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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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24 avril 2011 7 24 /04 /avril /2011 17:10

http://thedroidyourelookingfor.files.wordpress.com/2010/11/busterkeaton_battling-butler.jpgMélange improbable de Bertie Van Elstyne (The saphead) et Rollo Treadway (The navigator), Alfred Butler est un jeune homme totalement incapable de faire quoi que ce soit. C'est son majordome, Martin (Snitz edwards) qui dispose de la cendre de ses cigarettes, et à chaque conseil qu'on lui donne, et qu'il suit, son seul réflexe est de dire à Martin: Arrangez ça. Il vont donc tous les deux faire du camping, afin de satisfaire la volonté du père d'Alfred, et là, ce dernier rencontre une jeune femme, tombe amoureux, et... envoie Martin demander sa main à sa place. Afin de donner du poids à sa requête, le majordome a l'idée de faire croire que son patron est en fait un boxeur, le teigneux Alfred "Battling" Butler, un homonyme, dont la route ne va pas tarder à croiser celle du héros...

 

Je n'aime pas les films de boxe, parce que je n'aime pas la boxe, parce que je n'aime pas le sport. Du tout, mais alors vraiment pas. Et pourtant, le meilleur de ce film, c'est la dernière partie durant laquelle Keaton doit asumer l'identité d'un boxeur, et donc... boxer. Toujours à l'aise dans l'humour physique, et flanqué de Martin, son ombre, l'acteur s'investit à fond dans ces scènes. Sinon, il est à l'aise aussi dans la partie consacrée au camping, dans laquelle il s'ingénie à montrer l'inefficacité de son personnage, tellement minable à la chasse qu'il est identifié par tous les animaux comme sans danger. La partie de pèche aussi, qui voit Buster finir, au terme d'une lutte à mort entre lui et un canard, à l'eau...

 

http://media.jinni.com/movie/battling-butler/battling-butler-1.jpegMais voilà: Soumis à une cadence effrénée, obligé de sortir deux films par ans, à une époque ou ses deux principaux concurrents (Chaplin et Lloyd, bien sur) ralentissent considérablement, Keaton ne fait pas que des chefs d'oeuvre, et forcément, on aime bien ce film, on le voit sans déplaisir, et certains fragments nous resteront, mais ce n'est ni The navigator, ni The general. le manque d'enthousiasme de Keaton ne se voit pas trop ici, mais on le devine quand même impatient de faire autre chose, de se lancer dans une recréation d'un univers, qui lui permettra de faire du grand cinéma de nouveau. A l'aube de quitter le contrat de distribution qui le lie à MGM pour aller flirter avec la United Artists, Keaton s'apprète à frapper un grand, un très grand coup...

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Published by François Massarelli - dans Buster Keaton Muet 1926 **
14 avril 2011 4 14 /04 /avril /2011 18:15

Premier film de Langdon à dépasser les trois bobines, ce Saturday afternoon montre bien pourquoi l'équipe voulait étendre le champ d'action des film du comédien. Doté d'une épouse tellement acariâtre que sa belle-mère prend sa défense, Langdon a l'idée saugrenue de vouloir prendre du bon temps avec son copain Vernon Dent qui a justement rencontré deux jolies demoiselles... L'épouse du héros le croit tellement minable qu'elle le laisse partir sans discuter et le récupère, à la fin, distraitement.

Si on verra de bien meilleurs développements pour cette tentation de liberté impossible du mari enchaîné dans le merveilleusement bizarre The Chaser (1928) qui par bien des côtés est un remake ou une extension de Saturday afternoon, ce film permet au comédien de faire ce qu'il souhaitait: prendre son temps, et montrer l'étendue de son étrange talent en matière de pantomime... Les 27 minutes qui lui sont allouées lui permettent un festival formidable de réactions, de développements minutieux, et de cette capacité phénoménale à faire du sens rien qu'avec ses yeux...

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Published by François Massarelli - dans harry langdon Muet Comédie Mack Sennett 1926 **
11 avril 2011 1 11 /04 /avril /2011 09:49

Tout ayant été dit sur Sunrise, sa poésie, son art consommé de l'image, ses acteurs, que dire de plus? Le film a tellement été analysé, et paradoxalement, étant si imperméable à l'analyse (toute la littérature, intertitres, script, autour du film met systématiquement en valeur le coté intemporel et universel du problème présenté, et bien sûr les personnages interprétés par les acteurs ne sont pas dotés de noms (1) ), on se garde volontiers de s'aventurer sur ce terrain.

Par contre, le plaisir de le voir, y compris après 15 ou 20 visions, reste entier: depuis le début, marqué par un montage tellement de son époque, avec des vues subtilement déformées (ce plan ci-dessus, avec la jeune femme en maillot de bain à droite et ce paquebot à l'angle si aigu me renvoie immanquablement au graphisme publicitaire des années 30, et à Hergé, qui s'y est d'ailleurs illustré), on est capté par des images qui véhiculent des impressions. Et la planification impressionnante du film (Regardez la version Tchèque alternative, entièrement constituée de plans alternatifs: tout y est pourtant, à l'identique ou presque...) laisse quand même à voir une histoire si humaine, et si ressentie, qu'on se laisse totalement embarquer.

L'histoire, ou l'absence d'histoire, est la suivante: un paysan (George O'Brien) qui trompe sa femme (Janet Gaynor) avec une citadine (Margaret Livingston) se laisse persuader par celle-ci de supprimer l'épouse. Lors de la tentative de meurtre, il recule, et la jeune femme s'enfuit. Il la rattrape, ils sont en ville, et vont graduellement retrouver leur amour, et vivre une deuxième lune de miel...

C'est un film des plus visuels, bien sûr, avec ces effets incroyables amenés par Karl Struss, mais tout le fond ici vient de Murnau, de sa volonté visionnaire de créer un art visuel total, aidé par des techniciens hors pairs, et des acteurs tout entiers dévoués à sa cause. Comme en Allemagne, donc, sauf qu'ici, on me pardonnera cette platitude, il transcende son art en se trouvant aidé par des acteurs qui lui donnent tout, mais qui sont aussi, à leur façon, géniaux: George O'Brien au service de Ford, c'était encore une belle andouille, un cow-boy un peu matamore qui se retrouvait coincé entre sa petite taille et sa musculature impressionnante. On l'aime, mais Ford lui faisait par exemple quitter la scène dans Three bad men, pour laisser la parole aux trois bandits du titre, qui lui volaient la vedette. Ce que Murnau lui demande, c'est d'incarner des émotions, celles du doute, de la tentation du meurtre, sous couvert de la motivation de la luxure... Il a fallu littéralement lui donner des semelles de plomb pour cela, mais la performance lui appartient en plein, avec ce moment déchirant dans l'église, lorsqu'il réalise qu'il a failli tuer son épouse, et qu'il jette sa tête, en larmes, sur les genoux de Janet Gaynor...

Janet Gaynor, chez Frank Borzage, a incarné des personnages souvent plus ambigus qu'il n'y parait: on la classe dans les mêmes catégories que Lilian Gish, mais elle a la tentation de la prostitution dans Street Angel, des circonstances qui auraient pu l'y amener dans Seventh heaven, et le petit bout de jeune femme qu'elle incarne dans le sublime Lucky star a un petit coté garce, qui pourrait là encore dévier dangereusement. C'est donc avec Sunrise qu'elle trouve le rôle de sainte qu'on lui attribue le plus souvent. Mais le recours au beau visage de l'actrice, et la science de Murnau qui sait quoi demander à faire à un acteur ou une actrice, et qui lui donne des choses à faire et un environnement dans lequel faire vivre son personnage (ses fameux décors en trompe l'oeil, si importants dans les scènes d'exposition de ce film) permettent ici de trouver constamment le juste équilibre, et c'est non pas un type, une femme symbolique, mais une femme qui souffre, qui pardonne, qui aime, et qui revit. Elle est sublime.

Le film est brillamment construit, et tant pis pour l'historienne Lotte Eisner, si désireuse de taper sur Murnau, qu'elle met sur le compte du germanisme du metteur en scène le recours à l'humour dans une vingtaine de minutes du film: ces 20 minutes commencent lorsque le couple arrive à la ville, après que le jeune homme ait réussi à rattraper son épouse: ils sont dans une église ou un mariage a lieu. Tout ce qui suivra: danse, fête, vulgarité gentille, et autres ripailles, enfonce le clou de leur amour retrouvé, et ce sont de secondes noces. Du reste, la scène de l'église est certes empreinte de sacré, mais ils sont souvent, tous les deux, tendrement ridicules... Mais on les aime suffisamment pour supporter sans dommage que le film s'abaisse à montrer des détails aussi triviaux que l'anecdote du cochon saoul. De plus, on trouve aussi un écho de ce ridicule dans la danse paysanne qu'on leur fait interpréter: c'est de la part du public une façon de se moquer gentiment des deux amoureux, plus que de leur rendre hommage, tout en soulignant que leur identité de paysans est inscrite sur leurs visages...

Le film est bien sur entièrement dédié aux turbulences de l'amour, et la fin du film, paroxystique, scrute les visages, et utilise admirablement les ressources du village construit en studio. On a beaucoup glosé sur la fin parait-il plaquée, opposée aux intentions de Murnau et Mayer. Ils avaient carte blanche, ont fini par choisir cette fin, donnant au film un message sur l'amour universel. On peut râler, estimer que le noir Murnau ne pouvait se contenter de cela, rien n'y fera: le film nous apparaît complet et parfait précisément parce qu'il donne une résolution positive, et qu'il autorise les deux héros à se retrouver à la fin dans les bras l'un de l'autre, et c'est la grande force de Murnau, Janet Gaynor et George O'Brien de réussir à donner l'impression, alors qu'elle a été secourue à deux doigts de se noyer, et qu'elle est épuisée, que c'est encore son personnage à elle qui mène la barque, que le jeune homme s'en remet à elle, pour l'éternité, et que désormais il ne lui arrivera rien, parce qu'elle est là.

Oui, Sunrise est un beau film... Intemporel et magnifique.

(1) toutefois, les personnages de l'histoire d'Hermann Südermann adaptée par Carl Mayer, avaient, eux des noms: l'homme était Ansass, et la femme Indre. On ne s'en rendrait compte, en voyant le film, qu'en lisant sur les lèvres des acteurs, car dans la première version planifiée par Murnau, il comptait leur laisser leur identité avant de se raviser...

 

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Published by François Massarelli - dans Friedrich Wilhelm Murnau Muet 1927 **
10 avril 2011 7 10 /04 /avril /2011 15:59

Go west fait partie des films les moins connus de Keaton, et bien qu'il ait clairement repris les rênes, après avoir été amené à tourner Seven Chances contre son gré, on ne s'en étonnera pas: non que le film soit mauvais, mais il souffre d'un début assez erratique. A moins que les intentions de Keaton n'aient été à la source de l'impression de ratage et de pédalage un peu lourd du début. En 1925, l'ombre de Chaplin est très forte, et le succès de The gold rush a beaucoup changé l'image du vagabond. beaucoup de commentateurs, tout en louant la capacité de Chaplin a tourner un film épique, se plaignent de voir que la facette excessivement sentimentale de l'auteur de The Kid ait pris le dessus sur la comédie. C'est exactement ce que Keaton a en tête au moment de faire ce film, et d'interpréter à son tour un vagabond dont le monde ne veut pas: il l'appelle Friendless... Un intertitre nous prévient: certains parcourent le monde en se faisant des amis. D'autres parcourent le monde.

Buster Keaton est donc un vagabond, qui cherche à améliorer ses conditions. la seule solution? Partir loin vers l'ouest. Au glamour du cow-boy, Keaton le cinéaste oppose une certaine forme de réalisme: des cow-boys, ce sont des garçons vachers, ils sont là pour travailler. Lui est donc engagé, mais sans surprise s'avère assez peu doué, jusqu'au moment ou une idylle se dessine entre lui et... une vache. Le titre Français sera d'ailleurs Ma vache et moi, afin d'enfoncer le clou. Mais là ou le film relève la tête, c'est lorsque le personnage de Keaton est utilisé par son patron pour sauver le ranch: il lui faut véhiculer le troupeau à Los Angeles afin de pouvoir faire face à ses créanciers, mais une attaque de bandits réduit ces espoirs à néant. Keaton prend alors le contrôle du train et des événements, et il faut le voir mener un troupeau de vaches dans les rues de Los Angeles... 

Keaton qui aime tant l'accumulation (Cops, Seven chances) est à la fête. Il invite d'ailleurs son père Joe (en client d'un salon de coiffure envahi par les bovins) et Roscoe Arbuckle à figurer parmi les victimes du stampede.. Pour le reste, tout en reconnaissant qu'un film même raté de Buster Keaton est toujours meilleur que bien d'autres productions, ce long métrage MGM tourné sur des bases douteuses (Il aurait fallu transcender la parodie...) montre Keaton un peu en panne...

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Published by François Massarelli - dans Buster Keaton Muet 1925 **
7 avril 2011 4 07 /04 /avril /2011 17:18

Si elle a toujours été précaire la liberté dont Keaton jouissait durant la production de ses courts métrages a commencé à se lézarder de plus belle lorsque l'unité de production de Joe Schenck a été plus ou moins entrainée dans la tourmente de la nouvelle MGM: auparavant distribués par la seule Metro qui avait d'autres chats à fouetter, ils étaient désormais sortis par le nouveau conglomérat, tout en restant indépendant. Mais Schenck commençait à essayer de piloter un peu plus Keaton, et le poussait occasionnellement, conformément aux voeux du studio dont la marque de fabrique était clairement la sophistication, de lui faire tourner des films qui soient moins burlesques. en cette année 1925, on a un bon exemple de cette lente prise de contrôle: Seven chances était tiré d'une pièce, et Keaton n'a jamais cherché à le tourner.

Cette histoire tient son titre de la situation de base: Jimmie Shannon, homme d'affaire lié à un cabinet qui coule financièrement, reçoit un héritage faramineux... à condition qu'il soit marié le soir même, à 19h. Il va dans son cercle social, où il trouve sept femmes qui sont des partis envisageables, avant de se retrancher sur le hasard, et de laisser faire son associé: celui-ci met une annonce dans l'édition du journal du soir, et ce sont des centaines de femmes en robe de mariée qui arrivent au rendez-vous... Pendant ce temps, la femme de sa vie, qui l'a rejeté, revient sur sa décision, et essaie de le joindre. 

Consciencieux, Keaton a sans doute peu aimé faire ce qu'il considérait comme un travail de commande, mais on peut constater que le résultat est franchement réussi: la comédie est effectivement plus sophistiquée que le slapstick habituel, mais Keaton ne renie ni le type de personnage qui a fait sa popularité (Avec un canotier toutefois) ni son style minutieux et ordonné. La séquence des "sept chances", en particulier, qui le voit changer de méthode à chaque nouvelle tentative, et multiplie les gags visuels, est étourdissante. Mais bien sur, venons-en aux deux séquences les plus justement célèbres: d'une part, l'accumulation méthodique de jeunes prétendantes dans une église, pendant que Buster épuisé dort sur un banc, séquence qui se solde ensuite par une poursuite hallucinante, hilarante, et un brin misogyne; et bien sur, à la fin de ladite poursuite, le moment où Buster dévale une pente et déclenche une avalanche de gros cailloux, qu'il choisit néanmoins d'affronter plutôt que de se retrouver face aux furies. Kevin Brownlow a démontré que cette séquence accidentelle a sauvé le film: elle en est en effet le point fort, c'est indiscutable, mais il y beaucoup de qualités, de l'intrigue réduite à l'essentiel, sans aucune graisse ni temps mort, à la construction qui laisse la part belle à la poésie chère à Keaton: son introduction en Technicolor, aux couleurs désormais rutilantes suite à une restauration consciencieuses, voit le héros venir saison après saison essayer dire à son amie qu'il l'aime, à chaque fois au même endroit; seuls changements: les conditions météorologiques, mais aussi un chiot qui grandit jusqu'à devenir un molosse. Ce même jeu du temps et de l'espace conduit Keaton à des choix étonnants, qui rentrent dans la catégorie de ses plans virtuoses qui ne sont pas là pour nous faire rire, mais nous étonnent par leur réussite: Il entre dans sa voiture, et un fondu enchaîné amène la voiture immobile à destination...

Bref, bien qu'il soit une commande, ce film est merveilleux. On se plaindra bien sur du jeu sur les stéréotypes, plus appuyés que d'habitude (Le valet de la jeune femme qui doit contacter Keaton est noir, il est aussi lent et franchement inintelligent, l'une des jeunes femmes abordées par Keaton lit ostensiblement un journal en hébreu, ce qui fait fuir Keaton avec un air catastrophé, et une autre jeune femme le fait partir dans la direction opposée lorsqu'il voit qu'elle est noire.). Ces 57 minutes de cinéma classique, en dépit de ces scories, ont bien mérité qu'on y revienne de temps en temps. Et paradoxalement, le film est plus connu que le suivant, Go west, voulu par Keaton et sans doute plus dans son style..

Une excellente édition Américaine du film est désormais disponible (Kino) sur DVD ou Blu-Ray: Voici un lien vers la page de silentera.com qui les présente:

http://www.silentera.com/video/sevenChancesHV.html

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Published by François Massarelli - dans Buster Keaton Muet 1925 Technicolor **
3 avril 2011 7 03 /04 /avril /2011 10:18

Il y a des images de cinéma qui vous hantent, sans qu'il soit forcément nécessaire d'expliquer. La première fois que j'ai vu Keaton, c'était sur cette fameuse photo de lui, scrutant l'horizon les deux pieds solidement installés dans les cordages afin de ne pas tomber, le buste droit et le visage impassible. Un cliché, on le sait bien, qui n'était que publicitaire, mais qui va si bien à Buster et à sa légendaire absence apparente d'émotion. Le film en lui-même a été pour moi une découverte tardive, mais je pense m'être bien rattrapé depuis...

Chef d'oeuvre du cinéma burlesque, The navigator éclaire une fois de plus la vision du monde et de la place d'un humain sur terre, ou plutôt sur l'eau, tant il est particulièrement clair dans le film que pour Keaton l'eau est le symbole idéal pour parler de la vie et de ses vicissitudes. Ce n'est pas la première fois, puisque The boat est venu avant, et que Our hospitality possède une spectaculaire séquence de dérive dans les rapides... Mais ce ne sera pas la dernière fois non plus. L'élément liquide, ici, est donc le terrain de jeu sur lequel le cinéaste place ses deux acteurs, et l'utilise à toutes les occasions... plongée d'un seau dans la mer pour récupérer de l'eau, et faire un café qui s'avérera vomitif, pénétration de l'élément liquide pour aller réparer des avaries, l'eau qui alourdit les vêtements, et finalement l'eau dans laquelle on se perd, menace de noyade: tout est passé en revue. Quant au bateau, c'est un jouet qui réjouit l'éternel gamin Keaton, en même temps qu'une maison de poupée. Lorsque les deux seuls habitants du paquebot se cherchent en fouillant partout, se ratant méthodiquement à chaque tournant, Keaton choisit l'angle qui lui permettra de nous montrer l'étrange ballet avec soin, donnant l'impression en effet de l'agitation de deux tous petits êtres humains dans un grand espace entièrement créé pour leur permettre de s'égayer dans tous les sens. 

Keaton commence par donner à son film un contexte, dans une exposition très clairement affirmée, pas si burlesque que ça, on connait désormais l'importance pour le cinéaste de placer ses personnages dans des situations qu'on puisse suivre, sans se lâcher trop vite. Une fois passé l'introduction dans laquelle il nous présente l'inaptitude de son personnage (Rollo Treadway) et sa proposition de mariage ridicule (il habite en face, mais vient en voiture chez son amie), le film conte sans trop en rajouter l'enchaînement logique qui va faire de Keaton et Kathryn McGuire des naufragés sur une île flottante. A partir de là, ils sont pratiquement seuls au monde. La mise en scène est d'une rigueur impeccable, et on est happé dans ce film sans espoir de le lâcher (Et je sais par expérience qu'on peut le voir plusieurs fois dans la même semaine sans pour autant se lasser...).

Plus fort encore, Keaton met en scène une terreur basée sur rien ou presque: il y a de la houle, Buster et Kathryn sont seuls, et le moindre bruit (qu'il va falloir figurer, comme seuls les cinéastes du muet savaient le faire) devient effrayant. La variation sur le thème classique des maisons hantées est intéressante précisément parce qu'il n'y a absolument rien à craindre... Chaque plan est réglé au métronome, et la séquence est très drôle. La deuxième moitié, située près de l'île, reste la moins bonne, largement tributaire de la menace aujourd'hui très embarrassante des "cannibales" de carnaval, mais elle recèle de nombreux moments dans lesquels les deux protagonistes sont confrontés à des situations fortes. Le stéréotype s'avère gênant, mais l'histoire fonctionne très bien, et les façons dont Kathryn et Buster se tirent d'affaire sont particulièrement inventives. 

Keaton profite aussi de la situation pour laisser libre cours à sa passion mécanique pour les systèmes logiques mais délirants, avec tout un tas de machines pratiques dont l'invention par les deux naufragés s'explique en particulier par la première scène qui les voit essayer de cuisiner, sans aucun succès: ils sont tellement mauvais, qu'ils finissent par remodeler cette cuisine d'un bateau à leur convenance...

Les collaborateurs sur ce film sont les mêmes que sur les films précédents, et à nouveau Clyde Bruckman, Jean Havez (qui fait une apparition lors du dernier plan), Elgin Lessley ou Fred Gabourie (toujours orthographié sans le "e" final) sont à la manoeuvre, mais fidèle à son habitude désormais ancrée, Keaton a engagé un nouveau co-réalisateur, qui n'est certes pas n'importe qui: Donald Crisp. Mais celui-ci ne s'entendit pas avec Keaton, qui selon de nombreux commentateurs aurait jeté à la poubelle tout ce que Crisp avait fait pour le retourner lui-même. De son côté, Crisp dira au contraire être le seul réalisateur sur le film... Impossible de vérifier l'une ou l'autre de ces allégations, mais le film porte constamment la marque de Keaton et de son équipe.

Quoi qu'il en soit, Crisp apparaît quand même, puisque le portrait effrayant d'un capitaine grimaçant qui terrorise Kathryn et Buster dans une scène est en fait une photo de l'acteur. Et bien sûr, on notera pour l'unique fois dans un long métrage de Buster Keaton la réapparition d'une actrice déjà présente dans le film précédent: Kathryn McGuire, brune comme toutes les autres actrices de Keaton, a sans doute plu au cinéaste par son investissement physique, ou leur complicité sur un premier film était-elle déjà suffisante pour ne pas prendre de risques sur un nouveau projet qui les rendait seuls acteurs du film sur 40 minutes de projection, ou Buster, dont le mariage tanguait, avait peut-être une idée derrière la tête. En tout cas, elle est parfaite, partageant avec le réalisateur le travail physique, et ce n'est pas une mince affaire. Du reste, ces deux personnages sont manifestement faits pour s'entendre, aussi nouilles l'un que l'autre... On verra dans ce film la première incarnation d'un gag que Buster prolongera dans Spite marriage, puis refera dans des courts métrages: il a récupéré Kathryn inerte dans l'eau, et essaie de l'installer dans un fauteuil sur le pont. Il a autant de mal à manipuler la jeune femme que le fauteuil...

Bon, bref, un classique, un film à voir séance tenante, et d'ailleurs ce sont 60 minutes à déguster en famille. Que les générations futures n'aient pas comme seul contact avec cet acteur une étrange photo dont ils ne savent pas quoi faire, au lieu du souvenir d'avoir passé une heure à rire et à s'émouvoir en compagnie d'une oeuvre d'art.

 

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Published by François Massarelli - dans Buster Keaton Muet 1924 Comédie **
25 mars 2011 5 25 /03 /mars /2011 17:44

On ne parlera pas d'un retour en arrière, après un film à la fois drôle et dramatiquement solide, avec ce Sherlock Junior en apparence dédié à l'absurde, le léger, qui ressemble beaucoup au style qui était celui des courts métrages de Keaton, les ruptures de ton brutales en moins. Le film aurait du être, on en a déjà parlé, une collaboration entre Keaton et Roscoe Arbuckle, qui tentait alors de faire redémarrer sa carrière de réalisateur sous le pseudonyme de William Goodrich; le bruit insistant et agaçant court sur Sherlock Junior, dont Keaton aurait en fait volé la place de réalisateur, qui serait en réalité Arbuckle. ca ne tient absolument pas debout: Keaton a toujours dit l'importance de son ami dans sa vie, a toujours crédité ses collaborateurs, y compris lorsque ceux-ci ont très peu de matériel présent sur l'écran (Ce serait le cas de Donald Crisp sur The navigator). Si Arbuckle n'est pas mentionné, c'est tout simplement que les deux hommes ne sont pas parvenus à un accord, et que Keaton s'est chargé du tournage entièrement seul.

L'histoire est connue, mais pas autant que le moment le plus poétique du film. Un jeune homme, projectionniste dans un cinéma miteux, rêve de devenir détective. Lorsque la montre du père de sa petite amie a disparu, il voit l'occasion de se faire la main, mais finit par voir l'accusation se retourner contre lui. Banni de la maison (C'est son rival qui a fait le coup), il retourne à son travail, et rêve qu'il entre dans le film qu'il projette, et rêgle une autre affaire avec les mêmes protagonistes... Keaton est le projectionniste, Kathryn McGuire sa fiancée, Ward Crane le rival et Joe Keaton le père de la fille. A noter, le fait que Kathryn McGuire reviendra sur le film suivant, contrairement à toutes les actrices qui travailleront avec lui sur ses longs métrages.

  

L'arrivée de Buster sur l'écran, c'est bien sur un motif magique, qui va ensuite donner lieu à une intrigue qui aurait pu être celle d'un court métrage (Elle dure sensiblement le temps de deux bobines), et qui possède suffisamment de rigueur pour être suivie avec intérêt, mais aussi un grain de folie particulier, avec des digressions, et une tendance à l'illusionnisme qui est la preuve que le saltimbanque Keaton, comme au temps de The playhouse, continue à regarder vers son passé avec une certaine nostalgie. Mais plus encore que les gags liés à la magie ou à l'absurde (Et Keaton, libéré par le fait que c'est un rêve, aussi rigoureux soit-il, s'en donne à coeur joie: billard explosif, voiture qui flotte, etc), c'est bien sur principalement une déclaration d'amour au cinéma, à travers ce petit projectionniste influençable, qui ne se sépare pas de son manuel 'How to be a detective'... Même si c'est sa fiancée qui découvrira le pot-aux roses. Ainsi, seul face à un film, la rêverie poétique qui le mène à investir l'écran, passant d'abord par une série de gags liés au montage (Son personnage entre dans l'écran, mais subit des déboires, en restant dans le cadre de l'écran alors que les plan changent. Il amorce un mouvement en plein désert, et le finit dans l'eau...). De plus, comme toujours, Keaton élargit l'espace cinématographique en utilisant des images fortes, comme celle durant laquelle le détective du rêve ouvre un coffre-fort, dont la porte donne sur la rue... Et bien sur, après un final au rêve en forme de poursuite spectaculaire, il laisse le cinéma avoir le dernier mot. le projectionniste ne sait pas comment déclarer son affection à sa petite amie, il prend donc exemple sur ce qui se passe sur l'écran.

Keaton aimait le cinéma, bien sur, et son film verra le rêve de film donner une version sensiblement plus sophistiquée de chacun des êtres de sa vie, y compris lui-même. Son affection du cinéma passe aussi par une glorification du rêve, il faut dire que le personnage vit dans un environnement très modeste, et pas forcément passionnant. Le film est décidément en demi-teintes, souvent drôle, mais plus spectaculaire que comique. L'illusionisme déployé par Keaton ici est du même ordre que ses gags mécaniques, ou ses cascades visant à surprendre son auditoire. Peut-être y-a t-il plus à prendre chez le Buster sentimental, ou dans The general. mais sa passion du cinéma, à mon sens, résonne encore aujourd'hui et est, pour nous autres amoureux du 7e art, un message qu'il est bon de rappeler.

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Published by François Massarelli - dans Buster Keaton Muet 1924 **
19 mars 2011 6 19 /03 /mars /2011 10:11

Spectaculaire: le deuxième long métrage de Buster Keaton permet à ce dernier d'utiliser la même équipe technique, les mêmes gagmen que son film précédent, et de se reposer sur l'amitié de Joe Roberts, dont ce sera le dernier film. Il y fait aussi jouer son père Joe, son épouse Natalie Talmadge, et leur fils James: ce film reste un nouveau départ, un coup de poker phénoménal. Les avis sont d'ailleurs partagés sur la place du film dans l'oeuvre, voire sa qualité, mais personne ne doute d'une part des ambitions de Buster Keaton en réalisant ce qui doit beaucoup à Griffith, entre autres, et du fait que, réussi ou non, le soin extrême apporté à ce film a porté ses fruits d'un point de vue esthétique.

Pour ma part, je pense que c'est l'un des meilleurs films de Buster Keaton, et l'un des joyaux du muet, comme The General du reste. Avec Three ages, Buster Keaton a prouvé qu'il pouvait soutenir une durée trois fois plus grande que ses courts métrages, et maintenir le ton résolument burlesque et badin de ses films, tout en offrant à la fin du film une conclusion plus directe, positive, et surtout moins sardonique qu'à l'habitude. Il a décidé désormais de s'intéresser à l'histoire de ses films, et ce nouveau long métrage est différent justement parce que tout en offrant comme de juste des gags, et non des moindres, il raconte aussi une intrigue, aussi simple soit-elle, qui fonctionne bien toute seule. Keaton a d'ailleurs testé Our hospitality en public sous la forme d'un moyen métrage dramatique, afin de voir si cela marchait. Le résultat était probablement bien inférieur à ce film, tel qu'il est dans son intégralité, mais peu importe: l'idée était d'étayer la comédie, le résultat s'en ressent.

En 1830, Willie McKay (Keaton) retourne dans son Kentucky natal, afin de prendre possession de la demeure familiale. 20 ans auparavant, sa mère était partie, en portant le jeune Willie encore bébé, suite à un duel entre son mari John et son voisin Canfield. Les deux hommes étaient morts à l'issue de la confrontation, et le frère de Canfield (Joe Roberts) a juré de continuer la lutte à mort avec tous les McKay qui se présenteraient. dans le train qui l'emmènent, Willie rencontre une jeune femme (Natalie Talmadge), dont il tombe amoureux, sans savoir qu'il s'agit de Virginia, la propre fille de Canfield...

Venons-en tout de suite à l'inévitable controverse: la séquence d'ouverture est totalement privée de comédie. Il s'agit d'exposer, et ce durant 7 minutes, la brouille haineuse initiale entre les Canfield et les McKay (Basée sur une histoire vraie, celle des Hatfield et des McCoys, qui sera à l'origine d'un autre chef d'oeuvre, Les rivaux de Painful Gulch, de Morris et Goscinny.). Donc il n'y a pas un gag dans cette séquence, mais elle est rehaussée d'une mise en scène à la sûreté diabolique, jouant sur les clichés parfaitement assumés: tout ou presque y est vu du point de vue de Mrs McKay, dans sa cabane, et la nuit d'orage donne une dimension mythologique à la scène, qui fonctionne très bien dramatiquement, et est d'une beauté picturale très impressionnante. Et c'est là que l'on est en droit de se demander si la présence d'un nouveau co-réalisateur aux cotés de Buster y serait pour quelque chose... Mais John G. Blystone n'est pas un réalisateur que je soupçonnerais de pouvoir supplanter Keaton sur un film. Du reste, ses seuls autre titres de gloire sont les films réalisés pour Laurel et Hardy (Blockheads, par exemple), autant dire qu'il y était assistant de Laurel. Il est temps d'ailleurs de faire une digression qui s'impose: s'il n'a signé que cinq films durant sa carrière de réalisateur (soit 1920-1929), Keaton a aussi beaucoup été secondé par des co-réalisateurs: Blystone, mais aussi et surtout Cline, et ça et là Mal St-Clair, Clyde Bruckman, Donald Crisp. Il ya eu sur Sherlock Jr une tentative de collaboration avec Roscoe "William Goodrich" Arbuckle, qui s'est soldée par un échec; puis à la fin de la période tous les films ont été signés par d'autres, dont Charles Reisner ou Edward Sedgwick. Mais tous ces films portent une marque et une seule: celle de Keaton. Je pense que Keaton travaillait comme Chaplin, dont on oublie souvent les "réalisateurs associés" (Charles Reisner sur The pilgrim et The gold rush, Henri d'Abbadie d'Arrast sur The gold rush encore, Monta Bell sur A woman of Paris, ou encore Robert Florey sur M. Verdoux): Personne ne conteste à Chaplin son crédit unique sur ses films, mais la situation est la même: l'un comme l'autre, les deux comédiens avaient besoin aussi souvent que possible d'un assistant qui puisse conduire les manoeuvres quand ils étaient occupés en tant qu'acteurs... Donc si le film est ce qu'il est, il l'est grâce à la mise en scène de Keaton, et ce sera la même chose jusqu'en 1929, bien que Keaton ne soit même plus crédité sur ses films à partir de 1927.

En plus de la séquence d'ouverture, ce qui frappe dans le film c'est que même lorsque les gags font leur apparition, la beauté de l'ensemble, la composition, et le soin maniaque apporté à la reconstitution d'une époque peu représentée dans les années 20 étonnent: le seul vrai anachronisme flagrant, c'est le chapeau mou de Keaton, dont la présence est expliquée par un gag parfaitement logique. De même, le choix de la région de Truckee, avec ses montagnes, ses vallées, son eau omniprésente donnent au film un aspect plus spectaculaire encore. le film est encadré par deux séquences longues qui méritent qu'on parle d'elles: d'une part, une promenade en train de près de vingt minutes qui justifie à elle toute seule le fait que le film soit plus long que ne le seront la plupart des longs métrages muets de Keaton, à deux exceptions près (The general, et Spite marriage): cette séquence qui repose sur l'utilisation d'une locomotive et d'un train qui sont présentés comme des répliques d'authentiques machines de 1830 permettent une série de gags finement observés, qui certes ne font pas trop progresser l'action, mais qui sont un hommage appuyé du technophile Keaton à l'évolution de la machinerie (Tout comme sa promenade en proto-cycle!!). On y remarque Keaton père en mécanicien irascible, et de plus le train revient lors des séquences de la fin. et ces séquences de la fin, justement, permettent à Keaton de faire montre de tout son talent en matière de cascades, mais permettent d'aller aussi plus loin; si le cinéaste Keaton pour ce film appelle une référence à Griffith, il est dans un premier temps aisé de tenter de comparer Keaton à Fairbanks (on sait que le rôle de Bertie, dans The saphead, est un héritage direct de Doug) mais la construction du personnage dans cette séquence renvoie Fairbanks à ses chères études: le personnage de Buster, dans cet épisode du film entièrement consacré à sa fuite pour éviter d'être éliminé par la famille Canfield, le voit progressivement faire des efforts physiques de plus en plus impressionnants, sans qu'il y ait cette aisance de Fairbanks, qui renvoie un peu au cirque. Keaton se retrouve attaché à un train en marche, ballotté au gré des rapides, puis accroché à un rondin qui menace de se précipiter dans le vide, et la difficulté se voit, elle confère à son personnage, comme d'habitude emmené par une eau menaçante, une humanité et une justesse qui vont au-delà du cinéma. ces séquences ne sont pas drôles: elles sont à couper le souffle, et donc aussi bien l'acteur que le réalisateur ont fait un grand pas avec ce film. Du reste, les occasions de se casser le cou ont été multiples ici, en particulier lors de la séquence durant laquelle Buster a vraiment été emporté par les rapides! 

Donc, on savait que Keaton pouvait payer de sa personne, mais ce film est le premier dans lequel le développement de l'histoire fait jeu égal avec la comédie d'une part, et sa reconstitution d'une époque d'autre part. Le résultat est un film hors-normes, qui gêne un peu de nombreux spécialistes qui accusent sa lenteur, qui lui reprochent ses longs intermèdes non burlesques. Mais l'ensemble est selon moi un grand film justement à cause de cette répartition égale entre intrigue pure et comédie. Buster Keaton ne fera rien d'autre dans son chef d'oeuvre, The general... Il est intéressant de voir comment Keaton aussi fait intervenir une esthétique de la comédie sentimentale qui doit certes beaucoup à Griffith, mais qui débouchera aussi sur une imagerie personnelle, comme en témoignent ce plan de Keaton et Natalie, d'une part et d'autre d'une barrière. une composition simple, mais qui renvoie à une image d'Epinal, comme certaines toiles de Rockwell sur le même sujet. Keaton, comme Ford ou Griffith, était un cinéaste Américain avant tout; Et en plus, ce type de composition reviendra dans d'autres films, Seven chances en particulier... 

Une note triste au passage, pour finir: Joe Roberts décédera un mois après la fin du tournage de ce film, d'un arrêt cardiaque, rappelant la curieuse destinée d'Eric Campbell, le génial acteur Ecossais dont Chaplin avait fait son parfait "méchant". Roberts avait 21 ans, mais contrairement à Campbell, avait tourné dans deux autres films, en dehors de ses apparitions pour Keaton. C'est la fin d'une époque, et il ne sera jamais remplacé.

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Published by François Massarelli - dans Buster Keaton Muet 1923 **
17 mars 2011 4 17 /03 /mars /2011 18:14

Donc, Keaton est passé au long métrage avec cet étrange film, toujours drôle, mais dont il faut bien dire qu'il est une parodie d'Intolerance: un rappel de l'influence de Griffith sur Keaton, qui s'en souviendra de nouveau avec son film suivant. en attendant, il réalise avec ce film une passerelle adéquate entre ses années de formation, marquées par ses 19 courts métrages, et ses années classiques, qui comptabiliseront 12 longs métrages jusqu'à la victoire finale du parlant.

Three ages a la réputation fausse d'avoir été décidé comme un film à sketches afin de permettre le découpage en 3 courts métrages en cas de flop, ce qui ne tient pas une seconde... Si il présente en effet trois fois vingt minutes de trois histoires différentes, elles ne se départagent que par les données temporelles, sinon, ce sont les mêmes acteurs (Keaton, Margaret Leahy, Wallace Beery et Joe Roberts), et la même histoire à chaque fois: Beery et Keaton convoitent tous les deux Leahy, qui en pince pour Buster, mais les parents de cette dernière (Dont Joe Roberts) préfèrent l'autre. Ils tentent de se départager par divers moyens, sous forme d'affrontement, sportif ou autre, et bien sur Beery triche, et bien sur Buster gagne. La première histoire est située dans une préhistoire idiote, avec dinosaures et peaux de bêtes, la deuxième dans une Rome luxueuse, et la troisième en 1923. Enfin, comme dans Intolerance, Keaton mélange tout et lie avec des intertitres. il se paie même le luxe d'introduire en faisant une déclaration d'intention assez ronflante ("Voyons comment l'amour a progressé à travers les ages"), et utilise une figure symbolique qui lit un livre pour lancer le sujet. Mais ce n'est pas Lillian Gish, juste un vieillard anonyme avec une faux. Bref, on ne voit pas tellement comment il aurait pu être question de sortir ces trois histoires indépendamment les unes des autres, et comment imaginer que le public ne puisse pas s'apercevoir de leur similarité... 

Bien sur, le décalque d'Intolerance n'est pas à prendre au sérieux, mais d'une part il empêche paradoxalement la redondance, permettant même la comparaison entre les différentes histoires, et la juxtaposition sert vraiment le film, qui est de fait plus intéressant que la somme de ses parties. Mais de la façon dont Keaton conclut sur la partie moderne, on devine aisément qu'il en a fait son histoire centrale, et de fait c'est la plus soignée, avec à la fin es cascades spectaculaires. De fait, si on se concentre sur cette partie du film, on constate qu'il semble s'éloigner du coté cartoon de ses courts, et qu'à part les digressions temporelles inhérentes au projet, et qui sont annoncées sans surprise au début, le film est privé de ces ruptures étonnantes, de ces trompe-l'oeil et de ces changements brutaux de ton qui ont fait le style de Keaton jusqu'à présent. Les autres longs métrages confirmeront cette impression.

Sinon, Keaton contrairement à Arbuckle n'a pas renié totalement le style de comédie qui est le sien, et s'amuse beaucoup dans les deux autres histoires, bourrées d'anachronismes joyeux. Il met l'accent sur le sport, aussi, sa grande passion, et assume une part importante des cascades. Il est à noter que l'équipe technique reste très proche de celle de la plupart de ses courts métrages, avec pour commencer le co-auteur de ce film, Eddie Cline, qui partira ensuite pour assumer une petite carrière de spécialiste de la comédie (sans jamais retrouver la plénitude de ses années avec Keaton... Tiens donc, c'est exactement le cas de Sedgwick, Reisner, Bruckman et Crisp. Bref, aucun d'eux n'était Keaton!), mais on retrouve aussi Elgin Lessley, chef-opérateur atitré des courts, et le décorateur Fred Gabourie, qui profite ici de décors d'un autre film pour l'épisode Romain. Les gagmen, Jean Havez ou Clyde Bruckman, sont toujours là... Ce ne sera pas toujours le cas, mais pour l'instant on sent bien que Buster Keaton a les mains libres. Son premier long métrage n'a pas le raffinement de The Kid, ou la classe des premiers Lloyd (Rien qu'en 1923, celui-ci a déja produit Why worry? et Safety Last!), mais le succès de cette pochade très bien ficelée va permettre à Keaton de faire ce qu'il veut, et le second film Our hospitality sera splendide. 

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Published by François Massarelli - dans Buster Keaton Muet 1923 groumf **
12 mars 2011 6 12 /03 /mars /2011 13:57

Il y a de quoi en perdre son calme: après avoir reçu de la firme qui l'emploie l'ordre de torcher une comédie (Police) plutôt que de se lancer dans un film de long métrage à caractère social (Life), Chaplin a donc réalisé vite fait bien fait une parodie de Carmen (Très en vogue en 1915-1916), le réalisateur a la désagréable surprise de se voir retirer son montage, au profit d'une version longue, complétée par des chutes et de nouvelles séquences. Bref, on ne veut pas qu'il fasse un long métrage, sauf lorsqu'il ne souhaite pas en faire... et A burlesque on Carmen est donc le premier long métrage de Chaplin, à son corps défendant!

Le film suit de façon très directe l'intrigue classique, et aligne les passages obligés, avec Chaplin en Don José (Darn Hosiery, littéralement 'saleté de tuyauterie'), Leo White en officier de carabinier, et bien sur Edna Purviance en Carmen. Le plus intéressant de ce film tout en gags , et pas des plus fins, est de constater d'une part la complicité de Chaplin avec sa comédienne, à laquelle un grand rôle, fut-il parodique, est enfin dévolu. celle-ci, qu'on le veuille ou non, irradie l'écran: faut-il le rappeler? en ces temps ou les mannequins filiformes font la loi, on a oublié qu'une femme même un peu ronde pouvait être belle; Edna Purviance était très belle. Et rarement autant qu'ici. De plus, le film nous propose occasionnellement des bribes de jeu dramatique, par Chaplin. Au moment d'avoir tué son rival, il regarde dans le vide, une seconde ou deux, avant de reprendre le sens de la parodie et de se remettre à faire l'andouille: y compris dans ce film à ne surtout pas prendre au sérieux, Chaplin possède manifestement une vie intérieure hallucinante...

Vu dans une version supposée proche des volontés de Chaplin, ce film se voir avec plaisir, mais force est de constater que l'esprit du metteur en scène est déjà tourné vers l'avenir, et les douze films qui suivront, tournés pour la compagnie Mutual, vont inaugurer de façon spectaculaire un nouvel âge classique, et disons le tout net, une nouvelle ère pour la comédie cinématographique.... pas ce Carmen, parodie des films contemporains de DeMille et Walsh, qui aura l'honneur d'inaugurer les démêlés de Chaplin avec la justice: il va intenter un procès à la Essanay, qui a rajouté deux bobines de matériel dans son dos à ce film.

 

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Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin 1915 **