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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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18 octobre 2011 2 18 /10 /octobre /2011 11:01

Durant la période "free-lance" de Borzage, entre son contrat à la Fox et son contrat à la warner, il a donc beaucoup tourné, pour un certain nombre de compagnies. Aujourd'hui, un sondage sur les préférences de ses admirateurs permettrait sans doute d'établir le fait que tous se retrouvent principalement dans ce film, tourné en 1933 pour la Columbia, qui était encore un bien petite entreprise en dépit des efforts de Capra pour lui faire voir plus haut. De fait, loin des films généreux et souvent basés sur une observation réaliste, transcendée par l'urgence de son style, de Capra, ce nouvel opus Borzagien est une nouvelle fois une somme de ses thèmes, qui renvoie à sa faste pério de 1927 à 1930, et plus particulièrement à Seventh Heaven, The river, Lucky star et Liliom. Le film, qui ne fut sans doute pas un succès notable en 1933, est aussi devenu une grande date non seulement de l'oeuvre du cinéaste mais aussi de toute cette période qui se situe avant la renforcement en 1934 du code de production, c'est dire si l'on s'y exprime librement. Il y est question de la cohabitation hors mariage, de sexe et d'adultère, et on y professe une vie à l'écart de tout y compris de la légalité. Pour en terminer avec ce préambule, ajoutons que les acteurs convoqués par Frank Borzage y sont tous absolument excellents, Spencer Tracy et Loretta Young en tête...

Trina, une jeune chômeuse au bout du rouleau, rencontre Bill, un homme dont les habits lui font croire qu'il est riche, et qui lui suggère avec dureté de faire face à la crise en prenant les devants, faisant allusion à la possibilité de se prostituer; il lui 'offre' aussi à manger, ce qui va vite révéler à la jeune femme qu'il est sans le sou, un apôtre de la débrouille, habillé comme un prince pour les besoins d'un boulot d'occasion. Il la ramène "chez lui", dans un taudis ou il partage la condition des plus défavorisés, et très vite ils partagent le même toit, formant un couple des plus étranges: elle se dévoue corps et âme à lui, mais il n'a jamais de mots autres que durs à l'égard de la jeune femme, qu'il menace d'abandonner. Bragg, un homme aux intentions peu honorables les surveille, afin de s'approprier la jeune femme le moment venu. Bill assume sa liberté, et tente de fuir la jeune femme lorsque celle-ci lui annonce qu'elle est enceinte.

http://2.bp.blogspot.com/_CLu8_jFPNZ4/TNA5UREyG7I/AAAAAAAAHP8/iKMX-Fu3xrw/s1600/10b+Man's+Castle.jpgA force de douceur, elle l'amène à s'interroger, puis à tenter de prendre ses responsabilités, lorsque sous l'influence de Bragg, il s'essaie à un cambriolage désastreux, comme Liliom, mais les deux amants, qui ont eu droit eux aussi à leur simulacre de mariage, vont pouvoir comme Allen John et Rosalee partir; leur "péniche", par contre, sera un train, ce même train qu'Allen John ratait à chaque fois qu'il souhaitait le prendre dans The river, et qui est ici le fil rouge de l'envie d'ailleurs de Bill, qui se vante de choisir sa destinée, mais semble bien coincé à New York...

On le voit, on retrouve beaucoup des traits et des obsessions de Frank Borzage, accumulés de film en film, depuis la rencontre fortuite entre Bill et Trina et la réticence de Spencer Tracy à l'égard de toute expression de tendresse, ce qui nous renvoie à la cohabitation entre Chico et Diane dans Seventh Heaven. Borzage va ici plus loin dans la peinture du couple, en donnant clairement à leur amour une dimension sexuelle, qui apparait par le dialogue, par la promiscuité évidente (Cette conversation sublime, menée par Loretta Young, lorsqu'ils sont tous les deux sur un lit, et que par pudeur, Tracy se cache le visage dans un oreiller, par exemple, trahit l'incroyable intimité du couple), et bien sur par ce vieux truc mélodramatique mais aussi terriblement réaliste, de faire tomber la jeune femme enceinte. De même, les intentions de Bragg sont évidentes et renvoient à Wrenn dans Lucky star, sauf que là encore si Trina ne souhaite pas aller vers Bragg pour avoir des rapports avec lui, c'est plus parce qu'elle est pleinement satisfaite de ses amours avec Bill.

Mais ce film n'est pas, en aucun cas, une simple accumulation de morceaux douteux (Pour l'époque). si le réalisateur a su ouvrir les yeux et appeler ocasionnellement un chat un chat, il le fait avec naturel, avec cette tendresse qu'il sait habituellement témoigner à ses personnages. A ce titre, les personnages secondaires du vieux pasteur déchu et de sa compagne alcoolique, ou de la chanteuse qui veut l'espace d'un instant s'approprier un homme parce qu'elle en a les moyens et qu'elle le désire, sont très intéressants; superbement campés (Walter Connelly, un acteur versatile souvent utilisé dans les films de Capra, Marjorie Rambeau et telle qu'en elle-même, la grande Glenda Farrell enpruntée à la Warner), ils sont aussi aimés par le réalisateur qui nous communique sa tendresse et son insatiable curiosité pour l'humain... Sauf que cette fois-ci, en Bragg, il a trouvé un os: le personnage est irrécupérable, et il va en mourir, et le film suggère d'ailleurs que son meurtre, rendu juste par la situation, sera impuni... De plus, la palette choisie pour le film est toute en douceur, avec un clair-obscur qui renvoie une fois de plus à ses glorieuses années, à l'écart du réalisme brutal, dans un monde presque parallèle, une marge ou la normalité serait celle du monde de Bill et Trina, et toute scène située en ville ressemblerait presque à un rêve. Disons que le film partage cette idée d'un monde à part, avec les films Les Bas-Fonds et Dodes'Kaden de Kurosawa, ou encore avec Freaks, et bien sur avec Lazybones, Seventh Heaven ou Lucky Star...

Les touches Borzagiennes sont légion, depuis ce point de départ en trompe l'oeil, avec ce banc sur lequel un Spencer Tracy en habit observe la jeune femme qui louche sur les miettes de pain qu'il donne aux pigeons, jusqu'à la fin qui voit les deux amants (elle est en robe de mariée) partir vers leur destin, cachés dans un wagon dont il faut laisser la porte ouverte afin de ne pas entraver leur liberté, tout comme Bill dormait en permanence sous une fenêtre ouverte, afin de préserver l'illusion de sa liberté. On peut aussi citer la scène durant laquelle Bill se baigne nu dans l'Hudson, invitant tout simplement la jeune femme qu'il vient juste de rencontrer à le rejoindre, ce qu'elle fait sans se faire prier, ou encore les petrites anecdotes qui font de Bill, sous son côté bourru, un coeur d'or. Oui, ce film est bien l'un des plus beaux de son auteur, et franchement, c'est dommage que les seules copies dont on semble disposer aujourd'hui aient été amputées de quelques précieuses minutes...

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage Pre-code
9 octobre 2011 7 09 /10 /octobre /2011 11:36

Depuis le succès de Rashomon, Kurosawa a fait la preuve de son intéret pour ces périodes d'incertitude politique profonde du japon, dans lesquelles il va chercher un équivalent de la situation contamporaine du Japon. Néanmoins, tout comme Je vis dans la peur a été en quelque sorte une somme allégorique de sa représentation jusqu'alors plus réaliste de l'état d'égarement du Japon vaincu, en perte de repères, ce nouveau film pose une situation qui va plus loin que la geste habituelle. Ici, l'importance du chaos est primordiale, et à bien des égards le film en est une description. La présence comme argument d'une des pièces les plus désespérées de Shakespeare, et la volonté de Kurosawa d'aller plus loin après la plénitude des Sept samouraïs, en commençant une trilogie (Dont les volets suivants seront Les bas-Fonds et La forteresse cachée) qui met en avant des individus, font de cette nouvelle étape un volet fascinant de l'oeuvre. de plus, la perfection formelle du film provoque, et ce partout ou il est montré, un respect enviable...

 

Deux généraux d'un clan triomphal font une étrange rencontre après une bataille, celle d'une femme fantômatique qui leur promet une destinée grandiose. Ils semblent s'interroger, mettent en doute l'ambition qu'on leur décrit. Mais les prédictions s'avèrent vite juste, et l'un d'entre eux, Washizu (Toshiro Mifune), va dévier de sa noblesse et de sa loyauté, en tuant son maître, puis son ami Miki et en se lançant dans une fuite en avant vers le pouvoir, l'isolement, et la folie.

 

Dans ce qui est une somme de son style et un parfait résumé de son approche du Japon Féodal, cette période de chaos, Kurosawa tente, et réussit la quadrature du cercle: utiliser Shakespeare, lui rendre justice, tout en préservant à son film une approche visuelle; utiliser le barde de Stratford et sa thématqiue de la folie rencontrée sur le chemin de l'ambition et du pouvoir, à travers l'âpre Macbeth, tout en réussissant un film qui emprunte au théâtre Noh, d'essence constamment Japonaise. ce faisant, il joue avec génie sur l'artifice (L'anecdote semi-fantastique des arbres qui bougent dans la brume), sur son utilisation de la nature, avec toujours cette sensation de pouvoir toucher la boue, voire de se faire éclabousser par son film... Un grand moment, donc.

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Published by François Massarelli - dans Akira Kurosawa Criterion
28 septembre 2011 3 28 /09 /septembre /2011 14:26

Quatre films, une misère... et encore, on sent les bouts de ficelle dans l'oeuvre de Vigo, fils d'Eugène Bonaventure de Vigo dit Miguel Almeyreda, anarchiste, homme politique et patron de presse suicidé dans sa cellule par les mêmes qui ont acquitté l'assassin de Jaurès. La politique n'est pas très loin de son oeuvre, sans jamais y être totalement: tout au plus constatera-t-on un esprit frondeur, une représentation contrastée des classes sociales (A propos de Nice), une envie de taper joyeusement sur les élites (Zéro de conduite), un goût pour le populaire, la représentation des vrais gens qui travaillent, qui souffrent, qui vivent et se distraient (A propos de Nice, L'Atalante) et un trait commun à tous ses personnages: l'enfance (Zéro de Conduite), prolongée chez certains personnages (L'Atalante), voire débusquée derrière le bien-être bonhomme d'une nageur émérite qui s'amuse d'être comme un poisson dans l'eau (Taris). Tous ces films ont pour point commun d'être une représentation du corps, que ça passe par le déshabillage goguenard d'une belle dame assise sur la promenade des Anglais, de la vision au ralenti d'un corps saisi dans sa réalité et son impudeur à tournoyer sans cesse dans l'eau, dans la ronde, elle aussi ralentie, d'un groupe d'enfants qui célèbrent leur liberté absolue en faisant les fous dans leur dortoir, ou dans la vision osée et érotique de deux amants éloignés l'un de l'autre qui se palpent l'intimité avec conviction pour soulager leur mal-être, unis dans une étreinte désespérée par le montage... Le cinéma de Vigo est l'un des plus directs, frontaux, et mal polis de toute la profession, parce qu'il y avait urgence, lui savait qu'il n'en avait sans doute pas pour longtemps. il est dommage que L'Atalante soit son dernier film, parce que sa réussite indéniable, flagrante, reste probablement un brouillon de ce que le cinéaste aurait pu faire par la suite, voire de ce qu'il aurait pu faire si la Gaumont avait cru en lui sur ce film, et s'il avait été en état de le terminer. Mais voilà, on devra, pour Vigo, se contenter de ces quatre films pour l'éternité, et du peu de choses qu'on puisse rassembler sur la personnalité timide et poétique de l'auteur...
 

A propos de Nice (1930)

Tourné en quelques jours à Nice, ce "point de vue documentaire" est donc le premier film de l'une des personnalités les plus fascinantes et les plus libres de l'histoire du cinéma. Avec Boris Kaufman, autre blanc-bec cinéphile, les images glanées dans les rues de Nice s'agencent en une belle démonstration d'une certaine inégalité, qui culmine dans une vision du carnaval en tant que fête populaire. C'est auto-financé et amateur, mais déjà on voit ici le résultat d'observations dues à l'oeil exceptionnel de Vigo, et son goût pour l'étrange ralenti charnel, qui s'attarde sur les corps comme pour mieux les toucher. Et puis son Nice dominé par les riches reste comme sauvé, détourné par Vigo qui s'intéresse d'une part beaucoup aux rues populaires, aux petites gens saisis dans leur humanité, et au carnaval, véritable défouloir, dans lequel on apercevra justement vers la fin un jeune homme frêle mais jovial nommé... Jean Vigo. Sinon, il semblerait que Vigo partage ce génial point de vue de Pierre Desproges sur la ville des poètes Jacques Médecin, Jacques Peyrat et Christian Estrosi: Nice le seul endroit ou les chiens glissent sur des crottes de vieux.
Taris (1931)

Quelques images sportives d'un nageur en pleine gloire... Le court métrage réalisé pour Gaumont est un festival d'expérimentations en tous genres, qui permet à Vigo, sous le prétexte d'un documentaire à la gloire d'un champion de natation, de tout tenter pour souligner l'extraordinaire liberté de Jean Taris, pour filmer la poétique danse sous-marine des corps, et une fois de plus aller au plus près de la réalité corporelle, sans pudeur ni excès. Drôle et aérien, son film fonctionne encore 80 ans après.

Zéro de conduite (1933)

Le vrai film sur l'enfance c'est bien sur celui-ci, qui revient sur les difficiles souvenirs de Vigo d'institution en institution, et qui montre comment la révolte naît de la frustration, et de l'invention. Comme toujours, il le fait sans concessions, avec poésie et une imagination sans limites, plus une vacherie qui cible les adultes pédophiles, les profs incompétents, l'armée, les prêtres, les notables, les parents... et ça marche encore. Les garçons filmés par Vigo ne sont pas des acteurs, ils parlent assez vrai, sans fioritures, et ça sent la cigarette, la chaussette même. Mais leur envie de vivre est communicative. un seul homme est ici "sauvé" par Vigo, le jeune surveillant joué par Dasté qui fait semblant de se plier à la hiérarchie, mais veille d'une oeil tendre sur l'esprit de révolte des jeunes gens qu'il a à charge... comment s'étonner que ce film ait été longtemps interdit, sorti dans la tourmente de la montée des fascismes en France, et dans le reste de l'Europe. il est regrettable qu'il ait si longtemps été impossible de le voir... Il établit en tout cas un style unique, fait d'observation, d'images brutes et cinglantes, dans lesquelles la confiance des acteurs entièrement dédiés à la volonté du metteur en scène est évidente...

L'Atalante (1934)

Objet d'un accord, sous forme d'un contrat entre Gaumont et Vigo, ce film était l'entrée après l'épisode malheureux de Zéro de Conduite de Vigo dans la corporation du cinéma. Les trois personnages principaux en sont joués par des acteurs, dont Michel Simon et Dita Parlo, et le sujet est plutôt celui d'une bluette à l'eau de rose... Mais la présence de Jean Dasté, de Louis Lefèvre, tous deux sortis de Zéro de conduite, l'art du cinéaste pour tout détourner et pour laisser les acteurs s'approprier une scène (Voir Michel Simon, à ce sujet...) font que ce film sur les amours et les fâcheries d'un couple de mariniers dont le mariage est soumis à la rude épreuve de vivre sur une péniche, et qui sont veillés par un vieux marin pittoresque et vaguement sage, devient au final un poème tendre sur l'amour, la vie, le passage du temps, et les vrais liens entre les êtres. on y voit des images poétiques (Dita Parlo, en robe de mariée, sur une péniche en mouvement; Jean Dasté nageant, avec Dita Parlo en surimpression au ralenti), burlesques (Michel Simon détaillant son bric-à-brac infernal et fumant avec le nombril), poignantes (Dasté se plongeant la tête dans l'eau pour "voir sa femme"), et érotiques (l'intimité entre Dasté et Parlo, leur bonheur tout cotonneux après la nuit de noces, etc...). C'est aussi le film dans lequel on a envie de se lever et d'applaudir lorsque Michel Simon entre dans une boutique, soulève sans un mot l'héroïne et sort pour la ramener à la péniche...  

L'Atalante aurait du être le premier long métrage de Vigo et non son dernier film... Il porte en lui les stigmates d'une fin de carrière marquée par un double fardeau: la tuberculose, un temps enrayée, est revenue de plus belle et menace cette fois le jeune réalisateur, qui ne survivra pas au tournage, et ne pourra tourner tout ce qu'il... a prévu. La compromission, obligatoire dans cet art collectif qu'est le cinéma, a poussé la Gaumont à mépriser le film qu'elle a reçu du novice, et a le triturer ensuite jusqu'à le dénaturer après la mort de Vigo. le résultat ne ressemble à aucun film connu et est sans aucun effort le chef d'oeuvre de son réalisateur, un film qui résiste à tout: à la censure, aux années, à la connerie, et enfin à l'interprétation, film pur dans lequel le sens vient du corps et de sa représentation, des émotions, et de l'image. Bref, du cinéma...

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Published by François Massarelli - dans Muet Comédie Jean Vigo
24 septembre 2011 6 24 /09 /septembre /2011 15:45

Si on devait mesurer l'intérêt d'un film à ce qu'en ont dit les historiens et critiques, on serait tenté de passer son chemin devant cet avant-dernier film de F. W. Murnau, le dernier fait à la Fox. Mais à leur décharge, les Eisner, Sadoul et consorts n'ont eu à l'époque de leurs erreurs que la version parlante du film pour s'en faire une idée, et l'histoire de ce film est de toute façon tellement embrouillée qu'il était bien difficile d'y voir clair. Grâce à Janet Bergstrom, historienne exigeante et dont les recherches sur Murnau font autorité, mais aussi grâce à David Kalat, dont le commentaire audio sur l'édition Masters of cinema du film est comme toujours un vrai bonheur, tout en étant une mine d'informations, on peut aujourd'hui parvenir à démêler les fils de l'intrigue rocambolesque des aventures de ce film, tombé victime du parlant. 

Contrairement à une idée répandue, Murnau est encore le maitre de sa propre situation au moment d'entamer le tournage de son troisième film Américain, et a carte blanche pour faire le film comme il l'entend. Il a jeté son dévolu sur une pièce de théâtre, The mud turtle, qui l'enthousiasme dans la mesure ou il va pouvoir la transformer, dit-il, en une symphonie tragique du blé, intitulée Our daily bread. Ces mots volontiers pompeux sont en fait en droite ligne inspirés des mots qu'il utilisait lui-même pour présenter ce qui devait être son grand oeuvre, mais le film a très vite pris une dimension plus raisonnable (Ce n'est, heureusement, pas La ligne générale, et sa partition pour tracteurs...), et est plus proche du mélodrame flamboyant tel qu'il se pratiquait à la Fox sous la responsabilité de Borzage, que d'une quelconque austère allégorie grandiloquente. Le tournage s'est passé sans trop de problèmes, jusqu'à ce que le film soit stoppé par la Fox, désormais mise au pied du mur du son, et dont les exécutifs qui avaient plus ou moins écarté William Fox réclamaient du parlant à corps et à cris. S'il ne dédaignait pas imaginer d'ajouter une scène ou deux qui aurait pu incorporer du dialogue et servir son propos, Murnau s'est de toute façon désinteressé du projet, qui n'était pas fini au moment de son départ. Le film sera donc achevé sous la forme d'un film muet (Celui qui est si largement disponible aujourd'hui), puis a été repris sous la forme d'un parlant, très différent du film muet, et confié à d'autres metteurs en scène. Cette version parlante à la réputation désastreuse, je ne l'ai pas vue, elle n'est en aucun cas disponible en vidéo, mais elle existe... tant pis pour elle.

Lem Tustine (Charles Farrell), le fils d'un céréalier du Minnesota, part à Chicago pour vendre du blé. Une fois sur place, il est empêché de vendre au prix demandé par son père, et rencontre une jeune femme (Mary Duncan), qui est serveuse dans un 'diner', et qui rêve de la campagne, ou elle pourrait enfin respirer, à l'abri des regards concupiscents des hommes corrompus qui viennent manger sur son lieu de travail. Lem tombe amoureux, et Kate est tout de suite attirée à la fois par le bonhomme, et par la vie qu'elle lui suppose. Ils se marient sur place. Une fois Kate arrivée à la ferme, il va néanmoins lui falloir affronter le terrible Tustine père (David Torrence), mais aussi Mac (Richard Alexander), le travailleur intermittent qui va tout faire pour la piquer à Lem. Quant à celui-ci, il va lui falloir affirmer sa masculinité, c'est à dire se battre pour son épouse...

Soyons clair: le seul gros défaut de ce film, c'est sans doute de ne pas être Sunrise. On a tendance à le mettre de coté, et pour commencer le statut un peu particulier de film accompli aux trois-quarts par Murnau tend à faciliter l'oubli. C'est injuste, d'une part parce que le réalisateur est parti de son plein gré, et aurait très bien pu rester en place et finir le film lui-même, ensuite, parce que le résultat final est tout sauf indigne de Murnau. Enfin, Murnau et la Fox travaillaient main dans la main avant le désaccord, et le résultat est un film Fox, c'est à dire une ouvre de la même famille que Sunrise, le cycle Farrell-Gaynor, The River, ou Four sons. The river possède de fait un plus important cousinage, dans la mesure ou le casting en provient largement, et aussi parce que City Girl a été mis en route une fois achevé le tournage du film de Borzage.

Cette vision lyrique du monde rural, dans lequel le mal n'a pas besoin de s'installer, puisqu'il est déjà présent, vient s'ajouter à la thématique déjà riche de Murnau: ses films "paysans" Allemands, dont peu ont survécu (Terre qui flambe et un fragment de Marizza), ont été prolongés par Sunrise. Ce nouveau film vient donc contrebalancer la vision riche mais souvent manichéenne de Murnau, qui présente une ruralité saine opposée à la ville qui corrompt (C'est flagrant dans Sunrise comme dans Terre qui flambe): ici, on tend à inverser l'idée, puisque c'est en quête d'une certaine rédemption et d'une vie saine que Kate embrasse la vie paysanne, mais elle sera rejetée par le père Tustine, et courtisée par des hommes aussi corrompus que la vamp de Sunrise... Parallèlement, Murnau montre une fois de plus un couple en marge, ce qui rejoint le canon Borzagien, et sera prolongé de façon intéressante dans Tabu, mais il revient une fois de plus sur un motif récurrent de ses films: l'intrus, invité dans le cercle (Famille, ville, monde...) par un héros ou un protagoniste proche du héros: Tartuffe, Mephisto (Faust), Nosferatu, La vamp (Sunrise), et plus tard le vieux prêtre (Tabu) sont tous dans ce cas. Mais "l'intrus" ici n'est pas Kate, quoique le titre Français soit L'intruse: Mac représente le danger qu'on laisse s'installer, voire le vieux Tustine qui se met entre Lem et Kate... Et cette fois encore, comme Hutter qui ne comprend rien, comme le couple de Tabu, comme Faust qui accueille avec bonheur le retour de sa jeunesse, ou comme Orgon fanatisé, le combat est rude; Farrell prête une fois de plus ses traits et son grand corps gauche à un homme qui n'a pas fini de grandir, et qui a besoin de tous les encouragements de Kate pour s'accomplir... En attendant, le lyrisme des plans de Kate et Lem qui s'approchent de la ferme, avec du blé à perte de vue, ne sont pas près d'être oubliés...

 

Voilà, ce petit mélodrame qui se concentre en priorité sur une jeune femme, le seul rôle conséquent de Mary Duncan dont on possède plus qu'une trace incomplète, et à laquelle le titre rend explicitement hommage, est un film-testament de celui qui a soudain décidé de faire du cinéma autrement, sans studio et sans stars et qui part le faire tant qu'il en a encore la possibilité. Si la "tragédie " du blé n'est plus qu'un lointain souvenir, il semble que l'abandon de ce projet a été fait sans douleur, au profit une fois de plus d'un film de studio qui n'a rien d'indigne. Kalat souligne les points communs entre City girl et Days of heaven, de Terrence Malick; on sait aussi que Vidor tournera en 1934 en indépendant lui un film intitulé Our daily bread. Ce ne sera pas non plus La ligne générale... City Girl, fait avec passion, bien  terminé par d'autres qui n'en ont pas vraiment trahi la vision, est une pierre blanche de plus dans la belle oeuvre essentielle de F. W. Murnau.

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Published by François Massarelli - dans Friedrich Wilhelm Murnau Muet 1929 **
19 septembre 2011 1 19 /09 /septembre /2011 11:13

Voici un exercice d'équilibriste intéressant et salutaire; après tout, les Etats-unis ont pu avoir All the president's men, en 1977, alors que la démission de Nixon était encore toute chaude, et bien sur Oliver Stone a dégainé son W (Bush), alors que le président était encore à la maison Blanche... Mais attention, le propos de Durringer n'est pas si politique que ça, l'objet n'est pas de débiner, mais plutôt de montrer, par un portrait aussi intime (Et présenté comme fictif) que possible du président en fonction, la relation étonnante entre le pouvoir et l'affectif.

On le voit bien, avec les conciliabules (Chirac-Sarkozy, Villepin-Chirac, Sarkozy-Guant, Sarkozy-Villepin, etc), que même au sein d'un seul et même parti (ne cherchez pas la gauche, elle est aussi

absente du film que des 5 années du deuxième mandat Chiraquien!), les rapports ne sont pas de tout repos, et que tout ça est une affaire de testicules, le mot (ou ses équivalents) étant le plus courant de tout le dialogue du film, Villepin en particulier aime parler d'écraser les testicules des gens... Une façon de souligner que Sarkozy estime que la politique est une forme de viol consenti d'un pays par la victime, et que c'est à celui qui ira le plus violemment. D'où une agressivité sans bornes, un culot énorme. D'où aussi, devant ce film, une impression de répétitivité irritante, mais probablement due à la concentration des scènes fortes. C'est forcément caricatural, puisque cela se veut avant tout une comédie du pouvoir, mais ça débouche aussi sur le touchant drame d'un homme auquel je voue pourtant une haine farouche depuis ses premières prestations télévisées de 1991, et je ne parle pas de Denis Podalydès, mais bien du vrai Napoléon de Neuilly...

L'obsession de Cécilia, le chantage affectif permanent, l'humeur mise systématiquement en mode "pas content", la foi inébranlable en sa supériorité, le fait d'assumer avec conviction et sans états d'âme d'être de droite, très à droite, la conviction qu'un mandat accordé par l'électeur n'est finalement qu'un chèque en blanc, et enfin le règne par la terreur, y compris et surtout si on est un ami, toutes les sales manies du Mussolini des Hauts-De-Seine sont par contre représentées, de façon un peu exacerbées oui, mais avec raison. Denis Podalydès fait un travail fantastique, tous les autres tendent par contre un peu à imiter les marionnettes des Guignols. En plus, l'acteur qui joue Frdéric Lefebvre a l'air intelligent, c'est une erreur de casting...

Voilà, c'est bien mitigé, mais après tout, devant un pouvoir qui se casse la figure et que les élections prochaines devraient balayer (Sans qu'on ait un espoir très aigu de jours meilleurs), rien ne sert de charger la barque: l'actuel président de l'Etat Français se charge assez bien tout seul de régler son propre compte. Reste une impression que pendant cinq années cet homme a bousculé absolument tout, très vite, et que ses dégats sont irrémédiables, et ça le film le montre aussi, insidieusement. Nos destins sont pour l'instant entre les mains d'un manipulateur invétéré à la merci de ses émotions. Elle est pas belle la vie? Non? Tant pis.

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Published by François Massarelli - dans Tout petit tout petit
17 septembre 2011 6 17 /09 /septembre /2011 17:34

Après le décès de son épouse Rosa, Mankiewicz a eu à subir également la faillite totale de son "bébé", Figaro productions. Après une courte thérapie, il a été de nouveau disponible pour des commandes. La première de ses réalisations après ces années noires est donc une adaptation d'une pièce partiellement autobiographique de Tennessee Williams, produite par Sam Spiegel pour Columbia, reposant largement sur des capitaux Britanniques, et tournée à cet effet en Europe. Le film a été pour Mankiewicz l'occasion de travailler avec trois stars, et sans aucune surprise a donné lieu à des tensions sur le plateau, et par dessus la marché des réactions assez amères face à un sujet très noir, Tennessee Williams oblige... L'argument de la pièce tourne autour d'une révélation: La richissime Violet Venable veut réduire physiquement au silence sa nièce Catherine Holly, qui a assisté à la mort de son fils adoré, Sebastian Venable... Celui-ci, en effet, est mort tué et presque mangé par des enfants et adolescents pauvres de la petite cité balnéaire Espagnole ou il était en vacances; la plupart des jeunes gens qui l'ont tué étaient aussi ses anciens flirts, des garçons dont il avait demandé les faveurs, attirés qu'ils étaient par la beauté de Catherine... La mère qui vit dans le culte morbide de la chasteté de son fils veut que la vérité ne soit pas révélée, et demande donc à ce que catherine, par ailleurs encore choquée par l'accident, soit lobotomisée... l'adaptation de la pièce a été confiée à Gore Vidal; Mankiewicz n'a reçu aucun crédit, mais on retrouve son style ça et là; c'est pourtant Williams lui-même qui est crédité au poste de co-scénariste, bien qu'il se soit défendu d'y avoir jamais participé...

 

Le film met l'accent sur le personnage du docteur John Cukrowicz (Montgomery Clift), le praticien auquel Violet (Katherine Hepburn) veut confier l'opération. Le rôle de Catherine a été confié à Elizabeth Taylor. Contrairement à la pièce qui faisait de la serre tropicale de Violet Venable le seul décor, le film s'attache à nous montrer les deux hôpitaux qui accueillent la jeune femme, les bureaux des médecins concernés, et d'autres pièces extravagantes de la riche demeure de la vieille dame; néanmoins des moments cruciaux ont lieu dans cette serre (L'exposition par Violet, et la grande scène de la révélation par Catherine), ou sont cultivées des plantes carnivores... Une autre pièce ajoutée par le film permet de mettre à jour une petite manipulation langagière de Williams, qui n'a pas choisi le prénom de Sebastian par hasard: dans une de ses chambres, Sebastian conservait entre autres images souvent homoérotiques une représentation du martyre de Saint Sébastian, littéralement massacré. Le film est une exploration de la vérité par le biais des souvenirs qui se font jour ou qui sont bloqués dans l'esprit de catherine, et à ce titre, est franchement prenant. le fait qu'il s'agisse d'homosexualité, ou pour reprendre le mot de l'époque, de pédérastie (les garçons dont il est question sont très jeunes) est clair, sans que les mots qui fâchent ne soient jamais prononcés.

 

Quête de la vérité cachée, retour sur des évènements traumatiques, confrontation d'avis divergents et antagonistes, on sait Mankiewicz parfaitement à l'aise dans ces domaines, et on constate qu'ici il n'a recours au flash-back qu'après avoir exposé toutes les énigmes et les interrofations auxquelles le souvenir de Catherine devra répondre... ce flash-back, traité en surimpression, laisse un sentiment de malaise, grâce à son noir et blanc et ses images baignées d'une lumière écrasante. Plus encore, le visage de Liz Taylor, dont le traumatisme profond du personnage est tangible, les rend inoubliables. De toute évidence,le metteur en scène a apprécié de travailler avec la jeune femme, qui le lui a bien rendu; mais on le sait, le rapport avec Hepburn a été plus que tendu (En dépit de circonstances favorables, Mankiewicz étant depuis toujours un copain de Spencer Tracy), d'une part parce qu'il est évident que le metteur en scène a joué sur le contraste entre la beauté de Taylor, et l'age visible de Hepburn, mais aussi parce que l'actrice a peu apprécié le traitement réservé par Mankiewicz à un Monty Clift fatigué, dépendant et en bout de course. certes, il semble ne pas y avoir été avec le dos de la cuiller, demandant en particulier quotidiennement son remplacement, mais l'acteur n'est plus que l'ombre de lui même, tremblant, hagard, physiquement une épave dans certaines scènes...

 

Le film est un passage intéressant, une étape très adulte et assez maitrisée entre deux films plus problématiques, mais qui révèlent un Mankiewicz qui a du atténuer le choc de son film en proposant une étrange sorte de happy ending à cete histoire de pédophilie, d'homosexualité, de folie, de cannibalisme, le tout teinté d'inceste (la maman n'est pas seulement assimilée à ce très castrateur végétal qu'est la plante carnivore du début, elle se proclame fièrement aussi la seule femme qui ait compté dans la vie de son fils)... Quoi qu'il en soit, avec ses défauts ce film noir comme le charbon reste une étape importante parmi les coups de boutoir à la censure dans l'histoire du cinéma... Et la rencontre entre Mankiewicz et Liz Taylor reste une source d'autres étapes importantes, et d'aventures incroyables, sur lesquelles nous reviendrons très prochainement!!!

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Published by François Massarelli - dans Joseph L. Mankiewicz
14 septembre 2011 3 14 /09 /septembre /2011 18:07

"Ikiru", soit "vivre", commence de façon étonnante, avec la radiographie d'un corps, et une voix off qui nous annonce sans aucune ambiguiuté le destin du héros, M. Watanabe, interprété par Takashi Shimura. Il souffre d'un cancer de l'estomac, et, procédé de scénario qui anticipe sur les ruptures de continuité du film, il ne le sait pas encore, nous dit la voix off. Celle-ci se remanifestera à l'occasion, dont une particulièrement brutale et inattendue aux deux-tiers du film... En attendant, Ikiru commence donc par une présentation sans pitié du personnage, fonctionnaire depuis trente ans à l'hôtel de ville, trente ans durant lesquels il n'a rien accompli. Avant 15 minutes, le personnage va chez le médecin, et apprend de la bouche d'un autre homme en salle d'attente qu'il a vraisemblablement un cancer de l'estomac, tellement inopérable qu'on ne le lui révèlera même pas. en effet, le patient lui décline toute la gamme des symptômes, que le pauvre Watanabe reconnait immédiatement. Ironiquement, c'est précisément parce que les médecins lui annoncent ne pas devoir s'inquiéter que Watanabe comprend qu'il est fichu... Sa première réaction est de s'enfermer, ne parvenant pas à communiquer avec son fils et sa belle-fille, obsédés qu'ils sont par leur propre avenir et ce que leur donnera le père à sa mort.

 

La première partie se poursuit avec un passage qui examine le parcours de Watanabe depuis la mort de sa femme, et l'éducation de son fils qu'il a pris en charge seul. On mesure non seulement la grande solitude dans laquelle il se trouve, ayant tout sacrifié pour son fils, mais aussi l'impossibilité dans laquelle il est de communiquer, et de rendre public son désespoir devant la mort: ces scènes fonctionnent sur le mode d'une association d'idées, liée à des objets (la batte de base-ball renvoie à la jeunesse du fils, par exemple), des mots entendus, qui rendent la narration complexe, mais fluide et prenante. Cette première partie se clôt sur une tentative désespérée du vieil homme pour s'ouvrir, dans l'illusion de pouvoir brûler un peu d 'énergie pour prendre du bon temps avec l'argent qui lui reste: il va faire la nouba avec un inconnu, boire, danser, voir des strip-teases, et finir la soirée avec des filles; mais d'une part, il ne se dépare jamais d'une certaine nostalgie, comme lorsqu'il demande à un pianiste de jouer une vieille chanson, liée à sa jeunesse, et sa femme décédée, et qu'il s'enferme alors dans une tristesse un peu ridicule, chantant seul, fin saoul au milieu des danseurs... D'autre part, comme le prévient sans doute le grand chien noir qui accompagne la rencontre avec l'inconnu qui va être son guide dans les bouges et les bars à filles, il ne fait ainsi que se rapprocher de la mort d'une façon stérile.

 

La deuxième partie démarre avec la rencontre, alors que Watanabe n'a toujours pas donné signe de vie au bureau, avec une jeune collègue, qui va pendant quelques jours s'attacher à lui (Donnant à sa famille l'illusion que le vieil homme a une maitresse: ils n'ont rien compris à leurt père...), puis essayer de l'éloigner. Dans un premier temps, leur rencontre rend le vieil homme à la vie, puisqu'elle le fait rire, et elle l'humanise aussi. Elle a une vraie joie de vivre qui l'attire, mais elle se demande clairement ce qu'il veut... Du coup, Watanabe va pouvoir, après quelques jours d'indécision, lui avouer son cruel destin, et son impression de n'avoir jamais rien fait de sa vie. Elle va lui apprendre tout simplement que pour retrouver un sens à sa vie, il doit faire quelque chose, comme elle qui a démissionné de son poste de fonctionnaire pour travailler dans une fabrique de jouets. Elle pense ainsi être plus proche des enfants... Cette rencontre avec une protagoniste qui disparait ensuite du film va transformer le vieil homme, qui retourne au bureau, ou il se saisit d'un dossier en attente depuis le début du film, lorsqu'il ne donnait plus de signe de vie...

 

Et tout à coup, le troisième acte est introduit par le retour du narrateur: "Quelques mois plus tard, Watanabe était mort". Brutal, mais on était prévenu. Et tout à coup, la narration va changer du tout au tout... Devenue linéaire après le premier quart d'heure, elle est devenue du coup chaotique, avec comme seul fil rouge une veillée funèbre, dont les conversations des protagonistes vont nous éclairer sur la fin de Watanabe: revenu au bureau, il a mis tout son être dans un projet de parc aménagé pour dles enfants d'un quartier, en lieu et place d'un trou insalubre, dont se plaignaient les habitants. Les gens qui se pressent à sa veillée funèbre se disputent sur plusieurs points: le vieil homme savait-il qu'il était condamné? De fait, le seul témoin qui aurait pu le prouver, la jeune femme, n'est pas présente; les médecins, eux, n'ont jamais admis la vérité à Watanabe. D'autre part, ils se disputent sur un point crucial: qui est le responsable de la création d'un parc? est-ce le fonctionnaire qui en propose l'édification? Le politicien qui en approuve la construction? L'ingénieur qui en définit les contours, ou la société de bâtment qui met en oeuvre le chantier? Tous les avis s'expriment, les interlocuteurs se battent, avec une forte tendance y compris chez la famille de Watanabe pour conclure que le vieil homme n'avait finalement pas fait grand chose, mais au fur et à mesure des conversations, des souvenirs, des flashbacks, des recoupements, les uns et les autres en viennent à la conclusion que le vieil homme savait ce qui lui arrivait, qu'il avait décidé de jeter ses dernières forces dans un projet qu'il avait porté seul, faisant sans tambour ni trompette de fait la joie de nombreux enfants et des mamans du quartier, oeuvrant à son petit niveau pour améliorer un peu la vie des gens...

 

Cette dernière partie, faite d'un flash-forward et de nombreux flashbacks, est un tour de force, mais qui ne doit rien à une quelconque envie de frimer. Si Citizen Kane vient à l'esprit, c'est parce que les recoupements, le public peut les faire siens au fur et à mesure de la progression des scènes. Mais l'image de Watanabe qui se dessine, que nous attendons depuis longtemps, nous l'entrevoyons d'autant mieux qu'elle n'est pas le fil narratif principal (C'est bien sur la veillée funèbre qui est le principal flot de l'intrigue ici. ) tout en étant toujours le sujet du film... Et c'est approprié, après tout, on évite les pièges d'une narration directe d'une chagement dramatique et didactique. Le portrait admirable du héros dépend de notre capacité à collecter les informations d'une narration disjointe, dont l'esbroufe et les numéros dramatiques d'acteur sont absents, pour le meilleur... M. Watanabe est un homme fabuleux, qui n'a pas ouhaité rendre son oeuvre publique, il lui a suffi pour donner un sens à sa vie de le faire. Tant pis si personne ne le sait...

 

La vision de cet ange absolu, pour reprendre une terminologie qui nous renvoie à un autre chef d'oeuvre, seul sur une balançoire, chantant sa chanson de jeunesse, et qui va mourir heureux en dépit du bon sens, est l'une des images les plus fortes du cinéma de Akira Kurosawa. la neige, qui remplace ici la boue, nous renvoie à un miracle de Noël, qui aurait finalement eu sa place chez Capra (il y des points communs tangibles avec It's a wonderful life, d'ailleurs...)... La puissance du jeu de Takashi Shimura, et le travail mémorable de tous les acteurs, qui doivent pour la plupart jouer des braves gens surs de leur fait (Le fils, la belle-fille, l'oncle, les camarades de bureau...) mais qui ont tout faux, la beauté de la photographie, l'austérité de la bande-son, la rigueur de la narration, en font l'un des plus beaux films du monde.

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Published by François Massarelli - dans Akira Kurosawa Criterion
12 septembre 2011 1 12 /09 /septembre /2011 10:44


Acte I: Walking down Broadway

Walking Down Broadway est donc le nom du film tourné par Stroheim pour la Fox en 1932. Il semble qu’il ne s’agisse pas pour lui d’un film important, mais plutôt d’une de ces marques bizarres de sa bonne volonté, effectuées afin de prouver aux studios que contrairement à la légende, il peut faire ce qu’on attend de lui (The Merry Widow) … ou d’un metteur en scène sous contrat (Walking down Broadway). En choisissant cette histoire urbaine, moderne, située à New York en pleine crise économique (Elle est citée par les personnages), Stroheim ne fait pas vraiment du « Stroheim », mais il se situe dans la ligne des comédies dramatiques de la Fox d’alors, et son film ne détonne pas énormément avec la production moyenne du studio. Il accepte même de tourner avec des jeunes acteurs sous contrat à la Fox, qu’il n’a donc pas formés: James Dunn et Minna Gombell sont en effet des jeunes pousses du studio (Ils ont notamment tous les deux tourné dans Bad Girl, de Borzage). Boots Mallory n’en est pas exactement à son coup d’essai, ayant tourné un ou deux films, mais on constate que c’est la moins expérimentée qui rafle le rôle principal. Quant à Zasu Pitts, on ne la présente plus. Elle a un rôle pivot dans l’intrigue concoctée par Erich Von Stroheim (Telle que racontée par Herman G. Weinberg, dans son Stroheim : a pictorial record of his nine films, Dover books, 1975): Deux provinciales naïves (Mallory, Pitts) débarquent à New York ou elles peinent à se faire des amis, et grâce à l’aide d’une jeune femme installée depuis longtemps (Et qui se prostitue assez ouvertement) elles prennent confiance en elles et sortent afin de rencontrer des hommes. Lors d’une sortie sur Broadway, elles rencontrent deux hommes, joués par James Dunn (Le gentil Jimmy, délicat et timide) et Terence Ray (« Mac », entreprenant, faux-jeton et aux mains baladeuses). Celui-ci jette son dévolu sur Peggy (Mallory), la jolie fille, et Jimmy se retrouve plus ou moins contre son gré coincé avec Millie (Pitts), qui à partir de là fait une fixation sur celui auquel elle se croit liée pour l’éternité. Après une journée à Coney Island, les quatre rentrent chez les filles, ou Mac a un geste déplacé, qui provoque la colère de Peggy. Jimmy vient la consoler, et ils finissent par tomber dans les bras l’un de l’autre, réalisant qu’ils sont faits l’un pour l’autre, ce que Millie constate très vite: elle va s’acharner sur le couple, afin de les séparer, mais sans succès. Au moment ou elle réalise qu’elle s’apprêtait à détruire un couple d’amoureux sincères et innocents, qui attendent un enfant et vont se marier, elle décide de se suicider avec le gaz, et provoque l’explosion de la maison. Jimmy, qui vient de rompre avec Peggy suite aux mensonges de Millie, accourt pour sauver sa fiancée, dont il ne sait pas qu’elle est hors de danger, et sauve Millie juste à temps pour l’amener à l’hôpital, ou elle meurt après une confession sincère. 

On le voit, si le couple principal reste les gentils Jimmy et Peggy, qui ont droit à leur romance, leur poésie (ils aiment à ouvrir le vasistas, regarder dehors la tête sous les étoiles), leur destin (Ils attendent un enfant), le rôle joué par Millie est très important, et on le mesure d’autant plus que Stroheim l’a confié à Zasu Pitts. Il va même jusqu’à prendre acte que dans l’esprit du grand public, Pitts est une comédienne, qui a déjà été vue dans des courts chez Roach, mais on a sans doute oublié la Cecilia et la Trina de Stroheim, ainsi que son rôle de mère tragique dans le Lazybones de Borzage. Elle est donc au départ une fantasque excentrique (Au moment de rencontrer les garçons, elle se lance dans une diatribe enthousiaste sur les enterrements, sa passion…) , avant de jouer la vengeance et de devenir une figure tragique: Stroheim avait besoin de distance et de longueur pour faire passer la mutation. De même, là ou les films pré-code de la fox ou de la Warner auraient privilégié un début énergique, avec le plus de mouvement possible, Stroheim installe ses héroïnes à New York, afin de les doter d’une personnalité : il sait que le public aura tôt fait d’assimiler ses personnages à des prostituées si il ne prend pas le temps de montrer le contraire. Enfin, il joue sur un grand nombre de ses petites habitudes, opposant les personnages (Mac / Jimmy, ou le retour de Danilo et Mirko), reposant sur ses petits cailloux (Lorsque Millie prend congé de Peggy, elle prend bien soin d’allumer la lumière, un geste manique annonçant son suicide à la fin du film) et sur ses obsessions : le final permet à Stroheim de ressortir son alerte de pompiers de Foolish Wives. Les femmes sont peintes de façon complexe, avec leurs spécificités, de Millie la fantasque à Peggy la romantique (Oui, mais en cette période Pré-code, on peut être romantique et enceinte…) en passant par la très attachante prostituée Mona qui veille sur ses copines et qui mène moralement tout ce monde.

Acte II : Hello sister

A la fin, Stroheim peut donc donner à la Fox un film certes long (On parle de 14000 pieds, soit environ deux heures et demie), mais moderne, mouvementé, agrémenté d’ingrédients épicés, avec des personnages pas trop complexes, mais suffisamment riches pour soutenir l’intérêt. Le final cut lui est malgré tout retiré, et Stroheim se désintéresse du projet. Les raisons, encore aujourd’hui sont mal connues, il y a néanmoins deux théories : les luttes d’influence commencées à la Fox au moment de l’éviction de William Fox, considéré comme incontrôlable, et qui fait peur à l’industrie toute entière avec ses coups de poker permanents, ont laissé en la Fox un studio fragile sans vrai capitaine, et les dirigeants se succèdent, et la bagarre fait rage entre Winfield Sheehan et Sol Wurtzel. Sheehan, lors d’une période ou il contrôlait la production, a permis à Stroheim de faire son film, Wurtzel prenant le contrôle va détruire le travail de Sheehan (et donc le film de Stroheim). La deuxième théorie repose dans le fait que c’est un film de Stroheim, et suivant la vision de Weinberg, Eisner ou Langlois, le studio va forcément casser le film. Il me semble que c’est un peu court, d’autant que c’est la Fox qui lui a confié le film, mais c’est la version communément admise. Peut-être faut il prendre en compte la durée du film: rares sont les films de la Fox qui fassent plus de 90 minutes; et pour la majeure partie des petits films (parce que Walking down Broadway est un petit film !) qui sortent à l’époque, on est plus près de 60 minutes que de deux heures… Le film sera coupé (et partiellement re-tourné) afin de le raccourcir d’une part, mais aussi de changer certains aspects: notamment le personnage de Millie qui va devenir moins important. Un nouveau personnage est inventé, un poivrot que personne ne prend au sérieux, et qui ramène du début à la fin du film des quantités impressionnantes de dynamite, permettant à la nouvelle version d’exempter Millie de son destin tragique. C’est désormais Peggy qui risque sa vie dans l’immeuble en flammes et c’est Millie qui dit la vérité à Jimmy, lui permettant d’arriver à temps et de sauver sa fiancée. Les deux amants se pardonneront sur les toits, près des étoiles, au lieu de finir le film à l’hôpital au chevet de leur amie. Le rôle de Mac prend du même coup plus d’envergure, puisqu’il devient le principal responsable de la brouille entre les deux amoureux. Il n’a aucune envergure, et dans la version exploitée, il est difficile de le prendre au sérieux. Le début du film est aussi coupé, on commence dès l'introduction par la fameuse marche dans Broadway après une courte introduction du personnage de poivrot fatal...

Pourtant, un grand nombre de touches Stroheimiennes demeurent, et l’une des plus spectaculaires reste la tentative de viol dans un placard (C’est Mac qui brutalise Peggy), qui débouche sur une confrontation violente entre Mona et Mac, la prostituée volant allègrement au secours de son amie. La prostitution, justement, est traitée avec une franchise, sans que la morale bourgeoise trouve son compte; ce n’est pas Stroheim seul qui veut ça, il suffit de voir les films que la Warner concoctait à l’époque ; mais c’est la preuve qu’une cohabitation est possible dans le système Hollywoodien des années 1930/1934 entre Stroheim, ses producteurs et le public. Le metteur en scène n’est pas venu les mains vides, et a construit son film en y intégrant ses thèmes favoris: c’est de nouveau d’une histoire de femmes qu’il s’agit, je pense l’avoir prouvé; sinon, la peinture de l’Amérique moderne se double d’un intérêt pour les gens les plus modestes, qui nous rappelle que Stroheim verra toujours les Just plain Danilo Petrovitch derrière toutes les altesses sérénissimes: il n’y a pas de richesse ni de réussite phénoménale dans ce New York qui nous est montré. Les décors de la version actuelle, largement retournée, ne brillent pas par leur véracité ou l’abondance de détails chers à Stroheim, mais la pluie lors de la rupture, l’épreuve du feu à laquelle est soumis Jimmy, ou encore les touches festives à l’approche de noël qui sont disséminées dans le décor New Yorkais, nous renvoient droit à l’univers du symboliste qu’était le metteur en scène.

Pour finir, le titre qui avait été choisi par Stroheim fait écho à la première séquence durant laquelle Mona suggère à ses deux copines de marcher sur Broadway, elles seront sures de trouver des hommes, ce qui enfonce le clou quant à l’identité de la prostituée, mais qui montre l’importance de situer l’histoire en un lieu suffisamment chargé en sens (Les paillettes, mais aussi la vie fourmillante de la grande ville). Le titre finalement choisi pour la version finale renvoie à une phrase prononcée par Mac au retour de Coney Island lorsqu’il aperçoit Mona. D’une part, c’est une phrase courante du parler familier, d’autre part, c’est une allusion du titre au personnage de prostituée, ce qui tend à prouver que décidément ce n’est pas toujours Stroheim qui a mis en valeur le graveleux dans ses films, et que ce n'est sans doute pas pour des raisons morales que son oeuvre a été mutilée, massacrée, anéantie.

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Published by François Massarelli - dans Erich Von Stroheim Pre-code
11 septembre 2011 7 11 /09 /septembre /2011 16:45

Si les trois films précédents d'Almodovar représentent à bien des égards un passage progressif du mélo à la comédie, en enchaînant les figures et les variations, Attache-moi doit beaucoup à des genres qui furent réputés mineurs, et qui sont omniprésents par les références (une affiche de Invasion of the body snatchers, de Don Siegel, un extrait de Night of the living dead de George Romero visionné à la télévision par Victoria Abril), par le film dans le film qui est une variation sur les films d'horreur de série Z, par le suspense et, mais oui, les scènes d'action impliquant notamment Antonio Banderas et Rossy de Palma. De plus, le cinéaste a fait appel pour la musique de ce film à Ennio Morricone, qui s'est fait un plaisir de composer une bande-son truffée d'associations étranges, comme il en a toujours eu le secret. Bref, une série d'hommages au cinéma d'action, à suspense, mais qui débouchent sur une comédie, une étrange comédie sentimentale avec un vrai kidnapping dedans...

Ricky (Antonio Banderas) obtient le droit de sortir de l'institution psychiatrique ou il vient de passer un grand nombre d'années; son obsession, c'est de retrouver Marina (Victoria Abril) une actrice de porno avec laquelle il a passé une nuit mémorable. Il la kidnappe alors qu'elle rentre chez elle après avoir fini le tournage d'un long métrage "mainstream", son premier, en compagnie de Maximo (Francisco Rabal), un metteur en scène mourant qui tente de rendre hommage au film d'horreur. Le kidnappeur est déjà amoureux de sa victime, mais celle-ci va paradoxalement vite tomber sous son charme... 

Le ton est, finalement, assez léger, et Antonio Banderas qui a interprété jusqu'ici un terroriste moyen-oriental, un jeune violeur raté et homosexuel, un psychopathe homo fétichiste, et un fils de famille dépassé par les événements, trouve ici un rôle à sa (dé)mesure, et une partenaire avec laquelle faire les quatre-cents coups... On a beaucoup glosé sur l'authenticité présumée de leur joyeuse partie de jambes en l'air, je ne me risquerai pas sur ce terrain, bien que la scène fut réjouissante. Mais le film réussit l'impossible en nous attachant (sans jeu de mot) à ses personnages et leur improbable situation. L'amour du cinéma extrême, et de ses exagérations en série nous autorise à considérer cet étrange kidnapping comme une sorte de renaissance pour la pulpeuse Marina, rangée des pornos, mais toujours affublée d'une libido notable, et dont la fin de la toxicomanie l'a rendue sans doute soucieuse de trouver un nouveau sens à sa vie. Le choix de la référence à Don Siegel et son film prend alors du sens, avec cette histoire de corps qui volent les âmes, comparés à Marina qui souhaite elle que son âme et son corps soient sur la même longueur d'ondes, après un passage désastreux par l'héroïne. De plus, le film qu'elle tourne ne lui offrira symboliquement pas grand chose, tourné par un metteur en scène infirme, incomplet, et qui tourne pour ne pas mourir plus que pour s'exprimer...

Bref, si le film est bien un 'petit' Almodovar (Avec une fin qui vient trop facilement), une comédie certes délectable, on y trouvera sans doute suffisamment de fils rouges, et beaucoup de ces petits délices farfelus (Une chanson décalée, interprétée avec conviction, une fois de plus, et une fausse pub outrageusement hilarante), et de cette science de l'allusion et de la référence qui se poursuit avec rigueur jusqu'à nos jours dans l'oeuvre de Pedro Almodovar.

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Published by François Massarelli - dans Pedro Almodovar
5 septembre 2011 1 05 /09 /septembre /2011 17:07

Voici un film charnière dans la carrière d'Almodovar. Non seulement il va lui apporter enfin un succès international conséquent, et amplement mérité, non seulement ce film est la preuve que le raffinement et le soin apporté à ses scénarios ont permis au cinéaste de dépasser sa tendance au clinquant et à la provocation, sans pour autant perdre son humour, mais surtout ce film va consacrer une bonne fois pour toutes Almodovar comme un cinéaste de la femme: Ce film se concentre sur les affres d'un certain nombre de femmes, liées entre elles par un homme (Ivan), et d'autres billevesées, et passe avec une certaine dextérité du mélodrame, dans la droite lignée du film précédent La loi du désir, à la comédie de boulevard. une large portion du film se passe en effet dans un appartement, celui de l'héroïne Pepa (Carmen Maura), chez laquelle tous les protagonistes ou presque semblent s'être donnés rendez-vous; il décline les figures de la rupture, de la tromperie, du désespoir, avec une verve comique étourdissante, sans oublier d'ajouter... du gaspacho.

Pepa, une jeune actrice dont l'essentiel du travail est consacré au doublage et à la publicité, a une liaison avec son partenaire Ivan (Fernando Guillien); mais celui-ci la quitte pour une autre sans le lui dire. Au bout du rouleau, elle souhaite lui avouer qu'elle est enceinte, mais les choses vont se précipiter lorsque son amie Candela (Maria Barranco) vient se cacher de la police après avoir hébergé son petit ami terroriste, que le fils d'Ivan, Carlos (Antonio Banderas), vient par coïncidence visiter son appartement qu'elle envisage de sous-louer, en compagnie de sa petite amie Marisa (Rossy De Palma), et que l'épouse légitime d'Ivan, Lucia (Julietta Serrano), vient pour chercher querelle. il faut dire qu'elle sort d'un long séjour en hôpital psychiatrique, suite à sa rupture avec son mari... Voilà, j'ai tenté un résumé, c'est sans doute très insatisfaisant...

Le lien avec l'oeuvre déjà existante d'Almodovar tient en une série de motifs et d'anecdotes: les premières séances reprennent l'idée de la loi du désir, de faire vivre une partie du quotidien des protagonistes par le biais de séances de doublage; mais ici, le doublage d'un film (Johnny Guitar, de Nicholas Ray) est effectué en différé, par les deux acteurs séparément; une façon comme une autre d'indiquer la fin d'une histoire d'amour. Sinon, le mélange entre pathos et comédie, mélodrame et modernité (D'ailleurs relayé par le générique qui fait la part belle à l'imagerie de la mode féminine des premières années 60), renvoie à l'art du mixage façon Almodovar, qui n'a jamais été aussi fin qu'ici. Il y a aussi, comme dans Pepi, Luci, Bom et les autres filles du quartier, une fausse publicité trash, avec Carmen Maura en mère de meurtrier, qui utilise la lessive ecce Omo pour nettoyer le sang et les viscères de ses chemises... Le lien entre les deux films est un renseignement intéressant, comme si Almodovar souhaitait signaler le début d'une renaissance personnelle, en revenant à son premier film. Symptomatiquement, le court métrage qui accompagne Etreintes brisées revient d'ailleurs à ce film-ci, et à son gaspacho plombé.

Mais l'un de ces motifs sert aussi le film lui-même, en introduisant la voix: c'est elle qui semble être le principal élément de séduction d'Ivan; Lucia revient à la raison en entendant la voix de son mari qui a doublé un film, c'est en effectuant des doublages que Ivan et Pepa ont commencé leur aventure, et Pepa reste dépendante du téléphone, l'instrument qui lui permet de communiquer avec Ivan; Mais Almodovar sait aussi donner dans la joie de la comédie, avec le fameux gaspacho, qui sert de fil rouge, truffé de somnifères, qui auront raison d'à peu près tous les personnages. La galerie de portraits déjantés autour de Pepa sert largement la comédie, mais l'argument principal, celui de Pepa et de la fin de sa liaison, reste un solide élément dramatique, propre à toutes les flamboyances du mélo; que ce soit Carmen Maura qui en soit chargée reste une excellente idée, elle sait y faire. Mais le film offre une véritable renaissance à la jeune héroïne, qui a quasiment détruit son appartement, et qui par sa confrontation avec Lucia, décidément folle, va trouver une sérénité inattendue. La fin d'ailleurs illustre sans ambiguïté l'idée que la vie serait sans doute meilleure sans les hommes, avec Rossy de Palma et Carmen Maura en conversation sur une jolie terrasse, tranquilles. Elles ont, l'une et l'autre, avancé...

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Published by François Massarelli - dans Pedro Almodovar