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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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23 février 2012 4 23 /02 /février /2012 09:27

San Francisco, Barbary Coast, 1906: Jenny Sandoval (Ruth Chatterton) assiste son père dans un établissement louche. Mais elle lui cache quelque chose: elle attend un enfant de Dan (James Murray), le pianiste. Au moment ou elle lui avoue son intention de fuir avec Dan, le monde tremble.... Littéralement, c'est le fameux tremblement de terre de Frisco. Une fois le calme revenu, les bas-fonds sont en ruine, la vie de Jenny aussi: son père est mort en la menaçant, Dan est mort lui aussi. Avec l'aide de sa fidèle servante Amah, elle place son fils à Chinatown, puis reprend ses activités, sous la protection de l'influent avocat Dan Sutton (Louis Calhern). Elle sauve ce dernier d'une affaire de meurtre, mais ne sait pas que c'est ce qui va finalement précipiter sa chute...
 

Du mélodrame, du grand et beau tire-larmes, relevé à sa sauce par William Wellman, toujours autant à l'aise dans la stylisation et la suggestion que dans les images-coups de poing. Cette histoire de mère criminelle qui finit condamnée par son propre fils est forcément une occasion en or pour l'actrice Ruth Chatterton, habituée aux rôles durs. Mais pour Wellman, ce film ressemble à une promenade de santé, dans laquelle il s'adonne à ses petits plaisirs: superbe reconstitution du tremblement de terre, vécu "de l'intérieur", peinture sans concession des petites combines et de la débrouille des fillles qui travaillent dans le bar, un meurtre à l'écran, caché par une table renversée, et une rigueur rare dans la reconstitution des modes passées.

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Published by François Massarelli - dans William Wellman Pre-code
19 février 2012 7 19 /02 /février /2012 13:02

Jusqu'à la fin de sa vie, Mankiewicz a occulté Cleopatra d'une façon fort théâtrale, s'y référant comme à un objet inommable, et reléguant toute l'expérience au rang de désastre: ce n'était, après tout, pas son film, il n'avait pas spécialement voulu le faire, et il n'en était en rien responsable. La lecture de la très intéressante biographie de Kenneth Geist révèle que le tournage, s'il n'a pas été de tout repos d'un point de vue cinématographique, a aussi accumulé les excès de tout genre: argent coulant à flot de façon incontrôlable, dépassement en tous genres, réalisateur sous toutes sortes de drogues pour tenir, et l'impression que la maison-mère, à savoir la Fox, ne contrôlait plus rien – de fait c'est plus ou moins vrai: entre 1960 et 1963, peu de films ont été finalisés à la Fox, à l'image de ce Something's gotta give de Cukor qui était supposé être le grand retour de Marilyn Monroe, mais qui finira par être sa tombe, et dont une simple continuité de 25 minutes est tout ce qu'on a pu assembler. Ce n'est pourtant pas le cas de ce Cléopâtre: on estime que le premier montage de Mankiewicz durait 8 heures...

 

L' histoire est bien connue: c'est à Rouben Mamoulian qu'on a confié la mise en scène de ce film, au budget plombé avant même le tournage; pour qu'on cesse de lui proposer le rôle, Liz Taylor a demandé un cachet exorbitant, mais elle n'avait pas prévu de l'obtenir... Mamoulian a joué de malchance, puisque l'insistance de la Fox pour que le tournage se déroule à londres a peu profité au film. Et très vite, il s'est avéré que le capitaine ne convenait pas non plus. Mankiewicz a donc été sollicité, d'une part parce que Taylor avait beaucoup aimé travailler à ses côtés sur Suddenly, last summer, et d'autre part parce que le projet avait une touche à la fois littéraire et esthétique, qui faisait du metteur en scène de Julius Caesar une sorte d'idéal... Entre les hésitations du studio (Londres? Rome? Pinewood? Cinecittà?) et les absences fréquentes de la star dues à sa santé chancelante sans doute, le tournage a donc duré trois ans. L'inspiration en était pour le moins hétéroclite: pour la Fox, il s'agissait de retrouver le chemin des grosses superproductions qui avaient fait la gloire du Cinémascope, le format maison; après tout, Ben-Hur avait obtenu un ensemble non négligeable d'Oscars pour la MGM en 1959, c'est donc qu'il existait encore une possibilité pour ce genre de films. Pour Mankiewicz, il s'agissait de donner une dimension inédite à ce genre de film, en s'inspirant à la fois d'historiens contemporains, du genre lui-même, des grands auteurs antiquess (Plutarque, Suétone, Appien), et enfin de laisser l'inévitable ombre de Shakespeare et de Shaw marquer le script. Enfin, Mankiewicz a su construire le film sur trois personnages: Cléopâtre, bien entendu, mais aussi César et Marc Antoine, favorisant ainsi la conception d'un film qui toucherait aussi bien à la grande histoire, qu'à l'histoire intime... L'histoire d'amour soudaine, et inespérée, entre Richard Burton et Elizabeth Taylor était à ce titre une incroyable aubaine, permettant au film d'avoir un angle publicitaire des plus solides. Du moins c'est ce que se sont dit les dirigeants de la Fox.

En plus de Taylor, dont il me semble qu'on peut difficilement discuter la légitimité, Mankiewicz a donc finalement pu diriger l'impulsif Burton, qui fait de son Marc Antoine un cas assez complexe d'homme miné par sa position permanente de subalterne, et son ami Rex Harrison en César, qui va faire du général et dictateur Romain un personnage complexe et attachant. C'est la troisième collaboration entre les deux hommes, après Escape et The ghost and Mrs Muir.

 

On assiste donc à l'histoire de Cléopâtre, de l'arrivée de César à Alexandrie devant Ptolémée, l'indélicat frère de la belle qui avait décidé de se débarrasser de sa soeur, jusqu'au suicide de la reine après son aventure désastreuse avec Marc Antoine. La première partie se concentre sur l'intrigue politico-amoureuse entre Cléopâtre et César, de leur pacte scellé sur la base de la découverte par Cléopâtre de l'épilepsie du Romain jusqu'à l'assassinat de celui-ci; la deuxième partie tourne autour de la relation passionnelle de Cléopâtre avec Marc antoine, successeur auto-proclamé du militaire César, et la façon dont Octave, héritier politique du dictateur, a assuré le contrôle de Rome en se débarrassant d'Antoine.

 

Cléopâtre:

Aussi déterminée à prendre le trône d'Egypte que son frère Ptolémée est décidé à le garder, Cléopâtre s'allie à César d'un point de vue politique d'abord, même si la concernant, on comprend vite que l'alliance et le sexe sont intimement liés. Elle sait s'entourer, mais on constate que si elle est autocratique, capricieuse et arrogante, elle aime autant qu'elle est aimée par ses proches: Appolodorus, son garde du corps, et Sosigenes son plus proche conseiller en sont la preuve (C'est un autre ami de Mankiewicz qui interprète Sosigenes, le grand et trop rare Hume Cronyn). Cléopâtre est attirée par la force politique de César, dont elle admire la puissance conquérante, mais elle se livre à Antoine ensuite par amour: elle l'a toujours désiré, dit-elle, depuis ses douze ans... Elle consulte les oracles aussi souvent que possible, et va même faire partie des nombreux personnages qui préviennent César de sa fin prochaine, à égalité avec Calpurnia, l'épouse légitime. Ce mélange de sensualité, d'attitude régaliennes, de politique et de superstition fait toute la complexité du personnage, qui est attachant au-delà de tout ce qui aurait du la rendre insupportable: c'est dire si Elizabeth Taylor a su en faire quelque chose.

César:

Personnage complexe, l'un de ces hommes historiques (Tel Richelieu, par exemple) dont l'apparence et la légende prennent toute la place, César est souvent ce qu'en feront les artistes. Ainsi, Shakespeare semble-t-il montrer du dictateur (Auto-proclamé, et ce à coup de répression assez musclée, rappelons-le) les aspects les plus détestables, en prenant le parti de Brutus et des autres mutins. La vérité est peut-être assez bien incarnée dans la superbe interprétation de Ciaran Hinds dans la série télévisée Rome: un homme politique d'abord et avant tout, qui a compris que l'art militaire est nécessaire, mais pas seul; mais un homme avant tout, qui sans se laisser guider par les sentiments, leur accorde une place. C'est, avec un peu plus de bonhomie bien sûr, ce César là qui nous est montré dans Cleopatra. Du reste, il a fallu pour Mankiewicz composer avec une concurrence de taille: Shakespeare, bien sur, mais aussi Joseph L. Mankiewicz ont tous deux planché sur la question de la figure politique de César, à travers la pièce et son adaptation en 1953. Donc, ce nouveau film, sans l'occulter, va choisir un stratagème intéressant pour éluder la redite, en privilégiant l'image, puisque l'assassinat de César est entièrement vu par Cléopâtre, via la consultation d'un oracle, et les dialogues inévitables (Les ides de Mars, Et tu Brute, et le fameux discours d'Antoine) sont tout simplement éludés au profit de compositions impressionnantes mais muettes. La redite aurait été de toute façon hors sujet: le titre est Cléopâtre, et la reine ne se soucie en matière de politique que de la question égyptienne...

Antoine:

Apparaissant au milieu de la première partie, Antoine est un subalterne. C'est aussi son complexe: toujours le second de César, il supporte mal d'être considéré comme l'exécuteur des basses-oeuvres de son ennemi intime Octave, qui se joue de lui en permanence, et il va malgré son amour souffrir de la façon dont Cléopatre le considère elle aussi comme un second. Il va d'ailleurs s'y résigner et s'abandonner totalement à celle qu'il a suivi, allant jusqu'à devenir le responsable de la chute du régime égyptien, en même temps que de sa propre débâcle. Sa réponse à tout est celle d'un militaire, pas politicien pour deux sous, et la force brute et un brin cabocharde (Burton n'est pas Gallois pour rien, et Mankiewicz joue beaucoup là-dessus) qui lui a tant servi en tant que général, va lui être fatale lorsque face à lui la politique et les manigances vont prendre le dessus sur les habitudes militaires. Mais Antoine est également l'amoureux de Cléopâtre, et Mankiewicz se livre occasionnellement à de petits montages intéressants pour mettre en valeur le tumulte et les conflits permanents des deux amants, en les voyant se livrer à des joutes juxtaposées sur plusieurs scènes: cela met aussi en valeur, de façon probablement imprévue, la débauche de costumes différents que porte (Ou ne porte pas, puisqu'elle prend beaucoup de bains) Cléopâtre...

Octave:

Absent de Julius Caesar, l'héritier désigné par César est le grand gagnant de la deuxième partie. Roddy McDowall lui donne une puissance parfois un brin excessive, mais il incarne à lui seul la théâtralité du sénat, que l'absence du fameux discours « ressenti » de Marc Antoine tendrait à accentuer. Octave assiste aux batailles qu'il est sensé mener, et qui l'ennuient; il se sert de tous et toutes pour ses desseins, et se contente d'agir lorsque tout est en son contrôle: il se réserve en brillant orateur les moments de lumière, ce qui explique un certain nombre de morceaux de bravoure, une fois de plus un peu excessifs, de la part de l'acteur. Mais il fallait de l'excès: on l'a bien compris, Octave, qui hérite de la position de César et de son nom dans un triumvirat partagé avec Lepidus et Antoine, pourra accomplir après s'être débarrassé des deux autres, et de Cléopâtre, l'oeuvre de son, grand-oncle Jules César: il se fera proclamer Empereur, sous le nom d'Auguste, sans aucun Brutus ou aucun Pompée pour l'en empêcher ou lui disputer cet honneur. Cela valait bien un certain nombre de concessions, notamment un étrange éloge funèbre dédié à Antoine: quand on annonce sa mort, dit-il, il faut trembler; il ne lui a pourtant fallu pas beaucoup d'efforts pour régler son compte à son beau-frère et rival, qui s'est auto-détruit assez facilement... quoi qu'il en soit, ce qu'il faut historiquement retenir de ce César Auguste, c'est qu'il a finalement réussi à installer la paix dans un régime fragile, qu'il a consolidé, et accompagné durant 45 ans...

245 minutes de film, en deux parties, et bien sur un montage qui fut l'un des gros problèmes de la production... Comme de juste, comme avec tous les films-mammouths de cette trempe, on n'a pas une version qui primerait sur toutes les autres, même si la situation actuelle est simple: on n'a qu'une version, la restauration effectuée dans les années 90. Elle est similaire en durée à la version montrée lors de la première (Elle incorpore une ouverture et un entracte) mais le contenu en est peut-être légèrement différent, les remontages effectués lors des sorties et ressorties ayant été parfois tempérés par le recours à des scènes ajoutées pour pallier à certaines absences. Aujourd'hui, il ne subsiste aucune copie de la version de travail de huit heures, bien sûr, mais on n'a retrouvé aucune copie non plus de ce que Mankiewicz considérait comme « sa » version: un montage de 5h30 ou 6 heures, qui aurait été livré en deux films; tel quel, le film et ses quatre heures ont été désavoués par le metteur en scène, et le fait est qu'il apparaît parfois mal équilibré. C'est inévitable à cette durée. Une chose est sûre: les deux parties telles qu'elles sont ne fonctionnent en tout cas pas comme des films à part entière, un peu comme les diptyques de Fritz Lang; s'il est sans doute incomplet, le film garde sa cohérence, sa grandeur, et son étrange mélange d'intimisme (l'un des arguments pour trancher dans le film en 1963 était justement sa franchise sexuelle, affichée aussi bien dans les dialogues que dans la mise en scène, avec ses multiples scènes de lit) et de grande histoire. C'est un objet fascinant, et surtout, en dépit de tout ce qui a été dit ou fait autour de son identité de film à grand spectacle appartenant à la Fox, c'est aussi un film de Mankiewicz: la façon dont ce dernier a finalement réussi à s'approprier aussi bien l'histoire, que la légende, tout en créant des personnages nouveaux dans la dramaturgie historique et amoureuse, rend justice au metteur en scène. Que celui-ci ait rejeté le film en bloc après y avoir souffert trois ans durant, importe finalement peu. Après tout, il reviendra!

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Published by François Massarelli - dans Joseph L. Mankiewicz
18 février 2012 6 18 /02 /février /2012 09:22

Atypique, ce film qui fait partie des oeuvres de Wellman interprétées par Barbara Stanwyck est étonnant, d'une part par la façon de traiter un sujet propice à se vautrer dans de nombreux clichés, qui seront tous ou presque évités, ensuite par la façon dont Wellman organise  sa mise en scène, à la fois frontale et suggestive, ensuite par son choix du fil du rasoir: jamais totalement un drame, jamais totalement une comédie, le film se place sur un terrain glissant en faisant de la conquête sexuelle d'un homme par une femme le véritable enjeu... Et cette femme, je le répète, est Barbara Stanwyck!

 

Joan, une chanteuse de cabaret à New York, a vécu: son petit ami, Ed, est un bootlegger aux activités annexes des plus variées, et elle souhaiterait bien sur trouver mieux. Elle va donc se marier avec un riche héritier, mais celui-ci la plante avant la cérémonie par peur du scandale; la jeune femme fuit à Montréal, afin de changer de vie. Mais elle est vite rattrapée par son passé, des envoyés de Ed la retrouvant sans difficulté; elle prend une résolution en rencontrant une femme de ménage de son hotel qui s'est lancée dans un mariage par correspondance avec un fermier du Dakota du Nord: la jeune femme se trouvant disgracieuse, elle a en effet envoyé la photo de Joan... Celle-ci "achète" le mariage pour 100 dollars, et part pour l'aventure...

 

Les enjeux pour Joan vont être, non pas de se faire accepter en tant que femme de la ville, mais d'une part d'accepter son mari (George Brent, plutôt bon en fermier un rien benêt), puis de se faire accepter par lui, après que leur nuit de noce ait été un désastre: elle l'éloigne d'une gifle. Les clichés sur la différence entre ville sophiqtiquée et campagne rustique sont finalement expédiés en une scène de beuverie, lorsque les voisins de Jim et Joan Gilson arivent pour célébrer à leur façon le mariage. Mais wellman montre Stanwyck se laisser entrainer dans la fête, et celle-ci, bien que haute en couleurs (Le réalisateur y a engagé des figures du burlesque, on y reconnait notamment Tiny Sanford et Snub Pollard) ne débouche pas sur un excès de condescendance à l'égard des bouseux. On retrouve cet esprit naturaliste dans les scènes de la fin, qui montrent Joan s'adapter, s'habiller pour l'hiver (Une scène de réveil nous montre une chemise de nuit du plus haut rustique, qui contraste de façon spectaculaire avec la nuisette quasi transparente que Joan porte au début de son séjour).

 

Comme souvent chez William Wellman, l'adversité viendra de là où on ne l'attend pas: un chauffeur trop entreprenant qui va nécessiter une correction de la part d'un gangster au grand coeur (Night nurse), un caïd de la zone qui va sauver ceux qu'il aurait pu écraser (Beggars of life), un Américain qui va sans la savoir abattre son meilleur ami qui a volé un avion Allemand pour retrouver les lignes alliées (Wings)... Ici, ce sont les voisins qui seront la menace: si Jim a du mal à voir en Joan autre chose que son propre échec, l'un des fermiers alentour va vite convoiter la jeune femme et se livrer à un odieux chantage. Même Ed, qui retrouve la trace de sa petite amie, et qui provoque ainsi une crise de jalousie de la part de Jim, s'avère utile et positif pour le couple.

 

Avec la légendaire efficacité de l Warner en ces annéese années "pre-code", Wellman se livre à une mise en scène qui utilise beaucoup le décor et les à-cotés; il demande peu à ses acteurs, souvent filmés à distance dans des compositions magnifiques: les scènes rurales finales atteignent une beauté réelle, sans aucune fioriture, et en évitant le lyrisme des dernières années du muet; les objets sont utilisés pour véhiculer du sens, comme cette cariole qui a beaucoup de scènes pour elle, la plus spectaculaire étant celle au cours de laquelle Wellman instrumentalise le vide: Brent et Stanwyck reviennent de la ville, ou ils se sont directement mariés sans jamais s'être vus auparavant, sil se taisent. le décor est vide, et on ne voit presque que le blanc de leur visage; ils s'efforcent de ne pas se regarder, et Joan, en particulier, semble dépourvue de vie: elle est au centre du plan. Le silence et l'immobilité des deux acteurs dure 30 secondes... Tout est dit, oserait-on dire, et l'anticipation de la soirée est pour les deux personnages un cauchemar. Sinon, une très belle scène de rupture montre la façon dont Wellman sait déplacer les émotions et interprétations d'un acte aux témoins d'une scène, et aux éléments du décor: Le riche jeune homme vient de quitter Joan, et s'apprète à partir. Wellman cadre les gens autour d'eux. assise devant la vitrine, la jeune femme assiste au départ de la meilleure chance de sa vie, et au fond, on voit les éboueurs arriver et ramasser les poubelles; puis, on revoit de nouveau les témoins, qui cessent de s'intéresser à la situation et retournent à leurs occupations.

 

Drôlement distrayant, prenant même grâce à la performance inévitablement magnifique de la belle Barbara Stanwyck, le film étonne par son traitement du personnage féminin, véritable moteur du couple de fermiers. Non seulement la jeune femme prend sur elle, et passe de petites tenues sexy à des vêtements plus pragmatiques, mais en prime elle prend les choses en main. Elle est décidée à conquérir son idiot de mari, et le metteur en scène ne nous cache jamais qu'il est bien question de désir. A la fin, après avoir résolu un problème matériel, les deux se retrouvent. Elle est épuisée, il la prend dans ses bras, et la porte naturellement vers la maison, l'embrasse... Et Joan lui dit: je vais m'ocuper de toi, te mettre au lit et te border. Echange des rôles, humour tendre, une façon parfaite de finir un film certes inhabituel (Il n'appartient à aucun genre particulier, et se tient à l'écart de la représentation de la vie citadine, le grand thème des années 30 naissantes, en se refusant à céder de façon trop directe aux codes graphiques et culturels de la mode, Jazz, robes, cafés...), mais aussi attachant que son personnage principal, qui trouve la rédemption dans une renaissance totale.

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Published by Francois Massarelli - dans William Wellman Pre-code
12 février 2012 7 12 /02 /février /2012 09:51

Tourné en plein durant la période de formation du parlant, au début du contrat de "Wild Bill" à la Warner, ce film est une petiite chose dont les prétentions au départ ne devaient sans doute pas dépasser l'intention de remplir les salles pendant quelques semaines, en fournissant un peu de drame et puis c'est tout. Mais wellman en a fait bien autre chose... Bien sur ce n'est ni Wings, ni A star is born. C'est un film éloigné de ses oeuvres de guerre, de ses westerns même. Mais le metteur en scène, un artiste, se double aussi d'un fin peintre des passions humaines, notamment masculines... et en prime, Other men's women est de bout en bout un film Warner: Monté avec soin, rythmé parfaitement, et interprété de façon juste par de jeunes acteurs, dont certains iront bien plus loin: Parmi les seconds rôles, on remarque quand même James cagney et Joan Blondell! Bien sur, il y a aussi le vieux J. Farrell McDonald, et Mary Astor, l'un revenu de tout, l'autre avec une carrière déja bien remplie.

 

Mais les deux héros, interprétés par des acteurs plus obscurs aujourd'hui, sont deux amis, Bill (Grant Withers) et Jack (Regis Toomey). Le premier est un fêtard incorrigible, et l'autre un homme stable et marié; ils travaillent tous deux dans les chemins de fer, et un jour Jack ramène Bill, flanqué dehors par sa logeuse, chez lui, auprès de son épouse Lily (Astor). Ce qui devait arriver arrive: Lily et Bill tombent amoureux, et Bill part. Mais jack soupçonne bientôt que la trahison ait été plus loin qu'un baiser, et les deux hommes se battent pendant qu'ils sont dans une locomotive. Jack manque de peu de mourir, mais sera aveugle; rongé par le remords, Bill entend se sacrifier: lors d'une crue, un pont menace de s'écrouler, il souhaite donc conduire un train lesté de ciment sur la voie pour le stabiliser; il souhaite surtout faire un suicide spectaculaire...

 

L'intrigue proprement dite est adéquate pour de l'action et du spectaculaire; d'ailleurs, Wellman s'acquitte de sa tâche avec beaucoup d'efficacité, le film étant structuré sur la montée vers le "climax": l'un des conducteurs de train, seul sur une locomotive, sur un pont enjambant une rivière en furie... Mais si ces scènes fonctionnent, eles sont marquées par la convention et, disons-le, ont un coté baroque qui accuse bien son age. Non, la ou wellman se débrouille le mieux, finalement, c'est dans la façon dont il montre la vie et les liens humains... Comment les cheminots Withers et Cagney discutent debout sur le toit d'un train, dos à un pont qui pourrait tout simplement les faire tomber, mais se baissant juste au bon moment... Comment la vie s'organise, de rendez-vous un peu miteux en soirée dansante ... Comment Jack et Lily ont su construire un hâvre de paix dans cet univers... et puis il y a l'histoire d'amour. les mots en sont conventionnels, mais les gestes en sont superbes, parfaits. La caméra ne laisse rien échapper, les acteurs esquissent un geste de la main, s'approchent, les regards sont chargés d'émotion... ajoutons à cela cette capacité de Wellman à faire ce qu'on n'attend pas: sa façon de cadrer ceux qui écoutent lorsqu'un autre parle; ainsi la rupture en Blondell et Withers, par exemple... Un autre aspect fascinant du fil, c'est le refus de juger, de montrer le bon Jack et les méchants: pas de manichéisme ni d'adversité ici... Son utilisation du son est d'un naturel déconcertant, les dialogues marqués par l'argot de l'époque est très réussi, et ses scènes tournées en décor naturels sont particulièrement réussies pour 1930, à une époque ou le matériel parlant pesait trois tonnes.

 

Bref, ce film certes mineur, qui nous est rendu disponible grâce au coffret "Forbidden Hollywood", volume 3, consacré à Wellman, est un plaisir de plus à mettre à l'actif d'un très grand metteur en scène.

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Published by François Massarelli - dans William Wellman Pre-code
11 février 2012 6 11 /02 /février /2012 17:44

Le premier film de Lloyd distribué par la glorieuse et aristocratique paramount est aussi le premier film signé en solo par Sam Taylor. Il partira ensuite, accomplissant divers films d'importances variées, mais soyons justes: d'une part, ses meilleurs films sont ceux qu'il a réalisé ou co-réalisé aux cotés de Lloyd, et d'autre part, une fois de plus, c'est Lloyd le patron. Un patron qui joue gros, toutefois, car il sait que s'il reste son propre producteur, le prestige qui accompagne la parrainage par la firme paramount est impressionnant. Son nouveau film, pourtant, renoue avec de nombreux aspects de son héritage des années Roach, à commencer par des acteurs: Noah Young a ici un rôle important, mais on verra aussi Leo Willis. Ces deux-là ont été souvent les méchants grandioses des films de Charley Chase, Laurel & Hardy... et Harold Lloyd.

 

A nouveau, des années après A sailor-made man, Lloyd joue un homme riche: J. Harold Manners est insupportable, imbu de lui-même, et vit dans une tour d'ivoire conférée par ses moyens infinis. Il s'achète une voiture pour aller avec son costume, et en change en un claquement de chéquier quand il y a un problème. Il ne montre aucune émotion. Inversement, la ission de Slattery Row est une simple roulotte, dont le Père Paul espère un jour faire un vrai toit si un mécène se déclare. Mais s'il fallait compter sur tous les Manners de Los Angeles, ce serait mal parti. On s'en doute, c'est pourtant bien J. Harold Manners qui va fournir les 1000 dollars nécessaires, mais par méprise. Une fois la mission construite, il va s'y rendre pour protester que son nom y soit associé, et y rencontrer la fille de Paul, jouée par Jobyna Ralston. Devinez la suite...

 

Le début du film est un plan de père Paul en pleine évangélisation; il y a un travelling arière, mais ce n'est pas un trompe l'oeil comme souvent. Les trois premières minutes, sans aucun gag, exposent tout simplement ce qui va être le théâtre du film: les rues de Los Angeles, vécues par les sans-abri, les oubliés de la vie... et les malfrats, bien sur. C'est une tendance de ce film, d'éviter tout angélisme, et de confondre assez facilement les pauvres et les gens malhonnêtes. mais les riches en prennet pour leur grade, via l'horrible Manners du début du film, et par le biais de ses copains qui décident de le kidnapper lorsqu'il s'intéresse à une jeune femme qui n'est pas de son monde. et le sel du film provient en particulier de l'incryable complicité entre Manners, enfin converti, et un chef de gang au grand coeur joué par Noah Young. Celui-ci et tout son poids dans la balance, et ce n'est pas peu dire...

 

Comme d'habitude dans un film de Lloyd, le vrai caractère de manners va se révéler grâce à l'énergie qu'il va déployer tout naturellement dans l'exercice de l'altruisme... Mais au passage Lloyd et ses collaborateurs vont se livrer à de fort belles scènes, comme cette visite de la mission durant laquelle Lloyd n'a d'yeux que pour la belle Jobyna, ou cette scène poétique au clair de lune: en plan rapproché, on les croit au bord d'un lac, mais la caméra se recule et révèle qu'ils sont dans un terrain vague, à coté d'une flaque de liquide probablement pas très catholique... et puis comme toujours, une course de dernière minutre permet à Lloyd et ses copains (Des gangsters saouls qui sont acquis à la mission) de rivaliser d'ingéniosité pour arriver à temps à un mariage.

Même si on a vu mieux (Safety last), et si on verra mieux (The Kid Brother, Speedy), un film de Lloyd comme celui-ci, avec sa thématique sociale pétrie de bon sens et d'optimisme, n'a finalement qu'un défaut: celui de n'être qu'impeccable...

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Published by François Massarelli - dans Harold Lloyd Muet 1926 Sam Taylor *
11 février 2012 6 11 /02 /février /2012 16:56

Ce premier Oscar du meilleur film (Qu'il soit plus ou moins mérité que d'autres, comme Seventh Heaven ou Sunrise, importe peu) est une sacrée claque! Tourné en pleine fin de l'age d'or du muet, il est le dernier grand film spectaculaire avant longtemps, et reste encore aujourd'hui une très grande date dans la représentation de la première guerre mondiale au cinéma. La Paramount voulait d'ailleurs frapper un grand coup, en, confiant directement à un vétéran des forces aériennes la rude tâche de représenter le combat aérien, ce qui n'avait jamais été fait. Ce qu'en a fait Wellman est tout bonnement époustouflant, embarquant des caméras sur les avions pilotés par les acteurs eux-mêmes, et assurant avec le concours de l'armée Américaine une reconstitution minutieuse des combats, aussi bien aériens (Sur des ciels exclusivement nuageux, afin de voir les avions se détacher nettement) que terrestres, pour lesquels un terrain a été entièrement transformé en gruyère à coups d'explosifs...

 

1917: Jack Powell (Charles "Buddy" Rogers), jeune homme d'origine modeste et amoureux de la belle Sylvia (Jobyna Ralston), s'engage pour aller en europe. Il rêve de voler, et va donc profiter de l'aubaine. Avec lui, il retrouve son rival David Armstrong (Richard Arlen), le fils de la plus riche famille de la ville; les deux deviennent amis, mais David n'ose révéler à Jack que Sylvia l'a choisi lui, et préfère par amitié le laisser à ses illusions. Les deux jeunes hommes deviennent des pilotes, et la guerre se poursuit, mettant un jour en péril leur amitié...

Une intrigue franchement secondaire, mais qui a de l'importance pour la Paramount aussi bien que pour le public, nous permet de suivre les pas de Mary, l'amie d'enfance interprétée par Clara Bow, alors la plus grande star de la firme. Elle fait elle aussi une contribution à l'effort de guerre, en conduisant un camion de médicaments sur les routes de France. Elle croisera Jack, dont elle est amoureuse, lors d'une soirée un peu trop arrosée aux Folies bergères.

Au-delà d'une représentation très réaliste de la guerre, dont même l'excellent The big parade n'avait offert qu'une vision suggérée des conflits, le film est fascinant pour son refus du manichéisme. C'était déja le cas chez Vidor, mais on les voyait finalement très peu;  jamais ici les Allemands ne sont représentés comme autre chose que des combattants; on n'a pas, comme dans The four horsemen of the Apocalypse, ou Hearts of the world, voire dans J'accuse, l'impression que ce sont des brutes sanguinaires et inhumaines. D'ailleurs, les gestes de bravoure alternent en permanence avec des mains tendues, des moments ou des passerelles sont jetées entre les deux camps belligérants, par fair-play ou par simple humanité: un aviateur Allemand lâche un message au-dessus de l'aérodrome allié pour informer de la mort d'un américain, et Wellman montre à la fin du film une croix de fer sur laquelle un jeune soldat Allemand est allongé, mort... Symboliquement, le film est très clair: lorsque Jack, qui croit son ami mort, se venge sur tous les avions allemands qu'il trouve sur sa route, l'ironie veut qu'il abatte aussi son copain qui a réussi à fuir les lignes ennemies en subtilisant un appareil Allemand... ainsi, c'est une fois de plus frère contre frère, humains contre humains. Wellman sépare la croix de fer, symbole du militarisme allemand, et les soldats... Le parcours de Jack, qui est comme tous les ados américains au début du film, se clôt sur l'arrivée d'un homme, accessoirement d'un héros (Il ne rejette pas l'hommage comme le fait John Gilbert à la fin du film de Vidor, mais on sait qu'il en est embarrassé), qui a grandi en 18 mois bien plus qu'il ne l'aurait cru. La famille et la fiancée de David pleurent en silence, mais comme le dit Mme Armstrong à celui qui de fait est le responsable de la mort de son fils, on ne peut pas en vouloir éternellement aux gens... Dans ce film, il n'y a pas de méchant, juste un conflit. Même la conventionnelle rivalité amoureuse entre David et Jack pour le coeur de la belle Sylvia est basée sur une méprise, et la jolie fille riche a pitié de Jack, sans pour autant en rajouter dans la condescendance.

Wellman joue ici sa carrière, et si on peut croire son fils qui affirme qu'avant ce film le metteur en scène n'avait pas produit grand chose d'intéressant, le fait est que ce coup d'éclat va l'imposer. Beaucoup de producteurs malmenés vont s'en plaindre, mais tant pis: on assiste là à l'éclosion d'un immense cinéaste. Déjà, il étonne par sa capacité à composer en toute circonstance, par le talent dont lui et ses monteurs feront preuve devant la cohérence des scènes de bataille, certaines étant filmées aussi bien depuis les avions que depuis le sol, et il sait déjà donner du poids à certaines scènes en les esquivant: la mort de David, par exemple, vue symboliquement via une hélice d'avion qui s'arrête, ou encore la plus fameuse scène du film: celle avec Gary Cooper. Le cadet White, joué par Coop, est juste une silhouette au début du film. Les deux héros arrivent à leur centre d'entrainement, et s'installent dans leur tente qu'ils partagent avec ce grand gaillard; celui-ci s'en va pour voler, et ne reviendra pas. On assiste à l'accident par le biais de la vision des ombres de deux avions, des ambulances qui se précipitent, depuis la tente même. Déjà, Wellman fait preuve de ce culot devant les passages obligés, le résultat étant d'une force émotionnelle brute, qui implique fortement les personnages et le spectateur (Voire les spectateurs seuls, comme dans la fameuse fusillade de The public enemy, vue à travers la seule bande-son.) On peut éventuellement se plaindre de l'ajout d'une partie non-essentielle au film, avec une Clara Bow qui est là pour générer des entrées. Mais les romances un peu puériles entre David, Sylvia, Jack et Mary servent aussi à souligner les différences sociales qu'on croyait inéluctables entre les riches (David, Sylvia) et les Américains plus modestes (Jack, Mary). La guerre, qui fait de Jack et David des égaux, voire des frères, permet aux moins bien lotis de s'en sortir. L'Amérique se sort ainsi de ses conflits de classe. La scène de la visite de Jack aux parents de David nous fait penser que les parents riches du héros morts vivront tout le reste de leur vie sur des souvenirs ressassés... Une page est tournée, nous dit Wellman. Lui, il le savait, qui a fait cette guerre, en est revenu, et a rameuté tous ses copains pour jouer dans le film. Voilà, tout ça, ça fait un film qu'il était temps que la Paramount sorte du formol: il est superbe. Le seul regret que je puisse exprimer devant le Blu-ray sorti en ce début d'année, c'est que personne n'ait essayé de redonner vie à la version "Widescreen", en 65 mm, avec des passages en écran large. Pourtant celle-ci serait préservée. Dommage...

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Published by François Massarelli - dans William Wellman Muet Première guerre mondiale Clara Bow 1927 **
10 février 2012 5 10 /02 /février /2012 17:56

Adaptant un roman Allemand d'Hans Fallada, ce film est l'un ders projets littéraires lancés par Carl Laemmle Jr à la Universal durant la première moitié des années 30, parallèlement au fameux cycle de films fantastiques qui ont fait leur renommée. On peut d'ailleurs le rapprocher de All quiet on the Western front (Lewis Milestone, 1930) et Waterloo bridge (James Whale, 1931), deux films ambitieux qui rivalisent avec les majors. Clairement, contrairement à son prédecesseur, cette recherche du prestige n'est en aucun cas prise à la légère par le nouveau patron du studio. C'est au départ un projet qu'on songe à confier à James Whale, avant que Frank Borzage ne soit engagé pour le réaliser, ce qui tourne à l'avantage du film: celui-ci s'inscrit non seulement dans le cadre de cette recherche d'une meilleure stature, mais aussi au sein de l'oeuvre de Borzage consacrée en ces périlleuses années 30 à la montée des totalitarismes en Europe.

Contrairement à son film précédent No greater glory, qui partageait cete thématique, le film est en effet situé en allemagne, où deux jeunes mariés, Hans et Lämmchen Pinneberg (Douglass Montgomery, Margaret Sullavan), qui attendent un enfant, doivent lutter au quotidien pour survivre et avancer. Ils vont donc d'hébergement de fortune en appartement provisoire, et doivent affronter les changements incessants de leur situation: Hans  est employé par un patron (DeWitt Jennings) qui se livre avec gourmandise à un chantage au licenciement, puis essaie de caser sa fille qui aimerait tant se marier à l'un des employés, ce qui poussera Hans à la démission... Les deux jeunes mariés trouvent à se caser auprès de Mia Pinneberg, la belle-mère de Hans (Catherine Doucet), mais la "maison de rencontre" dirigée par celle-ci cache une réalité plus sordide; au passage, ils rendontreront des gens qui les aideront, et d'autres quifédèrent leur protestation dans des mouvements de révolte. Le film est structuré de l'annonce de la grossesse à la naissance, permettant de finir sur une note d'espoir...

 

L'Allemagne qui nous est montrée est en proie à une sorte de chaos suggéré dont l'intrigue forme, dans un dispositif typique de Frank Borzage, les coulisses. Ni Hans ni Lämmchen ne rejoindront les rangs des protestataires (Quels qu'ils soient), et ils assistent à toute cette agitation depuis leur petite vie précaire. La tentation est là, et au plus bas, Hans manquera de se laisser tenter, risquant ainsi d'abandonner son épouse qu'il ne peut soutenir, pour se joindre à une hypothétique "armée des chômeurs". On ne nous dit jamais ou souffle le vent, qu'il soit de doite ou de gauche, fasciste ou communiste; Inversement, si jamais les mots de fascisme ou de nazisme ne sont prononcés dans le film, il y a comme une sorte de complexe autoritaire dans l'air. Lämmchen est clairement exploitée par Mia, Hans est terrorisé à son travail comme ses collègues par un patron qui recourt à l'autorité par plaisir, et aime à jouer avec le sentiment d'insécurité de ses subalternes. Enfin, un client d'un magasin abuse de l'autorité conférée par sa classe sociale, juste pour le plaisir de le faire. Voilà une façon relativementsubtile d'introduire dans ce qui est une chronique du quotidien un parfum de dictature, comme c'était le cas avec No greater glory.

Comme si souvent, Frank Borzage revient à Cendrillon, mais cette fois-ci il y en a deux: Lämmchen et hans, déja unis au début du film, vont réussir à s'en sortir malgré l'adversité (Et la présence d'une authentique marâtre) grâce à pas moins de trois "bonnes fées". Un vieux bonhomme, Herr Heilbutt (G. P. Huntley) les prend sous son aile, leur fournit une chambre certes miteuses, mais comme de juste sous les toits; Jachmann (Alan Hale), un compagnon occasionnel de Mia, est un escroc en smoking qui va voler pour eux, et ira en prison comme on se sacrifie; enfin, un ancien collègue de Hans revient les sauver, en employant tout le monde. On le voit, après l'âpre final de No greater glory, on a droit ici à une lueur d'espoir, mais on sait que se profielnt à l'horizon deux films pour la MGM qui reprendront ces chroniques inquiètes, et auront un gout plus cruel encore: Three comrades (1938) et The mortal storm (1940). Ces deux films auront d'ailleurs un autre point commun essentiel avec celui-ci: Margaret Sullavan...

Avec sa Lämmchen, Borzage a trouvé une interprète qui lui permettra de réaliser des scènes inoubliables. A la fois forte (Ici, elle reprend le rôle de Chico dans Seventh Heaven, en montrant à un Hans dubitatif le logis sous les étoiles) et fragile (Le seul moyen pour une actrice de jouer la grossesse est d'insister sur la faiblesse physique, puisque on ne pouvait pas montrer de ventre arrondi), l'actrice se révèle parfaitement juste pour passer les messages sublimes de son metteur en scène. Elle est parfaite, et multipliée par trois dans un miroir offert par Hans, elle prend toute la place dans le film... Elle va incarner la féminité fragilisée, sorte de symbole de l'humanité toute entière, dans les deux autres films cités plus haut, ainsi que dans The shining hour de 1937. On peut dire qu'après Janet Gaynor, c'est la deuxième grande collaboration entre Borzage et une actrice (En mettant de coté la rencontre avec Norma Talmadge, effectuée seulement sur deux films, avant la période Fox).

 

Alos qu'il s'apprête à retrouver un contrat avec la Warner (Qui laissera une impression franchement mitigée), ce dernier film "freelance" est encore une fois l'occasion pour le metteur en scène de se faire  le héraut des petites gens, dans un Europe certes idéalisée, certes symbolique, mais dont pourtant peu de films se faisaient l'écho. Le film est, dans sa peinture des petits tracas de la survie, à ranger dans un coin précieux, aux cotés des oeuvres de Capra ou Chaplin. C'est dire...

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage Pre-code
5 février 2012 7 05 /02 /février /2012 18:47

Ce film est le plus gros succès de la carrière de Harold Lloyd, et symptomatiquement, il en a automatiquement fait son préféré, le ressortant presque tel quel, alors que d'autres films, dont Safety last, ont été sérieusement amputés lors de leurs passages à la téévision, sous la supervision de leur créateur. De même, lors de leur come-back commun, Preston Sturges et Lloyd sont revenus en 1947 sur ce film, en imaginant une suite, The sin of Harold Diddlebock. L'histoire, qui concerne l'arrivée au collège d'un ado attardé qui est obsédé par l'idée de devenir populaire, et devient immédiatement la risée de toute l'université sans même s'en apercevoir, colle à la thématique de la révélation du caractère d'un jeune homme, mais se situe dans l'univers ultra-codé du collège. Que le film ait été un énorme sucès n'est pas étonnant; il contient une scène qui en dit long: Harold Lamb est sur le point de rejoindre son université, et est obsédé par un film, dans lequel un jeune homme devient, précisément, la star de l'université... A l'instar de ce film, d'autres productions populaires vont explorer cet univers, notamment avec William Haines, mais on peut aussi citer le peu probant College de Buster Keaton, qui partage d'ailleurs quelques défauts avec ce film, et en est clairement inspiré...

Pour commencer, ni Keaton ni Lloyd n'ont l'age de leurs rôles, et le plus problématique, c'est que l'un comme l'autre étaient des athlètes... il est difficilement crédible de les voir en jeunes non-sportifs. Mais si College s'empêtre assez rapidement dans un discours profondément anti-intellectuel, celui-ci reste bon enfant, et Lloyd prend un malin plaisir à montrer la recherche du vrai soi via le sport pour son personnage... Il est aidé en cela par Jobyna Ralston, la seule vraie amie (Et plus, bien sur...) d'Harold, comme d'habitude son égale et un soutien sans faille. Elle a droit à deux jolies scènes d'introduction: Harold se retrouve assis à coté d'elle dans le train sans la connaitre, et ils font ensemble des mots croisés, égrénant sans se rendre compte de l'effet rendu des mots doux pour correspondre à une définition: Dear, darling, honey... Plus tard, Harold s'installe chez les parents de la jeune fille qui lui louent une chambre, et en voulant nettoyer un miroir, il voit tout à coup le visage doux de la belle...

Si l'embarras, ressort classique de la comédie quotidienne des années Hal Roach est l'un des principaux ingrédients du film, il est ici combiné avec la méprise, base du personnage de Harold Lamb, qui croit dur comme fer en sa popularité alors que le monde entier, ou presque, se moque de lui. On aimerait voir ça dans un autre univers que le college, et cette obsession du sport, d'ailleurs légèrement égratignée par un intertitre: "Tate College, un de ces stades de football auxquels sont rattachés une université..." Mais il ne s'agit nullement de cracher dans la soupe, Lloyd croyait à 100% à son personnage. Il croyait dans le verdict du public, ce qui explique qu'il ait tant cru à ce film, certes bon, mais pour ma part, je ne le trouve quand même pas si fabuleux. A noter que le dernier quart d'heure est comme d'habitude dévolu à un climax bien sur footballistique. Et comme de juste, en dix secondes, là ou Chaplin aurait fait magnifiquement perdre son camp, Lloyd emporte le morceau...

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Published by François Massarelli - dans Harold Lloyd Muet 1925 Sam Taylor Criterion **
1 février 2012 3 01 /02 /février /2012 17:01

Pour son troisième et dernier film de la décennie, le premier qui soit de dimensions presque modeste, Peter Jackson a reçu une volée de bois vert de la critique, et en Europe le verdict du public a été simple: personne n'a été voir ce film. Pour une fois, les Américains ont été plus courageux, le film y ayant été un relatif succès en dépit d'une sortie confidentielle. C'est que depuis Lord of the rings et King Kong, Jackson n'est pas n'importe qui, mais avec ce petit film (toutes proportions gardées), il fait son Spielberg, alternant les grands projets fédérateurs avec un film plus intimiste et bricolo. Soyons francs: oui, ce film est en apparence bricolé, inachevé, mal fichu, à la narration qui part dans tous les sens, et il n'est pas dans la même catégorie, grand public que King Kong ou Lord of the rings; mais si on se réfère à d'autres films, et notamment à The frighteners, la comédie de fantômes avec Michael J. Fox, ou le splendide Heavenly creatures, on se rend vite compte que Jackson ne se renie pas, au contraire, il revient à ses premières amours: essayer d'adapter un imaginaire gothique, mortuaire et chamarré pour le grand public, marier la poésie étrange de son imagination malade et fertile, et le clinquant d'un cinéma de grande consommation. Et de fait le film est attachant, indicible, plein de zones d'ombre qui nous donnent envie d'y retourner. Bref, c'est son meilleur film, tout bonnement.

L'histoire de cette adaptation d'un roman de 2000 concerne une adolescente (Saoirse Ronan) d'une petite communauté Américaine, en Pennsylvanie, qui se fait assassiner à un moment crucial de sa vie, par un voisin abject (Stanley Tucci) qui n'en est pas à son coup d'essai. Bien que le film ait été vendu par les bande-annonces comme un thriller à énigme (le père, Mark Wahlberg, comprendra-t-il les messages envoyés depuis l'au-delà par sa fille, et se vengera-t-il à temps sur l'horrible monstre?), l'essentiel du film est consacré au deuil, aussi bien celui de la famille, le père et la mère (Rachel Weisz) réagissant de façon diamétralement opposées, que celui de la fille elle-même, arrivée dans un purgatoire ou elle va apprendre à ne plus regarder avec envie le monde qu'elle a quitté. Il va lui falloir accepter, mais aussi trouver une opportunité, par le biais d'un personnage de médium, de satisfaire sa plus grande frustration: elle est morte deux jours avant un rendez-vous crucial pour sa vie amoureuse, et son premier (et dernier) baiser a été interrompu trop tôt...

Les pièges de ce film, nommément la tentation du thriller, avec résolution de la vengeance, ou encore le fait de prendre parti pour une punition radicale, oeil pour oeil, sont évités, Jackson les écartant sagement, mais aussi courageusement, puisque le film ne trouve de résolution que dans une dimension philosophique: accepter la mort, la sienne ou celle d'un autre, voilà le seul enjeu proposé au final. Le monstrueux humain qui a commis le meurtre, joué avec génie par Stanley Tucci, trouvera pour sa part un destin à sa mesure, mais aucune humanité n'aura trempé dans sa mort: ouf. On évite le spectre hideux de la peine de mort, qui hante un peu trop facilement les films ou il est question du meurtre d'un enfant... Plutôt que de justice, Jackson, en obsédé du cinéma, multiplie les références à l'imagerie, et les liens ténus qu'elle fait entretenir entre les êtres, par-delà la mort: films, photos, gravures, dessins... Ici, le monde dans lequel évolue le "fantôme" de Susie (Epoustouflante Saoirse Ronan) est un monde de cinéma, bigarré, ou tous les signes ont leur importance. Bref, c'est un peu un film...

L'exceptionnel don graphique de Jackson est mis en valeur par la beauté hallucinante des visions du purgatoire, à mi-chemin entre l'enfance et l'adolescence, normal: c'est un purgatoire adapté pour une fille de quatorze ans. Les images trahissent les paysages toujours aussi beaux et grandioses de la chère Nouvelle-Zélande, dont on sait que Jackson n'aime pas la quitter... Mais le monde de 1973, splendidement rendu, nous renvoie un peu à la réussite plastique de The ice storm, de Ang Lee.


En dépit du sujet, ô combien lourd de ce film, Jackson réussit aussi à y glisser de l'humour, par le biais d'une grand-mère nicotinomane et alcoolique (Susan Sarandon) qui fait un ménage absolument inefficace au son d'un classique des Hollies (Long cool woman in a black dress, histoire de me trouver d'autres arguments de satisfaction); on y verra aussi un barbu qui essaie une caméra dans un magasin... Déja vu quelque part, le barbu en question: il conduit l'un des avions à la fin de King Kong, croise Michael J. Fox dans The frighteners, et il fait partie des armes de Saroumane dans Lord of the rings. En tout cas, Jackson a bien raison de signer son film de sa présence: avec ses êtres obsessionnels, collectionneurs, dotés de hobbies envahissants (le père comme le meurtrier, d'ailleurs), et de dons paranormaux, on rejoint ici le monde étrange du chasseur de fantômes de Frighteners, du Carl Denham de King Kong, du Colin McKenzie de Forgotten silver, des deux jeunes "heavenly creatures" , du frodo de Lord of the rings, voire de Peter Jackson: des êtres exceptionnels, à part, inadaptés, sur lesquels le destin s'acharne éventuellement, mais qui vont au bout de leur trajectoire. Tant pis pour les conséquences, et tant pis si le film n'est pas suivi par le public.
 

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Published by François MASSARELLI - dans Peter Jackson Saoirse Ronan
30 janvier 2012 1 30 /01 /janvier /2012 07:57

Domestique, ce petit film (Six bobines, soit 60 minutes, pas une de plus) renvoie clairement au style et aux préoccupations des courts et moyens métrages réalisés chez Roach avant 1922 et Grandma's boy. Il y est question de la vie quotidienne dans le sud de la Californie pour un couple de jeunes mariés, à travers quatre épisodes reliés entre eux de façon crédible, autour d'une journée, si on excepte le prologue. Hot water: le titre fleure on la vie quotidienne, mais il est en fait synonyme de problème... On notera qu'il y est question de la vie de mariage comme d'une jungle, mais que comme Lloyd est un artiste plutôt subtil, et qui fuit le vulgaire autant que possible, il ne s'attaque pas à l'épouse. C'est donc la belle famille qui en prend pour son grade...

 

Le film est structuré en quatre parties. Dans un premier temps, un prologue nous montre un Harold fortement sceptique se marier suite à l'attraction irrésistible des yeux de Jobyna Ralston... Sans transition, on passe à la fameuse journée qui occupera le reste du film: il va faire des courses chez l'épicier, et y gagne une dinde qui lui pose de sérieux problèmes dans le tramway. Une fois rentré, il constate que sa belle famille s'est installée en son absence: la maman (La grande Josephine Crowell), une matrone qui envahit façon viking, avec son mot à dire sur tout, généralement dans le sens opposé de ce que souhaite Harold; le beau-frère, joué par Charley Stevenson, incurable feignant. Et un petit frère qui fait bêtise sur bêtise. Mais l'essentiel, pour notre héros, c'est la Butterfly 6 qu'il offre à sa femme, le principal objet de cette troisième partie, qui finira en ruines suite à une virée mémorable en famille. Enfin, ils reviennent à la maison, ou Harold va se heurter à la belle-maman, qui désapprouve son usage domestique d'alcool (Un voisin lui a offert un petit coup à boire en douce pour qu'il tienne le coup lors de l'invasion...). Cette partie, qui couvre le repas du soir, puis une partie de la nuit, est entièrement construite sur une méprise géniale: Harold, qui a utilisé un tampon de chloroforme pour se débarrasser de sa belle-mère, est persuadé que celle-ci a succombé à une overdose. Tous les indices, présentés au public de façon logique, concordent dans sa grille de lecture; non seulement il se croit un assassin, mais en plus il croit voir un fantôme, la vieille dame étant somnambule...

 

Cette construction en trompe-l'oeil est donc la pièce de résistance du film, mais soyons juste: la partie consacrée à la voiture, qui redéfinit d'une façon superbement construite les rapports toujours réjouissants entre comédie burlesque et automobile sans jamais tomber dans l'exagération à la Sennett, est aussi un beau morceau de bravoure. C'est dans tout le film, tourné avec assurance mais aussi une certaine retenue après le final délirant du film précédent, que Lloyd montre qu'il est toujours aussi à l'aise dans la miniature, la construction burlesque et le comique d'observation. Et c'est un plaisir permanent. Je sais que ce film est souvent considéré comme mineur, mais il reste l'un de ceux que je préfère de Lloyd.

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Published by François Massarelli - dans Harold Lloyd Muet 1924 Sam Taylor *