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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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5 janvier 2014 7 05 /01 /janvier /2014 17:14

Ne rentrons pas dans les détails de l'histoire compliquée de ce film, et de son destin plus que contrarié: rappelons juste que suite à une décision d'un studio désireux de reprendre le contrôle d'un film dont le budget avait été un sérieux problème, Heaven's gate a été amputé avant sa sortie comme tant de films avant lui, et comme d'autres après (et d'autres à l'avenir aussi, n'en doutons pas). Pourquoi, comment, par qui, peu importe: ce sont là des questions qui méritent certes qu'on s'y attarde, mais qui justifieraient un livre à elles seules...

Concentrons nous plutôt sur le film tel qu'il nous est enfin restitué suite à une restauration digne de ce nom, orchestrée par Michael Cimino lui-même, et qui restitue sinon l'intégralité des 219 minutes du montage de 1980, au moins 216 minutes, dans ce que Cimino appelle sa version favorite. Au moins c'est clair... Et le film (Via une copie positive, seul le négatif de la version amputée ayant pu être localisé) a fait l'objet d'un ré-étalonnage numérique qui rend justice à l'extraordinaire photographie de Vilmos Szigmond, le chef opérateur avec lequel Cimino avait déjà travaillé précédemment pour The deer hunter.

Heaven's gate a souvent été qualifié de film qui montre la mort du western, comme si le genre pouvait réellement mourir... C'est le propre des westerns d'après 1960 d'être souvent qualifiés de "crépusculaires", mais ne faudrait-il tout simplement pas mieux admettre que comme tous les genres, celui-ci a tout simplement évolué? Cimino, en en montrant sa vision personnelle en 1980, se situe à mon sens dans les pas ô combien classiques de John Ford, qui a avant lui montré à sa façon de quelle façon l'évolution, la marche en avant des Etats-Unis se faisait en parallèle avec la violence sous ses nombreuses formes, tout en dépeignant une société Américaine marquée aussi bien par ses conflits de classe que par son multiculturalisme. Tous ces thèmes sont justement ce qu'on retrouve dans ce beau film de Cimino...

 

Le film commence, de façon inattendue, dans l'Est: à Harvard en 1870, des jeunes hommes obtiennent leur diplômes de fin d'études, et vont, sous l'impulsion de leur doyen, affronter la vie, aller loin et se mettre en quête de faire profiter les Etats-Unis de leurs richesses, et de leurs intellects. 20 ans plus tard, nous retrouvons l'un d'eux: James Averill (Kris Kristofferson), un homme richissime dans l'Est est devenu marshall de Johnson County; un endroit ou il aime à venir s'encanailler, en particulier en compagnie de la prostituée Ella Watson (Isabelle Huppert). De retour après un long voyage (Il est parti pour trouver un Tilbury de luxe pour l'offrir à Flora), il constate que le lieu a changé: de plus en plus d'immigrants se pressent dans les villes et les prairies, et des agents de la loi sont amenés à abattre certains de ces européens, qui ont procédé à des vols de bétail pour survivre, sans sommations. Mais bien vite, la situation va se compliquer encore plus, puisqu'avec l'appui du gouvernement fédéral, le chef d'un groupe d'éleveurs a obtenu de dresser une liste de 125 de ces immigrants à abattre sous le prétexte qu'on les soupçonne de trahison, d'anarchisme, ou d'être une bande organisée de voleurs. Parmi eux, la belle Ella...

Outre James Averill, on fait aussi la connaissance d'un certain nombre de personnages, dont certains peuvent lui être assimilés: ainsi son camarade d'université, William Irvine (John Hurt) est-il lui passé, bien qu'il le fasse par dandysme plus que par conviction, du côté des éleveurs; d'autre part, Nate Champion (Christopher Walken) est lui un agent de la loi, qui au début du film exécute les ordres, mais se refuse à participer à la tuerie finale, qu'il estime illégale, quelle que soit l'implication du président lui même (le Républicain Benjamin Harrison a en effet soutenu l'initiative du plus fort, ici, dans ce qui est resté célèbre dans l'histoire sous le nom peu glorieux de Johnson county war)... Ces hommes, d'une part et d'autre, auraient pu être Jim Averill lui-même... Mais celui-ci, par ennui, ou par romantisme, a décidé de se situer du côté des petits, et soutiendra jusqu'au bout la cause de ces déshérités du rêve Américain. Le parallèle est encore plus fort entre Averill le riche et Champion, un homme de loi illettré, intègre mais amer: les deux aiment la même femme, et celle-ci passe une bonne partie du film à hésiter entre eux.

La violence, dans ce film, est indissociable du progrès. De même que le crime semble indissociable de la conquête des espaces, et que si le rêve Américain existe (Le chef des éleveurs, Canton, vit le sien, qui l'autorise à tutoyer les grands de ce monde et à désigner qui vivra et qui mourra, un barman entreprenant fonde un dancing-patinoire afin de gagner de l'argent tout en fournissant de l'amusement à toute une ville en devenir...), il peut aussi être mis en question: il est évident qu'Averill a vécu le sien, mais qu'il en est revenu: d'ailleurs, il s'st marié dans l'Est et a fui. Tout le film renvoie à l'idée de civilisation: des villes se construisent et se peuplent, des commerces fleurissent sous nos yeux; Averill croit en la locomotion et en offre un moyen à Ella, qui de son côté souhaite rester afin de continuer à contribuer à la vie d'un endroit qui est clairement son chez elle (Elle est d'ailleurs une notable à bien des égards...); mais de l'autre côté, aussi bien les éleveurs et leur volonté de garder le Wyoming libre pour des prairies où faire paître leurs troupeaux, que les petits immigrants qui utilisent du fil barbelé pour délimiter leurs parcelles, tous font oeuvre de civilisation. Comment s'étonner qu'à un moment on réalise la vérité des Etats-Unis: il ne fait pas bon y être pauvre... un constat explicite dans le film, noir, mais qui renvoie aussi à une conclusion en forme d'ironique cauchemar: pour le riche Averill, seul véritable survivant d'une boucherie inutile, on n'échappe pas à son destin... et même si la démonstration s'enrichit (comme The deer hunter) d'une illustration du melting-pot folklorique à travers les langages européens nombreux et mélangés, et la présence de danses et musiques venues en particulier d'Irlande, le système de classes, inique et impitoyable, a le dernier mot dans cette fresque lyrique et monstrueuse. Et l'Amérique, lieu de réalisation de l'individu, devient ici le mouroir des individualités face aux grosses machines collectives... 

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Published by François Massarelli - dans Western Michael Cimino Criterion
1 janvier 2014 3 01 /01 /janvier /2014 17:31

Alors que le parlant s'installe, Lang et Von Harbou mettent en chantier ce qui sera leur dernier film muet, un film extravagant et inventif, mais qui peine aujourd'hui à passionner au même titre que d'autres oeuvres du tandem... Ceux-ci ont, il faut le dire, mis la barre haute, et tout comme en dépit de ses mérites, le précédent film Spione (Les Espions) ressemblait à une redite (En gros, l'atmosphère de Mabuse, sans Mabuse!), et peut aujourd'hui décevoir le spectateur de Metropolis, Die Nibelungen ou Dr Mabuse der Spieler, la dernière production de Lang pour UFA semble parfois terne malgré ses avancées, sa cohérence et le soin particulier apporté à ses décors. Après tout, si ce n'est pas la première fois qu'un cinéaste envoie ses acteurs sur la lune, c'est toujours l'occasion de mettre les petits plats dans les grands.

 

Comme tout film de science-fiction, La femme dans la lune crée des précédents incontournables tout en se livrant pieds et poings liés au ridicule en cas de progrès scientifique dans le domaine qu'il explore. Donc, depuis la sortie de ce film, on sait qu'il n'y a pas d'atmosphère sur la lune, mais pour le reste, Lang et Harbou se sont entourés de scientifiques qui ont essayé de rendre le film aussi intelligent que possible. Comme on ne se refait pas, le cinéaste a expérimenté en matière de suspense avec un concept qui est aujourd'hui devenu tellement monnaie courante qu'on ne le remarque même plus: le compte à rebours, au moment du décollage de la fusée qui emporte les héros, est une première!

 

Rappelons brièvement l'histoire, qui permet d'assaisonner la science fiction d'un savant dosage d'espionnage à la Lang: L'ambitieux Helius projette, avec l'aide du professeur Manfeldt, un savant rejeté par l'académie pour avoir fait état de sa certitude de la présence d'or sur la lune, de se rendre sur le satellite. Son idée attire les convoitises, en particulier celles d'un groupe international d'affairistes véreux, mené par un Américain qui répond au nom de Turner. Ceux-ci réussissent à faire pression sur Helius pour que Turner participe à l'expédition, qui emmênera sur la lune non seulement Helius, Turner, et le professeur Manfeldt, mais aussi un couple d'amis de Helius, dont la femme qu'il aime, Friede, et un passager clandestin de 10 ans...

 

Le suspense du film est concentré sur deux passages remarquables: le lancement de la fusée, dont Lang délaye le départ avec un saidisme remarquable, et vers la fin du film le moment ou Turner, sur la lune, commence à se retourner contre ses "hôtes" et essaie de faire cavalier seul en repartant sans les autres. Un passage dont Hergé se souviendra quelques années plus tard... L'esthétique de la lune reconstituée dans les plateaux UFA est remarquable, même si elle est totalement fausse par rapport à la vérité scientifique! mais le principal défaut de ce film, dont les premières 75 minutes (Les plus traditionnelles pour Lang, qui se réfugie dans le feuilleton à rebondissements) restent à mon sens les meilleurs moments du film (Avec une interprétation dominée par le grand Fritz Rasp dans le rôle de Turner), qui tombe durant la partie lunaire dans un certain ennui... L'idylle et le triangle amoureux laissent gentiment froid, et un sacrifice final peine hélas à nous remobiliser.

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Published by François Massarelli - dans Fritz Lang Muet Science-fiction 1929 **
31 décembre 2013 2 31 /12 /décembre /2013 15:58

C'est donc si on en croit Polanski lui-même après avoir constaté que les films d'épouvante qui sortaient sur les écrans à cette époque le faisaient beaucoup plus rire que frissonner que le cinéaste a mis son nouveau long métrage en chantier... empreint de cet esprit frondeur et libertaire qui faisait alors florès, le film de vampires de Polanski est donc à la croisée des chemins, affectant de suivre une trame d'authentique film d'horreur, mais réservant à ses spectateurs une succession de gags et de réinterprétations grotesques de scènes inévitables et de personnages attendus, dans un mélange parfaitement dosé entre référence obligatoire et gag délirant! Son professeur Abronsius, flanqué de son disciple Alfred, m'ont l'air aussi vrais que les personnages des films Universal des années 30 dans leur baroque alors révolutionnaire. Jack McGowran et Roman Polanski ne se privent pas de jouer dans un registre burlesque, tandis que l'intrigue se déroule selon les conventions du genre: arrivée de deux citadins en pleine Transylvanie infestée de vampires, chez des paysans qui n'admettront pas la vérité, comportement mystérieux des hôteliers, enlèvement sepctaculaire d'une jeune femme, morsures diverses, et chateau  sinistre infesté de vampires dont le raffinement n'empêche pas la vilénie...

Donc on s'embarque dans un spectacle salutairement réussi, parfait sur un point comme sur l'autre, qui est en prime une superbe capsule temporelle, un retour vers les années 60, avec cette esthétique si particulière et sa musique (Choeurs et clavecins, en mode ouvertement psychédélique) si typique: après tout, le film est un héritiéer direct du "swinging London"! Mais plus que tout ce qui marque dans ce film pourtant produit (De loin, il a été tourné en Grande-Bretagne) par la fort conservatrice MGM, c'est l'érotisme ouvert qui informe en permanence certains personnages: non pas ce pauvre Pr Abronsius, relique de musée, obsédé par ses recherches, et dont l'abandon de sa propre libido doit bien remonter à plusieurs décennies, mais bien Alfred, qui ne voit autour de lui que seins offets, peaux à peine couvertes de mousse, et surtout la belle Sarah, la fille des hôteliers, qu'il lui faudra essayer de soustraire à un destin pire que la mort, avec de vraies canines dedans! Et outre Alfred, outre Sarah, une jeune femme aux sens alertes, il y a le père, Shagal, qui passe ses nuits à tenter de lutiner au nez et à la barbe de son épouse, la jeune servante. Il y arrivera d'ailleurs, une fois vampirisé...

 

Cette obsession sexuelle qui est partout, c'est un peu le seul point qui évolue positivement dans le film, qui nous rappelle avec un grand rire narquois, franc et massif, que nous sommes tous mortels, alors... Profitons-en vite. Et profitons-en aussi pour rire en chemin... Avec ce film, par exemple, un exemple parfaitement équilibré de comédie effrayante, à moins que ce ne soit de l'effroi comique.

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Published by François Massarelli - dans Comédie Roman Polanski
28 décembre 2013 6 28 /12 /décembre /2013 18:12

Je ne vais pas cacher ma préférence: ceci est LE Ben-Hur. L'autre a, c'est vrai, raflé de nombreux Oscars, certains mérités, et c'est un film exceptionnel, luxueux, etc etc etc... Mais ce film de 1925 est une merveille du cinéma muet, l'un des films spectaculaires qui font du muet Américain un ensemble passionnant, à plus forte raison sur la fin de la période! Rappelons que le roman de Lew Wallace, paru en 1880, est l'une des oeuvres les plus populaires du XIXe siècle, une inspiration pour le théâtre d'abord, dont les promoteurs détenteurs des droits ont tout fait pour faire monter les enchères au cinéma. Rappelons aussi que si le roman est une des oeuvres les plus W.A.S.P qui puissent être, les deux films seront beaucoup plus oecuméniques... Mais celui-ci va plus loin encore, en mettant sur le tapis un conflit racial à la base de l'histoire, qui débouche purement et simplement sur une lutte contre l'antisémitisme, au-delà même du ralliement du personnage principal à Jésus (Le messie supposément attendu par les Juifs, justement, et qui va être surnommé Roi des Juifs aussi bien par ses disciples que par ses détracteurs...). Ben Hur contre Messala, c'est un Juif qui décide d'aller contre un homme qui le traite justement d'esclave, qui affirme la supériorité des Romains sur les Juifs... en 1925, à une époque ou les Juifs impliqués à Hollywood font tout justement pour gommer leur différence, et se refusent à faire des vagues, ce n'est pas banal. Mais un gros succès aussi voyant que celui-ci, ça l'est encore moins, même si soyons justes, The Jazz Singer, le soi-disant "premier film parlant", est de son côté à ses meilleurs moments une plongée dans le quotidien du ghetto.

 

Dans la Jérusalem du premier siècle, nous assistons aux tribulations de la famille Hur, des notables Juifs accusés à tort d'avoir fomenté un attentat contre un potentat Romain, et que leur ami personnel, le romain ambitieux Messala, a arrêtés. La mère et la fille sont emprisonnées dans un cachot, mais Judah, le grand fils, est envoyé aux galères, déterminé à rester vivant pour se venger de son ancien ami Messala. Il va ainsi survivre à bien des péripéties, et croiser assez souvent la figure de Jésus, dont il va même devenir l'un des premiers suiveurs...

 

L'un des désirs de Wallace, donnant son avis sur les éventuelles adaptations théâtrales, était de laisser le personnage du Christ à l'écart, de ne jamais le voir, ou en tout cas jamais directement; ce principe a été adopté par l'équipe du film, mais la plupart des scènes religieuses ont été malgré tout tournées en Technicolor, dont la nativité; cela a entrainé un refus de la part de Niblo qui se disait choqué qu'on enlumine à ce point une séquence dont il estimait qu'elle devait resteer aussi sobre et humble que possible, eu égard à l'ensemble de la production, qui se voulait aussi consensuelle que possible. C'est un autre metteur en scène qui s'est chargé de la séquence incriminée. De fait, en dépit de l'incontournable thématique religieuse, le film est effectivement digne à ce niveau, et la nativité est sans doute la plus embarrassante des allusions au Christ, avec une Betty Bronson en Marie aussi blonde que Janet Gaynor dans Sunrise!

 

Ben-Hur a été mis en chantier en 1923, par la Goldwyn pictures Corporation, un 'studio' indépendant fort malade; le film était l'objet de toutes les attentions, de par la publicité autour de la recherche d'un réalisateur (Nombreux étaient les postulants, dont Sydney Franklin, Rex Ingram voire Erich Von Stroheim...) et d'un acteur; d'autre part, la décision de partir tourner en Italie a aussi fait des vagues, au sens propre comme au figuré. Charles Brabin s'est chargé de commencer le film, avec George Walsh et Francis X. Bushman dans les rôles principaux (Judah Ben Hur et Messala), mais Niblo a terminé le travail et confié le rôle principal à Ramon Novarro. On peut considérer que Niblo est responsable d'au moins les deux tiers du métrage actuel, en sachant que de nombreuses scènes sont dues à des équipes secondaires ou des spécialistes des scènes d'action (la course de chars notamment, bien sur, essentiellement due à B. Reeves Eason) et que peu de ce qu'a tourné Brabin a pu être utilisé. La production a de toute façon rapatrié les équipes en Californie après qu'une scène de bataille navale (L'une des premières scènes dirigée par Niblo) ait tourné à la catastrophe: c'est même une des premières décisions de la nouvelle direction de ce qui s'appelait désormais la Metro-Goldwyn, qui n'allait pas tarder à devenir la Metro-Goldwyn-Mayer. Compte tenu des dépenses pharaoniques, des délais, des changements, du retournage intensif du matériel tourné en Italie et des droits d'auteur et d'exploitation délirants de Wallace et des promoteurs, le film pouvait bien rapporter une somme considérable, il ne rentrerait jamais dans ses frais: c'était devenu une question de principe pour la MGM...

 

Et ce qui fait la grandeur du film, c'est qu'aucune des vicissitudes, aucun des ennuis nombreux, des retours à la case départ, ne se font sentir. Le film est cohérent, les monteurs ont il est vrai fait un travail impressionnant, et novateur, voire gonflé: lors d'une scène, une digression de quelques secondes se fait voir, un démenti apporté au spectateur, lorsqu'on annonce la mort de sa mère et de sa soeur à Judah, on les voit toutes les deux dans leur cachot, comme à l'écoute. On se croirait presque devant un fragment d'Intolerance! Les séquences, nombreuses et souvent bâties autour d'une attraction spectaculaire, se suivent et s'embriquent dans un souffle épique qui montre la MGM en route vers un avenir prometteur! Le mélodrame et l'aventure, la spiritualité et l'action spectaculaire (Ces ahurissantes batailles navales, ultra-violentes, filmées à l'intérieur des bateaux, à l'extérieur et depuis la côte!), l'intimisme quasi-symbolique comme ces scènes durant lesquelles les deux femmes, lépreuses, se rapprochent de Ben Hur endormi qu'elles ne peuvent toucher ni embrasser... Tous ces atouts se conjuguent avec l'interprétation généralement remarquable notamment de Ramon Novarro dont c'est le meilleur rôle. Le seul bémol, bien sur, c'est Francis X. Bushman, dont le jeu histrionique a facilement cinq ans de retard. Pour le reste, voilà un des plus grands films de 1925: soit l'année de The big parade, The phantom of the opera, Lady Windermere's fan ou The gold rush... Ca calme.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1925 Fred Niblo Technicolor **
28 décembre 2013 6 28 /12 /décembre /2013 09:59

Le film de Wellman, produit par la compagnie alors moribonde Twentieth Century Pictures (Qui allait un an plus tard fusionner avec Fox)  est très éloigné du livre de Jack London, et comment s'en étonner? L'idée d'une oeuvre cinématographique qui serait centrée sur un chien, et accessoirement des humains, vus du point de vue de l'animal, semble totalement ahurissante pour 1935. Donc, le script du aux plumes conjuguées de Gene Fowler et Leonard Praskins recentre sur un groupe d'humains, là où le roman donnait essentiellement un compagnon au héros canin. Pourtant, la réappropriation à laquelle s'est attelé Wellman n'est pas si éloignée qu'on aurait pu le croire du roman; pour commencer, le metteur en scène et son (Tout petit) studio ont fait le choix de tourner dans la nature, et d'imposer à l'équipe technique aussi bien qu'à la distribution des conditions de tournage difficiles. Ensuite, avec Wellman aux commandes, un film d'aventures n'est pas à proprement parler une bluette... et de fait, si la lettre a été trahie de façon évidente, l'esprit est là, même si un happy-end de rigueur semble contredire le propos de London.

 

Passant outre sur toute la première partie de l'histoire, le film commence avec le plus significatif des épisodes: en Alaska, le chercheur d'or Jack Thornton (Clark Gable) reçoit de Shorty (Jack Oakie) un tuyau qui va lui permettre de se refaire: une mine d'or qui appartiendrait à un prospecteur venu de l'est, et qui apparaît prometteuse... Ils se procurent le matériel, et des chiens, dont Buck, un impressionnant animal, mi-sauvage, avec lequel Thornton se lie très vite. Ils se mettent en route, et portent secours à Claire (Loretta Young), l'épouse de Blake, le propriétaire de la mine. Celle-ci ne sait pas ce que son mari est devenu après qu'il l'ait quittée pour chercher de la nourriture. Les trois font désormais équipe, et vont chercher la mine ensemble, mais ils vont au-devant de sérieux ennuis: d'une part, un prospecteur riche et sans scrupules, Smith (Reginald Owen) en veut au chien, mais aussi à l'or; d'autre part, les sentiments complexes de Thornton et Claire vont aussi poser des problèmes...

 

Un décor de forêts et de montagnes hivernales, que Wellman a trouvé dans le parc National de Mont Baker (Etat de Washington) plutôt que dans les hauteurs du Nord californien, l'endroit ou d'autres dont Chaplin ont recréé l'Alaska: c'est évidemment un endroit rêvé pour Wellman, qui a à coeur de montrer l'homme en proie aux rigueurs de l'aventure... Que le tournage ait été difficile ou non importe peu, la vérité de ce qui est montré à l'écran est assez  forte, et le lyrisme des images emporte facilement l'adhésion; l'idylle (Partagée avec la réalité, semble-t-il) entre Gable et Young, marquée par le sacrifice et une tension sensuelle qui allait se raréfier en ces années de recadrage de la censure, se conjugue bien avec une histoire marquée par les symboles, dans laquelle "l'appel de la forêt", incarné par le chien Buck, est pour Thornton une tentation permanente, tout comme le mal, incarné cette fois (20 ans avant Track of the cat) par un être humain, le pittoresque Smith qui reste avant tout une figure presque Satanique. Le style de Wellman est comme d'habitude solide, musclé, et marqué par une beauté constante, et un sens de la composition qui laisse plus d'un collègue sur le carreau. Même si on est loin de Jack London, on est en plein territoire Wellmanien, et ce n'est pas mal non plus...

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Published by François Massarelli - dans William Wellman
23 décembre 2013 1 23 /12 /décembre /2013 17:54

Il est paradoxal de constater qu'afin de prouver ce qu'il avançait à cette époque (En gros, que la plupart des metteurs en scène du cinéma Américain contemporain étaient des fainéants en matière de mise en route d'une signification qui ne passe que par les images) Ernst Lubitsch ait été chercher, en compagnie de son complice Hans Kräly, la pièce de Wilde. Oscar Wilde, de fait, est le prince de la suggestion par le sous-entendu, mais cela passe chez lui par la verbalisation de l'innuendo plutôt que par sa matérialisation picturale! Mais peu importe, justement, ou mieux: en utilisant le théâtre essentiellement verbal, et en en trouvant la traduction visuelle, Lubitsch affirme avec génie son incroyable style...

http://www.doctormacro.com/Images/Colman,%20Ronald/Annex/Annex%20-%20Colman,%20Ronald%20(Lady%20Windermere's%20Fan)_01.jpg

Lady Windermere file le parfait amour avec son Lord, et doit patiemment ignorer les appels du pied de plus en plus insistants de leur ami Lord Darlington, décidément très amoureux d'elle. Mais celui-ci lui révèle que son mari a déjà vu en secret une mystérieuse intrigante, madame Erlynne. Elle confronte Lord Windermere, dont les dénégations ne la satisfont pas. Il se trouve que Mrs Erlynne est en vérité la mère disparue de l'héroïne, qui a négocié avec le mari les conditions de son retour en société, mais souhaite le faire sans révéler son identité, tant le scandale qui l'a vue disparaître a été important... Les faux-semblants, les frustrations et les amours impossibles vont culminer dans une cascade de quiproquos qui seront lourds de conséquences...

Ce film, comme la pièce qui en est à la source, est un sommet de subtilité, mais aussi une oeuvre noire, qui montre comment le bonheur des uns peut être entièrement dépendant du sacrifice et du malheur des autres... Les scènes montrées par Lubitsch, dont la rigueur légendaire ets ici à son sommet, vont toutes dans le sens de l'inéluctable sacrifice de Mrs Erlynne pour celle qui la méprise, la prend d'ailleurs pour sa rivale, un sacrifice double: social, d'une part, mais aussi affectif puisque jamais la vérité des liens entre les deux femmes ne sera mise au grand jour. Lubitsch se paie aussi avec bonheur la bonne société (Londonienne en théorie, mais comme son modèle le Chaplin de A Woman Of Paris, Lubitsch tape sur toutes les sociétés occidentales avec son film). Les mécanismes d'un ostracisme sont montrés de façon rigoureuse dans une superbe et fort satirique scène aux courses, réglées comme avec un métronome; les trois garces de la bonne société qui manifestent leur désapprobation face à l'arrivée d'une femme qu'elles considèrent comme une intrigante, ont-elles pris le temps d'aviser derrière elles, la tapisserie de grande taille sur laquelle on voit Jésus, représenté dans l'anecdote de la femme adultère?

Plus que d'autres, ce film magnifiquement interprété (La palme irait selon moi au rôle difficile de May Mc Avoy en Lady Windermere, et bien sûr à la retenue fabuleuse de Ronald Colman, génial en Lord Darlington), qui ne possède aucun défaut, rigoureux de la première à la dernière image, est une inépuisable source de bonheur cinématographique, l'un des meilleurs films d'un auteur il est vrai surdoué, et peu avare de chefs d'oeuvre...

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Published by François Massarelli - dans Ernst Lubitsch Muet 1925 *
22 décembre 2013 7 22 /12 /décembre /2013 16:17

C'est inattendu de trouver dans la filmographie de John Ford cette comédie Columbia, dont le style visuel et le rythme nous renvoient d'ailleurs à Capra; cela n'a rien d'étonnant pourtant: ce dernier préparait alors son film Mr Deeds goes to town, avec Jean Arthur qui joue aussi dans ce film... Mais la comédie de Ford n'est pas aussi "sociale" que les oeuvres contemporaines de Capra: il s'agit ici de partir d'une intrigue liée à une ressemblance frappante entre deux hommes, et les quiproquos qui s'ensuivent lorsque cette ressemblance est rendue publique... En effet, Arthur Jones (Edward G. Robinson) est un employé de bureau minable, falôt, effacé, et qui a le malheur de ressembler trait pour trait à "Killer" Mannion, un bandit de la pire espèce qui vient de s'évader de prison dans le but de faire la peau à celui qui l'a doublé... Une fois Jones arrêté par erreur, le bruit se répand, et Mannion fait irruption chez lui pour profiter de la situation et s'installer dans son ombre.

Ce qui prime ici, c'est le plaisir communicatif des acteurs, et du metteur en scène, devant une histoire qui passe en revue les différentes sortes de confusion, et les péripéties liées à la différence essentielle entre Mannion et Jones (A un moment crucial, Jean Arthur ne reconnait Jones que parce qu'il s'évanouit!), l'un dur, voire ultra-violent, l'autre plus doux et naïf qu'un agneau. Pas de fable à la Deeds ou Smith pourtant ici, même si Ford se plait à peindre, une fois n'est pas coutume, une monde citadin qui n'est pourtant que fort rarement son univers... et on ne s'étonnera pas que les héros, quand on leur demande quelle est leur aspiration profonde, émettent le désir de voyager, pour s'échapper de cet asile de fous qu'est la ville montrée par John Ford.

Et un autre aspect sur lequel je m'en voudrais de ne pas passer, c'est bien sur la prouesse de la double interprétation de Robinson, caricature de Little Caesar d'une part, et pauvre nigaud dépassé par les évènements, qui nous convie lors d'une scène à voir l'effet que font sur lui son premier verre de whisky, et ...son premier cigare! Et mentionner cette prouesse ne serait rien si on n'y ajoutait pas un rappel de l'exceptionnelle photographie de Joseph August qui a eu à mettre au point des effets spéciaux absolument parfaits pour renre crédibles ces allées et venues de deux sosies, souvent ensemble à l'écran. The whole town's talking est un film rare, et honnêtement on se demande bien pourquoi; si ce n'est pas à proprement parler un film dans la tradition de John Ford, c'est un excellent divertissement.

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Published by François Massarelli - dans John Ford Comédie
22 décembre 2013 7 22 /12 /décembre /2013 15:58

L'image de Marilyn Monroe est pour l'éternité associée à ce beau film noir, l'un des fleurons les plus baroques du genre, et probablement le meilleur film d'Henry Hathaway; ce n'est pourtant pas vraiment elle qui a le premier rôle, même si elle est aisément plus visible que n'importe quel autre acteur! Elle y incarne, pour la première fois, une femme fatale, un garce de concours, avec un applomb  impressionnant: Rose Loomis est venue à Niagara avec son mari, un homme qui n'a manifestement pas la possibilité d'offrir à son épouse tout ce qu'elle désire; elle fricote avec un inconnu,et convient avec ce dernier de tuer son mari, George (Joseph Cotten). De leur coté, les Cutler, Polly (Jean Peters) et Ray (Casey Adams) sont venus à Niagara dans le but de s'offrir une lune de miel à retardement, puisqu'ils sont mariés depuis trois ans. Des liens vont se tisser entre Polly et George, et le drame des Loomis va contaminer la jeune femme...

C'est Charles Brackett, ancien collaborateur de Billy Wilder (En tant que co-scénariste et co-producteur de ses films) qui a mis le film en chantier à la Fox, et de fait, Niagara est un film noir dans lequel s'entrecroisent de façon fascinante les univers de deux grands cinéastes: Hitchcock et Wilder. Du premier, on retient ici l'intrusion d'un drame criminel dans la vie d'un couple de gens comme il faut, les Cutler (Dont on pressent qu'un beau jour, madame Cutler va probablement se lasser de son mari, un benêt intégral qui est venu à Niagara avec plusieurs kilos de bouquins à lire!). Mais la réflexion sur le crime s'accompagne d'une observation du quotidien qui confine à la comédie parfois méchante, avec le portrait d'Américains médiocres qui auraient leur place dans les films du grand Billy.

 Mais au-delà de la présence d'un grand scénariste et de l'influence de deux illustres collègues, Hathaway a largement fait sien le film, en utilisant avec génie les décors naturels extraordinaires, dont il se joue avec une aisance confondante, et qu'il magnifie dans un Technicolor rutilant. Et il y a Marilyn Monroe, dans son premier rôle qui va au-delà de la représentation d'une cruche, tout en poussant le bouchon de l'érotisme loin, très loin, n'en déplaise à Hathaway, qui a toujours fait semblant de faire le prude. Le film est très clair sur l'arrière-plan psychologique et sexuel du couple Loomis (Qui trouve d'ailleurs un écho chez les Cutler), et on se doute que ce pauvre George n'est pas revenu totalement indemne de la guerre de Corée. Le mariage compliqué de George et Rose va ainsi trouver son point d'orgue dans une scène baroque, filmée de haut, dans un décor surréaliste...

 

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Published by François Massarelli - dans Noir Henry Hathaway
22 décembre 2013 7 22 /12 /décembre /2013 15:27

Curtiz a mis ce film en chantier pour la Paramount après la fin du tournage de son remier film Américain hors Warner, The Egyptian. Ces deux films sont donc les premiers pas en solitaire d'un grand cinéaste de studio, dont la réputation s'est écroulée à la fin de sa vie, précisément lorsqu'il a désiré sortir de la firme qui l'avait employé durant 28 ans... Pourtant l'un comme l'autre des deux ouvrages, s'ils sont bien des films mineurs de l'auteur, n'en sont ni indignes ni d'extravagantes tentatives de s'approprier de nouveaux territoires: de même qu'il avait réalisé des films assimilables aux productions de Cecil B. DeMille durant ses années Autrichiennes, puis l'extravagant Noah's ark (1928) à la Warner, Curtiz avait tâté du musical dès l'aube du parlant, et avait continué jusqu'à la fin des années 40. C'est donc tout sauf une surprise de le voir s'atteler à une oeuvre comme ce White Christmas, une comédie musicale certes éloignée des canons du genre tels qu'ils avaient été établis par les productions RKO avec Fred Astaire, les films Warner organisés autour des chorégraphies de Busby Berkeley (Dont Curtiz lors des années 30 s'était maintenu à l'écart, mais j'y reviendrai) ou les productions d'Arthur Freed pour la MGM...

Wallace et Davis sont deux vedettes de music hall, dont la partenariat remonte à leur passage commun dans l'Armée Américaine lors de la seconde guerre mondiale. Ils font équipe en tout: l'un compose, l'autre écrit, les deux interprètent, dirigent et produisent leurs revues. Mais Phil Davis (Danny Kaye) se plaint de ne pas avoir une minute à lui depuis qu'il travaille avec le très entreprenant Bob Wallace (Bing Crosby). Il a l'idée de tout faire pour lui trouver une fiancée, afin de trouver un peu plus d'indépendance. Le destin met entre leurs mains deux artistes, les deux soeurs Haynes: Betty (Rosemary Clooney) et Judy (Vera Ellen). Judy et Phil forment une alliance dans le but de marier Betty et Bob... La situation va se compliquer dans un hotel du Vermont ou les quatre descendent de façon imprompue, et les deux anciens soldats vont tomber nez à nez sur leur général, devenu propriétaire d'un établissement pas vraiment prospère...

Ce film fait partie d'un certain nombre de productions Américaines qui ont fait les beaux jours de la télévision, mais si on peut comprendre l'attraction particulière d'un It's a wonderful life, par exemple, l'élévation au rang de film culte, programmé tous les ans à Noël, reste assez peu facile à appréhender! C'est un musical très moyen, une comédie certes charmante, mais pas vraiment révolutionnaire. Ce n'est pas non plus un film abominable, dans la mesure ou le metteur en scène a su mettre son savoir-faire indéniable au service d'une histoire et d'interprètes somme toute sympathiques, qui ont su injecter dans la production suffisamment d'énergie pour maintenir l'intérêt au moins poli du spectateur... Mais les fans de Michael Curtiz ne trouveront rien de très personnel à se mettre sous la dent; si ce n'est qu'une fois de plus, le metteur en scène Yankee doodle dandy (1941) traite le musical à l'encontre des lois et des possibilités établies en son temps par Busby Berkeley, qui ouvrait l'espace cinématographique en imaginant des coulisses délirantes, des extensions virtuelles folles à ses spectacles représentés à l'écran. Chez Curtiz, un spectacle musical supposé être présenté sur scène, est présenté sur scène, point final. Bien sur, il est clair que les scènes ou se produisent Crosby, Clooney, Kay et Ellen sont au moins élastiques, mais le metteur en scène prend bien soin de souligner dès son premier plan la tangibilité de son espace scénique, le fait qu'il s'agit bien d'une représentation dont il s'efforce de présenter la captation, laissant les artistes s'y débrouiller... Une manie (Paradoxale pour un auteur qui a toujours eu à coeur d'élargie l'espace visible par l'utilisation savante d'ombres Chinoises totalemet maîtrisées) qui remonte à Mammy (1930), et qui fait des musicals de Curtiz à la fois une énigme, et disons le tout net, une source assez fréquente d'un ennui poli.

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Published by François Massarelli - dans Michael Curtiz Musical
15 décembre 2013 7 15 /12 /décembre /2013 13:44

Epopée imposante, marquée par le souffle et l'énergie communicative de son beau casting, Gangs of new York est un film un peu paradoxal, par bien des aspects. Projet de longue date d'un Martin Scorsese désireux de se frotter depuis toujours à des types de films apparemment hors de son canon (Et ils ont été nombreux depuis New York, New York!); le projet a eu des fortunes diverses, avant de se concrétiser sous l'impulsion de Miramax, qui ont poussé Scorsese à travailler avec des stars qu'on n'attendait pas, même si ce qu'on retient essentiellement de l'interprétation, c'est bien sûr la prestation fabuleuse de Daniel Day-Lewis, hallucinnant de bout en bout par sa justesse et la vivacité de sa création d'une brute magnifique. Et surtout, le film gagne en intensité par le fait qu'entretemps, la ville dont il nous conte une anecdote oubliée ait été la cible d'une attaque terroriste fortement médiatisée, qui a durablement changé notre façon de voir. Cette attaque est bien sur intervenue alors que le film était fini, ce qui ne doit pas être oublié, mais le rapport fascinant de Scorsese à sa ville, et à son pays d'une manière générale, n'en sont que plus évidemment justes.

C'est, en partie, cette justesse que le film transmet: Gangs of New York raconte en effet la vile d'avant la guerre de Sécession, un territoire déjà vaste, principale attraction de l'immigration de plus en plus massive, Babylone moderne dont les beaux quartiers et les ghettos ne se mélangent surtout pas. Il nous raconte aussi accessoirement, au milieu d'une guerre des gangs riche en anecdotes gouleyantes, en trahisons, filiations et stratégies, la montée d'un ras-le-bol de la population face à une guerre incomprise, qui va culminer en une semaine d'émeutes qui vont détruire des quartiers entiers, parmi les plus crapuleux de la ville. De fait, le mélange entre fiction et histoire est d'autant plus facile que dans le chaos des émeutes, une bonne part de la vérité historique a été tout bonnement perdue... Mais ces constatations ne font que renforcer une impression mitigée: ce film est aussi et surtout une somme de compromis, pour un réalisateur qui avait envie de voir aboutir coûte que coûte son projet.

On suit donc les aventures d'Amsterdam Vallon (Leonardo Di Caprio), le fils d'un immigré Irlandais qui est mort en défendant son territoire contre un chef de gang rival, Bill "Le boucher" Cutting (Day-Lewis). Lui et sa bande de 'natives' (Des Américains blancs 'de souche', comme on dit chez les obsédés de la race) cultivent le privilège de ce qu'ils estiment être une prérogative ethnique, celle d'être plus Américain que les autres. Particulièrement remontés, évidemment, contre les groupes d'immigrés les plus nombreux en ces années de famine en Irlande: les Irlandais au milieu du XIXe siècle étaient de loin les principaux arrivants. Les "natives"ont donc pris le contrôle des bas-fonds de la ville, et essaient à leur manière de construire une Amérique moderne, tout en se servant allègrement. Les deux hommes vont donc bien vite cohabiter, puis s'affronter, au milieu d'un tumulte grandissant.

Le film nait d'une violence terrifiante, lors d'une bataille qui surgit des profondeurs sales et enfouies des sous-sols des "five points", un endroit peu recommandable qui ne survivra pas aux émeutes. La bagarre ultra-violente est vue d'un petit garçon, le jeune Amsterdam qui va y être témoin de la mort de son père (Liam Neeson). Un début idéal, tragique voire biblique, qui trouvera de multiples échos dans le film, entre reconnaissance d'un héritage, besoin d'assouvir une vengeance, mais aussi transfert d'une paternité réelle (Neeson) vers une paternité symbolique (Day-Lewis). Scorsese utilise le moyen de la voix-off déjà si magnifiquement présentée dans Goodfellas, mais en ne s'attachant pas toujours à suivre le point de vue de Vallon. Les digressions historiques, journaux notamment, ou photographies de Matthew Brady intégrées ou non à la narration, pour permettre de rappeler le contexte brûlant de la guerre et de son effet sur une population de plus en plus prise en tenaille. Le film montre en particulier combien la politique de Lincoln (la guerre qui prenait les fils, mais aussi la mise à égalité des noirs et des blancs, très mal vécue) était loin de faire l'unanimité...

Mais au milieu de tout ça, Scorsese raconte à sa façon la "Naissance d'une nation", ou du moins d'une ville nouvelle. Reprendre le nom du film controversé de Griffith a du sens ici, puisque Scorsese en cite jusqu'à la structure, montrant au milieu du film une tentative d'assassinat en présence d'une effigie de Lincoln, dans un théâtre à l'imitation d'une séquence célèbre de The birth of a nation... Le rappel du cinéma antérieur, qui ne nous étonnera pas venant de Scorsese, est également complété par des allusions à Raoul Walsh (The bowery, Gentleman Jim). Scorsese s'est donc aussi fait plaisir, on ne s'en plaindra pas... Le grand regret, par contre, c'est que les frères Weinstein aient insisté pour que le montage de ce film soit plus serré, et qu'aucune version alternative plus longue n'ait été présentée au public; par moments, le découpage se ressent...

Fin d'une époque, aboutissement d'un projet de longue date, le film inaugure également une période durant laquelle Scorsese le touche-à-tout a été très fêté partout, présenté à Cannes, devenu en quelque sorte le porte-parole d'un certain cinéma de qualité. Cet aspect est également présent dans le film, avec la première interprétation de Di Caprio pour Scorsese, et bien sur Cameron Diaz. Il y a un côté grand film de luxe, qui nous perd parfois dans les méandres de ses 2h et 45 minutes, mais on est aussi devant un cinéaste qui réussit malgré tout à accomplir un projet personnel difficile en se renouvelant. et la suite sera passionnante, puisque Scorsese nous régalera avec The aviator, et The departed. La preuve que Di Caprio allait lui permettre de trouver du sang neuf. La preuve aussi que le vieux lion en encore pour une quatrième décennie des choses à dire... Et ce film le montre plus que tout autre, avec cette histoire de ville qui nait du chaos, replonge dans le chaos, pour mieux affronter les siècles.

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Published by François Massarelli - dans Martin Scorsese