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7 juillet 2020 2 07 /07 /juillet /2020 13:16

C'est sans doute LE fleuron de ce qu'à défaut d'être un documentaire, on pourrait appeler le cinéma non-narratif des années 20... Une promenade dans Berlin, structurée sur une journée, du petit matin jusqu'à la tombée de la nuit, d'une arrivée en train (avec un montage enthousiasmant) à une célébration en forme de feu d'artifice... Le film était un gros projet du cinéaste Walther Ruttmann, un avant-gardiste qui avait fait ses premières armes dans l'animation expérimentales... 

Son film, structuré en 6 actes, et assez resserré (il ne dure pas beaucoup plus d'une heure), est si on en croit les historiens né d'une conversation avec le scénariste Carl Mayer: "Et pourquoi ne réaliserais-tu pas un film non narratif sur Berlin?". C'était la mode, il y a de nombreux exemples, mais la plupart des oeuvres étaient plutôt des courts ou moyens métrages... Avec rien moins que Karl Freund, Ruttmann a donc sillonné la ville à la recherche d'images à faire, avec parfois la tentation d'influer un peu sur son sujet: ici une bagarre jouée, là un faux suicide recréé... Mais dans l'ensemble le film est un montage de vues documentaires, aussi objectives qu'il était possible, ce qui vaudra d'ailleurs à Ruttmann d'être accusé de refuser toute lecture politique de la ville. Sans doute n'était-ce tout simplement pas le sujet.

Et puis, si Ruttmann lui-même, qui avait fait la première guerre mondiale, allait décéder en mission durant la deuxième, comment oublier que le film est exactement à mi-chemin entre ces deux guerres, et comment surtout ne pas souligner que la ville vivante, grouillante, vivace et joyeuse qui nous est montrée, dans sa diversité et sa modernité, au cours de ce film, n'existe tout simplement plus?

 

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Published by François Massarelli - dans 1927 Muet **
13 mai 2020 3 13 /05 /mai /2020 15:32

Anna Karenine, réactualisé, non dans son intrigue, mais bien dans ses costumes, et un peu dans ses moeurs, aussi. Il faut au comte Vronsky (John Gilbert) beaucoup de courage pour convaincre la belle Anna (Garbo) de se laisser aller à un petit amour adultère de derrière les fagots, et la dame gardera d'une certaine manière un peu de sa vertu en ayant pour son fils (Philippe de Lacy, qui est comme d'habitude excellent) un amour inconditionnel...

D'ailleurs Vronsky s'en émeut et lui demande directement lequel des deux, l'amant ou le fils, a la préférence de la mère... Bref, on l'aura compris, après le danger de la vamp du XXe siècle dans le très esthétique Flesh and the devil, la mission de Garbo et Goulding, dans ce film qui n'a pas vraiment eu les faveurs de l'actrice, était sans doute de montrer Garbo, après les femmes fatales et maléfiques de ses deux films précédents, en mère, dont le pêché sera au final racheté par sa maternité...

On s'ennuie un peu dans un film dont Goulding réussit la composition, mais qui souffre généralement d'un manque d'enjeu. Gilbert sort un peu la panoplie habituelle, et Garbo ne s'illumine qu'en présence du petit garçon qui reste sans doute l'un de ses meilleurs partenaires sur toute sa carrière...

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Published by François Massarelli - dans Greta Garbo 1927 Muet *
6 mai 2020 3 06 /05 /mai /2020 18:33

Curieuse carrière que celle du cinéaste Arnold Fanck, un tenant conservateur d'une Allemagne forte qui durant les années 20 s'est réfugié en cinéaste dans sa passion: la montagne... Un metteur en scène qui ne pouvait faire des films que dans la neige et dans des conditions limite! Il est principalement célèbre pour avoir mis le pied (ou les crampons) de Leni Riefenstahl à l'étrier, ce qui n'est pas rien. Mais quand on pense à la plupart de ses films, des drames d'aventures dans lesquels l'humain est systématiquement confronté à la mort dans une nature plus forte que lui, on ne pense pas forcément à la comédie.

Et pourtant...

Dans Le Grand Saut, un citadin qui pense s'étioler dans la grande ville se voit prescrit par son médecin un séjour dans les Dolomites, où il va s'illustrer par sa gaucherie en matière d'alpinisme. Mais il va aussi y faire une rencontre, celle de Zita, tout son contraire, une paysanne bondissant de rocher en rocher comme si c'était des galets. Il est amoureux, elle n'est pas indifférente, il va donc lui falloir gagner une course à skis pour la conquérir!

Le film est donc une comédie, authentique, dans laquelle Fanck mâtine ses aventures Alpines d'une grande dose de slapstick, d'une solide rasade d'absurde et même occasionnellement de surréalisme. Le fait que le "héros" soit dans la vraie vie un illustre champion de ski n'y fait rien: dans le film, il est un piètre skieur, qui va devoir s'améliorer et se prendre en charge physiquement, au pris de prouesses certes mais aussi et surtout d'un système D à toute épreuve... Une structure qui n'est pas sans rappeler les films contemporains de Keaton. Pour Fanck, qui s'est beaucoup amusé avec son script, tous les coups sont permis: ralenti, retour en arrière, accéléré... Mais il demande à ses acteurs et surtout à Leni Riefenstahl la même discipline que dans les autres films. Il faut donc la voir, escalader à mains et pieds nus, une arête rocheuse de  mètres, en vrai... Elle n'est, par contre, pas forcément douée pour la comédie.

Bon, admettons qu'il n'y a pas forcément lieu d'y passer deux heures, sauf si on aime le ski-pour-rire; mais la copie est si belle, et les paysages si photogéniques... C'est assez rare pour être mentionné: un film Allemand de 1927, qui a survécu dans une magnifique copie de première génération, absolument 100% complète!

 

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Published by François Massarelli - dans Arnold Fanck Muet 1927 Comédie **
13 avril 2020 1 13 /04 /avril /2020 15:23

En moins de 80 minutes, Poudovkine réussit un tour de force: visualiser la façon dont St-Petersbourg (appelée Petrograd depuis 1914), théâtre crucial de la Révolution d'Octobre, se met en mesure de devenir Leningrad... Le film est une commande de l'état qui entend mettre en avant le dixième anniversaire de 1917. Mais il tranche sérieusement sur Octobre d'Esisenstein, par le refus de Poudovkine de se débarrasser des protagonistes, comme dans ses précédents films.

A St Petersbourg avant la première guerre mondiale, un paysan (Ivan Tchouvelev) venu chercher du travail tombe mal: on est en pleine grève. Plein de rancoeur envers ceux qui lui ont conseillé de ne pas trop insister, il essaie de participer à la vie de l'usine en brisant la grève. Par sa faute, les arrestations se multiplient, et l'épouse (Vera Baranovskaia) du leader syndical lui fait comprendre sa faute; il désire tout faire pour faire libérer les hommes, mais il est envoyé au front quand la guerre éclate. Pendant ce temps, les spéculateurs de St-Petersbourg se font de l'argent sur le dos des combattants...

On retrouve aussi bien la dialectique simpliste basée sur l'opposition, des films d'Eisenstein: nous/eux, les pauvres,/les riches, avant/après, le travail/le capital, etc... qu'une volonté de s'intéresser à des parcours. Poudovkine, contrairement à Eisenstein, laisse vivre les personnages et leur permet de nous installer dans ses intrigues. Tout en utilisant le montage de façon spectaculaire, bien entendu, mais il acquiert un cadre qui est me semble-t-il essentiel à l'effet produit par ses films. Et la dernière bobine de ce film, à ce titre, est tout bonnement spectaculaire! 

De plus, le metteur en scène semble constamment permettre, au moins un peu, le temps pour le spectateur d'intégrer l'erreur, une sorte de point de vue de l'opposition, comme à travers ce paysan dont on reconnaît la légitimité de sa rancoeur par exemple. Bien sûr que le propos reste dans la stricte ligne du parti et que le film fait dans la dichotomie assumée plutôt que dans la dentelle, mais il est notable qu'il permet ainsi à un personnage de passer par des étapes dramatiques bien plus intéressantes, qu'au hasard ce pauvre Vakoulinchouk, le marin Bolchevique ultra-sanctifié dans Le cuirassé Potemkine: ici notre paysan est affamé, puis en colère, puis dans la faute, la culpabilité, la rédemption et enfin le pardon. Pas mal pour un seul Bolchevik, non?

 

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Published by François Massarelli - dans Vsevolod Poudovkine Bientôt, nous serons des milliers 1927 Muet **
10 avril 2020 5 10 /04 /avril /2020 18:10

Rien à voir avec la série de films (?) du même nom, ici nous sommes face au démon de la voiture tel qu'il sévissait dans les années 20: Tom Brown (Reginald Denny) est comme beaucoup de ses contemporains, un jeune homme moderne, fasciné par la vitesse: dans la première séquence, il fait la course avec d'autres automobilistes croisés sur la route, sauf qu'ils ne sont pas au courant! Du coup, il provoque un accident, et... rencontre la femme de sa vie: Dorothy (Barbara Worth) et son père (Claude Gillingwater) vont secourir le jeune homme de la carcasse encore fumante de sa voiture... Et repartir peu après vers la Californie, laissant derrière eux le jeune homme décidé à les retrouver un jour.

Ils le laissent aussi changé: car s'il se remet de son accident, il a une séquelle inattendue: il est désormais totalement allergique à la voiture. Et ça tombe mal, car le vieux Smithfield, le père de Dorothy, est justement un constructeur automobile. Qund il arrive en Californie, au prix d'innombrables quiproquos, Tom est pris par erreur pour un célèbre coureur automobile: ça améliore sensiblement son crédit auprès de la famille Smithfield, mais ça n'arrange pas sa phobie des véhicules motorisés...

Denny était, à la Universal, une vedette solide de films qui alliaient avec adresse et savoir-faire la comédie et le film sentimental léger; c'est exactement une bonne description de ce film très réussi, et très soigné, dans lequel on suit avec plaisir l'excellent acteur, dans un portrait pertinent d'une folle époque où modernité rimait avec vitesse, et où il fallait être casse-cou pour réussir; réussir, c'est forcément ce qu'on souhaite à Tom Brown, aussi bien dans sa quête amoureuse, que dans la course automobile inévitable à laquelle on se doute qu'il est bien obligé de participer! Dans un style assez proche de celui des films de Harold Lloyd, c'est une belle surprise...

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Published by François Massarelli - dans Comédie Muet 1927 Reginald Denny
29 février 2020 6 29 /02 /février /2020 15:30

En 1927, dans les studios de Hal Roach, quelqu'un a eu la bonne idée de construire un film autour d'un duo, composé de deux solides acteurs, Stan Laurel et Oliver Hardy... Le reste est bien sûr historique, un partenariat irrésistible et fécond, comme on n'en a jamais vu ailleurs...  A moins que...

Sur les rudes côtes de la mer du nord, vit une petite communauté de pêcheurs, dans un petit village. Une vieille dame qui vit à l'écart, a adopté un enfant perdu, une vingtaine d'années auparavant: la vieille Malin (Petrine Sonne) vit toujours avec Tom (Erling Schroeder), qui bien sûr a bien grandi! Il est amoureux de la belle Karin (Karin nellemose), mais le père de celle-ci est totalement opposé à leur mariage et ils doivent se cacher pour se voir... Le village est depuis quelques temps la proie d'une certaine psychose, en raison de l'apparition nocturne de fantômes, qui poussent les gens à se terrer chez eux la nuit venue...

Deux vagabonds arrivent (Carl Schenström, le grand dépendu, et Harald Madsen le petit râblé), et avec l'autorisation de Tom et de Malin, s'installent au bord de la mer, dans une petite cabane... Leur séjour sera rude, car non seulement ils vont affronter la tempête quasi permanente, perdre leur toit, couler un bateau en allant pêcher, mais en prime, ils vont aussi résoudre les deux mystères du lieu: d'où vient Tom? et quelles activités louches se cachent donc derrière ces apparitions?

C'est un film de long métrage, très long même si on le compare aux canons hollywoodiens du genre: à l'époque, les films de Lloyd, Chaplin, Langdon et Keaton dépassaient rarement une heure et vingt minutes, mais ici, on arrive à cent minutes, soit une heure quarante. C'est que Lau Lauritzen, qui vient d'ailleurs de réaliser avec ses deux protégés un long métrage mammouth autour d'une adaptation de Don Quichotte, avait trouvé avec ses nombreuses comédies mettant en scène le duo Schenström-Madsen, un succès jamais démenti, et savait que le public le suivrait. On pourra toujours se plaindre que c'est un peu trop long, que les intrigues qui sont accumulées comme autant de feuilles de lasagne sont probablement trop nombreuses (ce qui est assez juste): mais tous les films du duo fonctionnent comme une mise en parallèle de la petite vie (ou survie) pépère des deux personnages d'un côté, et d'une communauté de l'autre; et la plupart du temps, le constat est sans contestation possible un échec: l'impossibilité pour ces deux enfants mal grandis de s'intégrer est évidente. 

Dans ce film pourtant, leu comportement proactif étonne: ils vont en effet, et sciemment, résoudre deux énigmes alors que d'une certaine façon il ne leur est rien demandé! Mais c'est aussi parce que pour Lauritzen, et pour le public danois (et le reste de l'Europe car ces films s'exportaient rudement bien), les gens qui vivent autour des héros ont gardé une vraie importance. Le metteur en scène a d'ailleurs toujours pris la précaution de filmer ses histoires dans un Danemark tangible, et c'est particulièrement vrai ici, dans cette rude communauté de pêcheurs qui sont loin d'être des rigolos, avec leur folklore... Avec ses naufrages aussi, dont un qui est filmé dans des conditions assez proches d'une vraie catastrophe. De plus, en lieu et place de la sempiternelle ballade sur la plage avec des girls en maillot trop grands pour elles (on les appelait les Lau's Beauties!), les jolies filles qui peuplent la salle où une danse folklorique est organisée, sont en costume national... 

Mais c'est toujours nos deux Doublepatte et Patachon qui volent la vedette, puisque dans la scène du bal, ils commencent par être rejetés par absolument toutes les femmes, et finissent par se résoudre à danser ensemble. Mais l'originalité de leur lecture du charleston (absolument hilarante) est non seulement un moment de grâce pour le spectateur, mais aussi un moment qui va révéler doucement, sans excès d'émotions, les deux personnages au reste de la distribution. Rien que pour ça, et pour l'excellente tenu du slapstick génial développé sur la plage, en plein vent (et avec un solide dose de sable dans la bouche) par les deux acteurs, le film vaut vraiment la peine.

https://www.stumfilm.dk/en/stumfilm/streaming/film/vester-vov-vov

 

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Published by François Massarelli - dans 1927 Lau Lauritzen Muet Comédie Schenström & Madsen DFI *
21 décembre 2019 6 21 /12 /décembre /2019 16:22

Pris par l'enthousiasme et porté par le succès indéniable du Cuirassé Potemkine, Eisenstein, assisté des fidèles Alexandrov et Tissé, livre son film commémoratif sur la Révolution à un comité piloté par le Parti qui sera bien embarrassé devant l'inconfort que leur procure l'objet... 

Et de fait, comment accueillir la chose en 2019, soit 102 ans après les faits et 92 après le tournage de l'oeuvre? Faut-il s'enthousiasmer comme un seul homme, adhérer à la Cinémathèque de Toulouse et faire séance tenante son autocritique, ou tout bonnement considérer que ce n'est, aussi flamboyante soit-elle, qu'une oeuvre de propagande de plus? J'ai déjà dit dans ces pages à quel point je m'ennuyais devant le supposé génie du Cuirassé Potemkine, tout en lui reconnaissant des moments d'une grande beauté. Avec Octobre, c'est une autre paire de manches...

D'autant que le metteur en scène galvanisé, et désormais rompu à en faire trop, tombe en pire dans le même piège que sur son film précédent: il en fait trop. D'un film qui devait rendre compte des événements de toute la révolution, Eisenstein passe donc à une oeuvre qui se contente de conter par le menu l'évolution du soulèvement populaire à Petrograd entre février (installation du gouvernement provisoire de ce qu'on appellera la"Révolution Bourgeoise", tout un programme) à la prise du palais d'hiver en octobre.

Entre les deux, du grain à moudre pour nos propagandistes de choc: les décisions contre-révolutionnaires du ministre de la Guerre Kerenski, puis la répression des velléités Bolcheviks (la plus belle scène du film, organisée comme la séquence de l'escalier d'Odessa autour de motifs visuels forts, notamment la présence d'un cheval mort sur un pont), l'organisation de la riposte ouvrière et paysanne depuis la clandestinité, et enfin l'insurrection armée.

Eisenstein affiche sans arrière-pensée une volonté ferme de condamner toute tentative d'angélisme: un Communiste qui explique à l'armée ralliée qu'il faudra agir sans violence se voit railler par voie de montage (des mains anonymes tricotent de la harpe) et de fait, la prise du Palais d'Hiver est en effet un coup de poing...

Mais le film souffre du début à la fin d'un trop plein d'enthousiasme, et d'un refus d'identifier qui que ce soit: un refus de l'individualité qui vire à la propagande énervante. Le point de vue est difficile à manipuler pour le spectateur, et le manichéisme forcené, plus l'absence de distance achèvent de faire de ce film pourtant pré-stalinien...

...une purge.

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Published by François Massarelli - dans Eisenstein 1927 Muet *
15 septembre 2019 7 15 /09 /septembre /2019 11:32

Bien que la plupart du temps, c'est à Rosita de Lubitsch qu'on pense quand il s'agit d'aborder un tournant dans la carrière de Mary Pickford, le fait est que la star n'a jamais cessé d'expérimenter avec son métier d'actrice, conservant parfois, mais pas toujours, son joker: des rôles de petite fille ou de jeune adolescente, riche ou pauvre selon le script, dans des contes de fées: des rôles qui lui ont assuré une sorte d'ancrage auprès du public. Mais que ce soit dans ses films avec Cecil B. DeMille en 1917, ou dans Pride of the Clan de Maurice Tourneur, dans Rosita déjà mentionné, ou dans Sparrows, Mary Pickford s'est remise en jeu et a pris des risques. Et il y a My best girl, qui lui ne ressemble définitivement à aucun autre, et est un film formidable...

Déjà My best girl vient dans une continuité heureuse: après Little Annie Rooney (1925) et Sparrows (1926), tous les deux réalisés par William Beaudine sous l'oeil attentif de Jack et Mary Pickford, deux longs métrages qui ont placé la barre très haut. Ensuite, l'idée pour Pickford était clairement de mettre l'accent sur la comédie, en engageant le metteur en scène Sam Taylor remarqué pour sa participation aux films d'Harold Lloyd, et passé en freelance depuis, avec un excellent long métrage MGM au ton unique, Exit Smiling, dans lequel la vedette masculine aux côtés de la comédienne Beatrice Lillie, était justement Jack, le petit frère de Mary Pickford... Par ailleurs, les acteurs convoqués ici sont souvent de solides comédiens, et on reconnaîtra d'ailleurs Lucien Littlefield et Mack Swain, entre autres... Parmi les crédits du film, on notera la présence de Clarence Hannecke, un ancien de chez Hal Roach qui travaillait comme assistant du réalisateur Stan Laurel, et ici, il est "assistant à la comédie"... L'introduction du personnage de Mary Pickford dans ce film, vue par ses jambes, et dont on devine qu'elle a du mal à avancer car elle sème des casseroles sur son chemin (un plan ensuite nous confirme qu'elle en porte une vingtaine) est totalement dans l'esprit des gags introductifs des films de Lloyd, tout en permettant à Mary Pickford de donner libre cours à son talent corporel: elle joue un rôle avec les jambes et est aisément reconnaissable sans qu'on voie son visage. D'une manière générale, le film la situe d'ailleurs cinq à six années plus âgée que ses rôles habituels, avec certes des préoccupations sentimentales, mais celles-ci sont adultes: fonder une famille, vivre heureuse auprès d'un époux.

Maggie Johnson (Mary Pickford) est une modeste employée d'un magasin, qui accueille un nouvel employé, Joe Grant (Charles Buddy Rogers). Mais on apprend très vite que son vrai nom est Merrill, et qu'il vient en réalité pour travailler incognito et faire ses preuves dans l'un des magasins qui ont fait la fortune de son père (Hobart Bosworth). Le jeune homme, en effet, s'apprête à voler de ses propres ailes, quand il aura épousé la richissime Millicent (Avonne Taylor), qui plaît tant à sa maman... Et bien sûr, si "Joe Merrill" est inaccessible pour elle, Maggie tombe très vite amoureuse de "Joe Grant". Et... c'est réciproque.

Le film est intégralement situé en ville, et laisse la part belle à une comédie de situation généralement placée dans le monde du travail (le magasin où Joe et Maggie recréent une sorte d'univers à part), le cocon familial (celui des Johnson, une famille pittoresque qui contraste avec le monde policé et formellement ennuyeux, donc totalement privé de comédie, des Merrill); le suspense lié à la situation sentimentale est intéressant, et permet bien sûr une observation de tous les instants, des différences sociales entre les deux familles, qui culminent dans des scènes de rapprochement: Joe a réussi à attirer Maggie chez lui, sans qu'elle sache qui il est exactement, et le rapprochement est vécu de façon totalement différente par les personnages. Par contraste, Taylor joue la carte de la comédie pour la rencontre entre Joe et la famille de Maggie: au tribunal, sous les yeux éberlués du juge Mack Swain, Joe découvre les farfelus avec lesquels sa petite amie vit...

Mais la ville, c'est aussi une comédie urbaine que Taylor connaît bien pour l'avoir pratiquée avec Harold Lloyd, en particulier dans Safety Last. My best girl se repose beaucoup sur ce type de poésie, et nous montre des scènes tournées dans les rues au début du film (au cours desquelles Maggie et Joe entament un flirt inattendu autour d'un parcours en camionnette), puis un plan-séquence qui nous montre les deux amoureux comme seuls au monde dans une rue bondée à la circulation intense (c'était l'année de Sunrise de Murnau, et Lonesome de Paul Fejos allait venir quelques mois plus tard)... Tel un clochard (Nigel De Brulier) qui assiste avec tendresse à l'éclosion de l'amour chez les deux protagonistes du film, Sam Taylor cherche donc à placer ses personnages dans un contexte urbain qui est totalement en synchronisation avec le jazz age. D'ailleurs, dans quel autre film verrait-on Mary Pickford dire, via un intertitre, "I'm a red hot mamma", une cigarette au bec?

Voilà, je ne sais pas si c'est le meilleur film de Mary Pickford, et à ce niveau d'excellence, il n'y pas lieu de se mettre en quatre pour effectuer un classement. Mais ce film d'une année magique est une merveille de justesse, qui ne vous lâchera pas durant ses huit bobines... 

 

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Published by François Massarelli - dans Mary Pickford Muet Comédie 1927 Sam Taylor
8 septembre 2019 7 08 /09 /septembre /2019 12:42

Avant la guerre civile, dans la propriété des Shelby au Sud des Etats-Unis, on traite les esclaves avec une certaine indulgence. Eliza (Margarita Fischer) est une jeune esclave quasiment blanche, que ses maîtres considèrent presque comme leur fille: ils l'autorisent à se marier en grandes pompes avec George Harris (Arthur Edmund Carewe), un autre esclave quasiment blanc qui a été «prété» à M. Shelby par un de ses voisins... Mais celui-ci n'est pas vraiment fait de la même eau que Shelby et s'emporte quand il voit de quelle manière les Shelby traitent leurs esclaves.

Après la naissance de Harry, son fils, George Harris (qui n'est pas autorisé à vivre avec son épouse) s'évade, et vient chercher Eliza; pendant ce temps, Shelby acculé par ses dettes, doit se résoudre à vendre certains de ses esclaves: on exige de lui le vieux Tom (James B. Lowe), un esclave adoré dans la plantation, et le petit Harry. Quand elle entend ça, Eliza s'enfuit, alors que Tom se résigne à son destin. Les deux esclaves vont occasionnellement se retrouver...

Superproduction très impressionnante, le film de Pollard n'est pas fidèle à 100% au roman de Harriet Beecher Stowe, même si cette fois, contrairement aux adaptations des années 10 (qui étaient sérieusement condensées à 5 bobines), le film est long, à un peu moins de deux heures. Un des aspects les plus évidents est le fait d'avoir gommé la tendance du roman à se situer rigoureusement dans une ligne protestante. L'Oncle Tom ici est bien considéré comme un «prêcheur» par Simon Legree, mais à aucun moment le vieil esclave et sa «petite amie» Eva St-Clare ne sont vus avec une bible à la main, leur outil par défaut dans le roman.

L'autre aspect rendu nécessaire (et parfaitement valide d'ailleurs) par la condensation est le fait que Eliza et Tom, au lieu de vivre deux histoires séparées, restent ici les protagonistes jusqu'à la fin du film. Initialement, Eliza vit d'abord sa fuite, avec son mari et son fils, et dans certaines versions elle disparaît une fois son évasion réussie; puis on s'intéresse au cas de Tom, vendu d'abord à la famille des St-Clare (de braves gens, encore, à en croire le film on va finir par s'imaginer que l'esclavage, c'était juste une sorte d'adoption à grande échelle par de braves gens bons comme le pain... blanc), puis à la mort de son nouveau maître, à l'abominable Simon Legree... Celui-ci, dans le roman, fait également l'acquisition d'Emmaline, une esclave à la peau blanche, ont il désire faire un nouvel objet sexuel en remplacement de Cassy, sa gouvernante un peu trop âgée. Même si Margarita Fischer est décidément trop âgée pour le rôle (elle a quarante ans, et n'en paraît pas un de moins), il a été décidé que Eliza, qui a à peu près vingt ans dans l'histoire, pouvait être substituée avantageusement à Emmaline, d'autant qu'elle va découvrir que Cassy est sa mère...

Je ne sais pas ce qui a poussé la Universal et Pollard, sans doute à la recherche de «grands sujets», à se précipiter sur l'auguste roman de Stowe, qui commençait sans doute à prendre la poussière dans un coin en 1927. Il n'est plus vraiment d'actualité, et son message de tolérance tempéré par un racisme ouvert et sans compromis: il est par exemple évident à la lecture du seul résumé du livre, que les noirs y sont inférieurs aux blancs, et qu'à l'exception du vieux Tom, tous ceux dont la peau est plus noire sont plus ou moins des animaux évolués, par opposition à ceux qui sont «presque blancs», qu'on autorise d'ailleurs à vivre auprès de leurs maîtres. Si le roman prêchait ouvertement l'affranchissement des esclaves, il se situait fermement sur une ligne qui réclamait ensuite le départ des esclaves libérés, pourquoi pas vers le Liberia. Une scène du début du film va d'ailleurs dans le sens de présenter les noirs comme inférieurs: lors du mariage, les blancs dansent de leur côté, et les noirs les imitent... Ils sont épouvantablement caricaturaux.

Pourtant Pollard et la Universal ont fait un effort pour donner aux acteurs noirs un travail dans le film. Seule Topsy, le personnage le plus méchamment caricatural du film, est confié à une actrice en blackface, mais Tom, par exemple est confié pour sa part à James B. Lowe. Une fois admis qu'on se débrouille assez vite pour que les «héros» du film soient aussi blancs que possible, Pollard gomme tout aspect politique et religieux pour se concentrer sur les possibilités mélodramatiques offertes par l'histoire, et... il y a de quoi faire: enfants séparés de leurs familles, maîtres cruels avec le fouet chatouilleux, et puis du suspense à tous les coins de rues. Sans parler d'une séquence sur les glaces, selon la tradition, qui renvoie le Griffith de Way down east (qui avait lui-même piqué l'idée de la fuite dans les glaces dans Uncle Tom's cabin, le monde est petit) à ses chères études... Margarita Fischer, je le disais plus haut, n'a plus vingt ans, ça ne l'empêche absolument pas d'être excellente, tout comme Lowe, Carewe... et George Siegmann en Legree, comment voulez-vous que ça ne produise pas des étincelles? Maintenant, le film a été un échec, ce n'est en rien surprenant, le public de 1927 ne pouvait pas avoir très envie d'aller voir une production du roman, fut-elle fort soignée et saupoudrée de scènes formidables, ça et là...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1927 ** Harry Pollard
28 avril 2019 7 28 /04 /avril /2019 16:45

Ce film, situé dans la filmographie combinée de Lauritzen, Schenstrom et Madsen après Don Quichotte (exactement deux films après), semble partir du principe de tout compliquer: après avoir réalisé un gros film, adapté d'un classique de la littérature, et en Espagne par-dessus le marché, Lauritzen ne pouvait sans doute pas se permettre de se contenter d'une petite comédie domestique... Et c'est là que le bât blesse. Car trop de complication, ça vous flingue un film. Et celui-ci devient assez vite du grand n'importe quoi...

le premier tiers est du très classique: un jeune homme et une jeune femme s'aiment; elle est pensionnaire d'une institution pour jeunes filles comme il faut, et lui est riche: autant dire qu'il est prêt à tous les caprices pour être avec elle. Les premières séquences le voient s'introduire dans l'école, et la surveillante passe semble-t-il son temps à le repérer. Un moment, elle découvre Schenstrom et Madsen qui ont trouvé refuge dans le jardin. Pour les remercier de leur diversion, il les "engage" dans un stratagème qui va vite prendre l'eau: il se font passer tous les trois pour l'équipage d'un yacht qui appartient à la famille du jeune homme (quand je vous le disais) et proposent à l'institution scolaire un voyage pour les jeunes femmes, tous frais payés...

Ce qui aurait fait un sujet suffisant pour une comédie. Mais ce n'est que le prologue! Dans le reste, la jeune femme (au fait, nous la reconnaissons assez facilement, c'est Karin Nellemose, et elle a tourné chez Dreyer deux années auparavant dans Du skal aere din Hustru, Le maître du logis en français) est "invitée" chez des amis de sa famille pour participer à des expériences mystiques, au lieu même (une sorte d'usine ultra-secrète) où les deux "héros" sont séquestrés pour y mener des expériences étranges. Le titre, qui signifie "Pierres-Tonnerre", renvoie justement à de mystérieux explosifs qui sont expérimentés dans le film.

Si vous tenez jusque là... Voilà, pour résumer, un film de vacances qui a bien mal tourné, et qui tend à montrer les limites de la petite entreprise de comédie de Lau Lauritzen.

 

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Published by François Massarelli - dans Lau Lauritzen Muet 1927 Comédie Schenström & Madsen *