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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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1 mai 2011 7 01 /05 /mai /2011 11:06

A peu près en même temps que Murnau tournait Sunrise, donc, Frank Borzage tournait ce film qui allait durablement l'installer dans le peloton de tête des réalisateurs qui comptent, un film qui allait être un immense succès, totalement mérité, un de ces films exceptionnels tournés à la Fox durant les fabuleuses années de la fin du muet: Seventh Heaven pour moi, rivalise avec Sunrise, What price glory?, The thief of Bagdad, Greed, The wind, Sparrows, The wedding march, Lonesome, et Street Angel, The River ou Lucky star, ces trois derniers tous du même réalisateur. Le film inaugurait un partenariat entre les acteurs Charles Farrell et Janet Gaynor, qui allaient du jour au lendemain devenir des stars pour la Fox, et dont deux autres films seraient réalisés par Borzage, Street Angel (1928) et Lucky Star (1929); Farrell pousserait quant à lui un peu plus loin, en apparaissant pour le réalisateur dans The river (1929), Liliom (1930) et After tomorrow (1932). Pour finir cette petite présentation, ce film donne à voir l'amour éternel, intangible et insaisissable, à travers de petits moments anodins entre deux êtres, parle aussi de cette étonnante tendance à la marge des héros de Borzage, nous montre une héroïne-Cendrillon qui se prend en charge, et la transformation de deux êtres par l'amour absolu: il ne souffre ni d'être vu par des esprits forts adeptes du cynisme contemporain, ni distraitement: il se consomme d'une traite, et est un joyau. un film miraculeux, non seulement parce qu'il est sublime, mais aussi parce qu'il présente un miracle dans son intrigue.

Chico est égoutier, ce qui ne l'empêche nullement de viser plus haut: il se considère lui-même comme "un type remarquable", et aspire à devenir un nettoyeur de rues. Un jour, il se trouve à son travail, et intervient pour empêcher Nana (Glady Brockwell) de tuer sa soeur Diane: les deux femmes sont des prostituées, et la plus jeune des deux soeurs a empêché Nana d'escroquer des membres de leur famille, d'ou le désir de vengeance de celle-ci. Chico recueille la jeune femme, mais doit mentir en la faisant passer pour son épouse, afin d'éviter à Diane d'être arrêtée pour vagabondage. Ils cohabitent ainsi, jusqu'au jour ou sans crier gare Chico amène une robe de mariée pour Diane. Ayant enfin admis leur amour, les deux sont séparés par la guerre, qui emporte Chico. Mais ils ont convenu de se "retrouver" en esprit chaque jour à 11 heures...

Borzage situe tout son film dans une certaine marge, tant par le choix des décors (Chambre de bonne, taudis, égouts, rue...) que par son peu de goût pour ce qui est le monde apparent. Il le fait avec un certain réalisme, mais on est dans un décor plus stylisé encore que dans Lazybones. S'il ne va pas aussi loin que Murnau dans Sunrise, le monde qui apparait devant la caméra d'Ernest palmer posède une patine, une patte des plus originales, et qui aura finalament autant d'influence sur les films Fox à venir que Sunrise: Four sons de Ford, ou Street Angel de Borzage viennent de là, et creuseront cette étonnante tendance graphique.

Le septième ciel du titre Anglais est donc le septième étage, juste sous les toits, ou habite Chico. La séquence de l'escalier, qui voit les deux acteurs monter les étages un à un, par un escalier en colimaçon tortueux et mal éclairé, est basée sur une idée technique magnifiquement rendue; la prouesse technique (une grue a été utilisée pour accomplir le plan d'élévation) se complète d'une prouesse de timing: le plan est en temps réel, et ne montre rien d'autre qu'un homme sûr de lui qui amène une jeune femme un peu inquiète mais obligée de le suivre dans un escalier: et ça prend quelques minutes... le but n'est pas de prétendre au réalisme ou de ne pas tricher, mais de donner à un acte symbolique toute sa portée. d'ailleurs, tout le film est empreint de ce décalage d'avec la vérité, par le biais des décors donc (Les trompe-l'oeil du décor de Sunrise sont passés par là) et de personnages simplifiés. Visuellement, le film est d'une grande beauté, d'une grande force, et le choix de donner un cadre factice (mais avec nuance, on n'est pas dans Caligari quand même) donne plus de force à ses deux personnages principaux, parce qu'avec Farrell et Gaynor, on n'est pas devant de la pacotille, c'est the real deal.

Charles Farrell, c'est un peu l'anti-Valentino. Son sex-appeal est réel, pour autant que je puisse en juger, mais ce n'est pas par le raffinement qu'il attire, plutôt par son aspect brut. Grand, beau gosse, au visage qui respire la naïveté, il représente un peu la quadrature du cercle de l'idéal cinématographique masculin: à la fois costaud, et fragile jusqu'à pouvoir sangloter sans être ridicule. Avec Janet Gaynor, il est un alliage de fragilité que révèle la force intérieure de la jeune actrice, et de force sensuelle qui donne l'occasion à sa partenaire de réfugier sa petite taille et son petit corps, dans un mélange sensuel, certes passé par l'autocensure, mais pas très loin du charnel quand même: une scène en particulier établit cet étrange mélange: Diane a suivi Chico jusque chez lui, il lui montre le lit, et elle se déshabille, mi-résignée, mi-inquiète. Pas plus que le public, Diane n'arrive à présager des intentions du jeune homme. Lorsqu'il revient avec un broc plein d'eau pour se laver, et dévoile sa musculature, elle le regarde, autant par appréhension de la suite que par curiosité. Mais finalement, comme lui l'avait prévu, il va dormir sur le balcon, respectant l'intimité de la jeune femme...

Janet Gaynor est fascinante parce qu'elle vampirise l'écran assez facilement, avec ses grands yeux. et pourtant elle ne fait qu'un mètre cinquante! Mais elle a une autorité, un sens du geste, et est probablement supérieurement dirigée, comme avec Murnau. Sa présence dans le film permet un grand nombre d'atouts; tout d'abord elle incarne intelligemment l'éternel féminin, à la fois jalouse de sa dignité, et désireuse d'avancer dans sa relation avec Chico. avec douceur, elle pousse le grand dadais à admettre qu'il l'aime, et sait se satisfaire d'un pis-aller lorsque celui-ci passe par une formule un peu spécifique (Chico - Diane - Heaven). Elle se précipite chez sa voisine pour essayer sa belle robe, dans une séquence pétillante de bonheur et de naturel... Sinon, un autre apport de son jeu, c'est le fait, assez rare quand on y pense dans le cinéma des années 20, d'offrir un véritable partenariat entre deux acteurs, une totale symbiose; le film n'est pas vu du point de vue de l'un plus que de l'autre, et les deux héros existent réellement, ont autant de substance l'un que l'autre. C'est ce qu'on obtient chez le Murnau de Sunrise, bien sur, et on retrouvera ça dans la peinture de l'amour chez Borzage...

Le symbolisme du film est assez transparent: cette volonté soulignée en permanence de s'élever, ces métaphores (le septième étage, près des étoiles, ...), se marient avec un autre symbolisme, religieux celui-ci. L'un des rares personnages extérieurs du film qui soit un montré assez souvent, le prêtre qui veille sur Chico et Diane tente d'inculquer un peu de religion chez le jeune homme, qui se déclare aussi souvent que possible athée ("I walk alone!"), relayé en cela par son copain Gobin, dont une scène nous montre qu'il regarde avec une certaine incompréhension le personnage du vieux prêtre qui fait le bien partout ou il passe. Le prêtre donne à Chico des médailles religieuses, que le jeune homme va utiliser dans un faux mariage (j'y reviendrai), et qui transfigurent l'amour des héros. A la fin, une lumière divine semble donner au miracle présenté dans le film un sens profondément religieux. Que Borzage ait cru en Dieu, toute son oeuvre est là pour en témoigner. cela dit, le franc-maçon qui était en lui ne pouvait pas ne pas s'approprier l'exaltation religieuse, et lui donner une coloration toute personnelle: le prêtre, comme tout le monde, croit Chico mort, mais il est vivant, transfiguré non par Dieu, mais par le lien entre lui et Diane. On le savait depuis Secrets, l'amour est plus fort que la mort. Seventh Heaven le prouve! Il est, et c'est l'une des clés du film, plus fort que tout: la guerre, l'armée, la religion...

D'ailleurs, pour Borzage l'amour est quelque chose d'étrangement concret. Etrangement, car comme le soulignait avec regret Stroheim, à Hollywood, montrer l'amour, c'était autoriser un baiser ridicule, avant le mot fin. Chez Borzage, on assiste à sa naissance, dans la cohabitation forcée entre les deux personnages (Comme dans tant de ces films), à travers des petits riens, comme ce moment où Chico prétend que Diane doit rester chez lui parce qu'il est satisfait de la façon dont elle lui a coupé les cheveux... Leur ballet du début qui oscille entre pudeur (La jeune femme attend que Chico ne soit plus là pour se déshabiller) et érotisme (Nous, on reste pendant le déshabillage) permet de rappeler subtilement certaines réalités de ce qu'est vraiment le rapprochement entre deux êtres, et les scènes très belles qui voient Chico prendre la jeune femme dans ses bras au moment de partir à la guerre sont empreintes d'une frustration qui doit beaucoup à l'apport physique des deux acteurs...

La guerre, justement, parlons-en: dans le film, elle occupe réellement 35 minutes, dont un épisode en apparence déconnecté de l'intrigue principale, qui remet en scène les taxis de la Marne, à grand renfort d'images d'archives (l'armée Allemande), de maquettes (les taxis) et de scènes de bataille réalisées à grand renfort de figuration. Mais la scène sert au moins à souligner l'engagement sans réserves de l'armée Française, dont Chico sera plus tard victime, et se clôt sur la "mort" symbolique d'Eloïse, le taxi aperçu plusieurs fois durant la première heure du film. une façon d'annoncer le drame dont Chico va être victime... Ensuite, la guerre vue par ses cortèges d'hommes , apparaît de plus en plus comme cette boucherie qu'elle est devenue dans l'imaginaire collectif depuis l'enthousiasme d'un autre siècle de 1914: les tranchées, les quatre années, les gueules cassées, mais aussi, au cinéma, The big parade et What price Glory? sont passés par là... Pour Borzage qui n'aime pas la guerre, la guerre n'est pas cette rassembleuse que les scènes de liesse de 1914 et 1918 nous montrent; d'ailleurs, au milieu de cette foule de 1918, chico avance au mépris de ce qui se passe autour de lui. ce paroxysme émotionnel de la guerre n'est rien à coté de l'émotion qu'il va donner à Diane, et tant pis pour la guerre! ...celle-ci semble dans ce film n'être qu'un obstacle à l'amour, au rapprochement physique et total de Chico et Diane, à plus fort raison lorsque Chico est supposé être mort.

Le miracle qui clôt le film est incroyable, n'a aucune explication logique, et le scénario est très clair: Gobin comme le prêtre étaient présents lors de la mort de Chico. Donc la réapparition de celui-ci, qui ne veut pas mourir parce qu'il veut revenir à Diane, est à 100% un miracle, mais là encore c'est parce que lui ne veut pas mourir qu'il ne meurt pas. Dieu, nous disent Chico et Borzage, c'est dans la tête. Et le Franc-maçon d'ajouter: quand on veut, on peut. Il y aura d'autres miracles, et d'autres scènes de transfiguration quasi-mystiques, dans d'autres films, le plus extrême étant bien sur Strange cargo. Sinon, une autre série de motifs très présents sont déjà là: un mariage profane, auquel on donne avec un moyen de fortune une possibilité d'y inclure la religion: les médailles jouent ici ce rôle, et Chico se tourne vers Dieu, lui disant: "Si tu existes, donne à ce mariage une vérité". Dans A man's castle, c'est un ancien pasteur tourné malfrat qui joue ce rôle d'approximation religieuse dans le mariage de Bill et Trina, et dans The mortal storm, le mariage est effectué par une vieille dame, la grand mère de James Stewart, au moyen d'une tasse ayant appartenu à la mère du jeune homme... La cohabitation tranquille entre Chico et Diane est parfois empreinte de tension, dans Seventh Heaven, parce qu'il y est plus ou moins établi qu'ils ne se  sont pas touchés. Bill et Trina n'auront pas cette tension... La transformation mutuelle, clé de l'amour façon Borzage, est ici représentée par les apports de chacun des deux êtres à l'autre, mais également les efforts consentis, notamment par cette grande gueule de Chico, qui veut bien admettre tout ce qu'on veut pourvu qu'on lui en laisse le temps. a ce titre, le moment ou pris par le temps justement il lâche un I love you à Diane est un appendice inattendu à la plus belle demande en mariage de toute l'histoire du cinéma, pas moins.

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage Muet 1927 **
28 avril 2011 4 28 /04 /avril /2011 10:27

Intermédiaire de Keaton auprès de la United Artists, et "patron" de Buster, depuis les débuts, Joe Schenck a fait payer les excès budgétaires de The General à son poulain de multiples façons: d'une part, il lui a collé dans les jambes un superviseur du budget, lui a imposé la présence d'un réalisateur unique, l'a privé de toute interférence sur le script (du moins dans la phase de planification, comme on va le voir), et lui a imposé un sujet. College représente donc, après le chef d'oeuvre The general, le point le plus bas de la carrière muette de Buster Keaton. Le plus mauvais film, ou en tout cas le moins bon, et le début de la perte de contrôle du metteur en scène. Une fois de plus, j'utilise à dessein cette expression, sans doute paradoxale dans la mesure ou Keaton n'est crédité d'aucune participation à la mise en route de College, pas plus que des trois films muets suivants qu'il interprétera. Mais un acteur aussi physique que lui (Et c'est vrai aussi pour Laurel, Chase, Langdon, et Chaplin bien sur, sans oublier Lloyd) ne peut pas déléguer à un autre toute latitude sur le placement des acteurs, les mouvements de caméra, le montage, à plus forte raison dans un film dont les trois quarts des scènes ont trait au sport, et avec le sens particulier du timing dont fait preuve Keaton. Du reste, il a manifestement mis la main à la mise en scène (Qui porte souvent sa marque), et la légende veut qu'il ait, avec la complicité de l'équipe technique du film, fait sentir à Horne qu'il était indésirable sur le plateau. C'est triste pour le metteur en scène, qui saura à merveille s'adapter à Laurel quand on sait à quel point ça pouvait être difficile, mais il n'était pas vraiment responsable de cette situation, qui était avant tout un contentieux entre Buster et son patron ...et beau-frère.

 

College a été dicté non seulement par la nécessité de faire un film à petit budget suite au naufrage de The General, mais aussi certainement par le succès de The Freshman, énorme  succès de 1925 pour Lloyd: le scénario du à Carl Harbaugh copie sans vergogne l'histoire du film de Lloyd, faisant de Keaton un étudiant doué pour les études qui s'essaie au sport avec des résultats désastreux, afin de gagner le coeur de sa bien aimée. Il est la risée de tous mais finit bien sur par triompher.

 

Keaton est donc le clown de l'université, ce qui est répété avec insistance, mais c'est très gênant pour un acteur dont le personnage avait coutume de rester à l'écart du monde. Moqué par tous, il devient automatiquement le centre d'intérêt, et on peut comprendre que Keaton ait été gêné par cette violation de ses principes. Clairement les concepteurs du scénario n'ont aucune connaissance de l'univers Keatonien, et on eu recours à des variations sur son personnage dans The Saphead, en y ajoutant un grande dose de ridicule voyant inspiré par Lloyd et The freshman.. Un autre truc gênant, c'est cette tendance des films sur les universités à ne retenir que le sport. Le film prend un parti très manichéen, ridiculisant Keaton lorsqu'il met en avant sa réussite sans la moindre implication sportive, et se plaçant du coté des rieurs le plus souvent. Les sportifs du film, d'un autre côté, sont comme dans la vraie vie: néandertaliens, préoccupés de gagner plus que de participer, prompts à pratiquer l'exclusion. Au moins, on est d'accord.

 

Pour le reste, Keaton fait beaucoup d'efforts pour s'approprier le film, en mettant un point d'honneur à rater avec le tentatives de faire du sport, avec des résultats inégaux mais souvent très drôles. D'autres touches prouvent qu'il a mis son grain de sel un peu partout: il a dépéché Snitz Edwards, avec lequel il avait déjà tourné Seven chances et Battling Butler, dans le rôle du doyen de l'université; il a appelé l'un des bateaux de la course le Damfino (Voir The Boat), ce qui ne lui portera pas chance, bien sur, et il a entièrement construit la fin à son image: Keaton reçoit un coup de téléphone de sa petite amie Mary, séquestrée par la grosse brute de l'université. Keaton se lance dans un sauvetage de toute beauté, faisant des prouesses (Course, saut à la perche, et autres) afin d'arriver et de la sauver. Mais surpris dans la chambre de la jeune femme, il n'a d'autre ressource que de se marier avec elle. Ils le font, en deux plans (Ils entrent dans l'église, fondu, ils en sortent), puis on les voit plus agés avec des enfants, et enfin vieux et manifestement aigris. Cette reprise du dispositif final et inattendu de The blacksmith nous rappelle que Keaton n'a pas dit son dernier mot, et que décidément son mariage était un naufrage... Et dans un registre plus léger, lui permet de faire comme il l'aimait, terminer un film d'une façon très inattendue.

 

Ce n'est pas un calvaire à regarder, du moins tant qu'il n'y est pas trop question de sport... Mais voilà, ce n'est ni The general, on l'aura compris, ni The Freshman. Keaton a très mal pris qu'on lui fasse copier un confrère, même si je n'ai aucune idée de l'estime dans laquelle il tenait un Harold Lloyd sans doute trop homme d'affaires pour lui; en tout cas, College n'était pas pour lui une bonne expérience. Ironiquement, le film fera moins d'argent que The general...

 

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Published by François Massarelli - dans Buster Keaton Muet 1927 **
11 avril 2011 1 11 /04 /avril /2011 09:49

Tout ayant été dit sur Sunrise, sa poésie, son art consommé de l'image, ses acteurs, que dire de plus? Le film a tellement été analysé, et paradoxalement, étant si imperméable à l'analyse (toute la littérature, intertitres, script, autour du film met systématiquement en valeur le coté intemporel et universel du problème présenté, et bien sûr les personnages interprétés par les acteurs ne sont pas dotés de noms (1) ), on se garde volontiers de s'aventurer sur ce terrain.

Par contre, le plaisir de le voir, y compris après 15 ou 20 visions, reste entier: depuis le début, marqué par un montage tellement de son époque, avec des vues subtilement déformées (ce plan ci-dessus, avec la jeune femme en maillot de bain à droite et ce paquebot à l'angle si aigu me renvoie immanquablement au graphisme publicitaire des années 30, et à Hergé, qui s'y est d'ailleurs illustré), on est capté par des images qui véhiculent des impressions. Et la planification impressionnante du film (Regardez la version Tchèque alternative, entièrement constituée de plans alternatifs: tout y est pourtant, à l'identique ou presque...) laisse quand même à voir une histoire si humaine, et si ressentie, qu'on se laisse totalement embarquer.

L'histoire, ou l'absence d'histoire, est la suivante: un paysan (George O'Brien) qui trompe sa femme (Janet Gaynor) avec une citadine (Margaret Livingston) se laisse persuader par celle-ci de supprimer l'épouse. Lors de la tentative de meurtre, il recule, et la jeune femme s'enfuit. Il la rattrape, ils sont en ville, et vont graduellement retrouver leur amour, et vivre une deuxième lune de miel...

C'est un film des plus visuels, bien sûr, avec ces effets incroyables amenés par Karl Struss, mais tout le fond ici vient de Murnau, de sa volonté visionnaire de créer un art visuel total, aidé par des techniciens hors pairs, et des acteurs tout entiers dévoués à sa cause. Comme en Allemagne, donc, sauf qu'ici, on me pardonnera cette platitude, il transcende son art en se trouvant aidé par des acteurs qui lui donnent tout, mais qui sont aussi, à leur façon, géniaux: George O'Brien au service de Ford, c'était encore une belle andouille, un cow-boy un peu matamore qui se retrouvait coincé entre sa petite taille et sa musculature impressionnante. On l'aime, mais Ford lui faisait par exemple quitter la scène dans Three bad men, pour laisser la parole aux trois bandits du titre, qui lui volaient la vedette. Ce que Murnau lui demande, c'est d'incarner des émotions, celles du doute, de la tentation du meurtre, sous couvert de la motivation de la luxure... Il a fallu littéralement lui donner des semelles de plomb pour cela, mais la performance lui appartient en plein, avec ce moment déchirant dans l'église, lorsqu'il réalise qu'il a failli tuer son épouse, et qu'il jette sa tête, en larmes, sur les genoux de Janet Gaynor...

Janet Gaynor, chez Frank Borzage, a incarné des personnages souvent plus ambigus qu'il n'y parait: on la classe dans les mêmes catégories que Lilian Gish, mais elle a la tentation de la prostitution dans Street Angel, des circonstances qui auraient pu l'y amener dans Seventh heaven, et le petit bout de jeune femme qu'elle incarne dans le sublime Lucky star a un petit coté garce, qui pourrait là encore dévier dangereusement. C'est donc avec Sunrise qu'elle trouve le rôle de sainte qu'on lui attribue le plus souvent. Mais le recours au beau visage de l'actrice, et la science de Murnau qui sait quoi demander à faire à un acteur ou une actrice, et qui lui donne des choses à faire et un environnement dans lequel faire vivre son personnage (ses fameux décors en trompe l'oeil, si importants dans les scènes d'exposition de ce film) permettent ici de trouver constamment le juste équilibre, et c'est non pas un type, une femme symbolique, mais une femme qui souffre, qui pardonne, qui aime, et qui revit. Elle est sublime.

Le film est brillamment construit, et tant pis pour l'historienne Lotte Eisner, si désireuse de taper sur Murnau, qu'elle met sur le compte du germanisme du metteur en scène le recours à l'humour dans une vingtaine de minutes du film: ces 20 minutes commencent lorsque le couple arrive à la ville, après que le jeune homme ait réussi à rattraper son épouse: ils sont dans une église ou un mariage a lieu. Tout ce qui suivra: danse, fête, vulgarité gentille, et autres ripailles, enfonce le clou de leur amour retrouvé, et ce sont de secondes noces. Du reste, la scène de l'église est certes empreinte de sacré, mais ils sont souvent, tous les deux, tendrement ridicules... Mais on les aime suffisamment pour supporter sans dommage que le film s'abaisse à montrer des détails aussi triviaux que l'anecdote du cochon saoul. De plus, on trouve aussi un écho de ce ridicule dans la danse paysanne qu'on leur fait interpréter: c'est de la part du public une façon de se moquer gentiment des deux amoureux, plus que de leur rendre hommage, tout en soulignant que leur identité de paysans est inscrite sur leurs visages...

Le film est bien sur entièrement dédié aux turbulences de l'amour, et la fin du film, paroxystique, scrute les visages, et utilise admirablement les ressources du village construit en studio. On a beaucoup glosé sur la fin parait-il plaquée, opposée aux intentions de Murnau et Mayer. Ils avaient carte blanche, ont fini par choisir cette fin, donnant au film un message sur l'amour universel. On peut râler, estimer que le noir Murnau ne pouvait se contenter de cela, rien n'y fera: le film nous apparaît complet et parfait précisément parce qu'il donne une résolution positive, et qu'il autorise les deux héros à se retrouver à la fin dans les bras l'un de l'autre, et c'est la grande force de Murnau, Janet Gaynor et George O'Brien de réussir à donner l'impression, alors qu'elle a été secourue à deux doigts de se noyer, et qu'elle est épuisée, que c'est encore son personnage à elle qui mène la barque, que le jeune homme s'en remet à elle, pour l'éternité, et que désormais il ne lui arrivera rien, parce qu'elle est là.

Oui, Sunrise est un beau film... Intemporel et magnifique.

(1) toutefois, les personnages de l'histoire d'Hermann Südermann adaptée par Carl Mayer, avaient, eux des noms: l'homme était Ansass, et la femme Indre. On ne s'en rendrait compte, en voyant le film, qu'en lisant sur les lèvres des acteurs, car dans la première version planifiée par Murnau, il comptait leur laisser leur identité avant de se raviser...

 

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Published by François Massarelli - dans Friedrich Wilhelm Murnau Muet 1927 **
6 janvier 2011 4 06 /01 /janvier /2011 08:45

Beaucoup des films muets de Lewis Milestone ont été longtemps perdus, ou difficiles d'accès, mais depuis quelques années, on a pu revoir quelques oeuvres plutôt intéressantes, voire excitantes. Trois films en particulier, qui datent de la période dorée de 1927 - 1928, nous permettent de juger de l'apport d'un metteur en scène qui a pu, en 1927, obtenir l'Oscar du meilleur réalisateur de comédies... C'était pour ce film.

 

Two Arabian knights (Produit par Howard Hughes, et distribué par United Artists) est situé entre deux films Paramount de 1926 d'un coté (Réalisés après un court passage par la Warner), et les deux autres films du trio mentionné plus haut, la comédie The garden of eden (1927) réalisée pour la Unitetd Artist avec Corinne Griffith, et le superbe film de gangsters The racket (Nominé aux Oscars pour la catégorie "meilleur film" en 1927/28), avec Thomas Meighan et Louis Wolheim, produit par Howard Hughes, mais distribué par Paramount. On peut ajouter à cette période clé deux collaborations pour lesquelles Milestone sera remplacé: par Ted Wilde, pour The kid brother (1927), avec Harold Lloyd, et par Sam taylor, pour Tempest (1928), avec John Barrymore. Si on compte les deux films pour lesquels il n'est finalement pas crédité, mais dont il est généralement dit qu'il a eu un apport important, sur l'un comme sur l'autre (et on constate sur Tempest en particulier qu'il a réussi à imposer son acteur fétiche, Louis Wolheim), on a donc les 5 derniers muets de Milestone, tous sur une période de deux ans, et bien des styles de films différents, du film de gangster à la comédie en passant par le film d'aventures sentimental...

 

Two Arabian Knights (dont le titre est un jeu de mots entre "knights", chevaliers, et "Arabian nights", le titre en Anglais des "contes des mille et une nuits") n'a évidemment pas l'ambition, ni la classe de The racket, mais il est une comédie dont la mise en scène est de grande qualité. Un certain nombre de détails peuvent surprendre, en particulier une attirance pour la vulgarité, contrebalancée par le goût certain dont la mise en scène fait preuve, qui est une marque que l'on retrouve dans Tempest, à travers le personnage de soudard de Wolheim, mais aussi bien sur dans The garden of Eden, et dans le coté "dur", proto-film noir de The racket. Ici, c'est aussi du à la source du film: il est évident que Two arabian Knights est la réponse de Howard Hughes au sucès phénoménal de What price glory en 1926, dans lequel Walsh faisait cohabiter deux soldats à grande gueule, qui rivalisaient de bagarres et de conquêtes. Si le film de Milestone commence dans les tranchées, bille en tête, quasiment par une bagarre entre l'un (William Boyd, simple soldat) et l'autre (Louis Wolheim, sergent), alors qu'un bataillon de soldats Allemands médusés attendent que les deux hommes s'aperçoivent de leur présence, avant de les faire prisonniers... le ton est donné, mais la rivalité restera physique, les deux hommes pactisant assez rapidement dans le camp de prisonniers. puis ils s'évaderont, déguisés en prisonniers Arabes, en volant au passage deux burnous à deux prisonniers Nord-Africains, puis les péripéties les amèneront sur un bateau, et là ils sauveront une jolie princesse interprétée par Mary Astor, qui les amènera à d'autres aventures plus idiotes et réjouissantes les unes que les autres.

 

Contrairement à What price glory, qui se vautre dans le picaresque par politesse, afin de ressentir en creux le désespoir de la guerre, Two Arabian knights n'est rien d'autre qu'une comédie, et la guerre en elle-même est vite oubliée. Ce coté décérébré du film est parfaitement assumé, et a un effet sur le moral qui est loin d'être négligeable. On peut y trouver à redire (Une fois de plus, les Arabes sont maltraités dans le film: bien que prisonniers au même titre que les héros, ils sont traités comme des ennemis, puis deviennent une menace incompétente lorsque les deux hommes sont en Arabie.) mais le but, de fournir une comédie enlevée et menée tambour battant, et mise en scène avec classe, est accompli.

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Published by François Massarelli - dans Muet 1927 Lewis Milestone