...en a-t-on besoin? Non, bien sûr: on a tellement tourné et retourné de versions des Trois mousquetaires, comme du reste de l'autre best-seller de Dumas, Le comte de Monte-Cristo, qu'une nouvelle version est par essence inutile. Ceci posé, toute version qui remette en jeu le grand souffle de l'aventure à la Dumas, qui cherche à donner à voir sous un potentiel nouvel angle ces aventures si classiques, ne manque pas totalement d'intérêt. C'est ce qui fera qu'il y aura toujours des recours à ces classiques...
...Et des acteurs pour les interpréter. Ici, on mise tout sur les quatre ùmousquetaires, d'ailleurs, avec en François Civil un excellent D'Artagnan, à la fois jeune loup aux gestes encore vert et aux initiatives un rien trop juvéniles, mais capable de laisser sa fougue faire le travail avec une adresse certaine. Pas de surhomme à la Douglas Fairbanks, ou de gentilhomme qui a déjà vécu comme le D'Artagnan de Gene Kelly, ces deux exemples étant de toutes façons trop vieux pour le rôle! Et en Athos, Porthos et Aramis, Bourboulon a trouvé des candidats extrêmement sérieux: Vincent Cassel, Pio Marmaï et Romain duris. Ils participent pleinement au plaisir certain dégagé par le film, comme du reste l'inévitable Milady incarnée par Eva Green...
Le film, tout en s'efforçant de restituer à ces aventures une sorte de réalisme (moins de couleurs éclatantes dans les tenues des mousquetaires, par exemple), pousse quelques portes et ouvre quelques fenêtres, notamment en faisant de Porthos un mousquetaire bisexuel sans complexe. Ca a du bien faire râler les facheux de tout poil, tant mieux, qu'ils râlent. Mais surtout le film rend sa complexité politique et son tissu si volontiers complexe au roman de Dumas. Il va même jusqu'à déplacer le conflit politique interne en rattachant l'intrigue de Dumas à la conspiration Protestante de Chalais... Ce qui donne un arrière plan intéressant à la deuxième partie (Milady). Plus embarrassant, toutefois, le personnage de Richelieu (incarné par Eric Ruf, prend, c'est notable, bien moins de place que d'habitude... Et pas de Bonnacieux à l'horizon, Constance est de nouveau une demoiselle...
Mais c'est comme le disait déjà Henri Diamant-Berger en 1921: en France, on a des paysages qui sont ceux qui ont inspiré Dumas, sans doute y'en a-t-il moins en 2023 qu'un siècle plus tôt, mais le film bénéficie vraiment d'une volonté de montrer des scènes tournées sur des lieux emblématiques, magnifiques, tangibles. Les cascades sont authentiques, les scènes d'action ont requis une préparation physique, et ça se voit. C'est je pense le principal atout, d'ailleurs prolongé par le film de Alexandre de la Patellière et Mathieu Delaporte, Le Comte de Monte-Cristo, sorti l'année suivante... Alexandre de la Patellière est d'ailleurs l'un des scénaristes de cette adaptation. Cela veut-il dire que nous en aurons d'autres, au vu du succès? Et pourquoi pas?
On compte 24 adaptations cinématographiques du roman de Dumas (...et de Maquet), du moins c'est le nombre répertorié par Wikipedia! Et je n'y comptabilise pas les adaptations télévisées... C'est un gotha de l'histoire du cinéma: les noms prestigieux et les oeuvres d'envergure y côtoient les oubliés et les nanars... l'adaptation par Victorin Jasset (Le prisonnier du chateau d'If, 1908) a-t-elle survécu? les adaptations Américaines, Argentines, Mexicaines, Italiennes apportent-elles plus d'épices à ce noble classique français du roman populaire?
Et pourtant il est hors de question de douter de la pertinence de réaliser un film en 2024, même si on soupçonne qu'on va entendre de nombreuses personnes s'imaginer que c'était nécessaire pour actualiser l'expérience cinématographique... Il y a d'ailleurs un je-ne-sais quoi de Netflixien dans cette adaptation! Mais qu'on se rassure, force reste au cinéma, et à ses traditions. Une exposition riche, et forte en drames et idéaux, un héros clairement identifié, qui va accomplir son destin dans la tragédie, la sienne avant de provoquer celle des autres... Pierre Niney est un Edmond Dantès solide, qui cède allègrement à l'un des péchés mignons du cinéma d'aventures: le déguisement.
Oui, c'est l'un des grands avantages du film: si j'imagine qu'il a été utile de se servir de l'imagerie numérique pour certains décors, les déguisements et les vieillissements ont été principalement confiés aux acteurs eux-mêmes, et on va donc devoir céder à l'une des règles numéro 1 du mélodrame: nous voyons un film dans lequel l'acteur est déguisé. Nous sommes dans la confidence et le reconnaissons, car il FAUT que nous le reconnaissions... Mais autour de lui, personne ne le reconnait. Sauf celle qu'il a aimé, qui croise son regard et sait. Sortez, les ricaneurs.
Le Comte version 2024 n'a pas grand chose à envier à celui de 1929 (mon préféré, dans la version de Fescourt): il perd une grande part de son humanité dans l'épreuve (trahisons, humiliations, emprisonnement, fausse mort, évasion spectaculaire), et va suivre assez aveuglément la voie de la vengeance pour la retrouver. Niney l'habite avec panache... Et il est bien secondé par une brochette d'acteurs: Bastien Bouillon qui incarne le rival qui trahit Edmond et épouse celle qu'il aime. Anaïs Demoustier, justement, est la belle Mercédes; la mystérieuse Haydée (sur laquelle le film manque un peu de clarté, d'ailleurs) est interprétée par la Roumaine Anamaria Vartolomei. Mais je m'en voudrais d'oublier le grand, l'immense Laurent Lafitte, qui est un admirable méchant, en jouant le rôle de l'affreux procureur royaliste De Villefort... Un méchant à la Hitchcock, donc, sur lequel le film repose en large partie, et qui n'a pas besoin de faire grand chose pour qu'on ne regarde que lui!
C'est un film épique, de trois heures, il faut au moins ça, même si il a fallu considérablement élaguer pour faire tenir le film dans une durée raisonnable... J'ai toujours eu une préférence pour la première partie des adaptations que j'ai vus, celle qui établit la vie et les aventures de Dantès, de son arrestation jusqu'au Chateau D'If, et au-delà avec la découverte d'un trésor. C'est une fois de plus la meilleure partie du film à mes yeux...
Dans la suite, les metteurs en scène ont tendance à trop céder à des manies à la Netflix, des ruptures de continuité pour dévoiler de façon plus explicite les machiations et donner l'impression de mettre les spectateurs dans la confidence. c'est inutile, à mes yeux... Et c'est même assez prétentieux. Ils ont aussi utilisé avec un peu trop d'enthousiasme des clichés stylistiques qui sont irritants (les caméras qui virevoltent dans tous les sens, enfin! des flous omniprésents qui deviennent redondants) et une musique (la supervision est due à Pierre-Marie dru) qui cède prfois aux tendances extrèmes actuelles, avec ces percussions "héroïques" à la Game of Thrones... des modes qu'on regrettera dans cinq ans.
Mais l'essentiel est que ce film a l'honnêteté de montrer des décors tangibles, des confrontations d'acteurs, plutôt que de les noyer dans des reconstitutions numériques sans âme. Le film demande l'adhésion, tout comme il exigeait un acteur qui ait la carrure d'un tel rôle. Niney m'a gentiment convaincu... Dumas et son souffle épique ont toujours énormément apporté au cinéma mondial, c'est toujours le cas.
Louis XIII (Albert Dekker) est très content: il vient d'avoir un fils, qu'il prénomme Louis. Ce sera le quatorzième du nom. Sauf qu'en coulisses, pendant qu'il présente le futur roi à la foule, un deuxième cri d'enfant se fait entendre... Pour un père, deux jumeaux, c'est une source de réjouissance. Mais pour le Roi de France, qui n'avait pas encore de garçon, c'est un désastre. Colbert (Walter Kingsford) propose donc d'éloigner le prince Philippe et de l'éduquer en Gascogne, sous la responsabilité de D'Artagnan (Waren William), sans lui avouer qu'il est de sang royal...
Mais quand Louis XIV (Louis Hayward) accède au trône, il tombe sous l'influence néfaste de Nicolas Fouquet (Joseph Schildkraut), qui est l'un des rares à être au courant du secret... il va tout faire pour se débarrasser du frère (Louis Hayward), qu'il juge une importante menace sur la bonne marche d'un royaume dont il est le principal argentier...
C'est un étrange méli-mélo, inspiré bien sûr de la dernière partie (la plus connue, pour ne pas dire la seule) du Vicomte de Bragelonne de Dumas... On se concentre ici sur le Masque de Fer, qui aura en réalité dans le film deux identités... On oscille donc entre l'aventure bon enfant qu'on attend d'un film inspiré de Dumas, le côté sombre de cette dernière partie de la trilogie de Dumas, et un aspect très "quatorzième degré" du à James Whale qui s'est beaucoup amusé à demander à Schildkraut et Louis Hayward de s'en donner à coeur joie dans leurs rôles repsectifs de méchants...
Le souvenir de deux films distincts passe sur ce long métrage de James Whale (incidemment, il a été réalisé pour le compte d'Edward Small et distribué par UA): le court métrage (1938) de Jacques Tourneur The face behind the mask, dont il s'inspire parfois visuellement, et surtout The iron mask, d'Allan Dwan (1929), qui était une adaptation plus orthodoxe de la meme portion du roman. D'un côté, James Whale s'amuse, ressort son copain Dwight Frye de la naphtaline, et s'amuse comme d'habitude à truffer le film d'allusions subliminales à 'd'autres sexualités'... Surtout, pourtant, il semble se prêter au jeu d'un film d'aventures au premier degré, ce qui ne lui va pas si bien.
Warren William vieillissant peine à donner à voir un D'Artagnan crédible, jusqu'à la fin quand tout à coup son âge prend tout son sens. Une dernière chose: Richelieu, qu'on aperçoit très peu, est interprété par le vétéran Nigel de Brulier. Il reste très peu employé, mais on a le temps de voir qu'il a un contact avec Fouquet, qui deviendra bientôt le plus sale type du film. Une façon subliminale de contourner le probable interdit de montrer un écclésiastique un peu tordu, comme ça était clairement l'habitude auparavant dès qu'il était question de Richelieu! Mais surtout un superbe passage de témoin, parce qu'en matière de coups tordus, le Fouquet de Schildkraut ne craint personne...
Peu de temps après le mariage plus ou moins forcé entre Marguerite de Valois (Isabelle Adjani), fille de Catherine de Médicis et petite soeur du roi Charles IX, et le Roi protestant de Navarre Henri (Daniel Auteuil), la cour Catholique se déchaîne contre les Huguenots et se livre à un massacre sans précédent sur Paris. Marguerite dite Margot, qui n'aime pas son mari mais estime se devoir à son ménage, sauve le jeune Roi de Navarre en le poussant à se convertir... Mais pour combien de temps sera-t-il sauvé?
Il y a mille et une raison de vouloir voir le film. J'insiste bien sur le "vouloir", ici, parce qu'après, quant à l'aimer c'est une autre paire de manches... On peut tout bonnement être attiré par l'idée d'une superproduction historique française différente, et à ce niveau le succès est bien au rendez-vous: le style de Chéreau débouche volontiers sur une superproduction hystérique.
Sinon, il y a la perspective d'une leçon d'histoire à travers Alexandre Dumas, mais là encore, ça pose problème, le découpage du film faisant tout pour saisir le tumulte des événements une fois qu'ils ont lieu, et toujours à travers des scènes de foule étouffante. C'est à se demander, surtout après avoir vécu deux confinements, comment font tous ces gens entassés tout le temps sur l'écran, que ce soit pour des massacres, ou des orgies - et parfois on jurerait qu'il s'agit des deux en même temps.
Enfin, on pourrait tout simplement se dire qu'un film avec un tel casting, c'est du tout cuit... Que nenni: la plupart des acteurs sont dirigés pour hurler le plus possible, les scènes sont cadrées par un caféïnomane intoxiqué au dernier degré, et les prestations sont gâchées par l'obsession de tous ces gens de s'énerver les uns les autres pour un oui ou pour un non, entre chuchotement, halètement et cris. C'est épuisant, et on est épuisé au bout de 5 minutes. Le problème, c'est qu'il y a en a 153 après...
Si c'est par contre un film haut en couleurs, c'est surtout du rouge.
Douze années séparent le dernier film achevé de Gance, Le Capitaine Fracasse, de ce nouvel effort, et... Il a sans aucun doute perdu beaucoup. La main, d'une part. La foi, sans aucun doute. Et la tête? Non, ça, c'est fait depuis très longtemps! Ce film est une commande que le cinéaste a accepté, d'un consortium Franco-Italien dirigé par Fernand Rivers: le fait que le dit producteur soit un ami auquel le grand cinéaste a mis le pied à l'étrier a sans doute joué, il avait supervisé deux de ses oeuvres de jeunesse dans les années 30.
La motivation de Gance, pour tourner ce film, est on ne peut plus claire: comme il confie à sa collaboratrice Nelly Kaplan dans son court métrage documentaire sur le cinéaste Hier et demain, "je l'ai fait non pour vivre, mais pour ne pas mourir". Pourtant, il a sans doute été intéressé par le fait de se saisir d'un script très moyen, d'une cosmique absurdité, et de le tourner avec un grand luxe de couleurs! Il va d'ailleurs amener avec lui son Pictoscope, un procédé un peu similaire (mais en nettement moins efficace, surtout en couleurs) que le procédé Shüfftan, et l'utiliser un peu partout.
Et par-dessus le marché, ce film leste était aussi destiné à un marché particulier, car il était pour adultes. Dans le cinéma traditionnel d'avant les libérales années 70, ça veut dire qu'on s'y déshabille à gogo, et qu'on y parle vaguement de sensualité. Mais pour le vieux Gance, déshabiller une actrice était une seconde nature, et de toute façon les "victimes", généralement de plantureuses Italiennes, ont été fournies par la production dans le but d'être dépoitraillées...
Bref: on me voit venir, je pense. Le film est d'une abyssale nullité, deux heures d'un insupportable ennui, dont l'on ne peut se sortir qu'avec une ahurissante dose de second degré, que je m'aperçois bien que je ne possède manifestement pas malgré un entraînement cinquantenaire. maintenant, si vous êtes tentés par cette adaptation d'une pièce de Dumas, qui tourne autour d'un insondable mystère que vous résoudrez pour vous-même aux alentours de la trente-cinquième minute, et dans laquelle Pierre Brasseur cabotine, fleurette, lutine et aboie sans aucune retenue,eh bien...
Le roman de Dumas était dans l'air, en 1921: d'une part parce que Douglas Fairbanks, dont l'amitié avec le réalisateur Allan Dwan, lui aussi mordu des histoires de mousquetaires, avait sans soute soufflé sur les braises de son attirance pour ces aventures, souhaitait désormais en faire son prochain grand projet après la réussite de son Zorro. Ensuite parce qu'en France, où on accueillait justement l'acteur, on se voyait bien lui fournir des décors irréprochables... C'est ainsi que, si l'on en croit du moins les écrits d'Henri Diamant-Berger, l'acteur s'était un temps laissé aller à imaginer une collaboration entre sa structure abritée par United Artists, et une compagnie Française qui serait dirigée par Diamant-Berger. Celui-ci se rêvait producteur, et voyait comme un trophée le fait de travailler avec Doug Fairbanks.
La rupture entre Diamant-Berger et l'acteur est venue de l'impossibilité pour l'un comme l'autre de voir les avantages proposés par l'autre camp: un raccourci pratique, et un support logistique pour Fairbanks qui se voyait interpréter D'Artagnan sur un film de deux heures, tourné à Hollywood, et une sorte de soumission au roman pour Diamant-Berger qui souhaitait que le film se tourne en France, et qu'il contienne absolument toutes les péripéties imaginées par Dumas. Surtout, Diamant-Berger considérait comme une trahison que le film voulu par Fairbanks s'arrête sur le bal des Echevins, et la restitution des ferrets à la Reine par D'Artagnan. La séparation, c'est un fait peu banal, nous aura permis d'avoir justement la même année deux films, et quoi qu'on pense de l'un ou de l'autre, deux films majeurs... A juger sur pièces, donc...
Juger sur pièces? C'est là que le bât blesse. Si le film finalement réalisé par Fred Niblo aux Etats-Unis est aujourd'hui parfaitement disponible, et en fort bon état, il n'en est pas de même hélas de la version de Henri Diamant-Berger. Celui-ci, qui après avoir cherché en vain un metteur en scène, avait fini par se persuader qu'il aurait le métier, l'énergie et l'enthousiasme de faire le travail lui-même. Il a donc lancé sa production avec tout le dynamisme de ses 27 ans, et a assemblé un casting, une équipe technique, et lancé des recherches pour trouver les lieux parfaits pour tourner. Parmi les gens consultés, on compte quand même (là encore, s'il faut croire les souvenirs de Diamant-Berger) Edouard Herriot... Le format choisi était celui qui avait encore un vif succès depuis les années 10: le film à épisodes. Pour rendre justice à Dumas, Diamant-Berger voyait donc douze épisodes. Le film en son entier totalisait selon le metteur en scène douze heures, mais j'ai des doutes en raison de la version qui est aujourd'hui disponible: présentée comme intégrale, mais privée de ses intertitres, elle compte six heures.
Donc, si le metteur en scène, pas avare de vanter ses propres mérites, considérait le film comme un chef d'oeuvre, le fait est qu'on en est loin (à moins qu'il s'agisse de son chef d'oeuvre, auquel cas c'est tout à fait envisageable, hum...): Diamant-Berger, de son propre aveu, n'était pas aguerri à un tel tournage, et le choix déterminant de tout prendre ou presque du roman, conditionnait le film à posséder de nombreux moments de redondance, assez insupportables. Pire: une tendance de privilégier l'action au loin, fait qu'aujourd'hui on est parfois au courant de ce qui se passe sur l'écran grâce à la voix off, on imagine que les intertitres devaient auparavant faire tout le travail! Des choix sont pénibles: on a droit à des scènes d'intérieur, détaillées jusqu'à l'extrême, quand le siège de La Rochelle est traité à travers une ou deux escarmouches!
Des beautés malgré tout sont à trouver dans le film: le choix des décors, confiés par Diamant-Berger à Mallet-Stevens, l'excellence des costumes, et la noirceur de plus en plus affichée de la deuxième partie du film (celle qui se recentre sur les méfaits de Milady), avec des scènes d'une véritable grandeur: la mort de Constance, avec un suspense rare dans le film, est un beau moment; tout comme la capture de Milady, et je pense que le sommet du film est justement le jugement et l'accomplissement du destin de cette dernière. Ajoutons que s'il était un metteur en scène pas convaincant, au moins Diamant-Berger avait-il un certain flair pour son interprétation: s'il n'est pas Douglas Fairbanks, au moins Aimé Simon-Girard a la jeunesse, l'impétuosité et le dynamisme de D'Artagnan, et il fait ses cascades lui même. Le reste des mousquetaires est dominé par Henri Rollan en Athos; le plus amer des Mousquetaires ne sera, à mon avis, mieux joué que par Van Heflin dans le film de George Sidney en 1948. Edouard De Max, tragédien de luxe, prête une prestance qui sied à Richelieu, accompagné d'un Charles Dullin parfait en père Joseph. Si Pierrette Madd est un peu fade en Constance, au moins sa rivale Milady bénéficie de la présence incontournable de Claude Merelle...
Impossible aujourd'hui de voir le film autrement que de la façon dont la famille Diamant-Berger l'a voulu: dans une série de décisions que j'ai le regret de considérer comme malencontreuses, ils l'ont adapté pour un format télévisuel: redécoupé en 14 épisodes de 26 minutes (générique et résumé compris), tous les intertitres supprimés, et remplacés pour les dialogues par des sous-titres, et pour les explications narratives par la voix envahissante et pleine de second degré de Patrick Préjean. Je désapprouve, mais si on veut voir le film, il faut en passer par cette version...
Le film a eu un énorme succès, tant mieux. Il est suffisamment différent de celui de Niblo pour justifier de les voir tous les deux, mais si vous me demandez ma préférence, je n'ai aucun mal à vous dire qu'elle va au film Américain! Diamant-Berger pour sa part ne s'en tiendra pas là puisqu'il réalisera dans la foulée une adaptation de Vingt ans après, la suite, au même format à épisodes... Dont aucun, hélas, n'a survécu. Puis il allait récidiver en donnant un remake de son film initial, en 1932, en deux épisodes, dont les extraits parfois vus ça et là m'ont donné furieusement envie... de ne pas le voir.
Après une poignée de films à la réputation assez médiocre, tous perdus, John Gilbert avait finalement obtenu de la Fox de tourner dans des oeuvres plus intéressantes, qui pourraient enfin rendre justice à sa flamboyante impétuosité: ce sont les seuls films de Gilbert pour le studio qui ont été conservés. L'autre est Cameo Kirby, de Ford; mais celui qui nous occupe aujourd'hui est plus qu'une curiosité: c'est une adaptation extrêmement décente du roman de Dumas, condensé avec une certaine expertise en 107 minutes... dans la version d'exportation en tout cas, la seule à avoir survécu.
On ne va pas reprendre l'histoire, qui certes a subi des micro-modifications, et dont la fin a été changée à travers une série de petites touches qui permettent de garder la cohérence du film intacte: si le fait que Mercedes et Dantès peuvent filer le parfait amour à la fin, ou du moins finir de vieillir ensemble, peut apparaître comme une petite trahison, du moins cela est-il préparé avec soin dans le déroulement du film...
Et celui-ci donc est soigné, tourné et accompli avec conviction, dans la tradition d'un mélodrame pris au pied de la lettre, sans bien sûr la flamboyance d'un Rex Ingram, mais avec une rigueur notable, Flynn ayant décidé d'utiliser en particulier la dramatisation des gros plans, avec goût! Les acteurs sont excellents de bout en bout, on y trouve des noms familiers, de chez Griffith tout d'abord: George Siegmann et Spottiswoode Aitken étaient bien sûr tous deux dans The birth of a Nation... Maude George n'est pas n'importe qui non plus, même si son rôle, celui de Mme Danglars, ne lui permet ps de se faire remarquer autant que dans ses rôles pour Stroheim. La délicieuse Renée Adorée ne sait pas encore qu'elle donnera la réplique à John Gilbert plus d'une fois dans l'avenir...
Et John Gilbert? Eh bien, s'il s'est donné à fond dans cette histoire éprouvée de trahison, de chute, de vengeance et de rédemption qui tient debout toute seule, il réussit à maintenir aussi bien l'intérêt que sa dignité dans le rôle d'un homme qui doit quand même beaucoup vieillir d'une partie à l'autre. Quand on sait que l'acteur avait la bougeotte, on souffre un peu pour lui de devoir incarner un homme vieilli précocement, qui s'accomplit dans la vengeance et n'aura sans doute au final pas beaucoup d'autre option que de mourir... Pourtant Gilbert joue essentiellement le film avec ses yeux... Le film est bien plus qu'nue curiosité de toute façon.
En 1948, il est très probable qu'une grande partie du public Américain ne connaît de cette histoire que les versions raccourcies, en gros la trame choisie par Fairbanks et Niblo en 1921 pour le premier long métrage d'envergue consacré au fameux roman de Dumas. Ca ne me gène pas, puisque un livre et un film ce n'est pas la même chose. Je pense aussi, rien que pour faire grincer quelques dents (Je les entends grincer d'ici, du reste) que nul ne doit se sentir obligé d'avoir une bonne connaissance du roman avant de s'attaquer à la version filmique de son choix. Et d'ailleurs, n'importe quelle version des Trois mousquetaires n'a rien à voir avec Dumas: il n'a jamais tourné un seul film de sa vie, et Hugo n'est pas, ne sera jamais l'auteur des Misérables... de Raymond Bernard.
Cela étant dit, le parti-pris de cette version luxueuse (Le film dure plus de deux heures, ce qui est quand même assez rare en cette période d'après-guerre) est de revenir dans une durée malgré tout pas trop excessive à l'intrigue du roman dans toute sa complexité: en d'autres termes, contrairement à l'usage alors en vigueur, le film ne s'arrête pas à l'affaire des ferrets, et suit la lute acharnée contre Milady, et bien sûr... Constance meurt. C'est donc toute la portée du roman initiatique qu'était l'oeuvre de Dumas (Non, je me refuse à ajouter Maquet, laissez tomber) qui a été retenue dans un film qui développe aussi un nombre impressionnant de personnages, quand on y pense: dans les films sortis auparavant, on avait, en gros, D'Artagnan et Richelieu, plus une Constance générique, une garce pour Milady, un roi, une reine et un Buckingham sortie d'usine, et bien sûr, trois en un, trois mousquetaires anonymes.
C'est fini: D'Artagnan est bien le juvénile, impétueux, parfois présomptueux Gascon interprété par Gene Kelly, flanqué de deux mousquetaires génériques (Porthos et Aramis), et d'un Athos fantastique: Van Heflin interprète en effet cette version de D'Artagnan en plus âgé, qui va donner au film toute l'amertume nécessaire: l'aventure, ça fait des dégâts et ça use... Milady est plus complexe qu'il n'y paraît, et Lana Turner est fantastique. Et Vincent Price joue Richelieu, un Richelieu fidèle au précepte Hitchcockien selon lequel plus réussi sera le méchant, meilleur sera le film. Ce que j'appellerais volontiers le "théorème de Richelieu"...
Mais restons sur le plus notable, le fait que ce film est le premier non-musical dans lequel la star Gene Kelly joue. Etait-ce une bonne idée? Ca oui! d'abord parce que de tous les personnages de cette histoire immortelle, D'Artagnan est le plus bondissant, le plus caricatural aussi. Et étant Gene Kelly, il réussit le pari osé de transposer son talent de danseur émérite dans les cascades requises. ce qui sert tout le monde, il impose un rythme très soutenu au film. Il permet aussi de maintenir la cohérence du film quand celui-ci passe de la quasi-comédie picaresque (La première partie, jusqu'à l'affaire des ferrets) au drame humain et noir (Le destin de Constance, l'amour blessé de Athos et D'Artagnan, l'exécution de Milady traitée à la fois de façon baroque et délicate...). Cette impressionnante efficacité ne se dément jamais dans les 125 minutes que durent le film: on notera en particulier la scène de l'enlèvement final de Milady, traitée en un seul plan de 25 secondes, et vue essentiellement depuis le miroir de la traîtresse.
Voilà qui inaugurait un nouveau style des films d'aventure de la MGM, qui allait faire des petits: King Solomon's mines, Moonfleet, The prisoner of Zenda ou Scaramouche... Et voilà qui nous donne une version aussi complète que possible, tournée certes sur les côtes Californiennes (Et ça se voit), mais avec un tel élan que l'on ne peut qu'en redemander.
Dès 1914, Pouctal souhaitait tourner une adaptation du roman de Dumas, qui soit aussi fidèle que possible, et qui soit si possible réalisée sur les lieux décrits pas Dumas. Une adaptation fleuve sans nul doute, le réalisateur n'étant pas du genre à faire les choses à moitié... Les circonstances ont eu dans un premier temps raison du projet, mais il n'a jamais abandonné l'idée. C'est donc en 1918 que le film est sorti, sous la forme d'un serial en 8 épisodes. Il y a aussi eu une version 'raccourcie' en deux époques, aussi complètes que possible: c'est celle que j'ai pu voir.
Le film raconte donc in extenso les aventures d'Edmond Dantès, la trahison et la confusion politique qui l'ont amené au Château d'If, son évasion, et toutes les ramifications les plus étourdissantes que Dumas a mis à notre disposition...
Le résultat est mitigé: d'une part, il fallait un cran à toute épreuve pour se trouver à la tête d'une telle entreprise, et d'un tel tournage... L'image est d'une grande expressivité, due essentiellement aux idées de mise en scène et de composition, et à un maître du cinéma Français, le grand chef-opérateur Léonce-Henri Burel. L'interprétation est généralement très adéquate avec une petite surprise: Gaston Modot, qui composera un magnifique Fernand Mondego dans le Monte-Cristo de Fescourt en 1929, est ici, dans une poignée de scènes, il joue un comparse. Léon Mathot est un Edmond Dantès "à l'ancienne", plus bourru que héros romantique...
Mais le principal défaut de ce film qui est l'héritier du cinéma d'avant la première guerre mondiale, est de sacrifier dans le désordre au trio narratif intrigue-image-intertitre: il semble que les intertitres racontent l'histoire du film, illustré par les images du film! Une manière de faire condamnée à disparaître au profit d'une narration plus dynamique dès le début de la décennie suivante. Du coup, le film, aussi soigné soit-il, accuse son âge...
The three must-get-theres est un film étonnant à plus d'un titre; c'est une parodie parfaitement assumée, des Trois mousquetaires d'ailleurs, comme le jeu de mots glorieusement affligeant du titre le laisse comprendre. Une pochade tellement délirante qu'on jurerait qu'elle a été conçue pour le plaisir d'une soirée privée, d'autant que les décors en sont "volés" à Douglas Fairbanks, qui venait de tourner sa version du roman de Dumas. Fairbanks avait de l'humour, il aimait bien Linder, il n'a pas eu à se faire prier trop longtemps pour prêter ses décors et son studio...
Après les deux films Américains précédents (Seven years bad luck et Be my wife), plus sophistiqués, c'est toujours un peu curieux de voir Linder se vautrer dans une telle débauche de gags idiots, mais la plupart sont très inventifs. Beaucoup d'entre eux utilisent un don pour le gag chorégraphié, comme dans Seven years bad luck, et l'observation est souvent mordante. Les clichés et les passages obligés du roman sont soulignés, les anachronismes pleuvent: Linder et son équipe ne font aucun effort pour cacher poteaux et fils électriques, les gardes du Cardinal se déplacent à moto, on utilise le téléphone, etc...
L'ensemble est une inventive pochade qui permet en somme de s'amuser sans pour autant se prendre au sérieux... Mais ce n'est en rien un effort destiné à rire entre amis, le film a vraisemblablement été conçu dès la base comme un film pour le grand public, au vu des moyens, et du casting: Bull Montana, Jobyna Ralston y participent, et le grand Fred Cavens a servi de consultant pour le travail d'escrime... Et certaines séquences ont un pouvoir assez fort, puisqu'il m'est désormais impossible de voir le film de Fairbanks et Niblo sans penser à celui-ci, ce qui tend à détruire un peu l'effet de sérieux...