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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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23 décembre 2021 4 23 /12 /décembre /2021 15:35

1926: la famille Verdier vit à Jérusalem, parce que Marc (Maurice Schutz), le patriarche, ne pourrait pas quitter la ville sainte, ni sa petite propriété au Mont des Oliviers, qu'il partage avec son frère Septime (Léon Malavier)... Il a recueilli quand elle n'était qu'une enfant la petite Alice (Marguerite Madys), qui va bientôt sortir du couvent. Bref, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes , s'il n'y avait le cas de Jean-Louis Verdier (Edmond Van Daële): le fils de Marc est resté à Paris, où sans que sa famille ne le sache, il agite son petit monde, car il est la figure de proue d'un mouvement anarchiste qui s'apprête à passer à l'action internationalement. Pour l'heure, il reprend contact avec ses troupes, après un séjour à l'ombre. 

Le contact du mouvement à Jérusalem, Larsac (Gaston Jacquet), découvre que la famille Verdier est aussi celle de celui qu'il connaît sous le nom de Sirias. Il tombe amoureux d'Alice, qui se refuse à lui: elle attend le retour de Pierre. Jaloux, Larsac révèle la vérité à la famille: Marc part aussitôt pour confondre son fils, et le découvre, en plein meetings, galvanisant les foules en les pressant de se débarrasser de l'influence néfaste de leurs parents! Le père s'émeut, la foule s'agite: dans la bagarre, Pierre Verdier perd la vue et est rapatrié à Jérusalem, auprès des siens, qui décident de lui faire recouvrer la raison, ou la vue, voire les deux!

C'est un film fou, pour commencer: un de ces longs métrages réalisés par Julien Duvivier durant la crise de religion qui l'a pris au cours des années 20; il en a fait une trilogie (Credo ou La tragédie de Lourdes en était le premier volet) mais cette période mystique a fini par informer toute son oeuvre, en le rendant aussi compatible avec d'autres sources Chrétiennes y compris après la fin de ses illusions théologiques (Maria Chapdelaine, dont il a fait une très belle adaptation en 1934, et bien sûr l'inénarrable Golgotha avec Jean Gabin en Ponce-Pilate!). Pour cette Agonie, Duvivier a donc quitté la France et a tourné une bonne part de ses extérieurs sur les lieux mêmes du drame, revisitant des épisodes de la vie du Christ en parallèle au chemin de croix imposé à Pierre Verdier...

A propos du titre qui m'a toujours intrigué, c'est d'une double agonie qu'il s'agit: d'une part, le metteur en scène fait évidemment allusion à celle de Jésus, dont de nombreuses scènes recréent avec intensité le calvaire; d'autre part, les visites dans Jérusalem montrent aussi, lors d'un passage au mur des lamentations (qui fait l'objet d'un rappel culturel respectueux et bienvenu), la lente disparition de la civilisation du Jérusalem de la splendeur passée d'Israel. Pas un mot en revanche sur la présence Musulmane sur la ville dite Sainte. Il ne faut sans doute pas trop en demander... Mais ces efforts de replacer la ville religieuse entre toutes dans la réalité du monde me semblent bien plus louables que les truquages historiques d'un DeMille...

D'ailleurs, comment éviter la comparaison avec ce dernier, qui s'apprêtait à tourner sa propre version de la fin de la vie de Jésus (The King of Kings, 1927)? Duvivier a sans aucun doute vu, comme tant d'autres films de DeMille, la version de 1923 des Dix Commandements, et son histoire biblique mise en relation avec une intrigue de 1922. Il en a conçu une sorte de pastiche, en saupoudrant son histoire de parenthèses des Evangiles, sans jamais court-circuiter totalement le flot narratif. Et si son film est fou, voire extravagant, délirant ou que sais-je encore, il tient remarquablement debout de par sa force de conviction cinématographique. ...On l'a échappé belle!

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1926 Julien Duvivier **
19 décembre 2021 7 19 /12 /décembre /2021 08:22

L'explorateur Jacques d'Athys (René Cresté) revient d'orient avec une protégée, la petite Tih-Minh (Mary Harald), qui lui aurait sauvé la vie (on n'en saura guère plus sur ce sujet); ils s'aiment et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, si leurs voisins du côté de la propriété Niçoise des D'Athys n'étaient trois espions interlopes: l'asiatique Sitka (Louis Leubas, qui sera affublé de cette appellation qui fleure bon une certaine xénophobie, durant toute la série), le mystérieux docteur Gilson (Gaston Michel) et l'étrange Marquise Dolores de Santa Fe (Georgette Faraboni), dotée de puissants pouvoirs occultes. Très vite, les trois affreux s'en prennent à Tih-Minh. Jacques, ainsi que son fidèle domestique Placide (George Biscot), vont avoir du pain sur la planche...

En 1919, Feuillade qui est toujours sous contrat à la Gaumont est encore sous surveillance: en dépit de son phénoménal succès, Les Vampires s'est attiré les foudres des apôtres de la bienséance et des bonnes moeurs imposées, et ce style de feuilleton est désormais impensable pour la firme de la Marguerite. Plus grave, la situation politique ambiante, sous l'influence d'une victoire assumée sur l'Allemagne, donnera encore plus de gages à ces attitudes conservatrices dans le contexte de la "chambre Bleue Horizon", une assemblée nationale dominée par une droite pressée de se mêler de tout... C'est dans ce contexte que le cinéaste a été prié de revoir le dosage de ses feuilletons: moins de crime, moins de turpitudes, et le curseur placé résolument du côté du bien. La première manifestation de ce retour aux bonnes moeurs était Judex, un film qui sera détesté par une partie de ceux qui aimaient les 5 Fantômas de Feuillade et évidemment Les Vampires. Puis d'autres films suivront, dont cette étonnante série...

Comme souvent avec le metteur en scène, les quatre ou cinq premiers épisodes contiennent les meilleurs moments, ceux qui installent le mystère et les grandes lignes. Les suivants seront surtout là pour prolonger en attendant une conclusion. C'est dès le premier épisode qu'on voit la teneur de ce que va nous raconter Feuillade: des enlèvements à la pelle, dont la victime sera presque toujours Tih-Minh, justifiant du même coup le titre (car il faut bien reconnaître qu'en dépit de quelques initiatives, la jeune femme est plutôt passive, voire, je tremble au moment de l'écrire, un peu idiote); des mystères comme la présence d'une trentaine de femmes, dépenaillées, muettes et amnésiques, dans la villa des espions, un mystère qui n'est pas totalement expliqué dans le film; des intrusions nocturnes; des déguisements... Bref, la routine de ces films, si ce n'est qu'on nous fait souvent comprendre que le mal, c'est mal, et le bien, c'est bien.

Après avoir assisté à l'émergence chez Feuillade de la magnifique Irma Vep, et vu le prolongement de cette dernière par Musidora qui interprétait la mystérieuse Diana Monti dans Judex, on sera frappé par l'absence d'un personnage féminin vraiment intéressant dans Tih-Minh: la famille d'Athys est complétée par la mère (une sainte femme), la soeur (admirable de dévouement et qui ne posera jamais vraiment de questions; Tih-Minh, la pauvre, est ballottée d'enlèvement en enlèvement, et souvent ses initiatives prouvent qu'elle est essentiellement une petite fille écervelée! Georgette Faraboni en médium et hypnotiste incarne le mal, mais elle n'est pas suffisamment charismatique pour faire de la concurrence à Musidora. Jane (Ou Jeanne) Rolette, qui joue la domestique fiancée de Placide est sans doute la mieux lotie... Bref, Feuillade n'est sans doute pas le plus féministe des cinéastes, mais ici il finit par justement mettre en scène cette pénurie en revenant constamment sur les dangers qui menacent l'héroïne paradoxale en titre! Et cette mise en abyme s'accompagne d'une sorte de présentation ironique du monde, dans laquelle Jacques d'Athys, bourgeois bien né qu'on imagine catholique jusqu'au bout des ongles, comme Léon Gaumont et Feuillade lui-même, d'ailleurs, est le valeureux héros... Mais regardez le film, et vous verrez: sans Placide et Rosette, point de salut, comme Judex sans Cocantin, Daisy Torp et le Môme Réglisse, comme Philippe Guérande sans Mazamette dans Les Vampires!

Comme pour conjurer toute chance d'influence néfaste du cinéma (un député dira à cette époque que le crime est enseigné dans la salles de cinéma, à la faveur d'une obscurité complice qui rend possibles tous les comportements déviants), c'est un peu comme dans Judex: on ne verra pas ici la police, étrangement absente de ces exactions dans lesquelles trois pays, trois fripouilles, un diplomate et un explorateur de bonne famille s'affrontent avec insistance. Un rêve éveillé, en somme... C'est la meilleure lecture pour ce feuilleton sans queue ni tête, aux images délibérément poétiques de l'arrière-pays Niçois...

 

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Published by François Massarelli - dans 1919 Muet Louis Feuillade **
18 décembre 2021 6 18 /12 /décembre /2021 19:18

Le banquier Favraux s'est construit une fortune considérable en exploitant sans scrupules la misère d'autrui... Un jour, alors que tout semble aller au mieux pour lui, que sa fille, jeune veuve et mère d'un enfant, s'apprête à se remarier, il meurt, et un scandale éclate. Le fautif? Judex, un homme mystérieux dont la famille a été autrefois victime des agissements du banquier... Mais Favraux est-il mort? Et qui est réellement Marie Verdier, la jeune gouvernante dont Favraux s'est entichée et qui une fois le banquier mort va chercher fortune ailleurs?

Côté pile, le film commence comme du pur Feuillade, qui installe avec un talent fou une intrigue qui pose une masse de questions, des personnages en liberté, des maniaques et des gens bien, des bandits et des justiciers… Le prologue est exemplaire et les premiers épisodes donnent une envie folle de savoir la suite! Judex (René Cresté) est un personnage fascinant parce qu’à la demande de Gaumont c’est un justicier, un vrai, et contrairement aux Vampires sa quête est motivée par des raisons hautement morales… Et pour le cas où on s’ennuierait d’Irma Vep et de ses collants noirs, Feuilade a engagé sa muse préférée pour le rôle riche de Marie Verdier / Diana Monti… On s’en doute, cette dernière s’avérera un authentique génie du mal…

Côté face, Judex fait suite, dans l'oeuvre de Feuillade, aux Vampires, à son impressionnant succès... et aux polémiques nées de ce que certains censeurs considéraient comme la nature scandaleuse de son cinéma: qui pouvait douter un seul instant que dans le serial en dix épisodes qui avait tenu en haleine les spectateurs Français durant 9 mois, les héros étaient en fait la dangereuse mais fascinante mafia de voleurs, d'assassins et d'escrocs des "Vampires", rassemblés autour d'Irma Vep (Musidora)? Le film, d'épisode en épisode, marquait de façon spectaculaire son époque, et bien que se déroulant à l'arrière, soulignait par le recours à des armes de plus en plus sophistiquées (Lance-flammes, canons, gaz et masques) l'existence quotidienne, ressentie par toute la population, de la guerre qui se jouait dans le nord du pays... Et du coup, la violence et la mort y étaient partout.

Judex est donc né de cette nécessité d'une revanche pour la Gaumont et les bien-pensants, qui souhaitaient que les lucratives idées de Feuillade s'expriment dans un sens qui puisse aller conformément avec le bien public tel que les autorités morales le concevaient... On sent bien que l’auteur a été pris entre deux feux avec ce nouveau film, passant d’une vengeance terrible, celle de Judex, à un appauvrissement de plus en plus évident au fur et à mesure de l’évolution de son amour pour la belle Jacqueline (Yvette Andreyor), la fille de son ennemi.

Et c'est bien ce qui me chiffonne dans Judex, un feuilleton qui part tambour battant, et qui installe vite l'idée que derrière le drame bourgeois qui est à la base, il y a une force, mystérieuse et secrète, représentée par l'énigmatique Judex, un justicier masqué qui s'arroge de le droit de vengeance en utilisant une machinerie compliquée, qui a le pouvoir de tuer s'il le souhaite et veille au grain, aussi menaçant que l'auraient été les Vampires... avant de se rétracter par amour, et d'abandonner une à une toutes ses ficelles, quasiment émasculé. Alors bien sûr, le film accumule les péripéties, et Feuillade comme à son habitude dose de façon convaincante les coups de théâtre préparés, et l'improvisation, mais le coeur n'y est pas autant qu’on l’aurait souhaité. René Cresté, en justicier énigmatique, est parfois terne lorsque le doute qui le ronge l’empêche d’agir, les relations avec l'entourage sont convenues, et on réclame toujours plus de Diana Monti, l'aventurière jouée par Musidora, qui par sa vilénie rappelle les exactions basses, viles et immorales, des Vampires. Et au milieu de tout ça, à travers le personnage de Cocantin (Marcel Levesque) et de sa bonne amie Daisy Torp (Lili Deligny) si prompte à se déshabiller pour plonger en maillot noir (un épisode lui est dédié vers la fin, L’ondine) on voit bien que Feuillade était gêné aux entournures par ces préoccupations de censeurs.

 

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Published by François Massarelli - dans Louis Feuillade Muet 1917 **
28 novembre 2021 7 28 /11 /novembre /2021 11:28

A l'origine, c'est un collectif d'artistes amateurs et aspirants cinéastes qui se sont rendus responsables de cette étrange production, perdue pendant 45 ans et retrouvée par Kinugasa dans une cabane de jardin en 1970! Le film est privé d'intertitres, autant par défi avant-gardiste (voir à ce sujet le Ménilmontant de Kirsanoff, sorti la même année) que parce qu'au Japon la norme était pour les films muets d'être projetés en compagnie d'un narrateur, le benshi. La version actuellement disponible, amputée d'une partie de son contenu, est assez difficile à suivre, d'autant qu'il s'agit moins d'un film narratif que d'un film à sensations...

Dans un asile, un vieux concierge, qui s'est porté volontaire pour le poste suite à l'internement de son épouse, observe avec anxiété cette dernière sombrer de plus en plus dans la folie, sous l'oeil inquiet de leur fille, et pendant qu'au coeur de l'institution, une femme danse comme elle respire, croyant revivre sa carrière de ballerine d'avant l'internement...

Apparemment, l'influence la plus marquée sur ce film est celle du cinéma Allemand post-Caligarien, mais on peut sans trop de problème effectuer un parallèle avec les films Soviétiques contemporains: Kinugasa utilise à merveille le montage pour créer un maelstrom de points de vues: les deux qui dominent sont celui du vieux mari, qui observe dans la tourmente l'évolution de son épouse, et le point de vue de cette dernière obtenu au moyen d'objectifs déformants et de démultiplications de l'image. L'essentiel du film se situe entre des flash-backs, narrativement plus sensés, et des scènes nocturnes, avec une utilisation enthousiasmante des ombres.

Il va de soi que pour un pays qui peu de temps auparavant hésitait à confier à des femmes des rôles à l'écran, ce film est d'une modernité hallucinante, et près d'un siècle plus tard, le malaise qu'il distille avec cette histoire qui finit épouvantablement mal, est toujours palpable... Quant à Kinugasa, il est devenu un classique parmi les classiques du cinéma Japonais! Pas ce film, pourtant, qui reste définitivement dans une catégorie à part...

 

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Published by François Massarelli - dans 1926 Muet Teinosuke Kinugasa Avant-garde **
17 novembre 2021 3 17 /11 /novembre /2021 17:07

Lina Santiago (Fabienne Fabrèges) gagne une grosse somme d'argent au jeu, et a l'idée, avec son amant le docteur Nancey (Didaco Chellini) d'investir: ils montent tous deux une opération illégale: une fumerie d'opium, dont ils vont détrousser les clients en profitant de leur état second... Mais Lina n'est pas partageuse, et elle se débarrasse de Nancey en le dénonçant. Elle réapparait quelques tems plus tard aux bras de St Vallier (Bonaventura Ibanez), un ancien "client" qui est amoureux d'elle, et va semer la pagaille dans la famille...

On attend assez longtemps la raison d'être du titre, mais effectivement le film mène à une intrigue criminelle, qu'il vaut mieux découvrir par soi-même, et qui implique tous les protagonistes du drame. Le film, soigné et qui maintient un certain intérêt tout au long de ses 70 minutes, est au confluent du drame typiquement Italien, avec Fabienne Fabrèges en diva du mal, et du feuilleton à la Feuillade, avec ses rebondissements en cascade.

Si Fabienne Fabrèges, qui a aussi écrit le script, est la maîtresse d'oeuvre de ce (petit) film, il reste intéressant surtout pour la participation de Valeria Creti, une actrice décidément bien singulière dans le cinéma Italien de l'époque, et qui était l'année précédente le personnage principal du formidable Filibus... Et justement, pour voir cette ténébreuse intrigue policière, on peut par exemple se procurer le superbe Blu-ray (il est toutes zones) paru chez Milestone autour de cet incunable du mystère, puisque Signori Giurati...  figure parmi les bonus en raison de la présence de Valeri Creti!

 

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Published by François Massarelli - dans 1916 Muet **
11 novembre 2021 4 11 /11 /novembre /2021 11:34

Un mystérieux pirate des airs, Filibus, est un voleur de bijoux hors pair, c'est bien simple, toute la police est sur les dents... Une solution s'offrirait à eux, car comme les Américains de 1950 auxquels ce conseil était prodigué, il leur suffirait sans doute de scruter le ciel... Et aussi de se méfier de leurs préjugés, car ils cherchent un homme, alors que Filibus est...

La baronne de Croixmonde (Valeria Creti) s'intéresse beaucoup aux nouvelles concernant Filibus, encore plus au nouvelles concernant les bijoux, plus ils sont précieux, meilleur c'est. Elle accuse publiquement l'inspecteur Kutt-Hendy (Giovanni Spano) d'être Filibus et entend bien le prouver: cela ne sera pas facile, puisque c'est elle, Filibus! ...Mais elle va essayer, et du même coup, rafler des bijoux, bien sûr, et accessoirement manquer de séduire une fort séduisante jeune héritière: la propre soeur (Cristina Rupoli) de Kutt-Hendy!

Voilà un film qui n'est pas banal. On pourrait tout de suite se dire qu'il est un succédané des Fantômas, les 5 films de Feuillade plus que les romans de Souvestre et Allain. Mais il y a une tentation de gravité chez Feuillade, et une tendance à toujours vouloir rester un pied solidement ancré dans la morale, qui ne se retrouveront pas dans le film de Roncoroni, et pour cause: l'héroïne, clairement, est la voleuse. Et même si la police et les braves gens ne sont pas ridiculisés à tout bout de champ, ils sont souvent des obstacles...

Le film porte plus, selon moi, l'héritage des films Eclair de Victorin Jasset, et leur baroque assumé. Il y a du Protea dans Filibus, d'ailleurs le dernier film de Jasset était déjà marqué par un aspect furieusement parodique... Et tout ici est surtout du plaisir, le plaisir d'accompagner une criminelle sur les lieux de ses exactions, et parfois de frissonner avec elle: une séquence est très claire, et installe un suspense qui nous met totalement du côté de Valeria Creti: Filibus arrive sur les lieux d'un méfait en passant par le balcon, et la caméra la capte depuis la chambre. Elle entre puis ressort et disparaît sur le côté; un policier entre dans le champ par la gauche, et instantanément, nous craignons pour la voleuse, le policier est devenu une menace...!

Une menace bien inefficace, du reste car personne ne s'apercevra que ce bandit masqué, aux moyens bien singulier (c'est un peu un Capitaine Nemo des airs mis sans son exil ronchon, avec des employés casquettés et en uniforme!), ou le jeune comte moustachu qui s'introduit chez Kutt-Hondy pour courtiser sa soeur, sont en réalité une femme, et bien connue par-dessus le marché!

Car Valeria Creti est fantastique, dans un rôle qui requiert une grande crédibilité, et à la fois une féminité assumée ainsi qu'une ambiguité sexuelle marquée. Maintenant on fait grand cas de la présence potentielle d'une intrigue lesbienne dans ce film, il est sans doute aussi possible d'expliquer la présence d'un flirt entre Filibus (sous le déguisement du jeune comte) et Leonora comme un moyen pour la criminelle masquée d'affirmer son déguisement, tout en se livrant à un petit tout pendable pour se payer en secret la tête de son adversaire... 

Mais de fait, voilà un film qui repose sur non une glorification du crime, mais une admission du fait que oui, ça peut être fort distrayant, un bandit qui commet des méfaits... Un film qui repose sur des tromperies élaborées, des déguisements, de la technologie futuriste, et qui nous intéresse aussi fortement à la volonté d'une femme, de damer le pion à ces messieurs... Et en plus, c'est fort bien interprété, d'une clarté narrative accomplie, drôle, et relevé. Bref: un film formidable de 1915!

 

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Published by François Massarelli - dans 1915 Muet Noir **
2 novembre 2021 2 02 /11 /novembre /2021 16:48

Le "Calgary stampede" est une occasion Canadienne pour les cavaliers de l'ouest de faire la démonstration de leurs prouesses sous la forme d'un rodéo géant, avec prix à la clé. Le genre de chose que Dan Malloy (Hoot Gibson) ne voudrait rater pour rien au monde... Sauf qu'il est accusé du meurtre du père de sa petite amie. A tort, bien entendu... déjouant les pièges des enquêteurs de la police montée, Dan se cache dans une exploitation et dissimule ses talents en attendant son heure...

C'est un tout petit film, l'un de ceux dont on peut dire que le fait même qu'il ait survécu est son plus grand mérite... Hoot Gibson, déjà un vétéran du western, et un authentique cavalier doué, n'a pas le charisme tranquille et paradoxal qui était celui d'Harry Carey et que John Wayne allait bientôt reprendre, il n'a pas non plus le côté grand gaillard positif de Tom Mix, ou la noirceur inquiète de William Hart, pas plus que la jeunesse débrouillarde et un brin immature de Gary Cooper.

Et pourtant, bizarrement, ça marche! Blaché, un vétéran lui aussi, dont c'est le dernier film, savait tirer parti d'un décor, et se fait plaisir dans la première partie avec un autre type de stampede, une ruée de bisons... Il sait aussi mener un film d'un point à un autre et profite évidemment du petit suspense de la dernière partie: Dan participera-t-il aux réjouissances du Stampede, révélant ainsi son identité, ou continuera-t-il à se cacher?

 

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Published by François Massarelli - dans Western Muet 1925 **
3 octobre 2021 7 03 /10 /octobre /2021 16:30

Un fils de très bonne famille veut se marier avec la fille d'un boutiquier, sa mère (Alice Joyce) s'y oppose... Elle souhaite utiliser des stratagèmes pour empêcher ça, il n'est pas en reste: alors qu'il est supposé partir en Europe avec sa mère, le fils décide de lui échapper et de rester en ville pour se marier; de son côté, la mère envoie une cousine à sa place et incognito, revient elle aussi parce qu'elle a deviné les intentions de son fils... Les voilà tous dans la maison, la nuit, à se faire mutuellement peur: Jack, Mary, la mère, sa bonne (Zasu Pitts), et même un cambrioleur (Jean Hersholt) très au courant des allers et venues des gens de la haute, qui pensait trouver la maison vide, tout en prenant les deux femmes pour des consoeurs...

C'est à l'origine une pièce de théâtre, qui profite de la vogue des maisons hantées tout en proposant quelque chose de différent. D'une part c'est splendide, très réussi, avec les acteurs idéaux de bout en bout: Alice Joyce est parfaite en mère snob, Hersholt aussi en cambrioleur de luxe. Et Zasu Pitts en bonne évaporée est comme à son habitude un régal permanent, et elle est d'ailleurs avec son regard absent le principal vecteur de la comédie. 

Sans parler du fait que ce film est le deuxième à ma connaissance à opposer l'actrice à Jean Hersholt. Qu'il est plaisant de les retrouver ensemble... Si Melville Brown, relativement habile artisan, ne se distingue pas par la mise en scène, on profite ici du savoir-faire acquis par les studios Américains au niveau de la photo de John Sturmar, largement nocturne: l'influence des films européens y est savamment diluée dans 'efficacité Américaine. Si ce film n'est pas The cat and the canary, il reste un vrai plaisir, un petit bijou de comédie bien dosée.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Comédie 1928 **
26 septembre 2021 7 26 /09 /septembre /2021 16:24

On célèbre à Los Angeles la création d'une branche aérienne de la LAPD... A cette occasion, les deux McDonnell sont honorés: l'un, le père Ralph Lewis), pour ses nombreuses années de service en Californie; l'autre, le fils (Neil Hamilton), qui va être le premier pilote de l'air à travailler pour la police. Ce dernier fait aussi la connaissance de la belle Gwen O'Day (Dorothy Gulliver), fille d'un joaillier.

Alors que la police s'intéresse de très près à la disparition de diamants de chez O'Day, qui leur fait soupçonner qu'il y ait un informateur des trafiquants chez le joaillier, le vieux O'Donnell apprend, le jour de son 65e anniversaire, qu'il lui faut prendre sa retraite. Mais il va être personnellement engagé pour effectuer des travaux de gardiennage et de surveillance nocturne dans l'immeuble où est situé le siège de la bijouterie. Pendant ce temps, les bandits, sous la direction du bras droit de O'Day, s'apprêtent à commettre une escroquerie de grande envergure...

Si on s'en tient au synopsis sous sa forme la plus simple, on pourrait dire "un jeune policier et son vétéran de père réussissent à contrecarrer les plans maléfiques d'une bande d'escrocs", et on voit bien qu'on est en plein mélodrame... Mais Johnson, d'une part, a à coeur de s'intéresser au sort des gens qui travaillent. C'est un thème de prédilection chez lui, qui était déjà au coeur de ses films indépendants, avant son arrivée à la Universal... Nous avons donc une bonne part des 63 minutes du film qui est consacrée à la douleur et au sentiment d'abandon du père qui doit dire adieu à sa carrière en quelques minutes... 

Et mélodrame oblige, on a aussi, grâce à l'enquête et ses ramifications, toute la panoplie du film policier, et on a même des cliffhangers internes et des fausses pistes pour faire se dresser les spectateurs sur leurs sièges, le tout relevé par une mise en scène impeccable, du suspense, une interprétation tout à fait solide, et un montage d'une grande précision! Les effets spéciaux nécessaires à l'utilisation de l'aviation dans l'intrigue sont très réussis, et on a ici l'un des premiers plans de l'histoire du cinéma (très probablement un effet spécial d'ailleurs) qui nous montre l'étrange parterre étoilé de Los Angeles by night, vu d'en haut... C'est sans aucun doute un petit film, mais en tant que tel, c'est aussi une grande réussite...

Et pour couronner le tout, ce film est aussi l'un des premiers de la filmographie de Thelma Todd, qui ne déçoit pas en fille de mauvaise vie qui a réussi à se faire engager come secrétaire chez le joaillier O'Day...

 

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Published by François Massarelli - dans 1927 Muet Emory Johnson **
25 septembre 2021 6 25 /09 /septembre /2021 11:03

The Marriage Clause est l’un des derniers films de Lois Weber, le premier qu’elle ait réalisé après le hiatus de 1923: elle revenait à la Universal, mais son statut n’était décidément plus du tout le même qu’avant, en particulier durant les années 10…

Barry Townsend (Francis X. Bushman) repère une aspirante actrice, Sylvia (Billie Dove) dont il tombe amoureux : il fait d’elle une star, et en dépit de l’ombre que cela projette sur leur relation, il accepte qu’elle donne une réponse favorable à une offre très lucrative d’un autre impresario, Max Ravenal (Warner Oland). Mais le contrat avec ce dernier contient une clause qui interdit à la jeune femme de se marier… elle va devoir se séparer de son fiancé, et en dépit du succès phénoménal qui est le sien, va peu à peu perdre toute envie de vivre…

Le film n’existe plus que sous la forme d’un fragment réduit à 20 minutes, contre environ 80 au départ, et ça se sent : chaque étape importante de l’intrigue est réduite à la portion la plus congrue qui soit… Et pourtant on obtient, de ce fantôme de film, une image qui est sans doute en accord avec ce qu’il était : une œuvre de transition, à la fois versée dans des clichés du mélo (le grand méchant impresario contre l’amour pur, par exemple) et tournée vers des thèmes sensibles et différents, qui ont fait la réputation de la réalisatrice : notamment le fait non seulement de représenter une femme qui devient la principale source de revenus d’un couple, mais aussi la souffrance « sociale » d’un homme qui en finit par ne plus vouloir sortir de chez lui. Cette tendance, probablement prudente, à vouloir couvrir tous les aspects d’un sujet polémique en ménageant une porte de sortie objective, avait fait les grandes heures de la carrière de Weber. Par-dessus le marché, la photo semble ouvragée, et l’interprétation est splendide… Pour autant qu'on puisse en juger, du moins.

 

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Published by François Massarelli - dans Lois Weber Muet 1926 **