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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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20 novembre 2016 7 20 /11 /novembre /2016 09:00

L'année 1929, il valait mieux parler, sinon le succès ne pouvait pas être au rendez-vous. Combien de films Américains ont-ils sacrifiés sur l'autel absurde du micro, cette croyance dans le fait que le muet était définitivement révolu? Du reste, peu de films muets d'envergure ont été tournés cette année-là. Dans cette situation d'expédition des derniers films muets, sacrifiés au tout-bavard, Eternal love ne fait pas exception: généralement considéré comme étant sans le moindre intérêt, et par ailleurs il est vrai qu'il se rattache justement essentiellement au style muet de Lubitsch, plongé dans la routine flamboyante et un peu vide des productions de John Barrymore, des films à l'ancienne, entièrement à la gloire de l'acteur, et tournés selon ses termes.

Et pourtant...

Début du XIXe siècle: dans les Alpes Suisses, une petite communauté montagnarde subit de plein fouet l'occupation Française. A la fin des conflits, la libération est le prétexte d'une célébration durant laquelle tout le village se retrouve à danser et boire. Et Marcus (John Barrymore) en profite pour une fois de plus dire son amour à la belle Ciglia (Camilla Horn), la nièce du prêtre de la paroisse. Il n'est as le seul sur les rangs: Lorenz (Victor Varconi), un utre villageois un peu moins impétueux que lui, est amoureux de la belle. Mais s'il est clair que Ciglia aime Marcus, ce n'est pas au point de céder à ses avances alors qu'il a clairement trop bu. Il rentre donc chez lui, saoul, et ne s'attendait pas à trouver dans sa chambre Pia (Mona Rico), une jeune femme qui le suit partout et qui elle est prête à tout... Y compris, le lendemain, à faire un scandale retentissant: Marcus épouse donc Pia, et Ciglia est promise à Lorenz; le drame couve...

On retrouve ici deux univers: celui de Barrymore y est présent, son impétuosité, le romantisme exacerbé, la flamboyance des sentiments, des actions, du sacrifice et aussi, parfois, l'excès dans le péché! Les clichés qui ont la peau dure, aussi... De son côté, Lubitsch apporte sa science de la mise en scène des liens invisibles entre les êtres, son savoir-faire pour représenter la foule et son idéologie, et bien sur un ton décalé, qui passe par une observation pointilleuse et un sens du détail consommé. Et cerise sur le gâteau, Lubistch a réalisé en 1920, dans les montagnes enneigées du Tyrol, Romeo und Julia im Schnee, une autre histoire d'amour, mais qui était elle traitée beaucoup plus sur le ton de la comédie. C'est d'ailleurs l'une des clés de l'oubli flagrant dans lequel ce film tardif est tombé: ce n'est pas une comédie, mais bien un film ouvertement sentimental, dont la noirceur rejoint l'âpreté souvent associée au lointain souvenir du film perdu The patriot, réalisé l'année précédente par Lubitsch. et juste avant, le metteur en scène avait tourné pour la MGM The student prince, qui faisait évoluer la comédie sentimentale vers le drame... Or ce n'est pas l'image de lubitsch aux Etats-unis; peut-être le metteur en scène a =-t-il aussi peu gouté cet exercice de style?

...En ce cas ça ne se voit pas beaucoup, car s'il a bien fait le travail qui lui était demandé et utilisé son savoir-faire pour tourner des séquences lyriques de LA star Barrymore en montagnard fier, dans les décors absolument magnifiques de l'Alberta, des scènes d'avalanche et des scènes de foule impeccables, ce qui a le plus motivé Lubitsch dans ce film, c'est bien sur l'intime, le fonctionnement visuel d'une communauté en proie à la suspicion et au ragot; il lui fat peu d'images pour installer dès le début du film cette impression de rejet basé sur la jalousie et la bêtise, de Marcus par la population des braves gens qui jamais ne se mêleront d'autre chose que de ce qui ne les regarde pas!

Et la façon dont Lubitsch utilise la caméra et le montage, les détails et parfois leur absence, pour amener une idée à bon port, est ici au sommet de son art: plusieurs scènes pour se faire plaisir, en fait: dans l'une, on voit le prêtre chez lui, servi par sa bonne qui est triste de le voir soucieux. On la suit jusqu'à la pièce ou est Ciglia, et la bonne est triste de la voir soucieuse également. Une cloche: on a sonné: la bonne va voir, revient et apparaît radieuse à la porte: Ciglia pleine d'espoir attend: mais c'est Lorenz. Quelques instants après sa visite, la cloche de nouveau: la bonne va ouvrir, et Ciglia attend: cette fois, quand la porte de la pièce s'ouvre, on aperçoit juste la main de la bonne qui dépose dans la pièce un fusil. Nous savons à qui appartient ce fusil, et Ciglia aussi. Son visage s'éclaire... pas d'intertitre, même pas une image de Marcus, mais le message est passé. Dans l'autre scène qui me vient à l'esprit, Marcus est rentré chez lui après sa tentative maladroite de séduire Ciglia lors d'un bal costumé, et il est flanqué de Pia. Il se débarrasse d'elle sans le moindre ménagement, avant de rentrer dans sa maison. Quelques instants plus tard, il ressort, inquiet: et si la jeune femme était restée pour tenter d'entrer? Il ne la voit pas, rentre de nouveau dans sa maison. Le dernier plan nous le montre entrant dans sa chambre et déposant ses affaires puis regardant droit devant lui, une expression de surprise au visage; nous ne verrons pas ce qu'il a vu, mais la caméra fait un léger détour sur la droite, et au mur, nous apercevons, accroché à une patère, le masque que portait Pia...

Certes, ces jolies efforts de mise en scène sont au service d'un mélodrame des plus embarrassants, et ces belles images ne sont guère plus que le dernier souffle d'un cinéma muet en pleine agonie. Mais dans un film qui tente, à sa façon, de donner la version de Lubitsch de la mise en scène à la Murnau (C'est flagrant dans la façon de montrer les intérieurs de ces maisons rigoristes de montagnards teigneux), qui une fois posé le style de jeu flamboyant et encombrant de la Star incontestée, permet à des acteurs aussi intéressants que Varconi et Horn (Très probablement dirigés en Allemand, ils sont d'une grande justesse) de briller dans des rôles qui échappent eux aux clichés qui auraient pu les handicaper, il y a beaucoup plus que ces conventions. Que ce ne soit pas le meilleur film de Lubitch, c'est entendu, mais c'est un excellent film de John Barrymore.

Pour finir, une petite pointe d'ironie positive: Mary Pickford, qui avait fait venir Lubitsch aux Etats-Unis en 1923, lui gardait rancune de leur mésentente sur le tournage de Rosita. Elle prétendait des années plus tard que c'était un incapable, qu'il n'était motivé que par la représentation des portes... C'est amusant de constater qu'ici, on a en effet une "mise en scène des portes", dans ces scènes qui savent utiliser les rapports entre les gens et le fonctionnement ancillaire des maisons, pour montrer la vie. Mais c'est sans doute aussi très paradoxal, que ce film muet tardif et si mal vu ait survécu justement grâce à l'appui, du vivant de la star; de... la Fondation Mary Pickford, entièrement dédiée à la préservation et au sauvetage des films muets.

Merci, Mary, grande dame jusqu'au bout.

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Published by François Massarelli - dans Muet Ernst Lubitsch John Barrymore 1929 *
30 juillet 2016 6 30 /07 /juillet /2016 22:27

Dans une copie splendide, mais incomplète, voici donc le seul film muet Tchèque a avoir accédé au rang de classique, un film dont le titre a l'amusante particularité de le voir souvent confondu avec son homonyme suédois, réalisé par Mauritz Stiller, mais surtout le premier film a avoir fait du désir de la femme, et de l'orgasme féminin, ses thèmes majeurs. La scène qui valut sa réputation au film est une démonstration de suggestion particulièrement adroite: on ne voit rien, mais on sait tout: ou, quand, comment, avec qui, et dans quelle position, ainsi que quelles langue ils parlent (hum). Ce qui pour un film muet est particulièrement fort.

Le problème, c'est que Machaty, après avoir réalisé 20 minutes sublimes au début, s'acharne à virer de bord en rejoignant le mélodrame bourgeois, et se plante franchement. Mais ça vaut le coup d'oeil, avec Ita Rina, future égérie du cinéma de l'est. Et puis, comment faire l'impasse sur ce point, Machaty accédera à une paradoxale notoriété avec un film autrement plus scandaleux, Ekstase, en 1932.

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Published by François Massarelli - dans Muet 1929
30 juillet 2016 6 30 /07 /juillet /2016 22:08

L'un des rares muets conservés de Mizoguchi ne nous est parvenu que dans une forme sérieusement tronquée, coupée par son distributeur après son échec public. Il est difficile de se faire une idée du film, mais il est manifestement important; si Mizoguchi se repose ici sur un genre qu'il quittera, le mélodrame pur, il utilise un style très européen, fait de montage et d'impressionnisme, montrant qu'il a été fasciné par les recherches de Ruttman, Murnau mais aussi par le cinéma Américain de 1927/1928: son film s'ouvre sur une ville, non des personnages, et s'intéresse à un groupe humain avant d'en isoler les personnages.

Mais on est face à une bande-annonce étirée sur 27 minutes plutôt qu'à un film de 90 mn, et c'est le principal problème. les péripéties se succèdent trop vite, malgré la beauté du cadre et le jeu très retenu des acteurs, on sent qu'on manque quelque chose...

En voici l'intrigue, pour autant qu'on puisse lui rendre justice: Une jeune femme, "vendue" par ses tuteurs à une maison de Geisha, est aimée de deux hommes, mais doit choisir celui qu'elle n'aime pas: l'autre est son frère.

On le voit, la passion de Mizoguchi pour le destin de la femme dans le très phallocratique Japon est déja présente ebn es années de formation. Pourvu qu'un jour, une copie complète fasse surface...

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Published by François Massarelli - dans Kenji Mizoguchi Muet 1929
19 juin 2016 7 19 /06 /juin /2016 18:08

Jerry Larrabee (Richard Barthelmess), un gangster redoutable (Quand il sort une cigarette, tous ses yes-men sortent un briquet), est très amoureux d'Alice (Betty Compson) et c'est chez cette dernière qu'il va se faire pincer, dénoncé par un rival jaloux. En prison, il commence par faire le grand numéro du gangster irréductible, avant de changer d'optique et de travailler son talent caché: la musique... Grâce à la bienveillance du gardien-chef, et la patience d'Alice qui a su se mettre en retrait, il en vient assez rapidement à une situation inédite, avec des émissions de radio qui lui sont consacrées depuis la prison. Sa libération pour bonne conduite apparaît comme inéluctable. Mais qu'arrivera-t-il une fois dehors?

Ceci est l'un des films qui ont valu à Lloyd son premier oscar pour la réalisation (L'autre, contemporain, était Divine lady), et on comprend, au moins, que le film n'ait pas eu l'Oscar du meilleur film! D'un autre coté, cette année-là, c'est un film encore pire qui a obtenu le hochet tant convoité, Broadway melody de Harry Beaumont. Car Weary River est un musical mais pas seulement: c'est pour un tiers un film de gangsters muet, pour un tiers un film de gangsters parlant, et pour le dernier tiers, le plus inintéressant du reste, une collection de moments musicaux qui mettent en valeur Barthelmess comme s'il était le nouveau Mozart. Mais le plus intéressant est que Lloyd se soit refusé à se contenter de lacer la caméra devant la scène pour les moments parlants, et ait privilégié un vrai découpage et des vrais mouvements de caméra. C'est paradoxal venant de quelqu'un qui s'est essentiellement formé dans les années 10, et n'a pas énormément évolué depuis...

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Published by François Massarelli - dans Frank Lloyd Pre-code Muet 1929 *
7 juin 2016 2 07 /06 /juin /2016 16:01

Réalisé à la toute fin du muet, ce film First National est un curieux anachronisme... le britannique Lloyd y exalte la légende de lady Hamilton et du héros Horatio Nelson, le mythique vainqueur de Trafalgar, dans la situation politique compliquée du tournant du XIXe siècle. Emma Hamilton (Corinne Griffith), une roturière devenue lady par la grâce d'un échange pas vraiment humaniste entre son amant (Ian Keith) qui tout à coup avait des pudeurs de collégien, et l'oncle (H. B. Warner) peu regardant de celui-ci, a rencontré l'amiral Nelson (Victor Varconi), et le courant a passé tout de suite entre ces deux-là, jusqu'au moment ou il faut à Lady Hamilton, dont le mari est devenu ambassadeur de la Grande-Bretagne auprès de la couronne de Naples, généralement fidèle à la France, choisir entre taire les élans de son coeur, et laisser la nature faire son oeuvre... Rien de scandaleux pourtant, le film reste sagement chaste, même si la turbulente star tend à loucher du côté des actrices délurées, plus que de celui des Lillian Gish ou Mary Pickford.

C'est un film anachronique parce que Lloyd a peu évolué durant les années 20, et en cette dernière année du muet, les derniers films à sortir sans dialogue ont au moins une fluidité de la caméra que ce film ne démontre jamais. Pas de quoi se plaindre trop longuement, du reste, le spectacle est soigné, et les séquences oscillent entre un ton de comédie (Les séquences d'ouverture qui jouent sur le choc entre l'aristocratie, et l'arrivée tonitruante de Emma et de sa mère interprétée par Marie Dressler) et la gravité solennelle des scènes qui représentent l'idylle étrange et mythologique entre Emma Hamilton et Horatio Nelson, empreintes d'une présence de la mort, à travers l'évolution physique de Nelson, qui revient de ses batailles toujours plus abîmé, et bien sur à travers l'incarnation inattendue du pouvoir de l'empire Brtannique en ce couple adultère...

Mais surtout, le film est formidable dans ses scènes maritimes, un sujet qui inspirait, on s'en doute bien, le futur metteur en scène de l'admirable Mutiny on the Bounty... Il y avait de la matière, et ces plans et séquences transcendant l'impression d'académisme poli qui se dégage des scènes, disons, plus "diplomatiques"...

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Published by François Massarelli - dans Frank Lloyd Muet 1929 *
25 mai 2016 3 25 /05 /mai /2016 16:44

Une curiosité, ce film, d'autant que de 65 mn à l'origine, il se trouve aujourd'hui réduit à ...6. et encore, on est sans doute chanceux de posséder ces six minutes, incluses en bonus sur l'édition récente en DVD du film Baroud de Rex Ingram, chez Lobster: ça se justifie par le fait que les deux ont en commun l'actrice Colette Darfeuil. Le peu qu'il reste nous permet de voir un court passage parlé, ce qui est particulièrement notable pour un film Français de 1929, ainsi que des segments burlesques, très mouvementés, et muets. On y pratique un humour corporel, là encore assez peu développé dans le cinéma Français de l'époque, contrairement aux muets Américains bien sur. Pour le reste, il s'agit d'un sujet rabattu: que fait-on le dimanche? Réponse, on file en banlieue, on va aux bals popu, on fricote dans les champs, et on sort la belle auto...

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Published by François Massarelli - dans Muet 1929 *
1 mai 2016 7 01 /05 /mai /2016 08:51

Pour aimer le cinéma soviétique, il faut souvent être assez tolérant quant à la présence d'objets mécaniques ou motorisés censés aider l'homme qui travaille dans sa tâche quotidienne. Bref, il faut aimer les tracteurs...

Je n'en ai pourtant pas vu un seul dans ce film, un de ces grands moments de la fin du muet lorsque un certain nombre de cinéastes souvent progressistes (Ruttmann était communiste du moins au début de sa carrière, Vigo un pur anarchiste, la bande de cinéastes Allemands des Hommes le dimanche n'étaient pas spécialement des fascistes, et Vertov est plus Marxiste que Marx lui-même) ont exploré les possibilités d'un cinéma plus basé sur l'observation directe, en débarrassant les films de leur narration (Dans des degrés différents, bien sur, entre la non-narration de Berlin: Symphonie einer Grosse Stadt, et Menschen am Sonntag qui incorporait plus ou moins une intrigue), et en exaltant le plus souvent la ville, qui devenait le principal protagoniste de leurs films. Le film de Vigo, d'ailleurs, s'appelle A propos de Nice.

L'homme à la caméra représente pour moi le film le plus abouti de cette tendance, ce qui est paradoxal car après tout, il est aussi le plus délirant et expérimental... Dès le départ il se débarrasse des intertitres comme dans le Berlin de Ruttmann, mais contrairement à ce film Allemand que Vertov a pris comme modèle, il reconstitue un fil narratif, à travers la présence sur l'écran de l'homme à la caméra, plus précisément le propre frère et collaborateur de Vertov, Mikhaïl Kaufman... On va donc suivre les pérégrinations du cameraman à travers l'Union Soviétique de 1928-1929, et voir ses images de gens, d'activités, de loisirs même...

1

et bien sur, d'abord, les gens. Le film est organisé selon l'ordre d'une journée de travail, donc au début, une femme se réveille, et Kaufman sort de chez lui avec un appareil de prise de vue. Les gens y sont captés aussi bien dans leur vérité que dans la recréation de leurs vies; la femme qui se réveille, clairement, est une actrice dirigée par exemple, et des gestes vus plusieurs fois dans le film de plusieurs angles nous montrent bien ce que ce menteur de Flaherty voulait cacher: un documentaire, ça s'oriente. Vertov ne s'en cache pas, du reste. Mais il accumule les plans de gens captés dans leur candeur, dans leur embarras aussi (Une dame endormie sur un banc se réveille, voit qu'on la filme, et s'en va en colère, une autre au bureau des divorces se cache le visage derrière son sac, etc...); beaucoup de ces gens se prêtent assez volontiers au jeu, avec pour effet que le film donne l'impression de capter l'humanité dans toute sa splendeur, avec ses joies, ses colères, ses naissances, ses morts, ses mariages, ses divorces, son travail, ses loisirs...

2

il faut dire qu'ils sont tous actifs. Et c'est là qu'on peut entrevoir la volonté politique derrière le film, et la raison d'être de son film: homme, caméra: l'homme dans ce film est indissociable de la machine, comme la couturière de sa machine à coudre, et le nombre de machines vues dans le film est impressionnant. Vertov, comme Ruttmann (Et comme Keaton dans The cameraman!) sacrifie au cliché des ballets de tramways, de bus; contrairement à son contemporain Eisenstein, il évite les tracteurs, je le disais plus haut, mais il nous livre une belle vision d'un monde en proie à la "machinisation". Et ça tombe bien, comme La ligne générale (De Eisenstein, avec ses tracteurs) qui est sorti la même année, L'homme à la caméra entend illustrer le passage d'une Union Soviétique essentiellement rurale, à l'industrialisation, qui est le but du plan quinquennal en cours. Voilà, c'est dit, on n'y reviendra pas, parce qu'il y a encore une autre dimension, et celle-là elle est franchement fascinante.

3

parce que tout ça c'est un film. et un film qui a le mérite de s'intégrer lui-même; grâce à un effet spécial (Un matte, ce qui n'a d'ailleurs rien de spécial en cette fin du muet, tout le monde le fait. Vertov, lui s'amuse beaucoup avec pour nous montrer Kaufman qui marche littéralement sur la ville), il montre dans son film une séance de cinéma: on y projette Человек с киноаппаратом, de Dziga Vertov, autrement dit L'homme à la caméra. Et le film commence par la vision minutieuse de tout ce qu'est une salle de cinéma en 1929. Vertov ne peut échapper à l'auto-fascination pour son art et son pouvoir, pour le fameux 'ciné-oeil', du nom de son premier long métrage, un oeil qu'il nous présente en action du début à la fin, pour le montage aussi, car il nous montre une monteuse en action, et s'amuse à nous montrer des fragments non encore montés de son propre film. La mise en abyme absolue, donc, puisque elle intervient dans un film sans intrigue, la confection du film lui-même devient sa propre histoire. Et on sent la machine s'emballer dans des séquences de montage ultra-rapide, qui ont toujours cet effet fantastique de poussée d'adrénaline. C'est intensément satisfaisant et ça contribue à faire de ce film un film sur le cinéma, ou plutôt sur son exercice même.

Et ça, c'est rudement intéressant.

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Published by François Massarelli - dans Muet Russie 1929 **
22 avril 2016 5 22 /04 /avril /2016 18:56

Ce film a été réalisé avec le concours d'un groupe de jeunes et moins jeunes cinéastes, qui tous auront un avenir important dans le cinéma, notamment à Hollywood: le metteur en scène Robert Siodmak, et son frère Curt (Auteur de l'idée du film), Edgar G. Ulmer le co-réalisateur, Eugen Schüfftan le talentueux chef-opérateur révélé par Fritz Lang, et Billie (Futur Billy aux Etats-Unis) Wilder, le jeune journaliste qui assurait avoir participé au script, ou du moins à l'idée de départ, et dont des photographies assurent qu'il a bien participé au tournage, en qualité d'assistant et d'homme à tout faire, tout en multipliant les articles de journaux pour promouvoir le film. C'était une production indépendante d'un collectif qui s'intitulait Filmstudio, dont ce sera l'unique production, et si le film a été tourné en plein été 1929, il a été montré pour la première fois à Berlin en février 1930, alors que la révolution du parlant battait son plein. Mais il est resté, heureusement, muet, et n'a pas eu à subir de travestissement avec l'adjonction d'une post-synchronisation (Contrairement par exemple à Prix de beauté de Augusto Gennina, qui lui est strictement contemporain) qui en aurait sérieusement détourné le caractère.

J'ai à deux reprises parlé de "l'idée" plutôt que de l'intrigue, voire du script. car selon tous les témoignages, il a été improvisé, les acteurs faisant au jour le jour ce que leur demandaient les cinéastes. A l'origine de l'idée, il s'agissait de tourner une histoire située dans les environs de Berlin au début de l'été, un dimanche. On y verrait les jeunes gens dans leurs occupations de détente. Et bien sur, la caméra en profiterait pour capter la vie de la capitale Allemande sous un jour insouciant... Et c'est exactement ce qu'on a: imaginons un film qui serait comme le fameux Berlin: Die Sinfonie der Großstadt (1927) de Walter Ruttman, mais sous la forme d'une fiction.

Les acteurs du film, au nombre de cinq, sont tous des amateurs, recrutés pour leur photogénie. Aucun n'avait la moindre vraie expérience(Même si l'une d'entre eux était mannequin, et une autre figurante), mais ils font un travail remarquable. il s'agit de Wolfgang Von Walthershausen, Erwin Splettstosser, Christl Ehlers, Annie Schreyer et Brigitte Borchert. Cette dernière fait plus ou moins office de star du film... L'intrigue est simple: un samedi, Wolfgang rencontre Christl dans la rue, l'aborde et ils conviennent de se retrouver le lendemain pour une sortie au lac. Wolfgang demande à son ami Erwin de venir avec sa petite amie Annie. Le lendemain, Wolfgang et Erwin retrouvent comme convenu Christl, qui a amené sa meilleure amie Brigitte. Annie est en retard, et... le restera du début à la fin de la journée. Les autres, quant à eux, vont passer une après-midi baignade-pique-nique classique, sauf que deux d'entre eux vont, à un moment, disparaître discrètement dans les bois...

Clairement, ce film extrêmement maîtrisé est à la croisée des chemins. d'un côté, il reprend des éléments de la vague de films sociaux de la fin du muet, que ce soient ceux de Lamprecht, ou Pabst; il s'inspire du documentaire sous toutes ses fores: Ruttman vient à l'esprit, et l'influence en est évidente: la vision mi-objective, mi-amusée de ces Allemands en pleine délectation dominicale (Le film bifurque souvent de son intrigue principale pour nous régaler de ces portraits distanciés de vrais gens qui vivent leur vraie vie à côté des héros) est à mettre sur la même longueur d'ondes que le beau portrait de Berlin cité plus haut. On sent aussi l'influence Soviétique, le film citant ouvertement Eisenstein dans une parodie affectueuse du montage de Potemkine...

Et il se passe un de ces miracles dont le cinéma, il est vrai, n' a jamais été trop avare. La qualité exceptionnelle de la photo de Schüfftan, son oeil de peintre allié à la beauté de ces images captées sous un soleil complice font merveille. On se laisse complètement emporter dans le portrait tendre et un peu cruel aussi de ces vies de petites gens, dans la vie et l'insouciance aujourd'hui disparues de ces humains du dimanche. Et l'identification est immédiate, même si les coutumes, les modes de fonctionnement, ont bien sur changé, ce qui fait de ces fantômes et ombres sur l'écran des humains (Représentatifs selon un intertitre de "4 million d'Allemands"), est évident. Les cinq personnes sont, dans leur simplicité tranquille, leur manque de surjeu, leurs réactions aussi authentiques, parfaits pour un tel film, et plus on le voit, et plus on l'aime...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Billy Wilder 1929 Criterion **
30 mars 2016 3 30 /03 /mars /2016 18:25

Le dernier film muet de Dupont est situé, comme son nom l'indique, en plein coeur de Londres, dans le milieu du spectacle, continuant de façon évidente la thématique de Variétés (1925) et Moulin Rouge (1928). Aux acrobates du film Allemand, et à la danseuse de son premier film Anglais, il oppose cette fois le patron du night-club le plus en vue de London by night, interprété par Jameson Thomas, et deux femmes toutes deux danseuses, qui se livrent une concurrence sournoise pour le coeur de l'homme précité: Mabel, interprétée par Gilda Gray, et la belle Shosho, ancienne plongeuse de l'établissement promue vedette grâce à la fascination du patron pour elle, interprétée par Anna May Wong. Le film était produit dans cadre de la British International Pictures, dont le but avoué (Dès la dénomination, en fait) était de porter hautes les couleur du cinéma Britannique sur les cinémas du monde entier... D'où la présence dans la production de deux recrues de choix: le metteur en scène, dont le succès de Variété en 1925 (1926 pour le reste de la planète) était encore dans toutes les mémoires, et bien sur Anna May Wong.

Cette dernière n'a jamais eu l'aura qu'elle méritait, en même temps, sa présence presque systématiquement "en contrebande" lui a conféré un statut d'icône underground qu'elle n'aurait sans doute pas eue, si elle avait réellement été mise en valeur par les grands studios, au-delà de son image quasi-permanente de second rôle incarnant de façon fleurie, colorée et souvent raciste, les mystères de l'orient... Dans ce film qui la voit jouer une danseuse parvenue à un niveau de vie inattendu et miraculeux, mais qui semble consciemment pratiquer la promotion canapé, et finira mal, elle n'échappe pas à l'habituelle incarnation de la séduction érotique, mais elle bénéficie d'un rôle plus avantageux que d'habitude, devenant par la grâce d'un meurtre, l'objet littéral du délit: fortement érotisée (En dépit des restrictions particulièrement drastiques imposées par la censure Britannique), convoitée par tous les hommes, Shosho ne pouvait que finir mal. On s'interroge sur la portée réelle du film quand on voit que le crime, les bas-fonds (Ah, Limehouse...), la pauvreté et la pègre sont intimement liées dans le film à la communauté Sino-Britannique, mais on constatera aussi qu'une scène nous montre une boîte de nuit "canaille" de Limehouse dans laquelle, en apparence toutes les ethnies présentes dansent ensemble, et Shosho et son amant et patron semblent être en sécurité... jusqu'à ce que le patron de l'établissement intervienne et sépare un coupe: elle, blanche, a osé danser avec un noir: pas de ça dans mon bar! Ainsi le racisme supposé est-il pointé du doigt...

Du reste, Shosho danseuse parce qu'elle la bien voulu, est après tout une femme de son temps, plus opportuniste que fatale qu'un amant fou de jalousie supprimera, et qui restera bien malgré elle à l'écart de cette bonne société qu'elle avait cru conquérir. Et Dupont, qui filme souvent dans le monde du night-club, n'oublie jamais le Londres populaire, qui envahit chaque plan tourné à l'extérieur des boîtes de nuit chic. Et c'est ce Londres populaire, qui va d'ailleurs dominer le grand cinéma Britannique des années à venir, par les Hitchcock, Asquith, et autres, qui semble ici avoir le dernier mot...

Il y a peu à dire sur l'interprétation, qui souffre après tout d'un mal inévitable: comment peut-on rivaliser avec Anna May Wong? Celle-ci, comme en témoigne la suggestive affiche ci-jointe, qui est fort menteuse puisque jamais la belle Chinoise ne se dénude dans le film, reste l'argument de vente numéro un. Et comme prévu, aussi bien la danseuse Gilda Gray, que l'acteur Jameson Thomas ne seront à la hauteur flamboyante de leur co-star... De même le film est-il, surtout en comparaison de Variétés, assez inégal. Dupont a une science bouillonnante de l'usage de la caméra qui semble se déclencher de manière intermittente, au gré de ses envies. C'est souvent virtuose, parfois brillant, mais le film reste, après tout, un mélodrame... dont le sommet visuel, bien entendu, est une scène de meurtre! Mais le metteur en scène multiplie les plans situés "à côté" de l'action comme s'il anticipait sur le parlant, et ça, ce n'est as banal: par exemple, les rapports entre Wilmot, le patron, et Shosho, ont mal commencé. Il l'a virée de la cuisine parce qu'à cause d'elle et d'une assiette sale, un client (Le tout jeune Charles Laughton) a gâché un numéro. Ils se rencontrent en bas d'un escalier en colimaçon, commencent à discuter... La caméra s'éloigne, et on voit alors un veilleur de nuit, un vieux bonhomme qui les voit, s'arrête, les écoute, et tout à coup manifeste un étonnement. La caméra retourne sur eux, désormais, qui montent l'escalier. La conversation aurait-elle pris un tour coquin? Dans ce genre de réactions des dizaines de figurants et acteurs de petits rôles qui sont si nombreux dans le film, réside finalement tout le prix humain de la production. Coûteuse, certes mais qui a rapporté... Pas mal pour un film muet, qui plus est Britannique, en 1929...

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Published by François Massarelli - dans Muet 1929 ** E.A. Dupont
25 août 2015 2 25 /08 /août /2015 18:06

A l'aube du parlant, on se rend compte que s'il va bientôt n'être plus qu'une pièce de musée, Fairbanks a été d'une importance capitale, au-delà de son propre succès de ses débuts en 1915 jusqu'à la fin de cette décennie. Il a fait renaître un genre auquel on ne s'attaquant plus qu'avec des pincettes, et l'a doté d'ambition, de luxe, de classe... et l'a, en 9 années et 8 films, amené à l'âge adulte. C'est cette magnifique épopée que ce dernier film vient clore en beauté. Et pour mieux le faire, l'acteur-producteur a refait appel à Allan Dwan, qui rappelons-le n'est pas pour Fairbanks que le réalisateur de son impressionnant Robin Hood: il a beaucoup contribué dès les années 10 à façonner la carrière de l'acteur, en réalisant une poignée des meilleurs films de sa première période, dont l'incontournable A modern musketeer, un film qui a soudain contribué à élargir de façon significative le champ d'action de Doug. Et non seulement c'est un ancien collaborateur chevronné, non seulement c'est un réalisateur d'une grande efficacité et reconnu par toute la profession, mais Allan Dwan est aussi et surtout un connaisseur de Dumas, et un amoureux de la saga de D'Artagnan, Il a consacré sur l'ensemble de sa carrière plusieurs films à cette période, à Dumas à et ses variations, dont un Richelieu...

Le film adapte Vingt ans après, ainsi que Le Vicomte de Bragelonne, de Dumas. La partie de cette dernière source convoquée par Fairbanks et son équipe est celle consacrée à la sous-intrigue du masque de fer, bien sur. Mais on revient aussi à une sous-intrigue des Trois mousquetaires omise par l'adaptation de 1921: le destin de Constance Bonacieux. Premier geste-clin d'oeil qui fait parfois ressembler ce long métrage à un bouquet final, le rôle de la jeune amoureuse de Richelieu est confié de nouveau à Marguerite de La Motte, ce qui est doublement une bonne idée, permettant une transition plus facile d'un film à l'autre, mais surtout cela entraîne entre l'actrice et Fairbanks des occasions de jouer ensemble avec une grande complicité des scènes qui sont superbes - et poignantes, car pour une fois Fairbanks n'aura pas l'occasion de gagner le coeur de la belle à la fin du film... Autre acteur de premier plan du film de Niblo, Nigel de Brulier reprend son plus grand rôle, et fait merveille du début à la fin, rappelant que Les trois mousquetaires, c'est aussi un peu Les aventures de Richelieu! Et le script est impressionnant dans ses ramifications, qui échappent aux structures habituelles des films de Douglas Fairbanks. Ici, il y a du chaos, mais il est inhérent à la vie politique représentée par Richelieu, et sa mission sacrée: il est nécessaire de sauvegarder l'état, en empêchant une révolution qui serait inéluctable si le secret de la naissance des jumeaux, premiers-nés de u règne de Louis XIII, était connue. Et dans un geste que l'ancien D'Artagnan, celui du film de Niblo n'aurait jamais fait, le D'Artagnan adulte, revenu de tout car sommé de ne plus s'associer à ses trois copains, et parce qu'il a perdu la femme de sa vie (Après seulement minutes de film), travaillera désormais pour le Cardinal Richelieu, et sera amené bien que le secret lui soit inconnu à croiser la route du fameux "Masque de fer"...

Le film est superbe, et Dwan est l'un des plus doués parmi les réalisateurs de la période: il sait parfaitement donner de la vie à des personnages qui sont loin de la caméra, que d'autres réalisateurs auraient perdus de vue, noyés dans l'immensité d'un décor. Il est aussi à l'aise dans les rues charmantes d'un Paris reconstitué, que dans les douves d'un inquiétant château. Et Fairbanks, malgré son âge, fait encore merveille dans des cascades qui s'apparentent souvent à un magnifique baroud d'honneur... Mais le film est aussi hanté par la mort, par la révélation que la vie mène toujours vers le crépuscule et la solitude. Une large partie se déroule durant la nuit, et on trouvera dans ce film les morts soulignées de nombreux personnages ainsi que des parcours qui se terminent de façon abrupte mais totalement justes: Richelieu, Milady, Constance, De Rochefort, Athos, Porthos, Aramis, et D'Artagnan trouvent tous un accomplissement, une fin à leur destinée, qui me semble impressionnante parce qu'elle dépasse à mon sens le cadre du film. Encore une fois, il s'agit d'oser donner à des personnages une dimension humaine là ou on est habitué à en faire des personnages noirs ou blancs d'un opéra plus grand que nature, mais en leur conférant aussi une dimension mythologique. Mission accomplie. Mais comme le film, l'un des derniers gros films muets, est sorti en 1929, Fairbanks y a apposé deux séquences parlées qui n'apportent rien, on les oubliera d'autant plus vite...

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Published by François Massarelli - dans Muet 1929 Allan Dwan Douglas Fairbanks ** Dumas