William Cooper Smith... Miracle, donc: Tim se bat contre sa paralysie, à l'écart du monde, et la vaincra en une seule nuit... La motivation, c'est d'empêcher Wrenn de lui voler Mary, pour laquelle il est décidé à se battre, après avoir réalisé lors d'une très belle scène son amour pour elle: elle a acheté une belle robe, et vient la lui montrer, et elle le remercie pour tout, en l'enlaçant. le regard de Farrell dira tout ce qu'il y a à dire. Le miracle à beau être moins spectcaulaire que celui de Seventh Heaven, il n'en est pas moins à la base d'une scène magnifique, durant laquelle tim se traine vers le village, marchant de plus en plus. pour finir, il se bat contre Wrenn, et les gens du village l'aident à s'en débarrasser. il n'a plus qu'à reconnaitre la vérité: tout ce temps, dit-il à Mary, je croyais que c'est moi qui te transformais... Le miracle ici est important d'autant plus que c'est une fois de plus l'accomplissement d'un homme, Tim Osborn. Lui qui croyait devoir utiliser sa créativité pour améliorer son quotidien d'infirme, avait mieux à faire en triomphant de son infirmité...

Miracle, Cendrillon, l'amour fou qui donne tous les pouvoirs, promiscuité tendre, un univers d'Amérique profonde qui sied bien à la simplicité des personnages: aucun doute, on est chez Borzage, pour un dernier film muet en forme de bouquet final. Un autre miracle, c'est finalement que ce film ait survécu dans sa version muette... Compte tenu de l'état du parlant en 1929, une copie parlante n'aurait pas été aussi passionnante, et ce ne serait pas mon Borzage préféré.

 

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage Muet 1929 **
8 mai 2011 7 08 /05 /mai /2011 13:45

Pour son deuxième film MGM, Buster Keaton a probablement vite compris dans quel piège il était venu tête baissée. Tous ses collaborateurs sont remplacés les uns à la suite des autres par des techniciens sous contrat, le sujet lui est imposé, et le script lui arrive tout cuit dans les mains, avec très peu de scènes en extérieur, c'est-à-dire peu de possibilités d'improvisation pour le comédien, et peu de chances de prendre le contrôle.

Le scénario est un scénario de comédie, effectivement, mais dans lequel la part physique de comédie est réduite, et l'ensemble ne possède pas l'unité et la cohérence d'un film de Keaton, toujours centré autour d'un problème, ou d'un contexte bien défini. L'histoire est celle d'Elmer (Buster Keaton), un modeste teinturier obsédé par une actrice, Trilby Drew, qu'il va applaudir tous les soirs dans une pièce consacrée à la guerre de sécession, Carolina. Son fanatisme pousse Elmer à suivre son idole partout, à tel point que tout le monde l'a remarqué. Lorsque Trilby (Dorothy Sebastian) voit l'homme qu'elle aime, l'acteur Lionel Benmore, flirter avec une autre, elle choisit le premier venu (devinez qui!!) pour s'afficher avec, et même se marier avec lui, afin de rendre son collègue jaloux...

Le film n'est pas pour Keaton: trop riche, trop éloigné de ses préoccupations... De plus, le scénario accumule les péripéties, enchaînant cette histoire d'amour triste avec un film d'aventures en mer, et franchement les coutures se voient. La première version d'Elmer (la plupart des personnages que Keaton jouera dans les films MGM portent ce nom) est pathétique, et doit parfois se sortir de certaines situations par le langage... A un moment, sur un bateau, Keaton est témoin d'un incendie, et veut le signaler, mais les officiers du bateau l'en empêchent. Le gag provient de l'expression d'émotions par Keaton: un sacrilège! Mais il y a de vrais beaux moments: la relève d'un figurant, au pied levé, par Elmer qui a vu la pièce 35 fois, est une scène très physique; le retour à l'hôtel, avec Elmer qui porte une Trilby ivre-morte, et qui doit la coucher, alors qu'elle est inerte, renvoie à un gag de The Navigator...

En revanche, la collaboration avec Dorothy Sebastian est une excellente surprise: la scène de la saoulographie n'a pas du être une partie de plaisir à jouer pour la jeune femme, et on voit qu'elle s'en remet entièrement à Buster. Studio oblige, elle a droit à un nombre conséquent de gros plans: que Buster ait eu son mot à dire ou non, elle n'est définitivement pas à ranger parmi les actrices-potiches. De fait l'acteur qui traversait un enfer domestique, avec son mariage qui coulait, était tombé amoureux d'elle... On ne sait pas ce qu'il advint, d'autant que les ravages de l'alcoolisme commençaient à se faire visibles sur le visage fatigué de Buster Keaton...

Les séquences maritimes abondent en situations physiques, et on voit que, par opposition à une autre cascade pour laquelle Buster a été doublé (ce qui l'a rendu furieux), il assume toutes les cascades sur le bateau, avec bonheur. Ces quelques moments sont la preuve que tant qu'il restait dans le cadre du film muet, comme avec College en 1927 qui lui avait été imposé, Keaton avait encore la possibilité de prendre un peu le pouvoir et sauver un film. De fait, Spite Marriage est le dernier film décent, regardable, engageant même de Keaton. C'est aussi, hélas, son dernier muet, et son chant du cygne.

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Published by François Massarelli - dans Buster Keaton Muet 1929 **