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1 janvier 2022 6 01 /01 /janvier /2022 18:22

Ce qui frappe de prime abord dans ce film muet tardif (Il est sorti en juillet 1930, et n'a pas obtenu un grand succès, à cette époque où on allait voir n'importe quoi du moment que ça parle), ce n'est pas tant la modernisation à laquelle se sont livrés Duvivier et son équipe; c'est bien plutôt la virtuosité du début, un montage extrêmement dynamique qui accompagne l'arrivée de Denise Baudu (Dita Parlo) à Paris. Le metteur en scène alterne des plans rapprochés de la jeune femme, en petite provinciale dépassée devant le gigantisme et la foule qui l'entourent, et des plans plus éloignés, comme pris sur le vif en pleine rue, de façon aussi réaliste que possible, ainsi que des plans qui établissent un motif qui reviendra tout au long du film: la publicité du magasin Au bonheur des dames, ce qui établit dès le départ l'inéluctable présence agressive du centre commercial qui donne son titre au film, mais aussi symbole du progrès. Virtuosité donc, qui est la marque du film en son entier, puisque Duvivier fait ici usage d'une caméra mobile (Et de quatre mousquetaires de l'image, dont un tout jeune Armand Thirard), d'un don pour les placements judicieux et novateurs de caméra qui son époustouflants: Quelques minutes après cette introduction, il nous fait vivre l'arrivée déçue de Denise au "Vieil Elbeuf", le magasin de son oncle Baudu (Armand Bour) en caméra subjective, tout en offrant des contrechamps qui établissent une comparaison méchante entre le flambant neuf magasin d'Octave Mouret, et la vieille échoppe miteuse du père Baudu... elle y rencontre deux protagonistes secondaires dont l'histoire va agir en qualité de contrepoint: Geneviève, sa cousine (Nadia Sibirskaïa), et son mari Colomban (Fabien Haziza).

Dès le départ, Denise sait qu'elle va devoir aller chercher un travail au Bonheur des Dames, et c'est avec un mélange d'effroi et de fascination qu'elle s'y rend. Immédiatement choisie pour être mannequin, elle va découvrir l'atmosphère de taquinerie blessante maintenue par ses collègues dans une séquence encore une fois impressionnante, dans laquelle Duvivier multiplie les points de vue, et d'une manière générale joue énormément sur le regard, comme pour appuyer les angoisses de Denise, qui n'est par exemple pas prête à se déshabiller, ou simplement à être vue. C'est dans ce contexte qu'elle rencontre Octave Mouret, interprété par Pierre de Guingand. Celui de Pot-Bouille (Confié par Duvivier à Gérard Philippe dans son adaptation de 1957) est un ambitieux qui se sert des femmes pour arriver à ses fins, mais on a le sentiment que cette version du personnage, situé plusieurs années après la réussite décrite par Zola dans Pot-Bouille, est différent: toujours le protégé d'une femme ("Madame Desforges", interprétée par Germaine Rouer), on a le sentiment qu'il se sert désormais de sa situation pour séduire les femmes. quoiqu'il en soit, il est au fond, bien que très carnassier dans son capitalisme, plutôt humain, et surtout il est amoureux de Denise, ce que celle-ci va mettre longtemps à comprendre...

Et puis ce film n'est pas une histoire d'amour; l'essentiel de l'intrigue réside dans l'essor inexorable du progrès représenté par ce magasin énorme et qui mange tout sur son passage, et le "Vieil Elbeuf" du père Baudu, soit le magasin à l'ancienne, un commerce à visage plus humain... Le film mène l'oncle de la jeune femme, qui retient des traits de plusieurs personnages du roman, à venir suite au décès de sa fille dans le grand magasin et tirer sur la foule des clients: Duvivier ici nous propose un parallèle dérangeant entre les scènes vues quelques séquences auparavant durant les soldes, et la panique qui suit le geste désespéré du vieux commerçant... comme si le progrès incarné par le grand magasin devait porter en lui le germe de la violence, de la folie, de l'assassinat (Baudu dans son geste abat une cliente); un constat qui va peut-être plus loin, ou du moins est plus démonstratif chez Duvivier que chez Zola: il faut dire que la crise est là, et du même coup le choix de moderniser l'action prend tout son sens, tout comme un autre motif aussi récurrent que celui de la publicité agressive: les plans de travaux d'agrandissement nombreux, et qui rythment la deuxième moitié du film. Ils consistent principalement en des images de destruction...

Pour ce film noir, très noir, Duvivier a choisi à l'imitation de Zola de rester sur une fin partiellement heureuse, puisque du chaos de leurs situations respectives (Denise a perdu les derniers membres de sa famille, et le Vieil Elbeuf fait désormais partie du passé, et Mouret n'est plus couvert par sa maîtresse qui se dit prête à se débarrasser de lui), les deux amants semblent désormais plus forts, au point que Denise décide d'embrasser la philosophie de Mouret et de devenir sa muse pour aller toujours plus loin, toujours plus fort. Les contrepoints de l'ensemble du film nous ont de toute façon persuadé que c'est illusoire, mais la fin est malgré tout un passage de témoin de madame Desforges à Denise, puisque c'est désormais sous l'influence d'une autre femme que Mouret va continuer à moderniser la ville et le commerce de Paris... L'ironie est magistrale, la mise en scène bouillonnante, et décidément le film, avec sa vision urbaine fascinée, son utilisation virtuose de la caméra et du point de vue, et son montage passionnant, est très réussi...

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Published by François Massarelli - dans Muet Julien Duvivier 1929 **
31 décembre 2021 5 31 /12 /décembre /2021 19:44

Ce surnom, la Baronne Irène de Rysbergue (Maria Jacobini) le doit à son benjamin, qui l'a ainsi nommée le jour où elle a essayé un costume qui rappelait fortement un oiseau. Costume qui a valu à son mari de proférer une saleté du genre: "à votre âge, franchement..."... le ton est donné: la baronne souffre de ne pas se sentir vieille, mais de constater que son mari, lui, le pense... tout en courant à droite à gauche. Alors quand elle attire l'attention d'un séduisant jeune capitaine de Spahis, qui est subjugué par elle, elle le suit jusqu'en Algérie, et bref, abandonne son mari qui la néglige, son grand fils qui est coincé, et son benjamin qui est trop jeune pour comprendre tout ça...

L'âge de son interprète est un élément crucial pour le film. A 37 ans, Maria Jacobini peut à loisir louvoyer entre les probables 45 ans de son personnage, et le sentiment d'être restée jeune qu'elle affiche dans la première partie... La chute n'en sera que plus cruelle: car en Algérie, on fera remarquer à son amant qu'il a une mère bien séduisante... Jacobini et Duvivier jouent à fond sur le maquillage et les gros plans qui trahissent les petites rides, vues dans un miroir par des yeux de plus en plus inquiets... 

Il y a deux dimensions dans cet avant-dernier film muet de son auteur, longtemps passé au purgatoire des films négligés: sorti à l'aube du parlant, il a été maltraité par la critique et boudé par le public. Alors, oui, c'est un mélo bourgeois, de la pire espèce, doublé d'un film qui se passe aux colonies... Mais Duvivier s'est quand même doublement fait plaisir: d'une part, en tournant en Algérie, où il a bénéficié d'un soleil permanent, ce qu'il n'avait pas eu pour L'agonie de Jérusalem; et il a orchestré autour de son interprète une mise en scène constamment inventive, qui illustre avec la cruauté qu'on lui connaît le point de vue de la Baronne... Si l'aventure algérienne tourne parfois au décoratif de luxe, la thématique de l'âge reviendra, notamment dans La fin du jour et Carnet de bal.

Quant à son interprète, qu'il est rare de voir aujourd'hui, elle est parfaitement splendide de bout en bout dans un rôle difficile.

 

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Published by François Massarelli - dans 1929 Muet Julien Duvivier **
30 décembre 2021 4 30 /12 /décembre /2021 11:07

En 1929, après une Passion de Jeanne d'Arc (qui a déplu au clergé, du reste), une Vie merveilleuse de Jeanne d'Arc (superbe film, qu'on aimerait voir refaire surface), voici un nouveau film consacré à l'une des nouvelles saintes: je vais le dire tout de suite, le statut de Sainte est un concept religieux qui m'est étranger. Par exemple, désigner le roi Louis IX sous le vocable de Saint Louis n'est en rien une démarche historique: je vais donc m'abstenir, à l'exception de cette phrase, de parler de Ste Thérèse de l'enfant Jésus (et de la sainte face, pour compléter son appellation officielle); d'abord parce qu'à mon sens ça ferait du tort à un très beau film...

Car si ce n'était qu'une commande de l'église pour l'édification orientée des masses populaires, il n'y aurait rien  en dire: une petite dame entre dans les ordres, tombe malade, meurt, et paf, elle est béatifiée (après un laps de temps raisonnable, s'entend)... On s'en fout, non? Comme du fait que, par exemple, Karol Wojtila soit considéré comme si formidable par tant de dévots: là aussi on s'en fout.

Non, l'intérêt est ailleurs: Duvivier, mystique convaincu dans les années 20 (et bien moins par la suite), s'était lancé avec pour appui la bienveillance de ses commanditaires (des producteurs de cinéma, les Vandal et Delac) dans une série d'oeuvres qui exploraient les confins de la foi: Credo ou la Tragédie de Lourdes, L'Abbé Constantin, L'agonie de Jérusalem, et La Divine Croisière étaient des films généralement de fiction, qui mettaient en scène la foi et son effet galvanisant. Ce nouveau film, accueilli avec enthousiasme par l'église (qui en 1929 était une entreprise florissante en pleine ré-ascension) et par le public, revenait donc sur la figure étrange de Thérèse Martin (1873 - 1897) dite Thérèse de Lisieux, une religieuse moderne, qui avait bravé à quatorze ans toute la hiérarchie Catholique afin de devenir religieuse au plus tôt, et avait emporté le morceau grâce à Vincenzo Pecci, qui était pape à l'époque sous le pseudonyme de Léon XIII.

Je répète: en soi, on s'en fout, alors? 

Duvivier, qui par ailleurs a décidé d'appeler son héroïne Thérèse Martin dans le titre, n'a rien d'un militant anti-clérical. Au contraire, son personnage l'a passionné de par sa foi même, par son fanatisme absurde, mais magnifique... Et a choisi de traiter le film d'une myriade de points de vue, car le sujet est non pas la foi, mais son effet sur l'entourage, et des fois, la foi, ça pique: la douleur du père, par exemple. La tristesse incommensurable des "soeurs" (je ne parle pas ici des vraies soeurs de Thérèse, qui toutes sont parties en religion, mais de ses consoeurs religieuses), devant la tuberculose carabinée et la souffrance de Thérèse... Parfois le point de vue sera aussi celui de la jeune femme, et la belle idée c'est d'avoir inclus ses doutes, car pour peser dans dans l'acte de béatification de la jeune Thérèse Martin, il y avait non seulement sa souffrance auto-infligée, mais aussi et surtout ses doutes, qui portaient sur l'existence ou non d'une vie éternelle...

Ces doutes sont mis en scène par Duvivier avec une intervention inattendue d'un diable grimaçant, qui nous rappelle qu'on est au cinéma, et pour lequel le cinéaste a fait appel aux meilleurs spécialistes des effets spéciaux, dont Percy Day: car comme d'habitude Duvivier voulait tourner sur les lieux mêmes de l'action, à Bayeux, à Lisieux, dans le cloître, voire au Vatican! Il s'en est sorti en utilisant une foule de procédés, dont des traficotages en matte painting de photos d'époque, qui achèvent de faire de ce film étrange une expérience unique: un pari fou, qui atteint son but, en s'approchant respectueusement en conteur d'histoire qui tend la main au pauvre profane que je suis, tout en respectant la foi de son sujet. C'était difficile, il fallait sans doute le faire: c'est fait. 

Par contre, la critique de l'époque s'est déchaînée sur le film... 

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Published by François Massarelli - dans 1929 Julien Duvivier Muet **
6 novembre 2021 6 06 /11 /novembre /2021 17:34

Schenström et Madsen, le grand dépendu et le petit pas si malingre, vivent dans un petit appartement à Copenhague en face de deux jeunes femmes avec lesquelles ils ont une complicité de voisinage: pour rien au monde ils ne manqueraient ces conversations d'une fenêtre à l'autre, qui tournent parfois à un concours farfelu de mimes... Madsen, qui rend parfois des services à la voyante qui habite sur leur palier, apprend de cette dernière qu'il va probablement devenir riche, et trouver l'âme soeur, mais pas avant d'avoir triomphé d'un ennemi redoutable. Pour ce dernier, il est vitre trouvé, c'est un voisin irascible qui habite le même étage. Mais un avocat lui annonce qu'il va hériter la fortune considérable d'un Américain excentrique...

Sorti en décembre 1929, à l'heure où le cinéma du monde entier s'adonnait aux joies étranges du parlant, du balbutiant, du chantant, du bêlant, du bégayant, ce film a le bon goût d'être muet, une situation qui va durer pour Carl Schenström, Harald Madsen et Lau Lauritzen jusqu'à la sortie en mars 1932 de leur dernier long métrage silencieux, I kantonnement, réactualisation du burlesque troupier. Ce film qui nous occupe est assez typique, dans la mesure où l'intrigue, simple comme bonjour et traitée de façon linéaire avec suffisamment de quiproquos et de confusion pour maintenir l'intérêt, permet aux deux acteurs de faire exactement ce pour quoi ils sont devenus des superstars mondiales en leur époque: des numéros physiques, un authentique ballet de pantomime de haute voltige, dans les situations suivantes:

Ils sont vendeurs de bananes sur la côte, et attendent leurs clients sur un radeau et risquent en permanence de se retrouver à l'eau; comment piquer le petit déjeuner du voisin quand il pourrait sortir à n'importe quel moment et vous coller une baffe terminale? on les verra en hommes-sandwiches, déguisés en hommes de la bonne société pour vendre des vêtements, mais s'efforçant de ne jamais montrer leur dos à leurs fiancées, car on y lit la réclame du magasin, et elles ne sont pas au courant qu'ils sont fauchés... Puis on les retrouve aux prises avec des fantômes dans un souterrain! C'est vivace, bon enfant, assez typique de Lauritzen et de ses productions élégantes tournées sur la côte en plein été, avec des jolies filles, dont Nina Kalckar et Marguerite Viby (ici de droite à gauche), qui une fois n'est pas coutume, diront toutes les deux "Oui" à la fin...

 

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Published by François Massarelli - dans Schenström & Madsen Lau Lauritzen Muet Comédie 1929 *
5 novembre 2021 5 05 /11 /novembre /2021 17:52

L'arpète, nous dit le Larousse, est un terme désuet qui désignait un apprenti, terme qui est resté un peu plus longtemps utilisé dans le monde de la couture: un(e) arpète, c'est donc le plus souvent une jeune couturière en bas de l'échelle... Et c'est exactement ce qu'est Lucienne Legrand, dans le rôle de Jacqueline: une apprentie qui rêve à égaler le patron, un jour... En attendant, elle ne rate pas une occasion de se distinguer: elle essaie les robes de la maison Pommier où elle travaille, robes qui lui vont d'ailleurs bien, et file en douce pour aller acheter un petit goûter pour tout l'atelier... Un jour qu'elle se fait pincer, Pommier l'oblige à jouer une cliente, pour appâter un Américain qui fait le difficile. Ca marche tant et si bien que le monsieur est fou de cette belle cliente qui prétend avoir ses entrées dans les ambassades...

Ce qui n'est pas du tout du goût de Jules (Raymond Guérin-Catelain), le peintre, avec lequel elle vit à Montmartre: il est noceur, mais il a de la morale, et ce qu'on propose à Jacqueline, ça ressemble quand même à une forme de prostitution, il y a donc de l'eau dans le gaz, non seulement entre Jacqueline et Pommier, mais aussi entre Jacqueline et Jules... Et comme pour ne rien arranger le riche Américain n'est autre que le père de ce dernier, vous comprendrez qu'il y a 1) du grabuge et 2) comme qui dirait une impossibilité de résumer ce film sainement!

Donatien, arrivé en cinéma presque sur un coup de tête, a réalisé une vingtaine de films, dont les deux tiers nous dit-on seraient perdus. Beaucoup d'entre eux sont l'occasion de présenter à son avantage son épouse et collaboratrice Lucienne Legrand, peintre, modèle, actrice, etc... Une actrice qu'on attend en Catherine Hessling et qui vaut bien mieux que ça. Parfois desservie par un script qui part volontiers dans tous les sens, elle donne de sa personne avec un bel entrain... Et Donatien, lui, n'est ni Renoir ni L'Herbier ni Gance: auteur de films aux titres aussi divers que Miss Edith, duchesse, L'île de la mort, Mon curé chez les pauvres et (mais vous l'aurez anticipé) Mon curé chez les riches, et Le château de la mort lente, il se rêvait sans doute un peu en Ernst Lubitsch Parisien, mais n'était pas aidé par le fait que la culture Parisienne ne pouvait pas s'exporter aussi facilement. Et si son film se passe dans le milieu de la mode, il multiplie de façon parfois étonnante les digressions (une bobine consacrée à une soirée des quat'zarts qui est un prétexte à déshabillages intensifs), et les non-sequiturs, passe d'une lecture fine et ironique du milieu de la mode à des remarques d'une désespérante franchouillardise ("c'est du vin français, il ne peut pas faire de mal", une remarque dont on aimerait dire qu'elle est antédiluvienne, hélas elle doit encore probablement encore s'entendre dans notre étrange pays)... On introduit Jules comme "le fils adoptif" de Jacqueline... avant de les voir se jeter l'un sur l'autre, ce qui est pour le moins gênant.

Plus étrange encore: Lucienne Legrand, que Donatien rêvait en star comme s'il était Hearst et elle Marion Davies, a été dirigée dans le rôle d'une jeune apprentie, mais elle fait son âge. Et elle garde intact un certain pouvoir de séduction, ainsi qu'une belle énergie, et le fait de ne pas, mais alors pas du tout, avoir froid aux yeux: elle est quasiment nue durant une bobine entière, uniquement habillée d'une hypothétique ceinture de chasteté et d'une perruque blonde... Et réussit à ne pas être (trop) ridicule.

Bref, de fait, c'est un film qui est probablement assez peu digne, mais qui ne  ressemble à rien de ce que j'aie vu auparavant, d'une part. Et d'autre part, dans la troupe de Donatien, il y avait l'immense Pauline Carton, et il me semble que ça c'est quand même un signe d'intelligence...

 

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Published by François Massarelli - dans 1929 Muet Comédie *
19 juin 2021 6 19 /06 /juin /2021 16:34

Un jeune homme (Ugo Henning) va se marier... Pour satisfaire sa famille, ou par amour? On ne le sait pas trop, en tout cas Angèle (Edith Edwards), la fiancée, est elle ravie, car elle est très amoureuse. Le mariage précède immédiatement un voyage en train, et elle est très motivée pour la nuit de noces... Lui moins, car il a vu quelque chose qui cloche: dans un compartiment voisin, une jeune femme (Marlene Dietrich) a un problème avec l'inquiétant homme avec lequel elle voyage (Fritz Kortner)... Qui sont-ils l'un pour l'autre? Pourquoi se cachent-ils, et que cachent-ils, c'est ce que le jeune homme voudrait savoir, et par-dessus tout, il voudrait être avec cette femme, pas avec sa jeune épouse. C'est le début d'une étrange aventure...

Le début est formidable, et toute la partie du film qui se passe dans un train est un festival de style: Bernhardt, qui tourne depuis quelques années, a adopté la caméra hyper mobile, le montage symbolique et rapide, et il obtient de ses acteurs un jeu tout en retenue, qui fait merveille dans ce qui est essentiellement une évidente préfiguration du film noir Américain. Mais comme souvent dans un film basé sur une énigme, la solution du problème déçoit, au terme d'une dernière partie où le style ne parvient pas à maintenir la cohérence nécessaire à un suivi tranquille du spectateur. Manque-t-il des parties au film? Il ne semble pas pourtant...

Les acteurs sont excellents, et on va le dire tout de suite: privée de sa voix et de cette ignoble obligation de chanter qui lui collera si longtemps à la peau (mais QUI aime cette voix qui chevrote trop grave, faux et sans conviction? ça me dépasse), Dietrich est formidable, même si elle n'a pas encore trouvé totalement son maquillage. Elle ressemble même un peu à... Devinez, c'est facile.

 

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Published by François Massarelli - dans 1929 Muet Curtis Bernhardt **
19 juin 2021 6 19 /06 /juin /2021 16:05

Don Mateo (Raymond Destac), un grand séducteur, rencontre dans un train une jeune femme dont la beauté le subjugue. C'en est fini, il est désormais le jouet de Conchita (Conchita Montenegro), une jeune femme sensuelle, libre, et d'humeur changeante, dont Mateo semble bien être le jouet numéro un. Et plus il subira d'humiliations et de douches froides, plus Mateo est amoureux, et surtout plus il la désire...

Oui, c'est essentiellement de désir qu'il est question ici, un sujet éminemment cinématographique traité à la fois frontalement, en se reposant beaucoup sur la beauté et la sensualité de son actrice principale: en Conchita Montenegro, Baroncelli a trouvé l'actrice idéale; danseuse flamenco experte, elle a une facilité à jouer physiquement, et un visage qui respire à la fois la séduction et la jeunesse, sans pour autant révéler tous ses mystères. Destac est plat et falot, certes, mais de toute évidence c'est largement utilisé à bon escient dans le film, où court une méchante ironie du début à la fin. Et quand enfin il semble l'avoir séduite (ou plutôt quand enfin elle s'est laissée faire), Conchita devient nettement moins intéressante. Car ce qui est en jeu, ici c'est l'envie, pas sa réalisation...

Le film entier est une exploration de ce désir, de la promesse et de la frustration, et de la réalisation de la domination facile d'un homme par une femme. Sans surprise, ça passe par un érotisme élaboré, car Baroncelli n'est pas Pière Colombier: avec Conchita Montenegro, il s'amuse à délayer la révélation de la nudité du début à la fin, ou en tout cas du début au milieu. Et il utilise un sens du cadrage assez rare dans le cinéma français, en soumettant systématiquement le placement de caméra dans le cheminement du point de vue vers ce que l'oeil de Don Mateo veut voir, ou de ce qu'il a peur de voir. Quand il vient pour la première fois voir Conchita, il la voit se préparer à travers une grille, qui laisse juste apparaître la blancheur d'un vêtement. Quand elle apparaît, elle porte une robe à pois, qui nous donne l'impression de répéter l'effet de la grille vue plu tôt, comme si le regard de Don Mateo avait imprimé des marques sur l'étoffe de la robe. La scène célèbre du cabaret (Don Mateo qui a pris ses distances se laisse séduire par un cabaret avant de découvrir que Conchita y danse, mais il va vite s'apercevoir qu'elle y donne aussi des séances illégales et crapuleuses, dansant nue pour des touristes fortunés...) est un festival de plans ouvragés, dans une montée lente du malaise, jusqu'à une séquence où Mateo voit la jeune femme nue, mais au milieu d'un parterre de voyeurs.

Dès le départ, Baroncelli avait annoncé ses ambitions en plaçant son film sous le haut patronage de Goya: le premier plan est un tableau du peintre, qui va s'animer sous nos yeux, et qui avait été le point de départ du roman de Pierre Louys. De toutes les versions de La femme et le pantin (Barker, Duvivier, Sternberg... excusez du peu), celle-ci est la meilleure, la plus accomplie et sans doute la plus méchante... Et Conchita Montenegro, qui n'aura jamais plus un tel rôle, est une actrice naturelle et géniale.

 

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Published by François Massarelli - dans Jacques de Baroncelli Muet 1929 **
12 mai 2021 3 12 /05 /mai /2021 17:41

Dans une île du Pacifique, un métis, Henry Shoesmith (Ramon Novarro), fait de sa vie une sieste sans fin, encouragé dans l'indolence par un climat paradisiaque. Mais les colonisateurs ne voient pas les choses de la même façon, et quand l'Américain Henry Slater (Donald Crisp) débarque, il va essayer de raisonner Shoesmith. En vain, jusqu'à ce que le jeune homme réalise que la pupille de l'autre homme est cette merveilleuse créature (Dorothy Janis) qu'il a vue dans son bateau... Sous l'oeil désabusé de la prostituée Madge (Renée Adorée), qui en pince pour Henry, celui-ci s'essaie à faire des affaires à l'occidentale pour "séduire" celui qu'il aimerait transformer en son futur beau-père... Mais ce n'est pas ce que Slater a décidé pour sa pupille.

De prime abord, ce film tardif de l'époque muette ressemble d'une part à une exploitation pure et simple de quelques thèmes de White shadows in the south seas, du même réalisateur, qui avait eu u certain succès. Le script fait tout pour opposer l'indolence et la douceur de vivre polynésienne, à la rapacité des occidentaux, incarnés à travers la formidable performance de Donald Crisp. D'autre part, c'est aussi sans doute une forme de cadeau fait à Van Dyke qui n'aimait rien tant que de conduire des tournages le plus loin possible du studio, dans des conditions hasardeuses. Le film a été tourné en Polynésie et ça se voit! L'expédition MGM suivante allait le conduire en Afrique pour tourner Trader Horn et des kilomètres de pellicule qui seraient recyclés dans les Tarzan des années 30, dont il a réalisé le premier. Bref: une sorte de petit film pour pas grand chose, qui rendait tout le monde content...

Mais ça va plus loin. Certes, The Pagan n'est pas White Shadows, et les revendications du premier film sont de l'histoire ancienne. La Polynésie du film est sous un contrôle Sino-Occidental bien assumé, et le paradis n'existe plus que dans les têtes, notamment dans celle d'Henry. Novarro est intéressant, parce qu'il joue avec une relaxation évidente un personnage dont la force est précisément son calme et sa philosophie... mais aussi son humour, partagé avec Madge: le personnage de prostituée de René Adorée, qui est formidable dans le rôle, est une clé du film: il y est, en effet, question de sexualité, de sexe et de désir. Dès la première séquence, elle aborde Slater qui lui répond par l'indifférence: on n'a pas l'échange, mais un intertitre seul nous permet de recoller les morceaux de leur conversation hautement censurable: "c'est ça, garde ton argent"... Madge est pour Slater la pire combinaison possible: une blanche qui vend son corps... Car il est raciste. 

Le film aussi, vaguement, comme le sont tous ces films Américains situés dans des zones exotiques et qui prennent à témoins les spectateurs, du fait qu'un "blanc" et un polynésien, ce n'est pas la même chose. Pour Slater, Henry a beau être métis, il n'est pas et ne sera pas blanc. Mais dans sa logique, il préfère afin d'éviter que sa pupille ne se marie avec un métis, l'épouser lui-même... Et plus si affinités. Dans une scène très violente, Van Dyke se souvient de Crisp en Battling Burrows, qui assassinait littéralement sa fille (Lillian Gish) à coups de ceinture dans Broken Blossoms de Griffith... Et il joue de l'extraordinaire puissance de l'acteur, qui va lui permettre une superbe ellipse. Slater, c'est le mal, un mal qui se cache derrière un alibi très équivoque: à ceux qui lui demandent si la jeune femme est safille, il répond qu'elle est "son devoir de chrétien"... Mouais.. Elle est surtout une feme polynésienne qu'il a décidé de "blanchir" coûte que coûte! Mais dans ce film, le message du "maverick" Van Dyke est clair: si Henry et Tito, son amoureuse, ont décidé de s'aimer sans passer par l'église, sous le haut patronage d'une prostituée, alors pourquoi pas? 

Rien que pour cette largeur d'esprit, on veut bien se coltiner une bande-son qui use et abuse d'une chanson insipide chantée sans conviction par Novarro. Celui-ci, magnifiquement dirigé, est splendide. Dorothy Janis, qui disparaîtra avec le muet l'année suivante, est très bien. Quant à Adorée (elle a vu Sadie Thompson!!) et Crisp, que voulez-vous, ils sont d'une catégorie hors-concours... On apprécier aussi la photo lumineuse de Clyde de Vinna, le complice du cinéaste sur son film précédent.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1929 Woody Van Dyke *
25 avril 2021 7 25 /04 /avril /2021 18:38

En Californie, la ruée vers l'or va bouleverser la donne, et pour une famille de propriétaires terriens qui vont tout perdre dans un pari idiot, l'arrivée de tous ces étrangers, qui parlent tous Anglais, est vécue come un traumatisme... Pourtant Dermod D'Arcy, le bel aventurier au coeur d'or (George Duryea) va émouvoir la belle et fière Josephita (Renée Adorée) et la convertir à la nouvelle donne... Mais ce ne sera pas facile!

La MGM est arrivée un peu tard dans la bataille des grands films épiques sur la conquête du territoire, d'autant qu'en 1923-1924, l'essentiel a été joué à travers la présence de deux chefs d'oeuvre définitifs: The covered wagon de Cruze en 1923, puis The iron horse de Ford en 1924. Néanmoins la firme du lion a mis en chantier le très beau The trail of 98 qui explorait sous la direction de Clarence Brown, la ruée vers l'Or aux confins de l'Alaska (et était lui-même aux confins du western). Ce film muet tardif avait tout d'un complément de programme sur le papier, mais le confier à Allan Dwan, vétéran encore plus qu'actif, et cinéaste au goût et aux capacités impressionnantes, en a quand même fait une oeuvre formidable...

Certes, on est en plein MGM land, mais Dwan transcende assez facilement le style maison, et s'approprie le cadre de manière impressionnante. Il donne à voir à plusieurs reprises sa vision d'une caméra mobile en mettant en avant le tumulte des boom-towns, avec un lent travelling arrière capté en hauteur, qui donne parfois l'impression d'être un zoom... Il garde un tempo constamment enlevé à son intrigue, et profite du beau visage plastique de Renée Adorée, qui domine sans aucun problème l'interprétation du film. Il utilise aussi à merveille les gros plans pour lui permettre d'exprimer les émotions requises par son personnage de jeune Californienne d'origine Espagnole... 

Réalisé entre The iron mask (pour Fairbanks) et The far call (Un film perdu, pour la Fox), c'est aussi son avant-dernier film muet, et sans doute le plus spectaculaire des films muets de la MGM produits cette année-là, avec l'étrange The mysterious island, bien entendu...

 

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Published by François Massarelli - dans 1929 Western Muet Allan Dwan *
24 avril 2021 6 24 /04 /avril /2021 08:47

Pour commencer, Ravel travaillait souvent en collaboration étroite, exclusivement avec Tony Lekain à la fin de sa carrière. D'où une certaine ambiguité sur l'auteur: des filmographies attribuent en vérité ce film à Lekain et Ravel... Ce dernier est pourtant le principal maître d'oeuvre, une maîtrise acquise depuis son arrivée à la Gaumont au milieu des années 10, quand il avait a rude tâche de remplacer Louis Feuillade, principal pourvoyeur de films de la firme à la marguerite, parti au front... Ravel n'est pas Feuillade. Il n'est pas non plus Feyder, autre cinéaste avec lequel il a travaillé en collaboration, mais qui lui a volé de ses propres ailes dès 1916! Mais Ravel a un savoir-faire évident, qui le confine parfois à l'académisme, et parfois, va un peu plus loin: c'est le cas de ce film paradoxal.

Paradoxal, parce qu'un film muet adapté de Beaumarchais, c'est inattendu. Mais Murnau a bien fait l'un de ses films les plus attachants avec le Tartuffe de Molière! Donc Figaro est une comédie, qui utilise pour chacun de ses actes une pièce de la trilogie de Beaumarchais: Le Barbier de Séville occupe donc la première partie, Figaro le barbier (Edmond Van Duren) aide le comte Alma-Viva (Tony D'algy) à conquérir le coeur de la belle Rosine (Arlette Marchal); puis il entre à leur service dans la deuxième partie (Le Mariage de Figaro), où il lui faut empêcher le comte, polisson notoire, de porter à son tableau de chasse sa propre fiancée Suzanne (Marie Bell) également à leur service. Durant cet acte nous voyons les contours de l'idylle entre la comtesse délaissée et le jeune Don Chérubin qui sera par précaution envoyée guerroyer au loin par le comte. Au début de la troisième partie (La mère coupable), Chérubin meurt, et expie son péché... Sauf qu'il y a un enfant, et u'il n'est pas du comte... Profitant de l'arrivée d'un intrigant qui a des vues sur tout ce qui porte jupon, Figaro enfin marié réussit à empêcher le comte d'envoyer son épouse au couvent...

Bref, c'est Figaro sans aucune matière grasse politique, ni sentiment pré-révolutionnaire. Et ça passe très bien parce que Ravel a gardé toute la dimension amoureuse, le jeu sur le désir, sur les tractations, aventures, machinations, déguisements, dissimulations, etc... intacts. Si Figaro et dans une moindre mesure Suzanne ne sont plus les représentants d'une lutte sociale, ils restent les observateurs, et parfois les acteurs de l'amour et du désir... Et à ce titre, le film se rapproche de Lubitsch, qui n'était pas le dernier à utiliser les domestiques pour nous compter la polissonnerie de leurs maîtres... Et Figaro, surtout dans les deux premières parties, est joué par un danseur, et ça se voir de suite, Ravel utilisant à merveille sa capacité à bondir de scène en scène, et sa gestuelle est ce qui va durant tout le film apporter le mouvement... 

Les autres acteurs sont bons, mais force reste aux femmes, Marie Bell en tête, qui est une Suzanne aussi ingénieuse que son fiancé, même si à un moment, on la sent prête à succomber aux avances de son fieffé coquin d'employeur le comte... Dans ce film surprenant, les femmes en prennent un peu pour leur grade et les hommes, comme chez Murnau, se font facilement déshabiller, c'est ainsi. Remarquez, il y a du déshabillage pour tout le monde! Selon la tradition établie dans les années 20 et souvent respectée (voyez les films de Gance, ou des oeuvres comme Casanova de Volkoff, L'enfant du Carnaval de Mosjoukine, ou encore Mandrin de Fescourt), on figure la tendance d'une caste à l'orgie et à la débauche en proposant des petits spectacles sans queue ni tête (si j'ose dire), dans lesquels on déshabille les figurantes à tour de bras: ici, c'est au début de la deuxième partie que des bacchantes inconnues et dévêtues pataugent dans un petit bassin sous l'oeil ravi et coquin du comte et de sa cour... Après cela, c'est sans transition que j'ajouterai que par ailleurs, les costumes, quand il y en a, sont fort bien exécutés...

Enfin, Ravel n'est pas Murnau, il n'a pas un Karl Freund sous la main, et ce n'est pas Eisenstein non plus... Donc il n'y aura pas ici de prouesse de montage ni de caméra ultra-mobile. Il y a juste une mise en scène sensée, qui fait merveille de l'espace, et qui a la lourde tâche de suivre le bondissant Figaro d'une scène à l'autre, la scène étant ici un terme à prendre dans ses deux sens... Bref, une excellente surprise, pour un film qui n'est certes pas le chef d'oeuvre de la période mais qui se défend fort bien... surtout dans ses deux premières parties, et qui a le bon goût rare de ne pas durer trop longtemps, quand on connaît la propension du cinéma Français de l'époque à faire durer le plaisir au-delà du raisonnable... A déguster dans un blu-ray tout nouveau tout beau, effectué sur la base d'une copie magnifique.

 

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Published by François Massarelli - dans Gaston Ravel Muet 1929 Comédie **