A peu près en même temps que Murnau tournait Sunrise, donc, Frank Borzage tournait ce film qui allait durablement l'installer dans le peloton de tête des réalisateurs qui comptent, un film qui allait être un immense succès, totalement mérité, un de ces films exceptionnels tournés à la Fox durant les fabuleuses années de la fin du muet: Seventh Heaven pour moi, rivalise avec Sunrise, What price glory?, The thief of Bagdad, Greed, The wind, Sparrows, The wedding march, Lonesome, et Street Angel, The River ou Lucky star, ces trois derniers tous du même réalisateur. Le film inaugurait un partenariat entre les acteurs Charles Farrell et Janet Gaynor, qui allaient du jour au lendemain devenir des stars pour la Fox, et dont deux autres films seraient réalisés par Borzage, Street Angel (1928) et Lucky Star (1929); Farrell pousserait quant à lui un peu plus loin, en apparaissant pour le réalisateur dans The river (1929), Liliom (1930) et After tomorrow (1932). Pour finir cette petite présentation, ce film donne à voir l'amour éternel, intangible et insaisissable, à travers de petits moments anodins entre deux êtres, parle aussi de cette étonnante tendance à la marge des héros de Borzage, nous montre une héroïne-Cendrillon qui se prend en charge, et la transformation de deux êtres par l'amour absolu: il ne souffre ni d'être vu par des esprits forts adeptes du cynisme contemporain, ni distraitement: il se consomme d'une traite, et est un joyau. un film miraculeux, non seulement parce qu'il est sublime, mais aussi parce qu'il présente un miracle dans son intrigue.
Chico est égoutier, ce qui ne l'empêche nullement de viser plus haut: il se considère lui-même comme "un type remarquable", et aspire à devenir un nettoyeur de rues. Un jour, il se trouve à son travail, et intervient pour empêcher Nana (Glady Brockwell) de tuer sa soeur Diane: les deux femmes sont des prostituées, et la plus jeune des deux soeurs a empêché Nana d'escroquer des membres de leur famille, d'ou le désir de vengeance de celle-ci. Chico recueille la jeune femme, mais doit mentir en la faisant passer pour son épouse, afin d'éviter à Diane d'être arrêtée pour vagabondage. Ils cohabitent ainsi, jusqu'au jour ou sans crier gare Chico amène une robe de mariée pour Diane. Ayant enfin admis leur amour, les deux sont séparés par la guerre, qui emporte Chico. Mais ils ont convenu de se "retrouver" en esprit chaque jour à 11 heures...
Borzage situe tout son film dans une certaine marge, tant par le choix des décors (Chambre de bonne, taudis, égouts, rue...) que par son peu de goût pour ce qui est le monde apparent. Il le fait avec un certain réalisme, mais on est dans un décor plus stylisé encore que dans Lazybones. S'il ne va pas aussi loin que Murnau dans Sunrise, le monde qui apparait devant la caméra d'Ernest palmer posède une patine, une patte des plus originales, et qui aura finalament autant d'influence sur les films Fox à venir que Sunrise: Four sons de Ford, ou Street Angel de Borzage viennent de là, et creuseront cette étonnante tendance graphique.
Le septième ciel du titre Anglais est donc le septième étage, juste sous les toits, ou habite Chico. La séquence de l'escalier, qui voit les deux acteurs monter les étages un à un, par un escalier en colimaçon tortueux et mal éclairé, est basée sur une idée technique magnifiquement rendue; la prouesse technique (une grue a été utilisée pour accomplir le plan d'élévation) se complète d'une prouesse de timing: le plan est en temps réel, et ne montre rien d'autre qu'un homme sûr de lui qui amène une jeune femme un peu inquiète mais obligée de le suivre dans un escalier: et ça prend quelques minutes... le but n'est pas de prétendre au réalisme ou de ne pas tricher, mais de donner à un acte symbolique toute sa portée. d'ailleurs, tout le film est empreint de ce décalage d'avec la vérité, par le biais des décors donc (Les trompe-l'oeil du décor de Sunrise sont passés par là) et de personnages simplifiés. Visuellement, le film est d'une grande beauté, d'une grande force, et le choix de donner un cadre factice (mais avec nuance, on n'est pas dans Caligari quand même) donne plus de force à ses deux personnages principaux, parce qu'avec Farrell et Gaynor, on n'est pas devant de la pacotille, c'est the real deal.
Charles Farrell, c'est un peu l'anti-Valentino. Son sex-appeal est réel, pour autant que je puisse en juger, mais ce n'est pas par le raffinement qu'il attire, plutôt par son aspect brut. Grand, beau gosse, au visage qui respire la naïveté, il représente un peu la quadrature du cercle de l'idéal cinématographique masculin: à la fois costaud, et fragile jusqu'à pouvoir sangloter sans être ridicule. Avec Janet Gaynor, il est un alliage de fragilité que révèle la force intérieure de la jeune actrice, et de force sensuelle qui donne l'occasion à sa partenaire de réfugier sa petite taille et son petit corps, dans un mélange sensuel, certes passé par l'autocensure, mais pas très loin du charnel quand même: une scène en particulier établit cet étrange mélange: Diane a suivi Chico jusque chez lui, il lui montre le lit, et elle se déshabille, mi-résignée, mi-inquiète. Pas plus que le public, Diane n'arrive à présager des intentions du jeune homme. Lorsqu'il revient avec un broc plein d'eau pour se laver, et dévoile sa musculature, elle le regarde, autant par appréhension de la suite que par curiosité. Mais finalement, comme lui l'avait prévu, il va dormir sur le balcon, respectant l'intimité de la jeune femme...
Janet Gaynor est fascinante parce qu'elle vampirise l'écran assez facilement, avec ses grands yeux. et pourtant elle ne fait qu'un mètre cinquante! Mais elle a une autorité, un sens du geste, et est probablement supérieurement dirigée, comme avec Murnau. Sa présence dans le film permet un grand nombre d'atouts; tout d'abord elle incarne intelligemment l'éternel féminin, à la fois jalouse de sa dignité, et désireuse d'avancer dans sa relation avec Chico. avec douceur, elle pousse le grand dadais à admettre qu'il l'aime, et sait se satisfaire d'un pis-aller lorsque celui-ci passe par une formule un peu spécifique (Chico - Diane - Heaven). Elle se précipite chez sa voisine pour essayer sa belle robe, dans une séquence pétillante de bonheur et de naturel... Sinon, un autre apport de son jeu, c'est le fait, assez rare quand on y pense dans le cinéma des années 20, d'offrir un véritable partenariat entre deux acteurs, une totale symbiose; le film n'est pas vu du point de vue de l'un plus que de l'autre, et les deux héros existent réellement, ont autant de substance l'un que l'autre. C'est ce qu'on obtient chez le Murnau de Sunrise, bien sur, et on retrouvera ça dans la peinture de l'amour chez Borzage...
Le symbolisme du film est assez transparent: cette volonté soulignée en permanence de s'élever, ces métaphores (le septième étage, près des étoiles, ...), se marient avec un autre symbolisme, religieux celui-ci. L'un des rares personnages extérieurs du film qui soit un montré assez souvent, le prêtre qui veille sur Chico et Diane tente d'inculquer un peu de religion chez le jeune homme, qui se déclare aussi souvent que possible athée ("I walk alone!"), relayé en cela par son copain Gobin, dont une scène nous montre qu'il regarde avec une certaine incompréhension le personnage du vieux prêtre qui fait le bien partout ou il passe. Le prêtre donne à Chico des médailles religieuses, que le jeune homme va utiliser dans un faux mariage (j'y reviendrai), et qui transfigurent l'amour des héros. A la fin, une lumière divine semble donner au miracle présenté dans le film un sens profondément religieux. Que Borzage ait cru en Dieu, toute son oeuvre est là pour en témoigner. cela dit, le franc-maçon qui était en lui ne pouvait pas ne pas s'approprier l'exaltation religieuse, et lui donner une coloration toute personnelle: le prêtre, comme tout le monde, croit Chico mort, mais il est vivant, transfiguré non par Dieu, mais par le lien entre lui et Diane. On le savait depuis Secrets, l'amour est plus fort que la mort. Seventh Heaven le prouve! Il est, et c'est l'une des clés du film, plus fort que tout: la guerre, l'armée, la religion...
D'ailleurs, pour Borzage l'amour est quelque chose d'étrangement concret. Etrangement, car comme le soulignait avec regret Stroheim, à Hollywood, montrer l'amour, c'était autoriser un baiser ridicule, avant le mot fin. Chez Borzage, on assiste à sa naissance, dans la cohabitation forcée entre les deux personnages (Comme dans tant de ces films), à travers des petits riens, comme ce moment où Chico prétend que Diane doit rester chez lui parce qu'il est satisfait de la façon dont elle lui a coupé les cheveux... Leur ballet du début qui oscille entre pudeur (La jeune femme attend que Chico ne soit plus là pour se déshabiller) et érotisme (Nous, on reste pendant le déshabillage) permet de rappeler subtilement certaines réalités de ce qu'est vraiment le rapprochement entre deux êtres, et les scènes très belles qui voient Chico prendre la jeune femme dans ses bras au moment de partir à la guerre sont empreintes d'une frustration qui doit beaucoup à l'apport physique des deux acteurs...
La guerre, justement, parlons-en: dans le film, elle occupe réellement 35 minutes, dont un épisode en apparence déconnecté de l'intrigue principale, qui remet en scène les taxis de la Marne, à grand renfort d'images d'archives (l'armée Allemande), de maquettes (les taxis) et de scènes de bataille réalisées à grand renfort de figuration. Mais la scène sert au moins à souligner l'engagement sans réserves de l'armée Française, dont Chico sera plus tard victime, et se clôt sur la "mort" symbolique d'Eloïse, le taxi aperçu plusieurs fois durant la première heure du film. une façon d'annoncer le drame dont Chico va être victime... Ensuite, la guerre vue par ses cortèges d'hommes , apparaît de plus en plus comme cette boucherie qu'elle est devenue dans l'imaginaire collectif depuis l'enthousiasme d'un autre siècle de 1914: les tranchées, les quatre années, les gueules cassées, mais aussi, au cinéma, The big parade et What price Glory? sont passés par là... Pour Borzage qui n'aime pas la guerre, la guerre n'est pas cette rassembleuse que les scènes de liesse de 1914 et 1918 nous montrent; d'ailleurs, au milieu de cette foule de 1918, chico avance au mépris de ce qui se passe autour de lui. ce paroxysme émotionnel de la guerre n'est rien à coté de l'émotion qu'il va donner à Diane, et tant pis pour la guerre! ...celle-ci semble dans ce film n'être qu'un obstacle à l'amour, au rapprochement physique et total de Chico et Diane, à plus fort raison lorsque Chico est supposé être mort.
Le miracle qui clôt le film est incroyable, n'a aucune explication logique, et le scénario est très clair: Gobin comme le prêtre étaient présents lors de la mort de Chico. Donc la réapparition de celui-ci, qui ne veut pas mourir parce qu'il veut revenir à Diane, est à 100% un miracle, mais là encore c'est parce que lui ne veut pas mourir qu'il ne meurt pas. Dieu, nous disent Chico et Borzage, c'est dans la tête. Et le Franc-maçon d'ajouter: quand on veut, on peut. Il y aura d'autres miracles, et d'autres scènes de transfiguration quasi-mystiques, dans d'autres films, le plus extrême étant bien sur Strange cargo. Sinon, une autre série de motifs très présents sont déjà là: un mariage profane, auquel on donne avec un moyen de fortune une possibilité d'y inclure la religion: les médailles jouent ici ce rôle, et Chico se tourne vers Dieu, lui disant: "Si tu existes, donne à ce mariage une vérité". Dans A man's castle, c'est un ancien pasteur tourné malfrat qui joue ce rôle d'approximation religieuse dans le mariage de Bill et Trina, et dans The mortal storm, le mariage est effectué par une vieille dame, la grand mère de James Stewart, au moyen d'une tasse ayant appartenu à la mère du jeune homme... La cohabitation tranquille entre Chico et Diane est parfois empreinte de tension, dans Seventh Heaven, parce qu'il y est plus ou moins établi qu'ils ne se sont pas touchés. Bill et Trina n'auront pas cette tension... La transformation mutuelle, clé de l'amour façon Borzage, est ici représentée par les apports de chacun des deux êtres à l'autre, mais également les efforts consentis, notamment par cette grande gueule de Chico, qui veut bien admettre tout ce qu'on veut pourvu qu'on lui en laisse le temps. a ce titre, le moment ou pris par le temps justement il lâche un I love you à Diane est un appendice inattendu à la plus belle demande en mariage de toute l'histoire du cinéma, pas moins.