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1 octobre 2023 7 01 /10 /octobre /2023 15:08

1952: la famille Fabelman se rend au cinéma, et c'est un grand jour pour Sam, le fils, car ce sera le premier film qu'il ira voir: The greatest show on earth, de Cecil B. DeMille... Il appréhendait cette découverte d'une attraction dont les descriptions (il y a des gens qui sont immenses sur l'écran) mais finalement en sort transfiguré: d'une part il a été fasciné par le spectacle phénoménal offert par l'écran géant, mais aussi il a été ébloui, et peut-être un peu traumatisé, par une scène d'accident mise en scène avec précision, qui met le spectateur au coeur d'un drame... Rentré chez lui, il est décidé à recréer par tous les moyens possibles ce qu'il a vu, avec un train électrique. Ce qui va évidemment causer un certain nombre de malentendus avec son père!

Le second déclic, ce sera lorsque Mitzi (Michelle Williams), sa maman, lui permettra d'immortaliser à son tour un accident de train (électrique, bien sûr) avec une caméra qui appartient à son père Burt (Paul Dano). Désormais, Sam est mordu par le cinéma, et ne s'arrêtera plus de tourner... Jusqu'à l'adolescence, et son cortège de problèmes: parents qui se séparent, antisémitisme ordinaire dans les lycées publics, et bien sûr puberté vont semer des embûches, et Sam (Gabriel LaBelle) oubliera un temps l'art pour lequel il était naturellement doué...

C'est un film intime, le premier de Spielberg qui le soit officiellement, même si nous avons eu de nombreux indices de sa personnalité, mais aussi de l'histoire de sa famille et des complications internes d'un amour à géométrie variable tel que ses parents l'ont vécu. Mais ici, c'est le cinéma qui va non seulement être une révélation, mais permettre aussi paradoxalement à Sam, qui a du génie pour récréer de toutes pièces des fragments de vérité avec des trucs de mise en scène qu'il acquiert sur le tas et sans efforts, de voir la vie telle qu'elle est, notamment l'attirance évidente de sa maman pour le meilleur ami du couple (Seth Rogen).

Un personnage attachant, d'ailleurs, que ce meilleur ami, également employé par Burt Fabelman, et qui lui aussi apporte subliminalement sa pierre à lédifice de l'éducatio cinématographique de Sam Fabelman: quand il fait une petite farce à table, en mettant sous l'assiette de la petite soeur une araignée en réglisse, il la mange ensuite en citant une réplique de Spencer Tracy dans Adam's Rib de George Cukor. Ca ne l'empêchera pas de devenir, pour la famille, l'autre homme, celui par lequel la trahison a eu lieu. N'empêche... le cinéma est donc partout!

Pour Sam, le cinéma c'est d'abord un art qu'il comprend instinctivement, qui va longtemps être un lien fort entre lui et sa mère, avant que sa trahison (ou du moins ce que Sam comprend comme une trahison) n'apparaisse sur l'écran; le septième art pour Sam est aussi le ciment de sa vie de famille, et ça deviendra une sorte de seule préoccupation qui lui ouvrira même les portes d'une certaine reconnaissance... au lycée. Ce sera aussi un sésame pour parler avec un vieil oncle qu'il a peu connu, mais dont le passage l'enrichira humainement et émotionnellement...

Dans l'essence, c'est une autobiographie qui nous est ici montrée, doublée d'un cri d'amour pour le cinéma, qui a la sagesse de ne jamais passer par ce qu'on attendrait; le film, pour commencer, est fermement consacré à l'enfance et l'adolescence d'un jeune homme qui, bien sûr, fera du cinéma son métier, mais on le quittera au pied du mur, et en bonne compagnie; Spielberg a toujours revendiqué l'influence de plusieurs cinéastes, Hitchcock, Curtiz, Capra, Ford, Kubrick et David Lean! Sam Fabelman rencontrera l'un d'entre eux dans une scène sublimement drôle et touchante...

En choisissant de se montrer à travers ce portrait d'un garçon obsédé par le cinéma (nombreuses scènes réjouissantes de tournage et de montage, mais aussi de projections familiales), et son pouvoir (l'une des plus belles images montre le jeune garçon regarder le premier de ses films en le projetant sur ses mains jointes), Spielberg en profite pour réaffirmer son credo d'un art qui recrée la vie, la prolonge voire l'anticipe, un art qui est un prolongement du regard de l'homme, et qui est indissociable de la volonté d'une personne qui prenne en amont les décisions de ce qu'il faut montrer. C'est le sens d'une discussion quasi philosophique entre Sam et un garçon qui a fait usage de la violence sur sa personne: ce dernier ne comprend pas que le jeune homme, dans le film documentaire qu'il a tourné lors d'une sortie de l'école à la plage, l'ait montré en super-héros sportif, accumulant les exploits... Mais si Sam lui dit en gros que "ce n'est pas moi, c'est la caméra", il n'empêche que ce geste de main tendue par le biais du cinéma a sérieusement déstabilisé l'athlète, qui du même coup va s'abstenir de lui taper dessus! 

Si le film possède la patte de Spielberg, jusque dans ses moindres recoins, avec toujours ce thème omniprésent du regard (voir et faire voir, c'est le lot conscient ou inconscient de tous les héros du cinéaste), avec ses différents objectifs utilisés avec un savoir-faire impressionnants, et même quelques séquences spectaculaires (y compris pour rire, car s'il y a une tornade, il y a aussi de réjouissants tournages de westerns amateurs ou de films de guerre effectués par des ados), il ne s'y livre à aucune démonstration de virtuosité, préférant privilégier la tendresse poignante de l'évocation familiale, enfin devenue le sujet plein et entier d'un de ses films après avoir été si souvent un thème de contrebande... En faisant ce choix, il évite la déclaration d'amour déplacée et mal foutue de Babylon (oui, je vais le ressortir à chaque fois que c'est possible, celui-ci): on aurait imaginé un tâcheron (Ron Howard, par exemple) qui, racontant la même histoire, se serait vautré dans un montage tire-larmes des plus belles séquences de l'oeuvre avant d'appliquer le mot fin... En lieu et place, Spielberg choisit de terminer sur un gag visuel et subtil, que je ne vais pas raconter ici. Et dans un clin d'oeil riche en interprétations possibles (et basé sur une rencontre historiques), Sam fabelman se fait expliquer le sens de la vie, pardon le secret du cinéma par rien moins que John Ford (David Lynch)...

C'est l'un des plus beaux films du metteur en scène, haut la main. Un film qui vient au quasi terme (même s'il n'en a certainement pas fini) d'une carrière bien remplie, et qui sous couvert d'expliciter le rapport obsessionnel et affectif d'un jeune homme à un art visuel bien spécifique, donne à voir le rapport gourmand d'un garçon avec le monde qu'il pourrait conquérir. Le cinéma devient donc une métaphore de tout ce qui fait tenir l'humain debout...

 

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Published by François Massarelli - dans Steven Spielberg
15 septembre 2023 5 15 /09 /septembre /2023 21:26

Les années 50: dans un quartier de Manhattan condamné à plus ou moins brève échéance (un panneau devant les ruines de vieilles maisons insalubres qui ont déjà été détruites annonce fièrement la construction du Lincoln Center), les jeunes Américains défavorisés s'affrontent: d'un côté, les Jets, les petits voyous blancs, qui revendiquent haut et fort leur mainmise sur le quartier, ce qu'ils affirment comme un droit inaliénable, obtenu par leur naissance sur place; de l'autre, les Sharks, la bande des garçons Porto-Ricains, arrivés massivement dans les années 50 sur la métropole, et qui eux aussi revendiquent leur citoyenneté, ce que les autres refusent de reconnaître... Fatigués, les policiers comptent les points entre cynisme et curiosité. Les jeunes Porto-Ricaines, plus désireuses que leur frères et fiancés de s'assimiler, restent aussi sur la touche. C'est dans ce contexte qu'à la faveur d'un bal organisé par des organisations de charité, Tony (Ansel Elgort), l'ancien Jet qui a fait de la prison, rencontre Maria (Rachel Zegler), la jeune soeur de Bernardo, le caïd des Porto-Ricains. Le coup de foudre est instantané, les ennuis aussi...

Ce n'est que la troisième fois que Spielberg effectue un remake; la première fois, c'était avec Always en 1989, un film mineur adapté d'un pur film de studio, A guy named Joe, réalisé en 1943 par Victor Fleming). Puis il y a eu War of the worlds en 2006. C'est significatif, d'autant que jusqu'à présent, Spielberg a surtout fonctionné en références aux genres plutôt qu'à des films particuliers. Il aurait pu, par exemple en lieu et place de 1941 ou Raiders of the lost ark, refaire n'importe quelle comédie musicale ou n'importe quel film d'aventures, mais il a toujours préféré réaliser des oeuvres originales, même si parfois il y glissait des bribes d'autres choses, comme des péripéties de The lost world (1997) qui faisaient furieusement penser malgré l'intrigue très différente à The lost world, l'adaptation de 1925 d'un roman de Conan Doyle... Mais avec West Side Story de Robert Wise, on s'attaque à du lourd, du mythique même, et ce à plus d'un titre: le film d'abord, réalisé par Wise suite à un immense succès sur Broadway, qui lâchait (ou semblait le faire) dans un New York contemporain les bandes rivales qui s'affrontaient sur fond de désoeuvrement, de crise identitaire et d'histoire d'amour mal partie; l'oeuvre théâtrale ensuite, qui avait été simplifiée voire édulcorée afin de cadrer avec le code Hays, et qui cette fois en 2020 pouvait être abordée plus frontalement.

Plus que jamais, c'est Romeo and Juliet, ce que Spielberg a souligné de façon plus nette encore que dans le film de 1961: l'intrigue de  la pièce de Laurents, Sondheim et Bernstein ne faisait pas mystère d'avoir été entièrement créée dans le moule de la tragédie de Shakespeare, mais le parler contemporain, l'environnement urbain et les circonstances socio-économiques étaient utilisées pour le gommer, pour fondre la tragédie dans les années 50-60. L'idée maîtresse de Spielberg est de garder le socio-économique en étant plus réaliste encore, tout en soulignant sans aucune ambiguité la provenance initiale de la tragédie, parfois en faisant directement référence au texte de Shakespeare. Oui, car (et j'imagine que ça a été critiqué) le dialogue du film a été réécrit, justement parce qu'en 2021, il y a des choses qu'un film peut afficher sans complexe, mais qui était impossible en 1960. Les personnages de cette nouvelle version ONT une sexualité, elle est affichée sans qu'on puisse s'y tromper. 

Ils SONT aussi, et sans ambiguité là non plus, Porto-Ricains ou Polonais, Italiens ou Cubains. C'était je pense une nécessité absolue principalement pour les personnages d'origine Hispanique, et en maintenant cette exigence ethnique sur le casting, Spielberg s'est rajouté une difficulté supplémentaire, car il a fallu recruter à tour de bras des acteurs-chanteurs-danseurs... Et le pari est plus que réussi. A Natalie Wood et George Chakiris viennent désormais se substituer Rachel Zegler (d'origine Colombienne), Anita DeBose (d'origine Portoricaine) ou David Alvarez (Canadien, d'origine Cubaine). L'énergie dont ils font preuve est complétée par l'authenticité culturelle. Cette exigence n'est jamais que décorative dans le film, puisqu'il est évident qu'au-delà du projet personnel fou de Spielberg qui voulait donner à voir, dit-il, une nouvelle version d'un des spectacles préférés de son père, le film se veut une nouvelle parabole sur l'état des Etats-Unis ou du monde à l'issue de quatre années de délire trumpiste... Dans ces conditions, le choix de restituer fermement à ses personnages leur vraie dimension culturelle et ethnique fait sortir le film du pittoresque pour lui donner une dimension de tragédie ancrée dans la réalité. Un tour de force, après tout, pour une comédie musicale...

En choisissant de garder l'intrigue dans les années 50, Spielberg permet au jazz et au cinéma de se mélanger en toute cohérence, et ne se prive pas de demander à ses acteurs d'évoluer dans une reconstitution à l'authenticité indéniable des quartiers de New York; mais il permet aussi d'éclaircir la lecture socio-économique de son intrigue, sans la polluer de façon excessive par un recours au monde des années 2020. Puisque le monde s'enfonce dans le brouillard ethnique et raciste des années 50, autant y retourner, donc... Ce qui n'empêchera pas le couple de Tony et Maria de poser les bonnes questions et d'apporter les bonnes réponses, mais pour le reste de l'humanité présente sur le film, il n'y a pas de doute: c'est chacun chez soi, chacun pour soi, et tout le monde contre tout le monde. Une simplification donc, qui sert le propos, puisqu'on sait que la lecture contemporaine du monde simplifie tout à l'extrême et que désormais ce qui marche en toute circonstance c'est le "nous" contre "eux", voir à ce sujet les incidents de Charlottesville, les réactions de la droite Américaine à Black Lives Matter, la politique de Poutine et son invasion (motivée par une propagande qui souligne la noblesse de la démarche, si "nous" ne sommes pas coupables, alors forcément c'est "eux"), la montée (relative et pour l'instant enrayée mais sachons nous méfier) d'un nouveau candidat aux idées ouvertement fascistes en France, présenté comme le sauveur face à l'obscurantisme, ou enfin la simplification des forces politiques autour des Musclor de tout poil: Bolsonaro, Orban, Poutine ou Le Pen...

Donc le film, en soulignant les années 50 rend beaucoup plus facile la peinture de nos années troublantes. Ce qui le situe en droite ligne de ses films les plus "sérieux", les oeuvres épiques (Empire of the sun) romanesques (The color purple, The war horse) ou historiques (Schindler's list, Amistad, Saving private Ryan, Munich, Lincoln, The Bridge of Spies ou The Post).

Et à partir de tous ces ingrédients, Spielberg réussit là où on attendait parfois un ratage par trop de précautions. Après tout, c'est un peu son habitude, celle de réussir l'impossible, ce dont il a fait une marque de fabrique (j'ai toujours pensé que son péché mignon était précisément rendre visible ce qui était impossible). Cette virtuosité se conjugue ici à un sans faute à tous points de vue: le film est respectueux des différences et de la vérité des comportements, montre clairement deux mondes s'affronter mais souligne les parcours individuels; la tragédie musicale s'effectue sous nos yeux et à nos oreilles avec une énergie constante, et reprenant génialement à son compte les déambulations dans les quartiers de New York, et en permettant aux danseurs de se cogner allègrement dans le décor, mais cette fois la caméra est au plus près de l'action: toutes les scènes sont basées sur une utilisation du cadre, du mouvement d'appareil, du placement aussi de la caméra (le bal, en particulier, avec une utilisation magistrale de la technique du motion control pour nous montrer un vrai, un beau coup de foudre), qui nous rappelle que Steven Spielberg est l'un des plus grands (non, LE plus grand, assez de faux semblants) de la première génération des cinéastes innés, ceux qui sont nés dans un monde dont le cinéma était déjà la principale activité culturelle et en ont développé une connaissance profonde et naturelle... Ici, ça se voit, si on y prête attention, sans qu'il y ait ce besoin irrépressible et ridicule de bouger la caméra pour bouger la caméra (hello, Peter Jackson)... Et sinon, narrativement tout le monde y trouve son compte. Les acteurs sont tous danseurs, chanteurs, et le naturel est permanent; le film est remarquable aussi en élargissant significativement la thématique des errements du "nous contre eux" dont je parlais plus haut: non seulement le film illustre les égarements de l'affrontement ethnique, mais aussi (déjà présent dans le texte original avec la splendide chanson America) un affrontement des genres, avec deux sensibilités qui se font face: les hommes perdus dans leur lutte identitaire à coup de barres de fer, les femmes désireuses de s'assimiler... Une lutte des sexes parfois drolatique, qui débouche tout à coup sur le drame lorsque Anita (Ariana DeBose) va se faire violer par les Jets en colère... puis on se rendra directement vers la tragédie.

Un personnage qui a fait couler beaucoup d'encre contre lui est celui de Buddy Boy, qui apparaît dans le contexte des années 50 comme la fille qui refuse de ne pas être un garçon, un personnage trans qui refuse la binarité donc. Certains pays ont réagi par de la censure, et d'autres ont condamné une manipulation qui serait hors de propos ou hors contexte. Mais de même que d'accepter des sexualités différentes en 2020 n'empêche pas l'homosexualité, par exemple, d'avoir toujours existé (il faut être un tout petit triste sire comme Eric Zemmour pour s'imaginer que le monde est en proie à une soudaine "mode LGBTQ"), le personnage d'Anybody (iris menas), rejeté par tous, en particuliers par ses pairs, les garçons qui se reconnaissent dans les Jets, est une façon de souligner la complexité du rejet. Une façon qui n'a rien de binaire, dans un monde qui cherche désespérément à le rester... En développant le personnage de "garçon manqué" dans cette direction, le film achève de relier les deux époques.

Bon, on l'aura compris, ce film qu'on n'a pas forcément vu venir, dont la nécessité n'apparaissait pas de prime abord, est en réalité un chef d'oeuvre de son auteur, un film qui coche toutes bonnes cases certes, mais qui le fait avec naturel. En reprenant l'actrice Rita Moreno qui interprétait Anita dans le film de Wise et Robbins, en soulignant au générique final la proximité avec celui de 1961 (ici, les noms viennent se surimposer sur des plans de murs, portes, ruines, autant d'éléments rouillés, poussiéreux ou en lambeaux; l'original montrait dans son générique des murs surchargés de graffiti, qui étaient bien sûr les crédits des protagonistes et techniciens du film) , Spielberg nous rappelle d'où vient son film. Un remake qui n'oblitère jamais l'original, mais qui part avec bonheur dans de nouvelles directions, la principale étant de se situer paradoxalement dans notre monde à tous, tout en étant furieusement situé dans les années 50 à partir d'une intrigue née en 1594. Un film à la sensibilité à fleur de peau aussi, qui culmine dans une représentation déchirante d'un amour fou qui est arrêté en plein vol. Un film majeur de Steven Spielberg.

 

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Published by François Massarelli - dans Musical Steven Spielberg Danse
26 août 2023 6 26 /08 /août /2023 16:46

Retourner sur ses pas, se remettre dans la peau d'une sorte de soi-même en plus jeune, et s'amuser de mélanger son art tel qu'il est maintenant (gros moyens, CGI, direction d'acteurs) avec ce qu'on aurait fait à une autre époque... en matière de méta-cinéma, Ready player one est un auto-pastiche, un "à la manière de" parfaitement assumé. Cela s'imposait-il?

...Pourquoi pas, à une époque où le type de situation qui nous est montrée dans ce conte (le monde est tellement glauque qu'on préfère "vivre" dans un univers parallèle) devient pour beaucoup une réalité, Spielberg peut à nouveau confronter la science-fiction au monde actuel, comme il l'a déjà fait à plusieurs reprises. Mais qui s'attendrait à une fable pleine de sens en sera pour ses frais: RPO, adapté d'un best-seller écrit par un fan de tout ce qui vient des années 80 et donc incidemment des films dirigés ou produits par Steven Spielberg, c'est avant tout de la rigolade, du pur plaisir... 

Et je le dis haut et fort: pour réussir à me faire comprendre un film situé dans l'univers des jeux vidéo, et ne jamais me perdre, il fallait un sacré métier, donc je confirme une nouvelle fois: Spielberg connait son affaire. Ce n'est pas un scoop... Mais à travers ce film en forme de gros bonbon de plaisir, qui déroule une histoire assez classique (et très disneyienne) de jeunes un peu décalés qui vont s'imposer dans le vrai monde grâce à ce qu'il se passe dans leur univers virtuel, Spielberg nous livre aussi des autoportraits, inattendus: d'un côté, il se réinvente en créateur paradoxal (dont le destin réel est un easter egg à lui tout seul) qui se tient à l'écart du monde, dont il a raté l'examen d'entrée: fonder une famille. Le bon vieux complexe de Spielberg dans les années 70-80, et qui revient périodiquement dans ses films. Et il se montre aussi en petit adolescent surdoué mais socialement incapable, qui va réussir sa vie en creux dans le monde du jeu vidéo...

Et tout ça en mettant un point d'honneur à ne jamais s'auto-citer: car il y a de tout dans le film: du Zemeckis, du Star Wars, du Kong, des Looney Tunes... mais à part un T-Rex, rien qui puisse remonter à Tonton Steve. Si ce n'est, bien sûr, à travers deux trois trucs structurels, comme ces écrans explicatifs qui remontent tout droit à Minority Report...

Voilà, je m'étais dit en voyant ce film parfaitement plaisant, mais vide de sens, et totalement accompli et oblitéré dans le plaisir facile qu'on y prend, qu'il n'y aurait strictement rien à en dire. J'avais un peu tort, puisque je viens d'y consacrer quelques lignes. Maintenant, je le redis, je doute qu'il contienne le secret de l'univers, même bien caché: c'est seulement l'histoire d'une société qui s'est oubliée dans le fait de se vautrer dans du virtuel qui n'a rien d'une réalité, et qui réapprend au fur et à mesure à remettre les pieds sur terre.

Mieux, c'est une étape de plus dans un parcours singulier, qui a poussé le metteur en scène à constamment innover, marquer dans son parcours et dans l'histoire du cinéma des étapes essentielles, techniques, narratives, structurelles et thématiques, sans jamais y perdre son âme, ni la possibilité en passant de réaliser des Munich, ou des Lincoln. Et tant que c'est lui qui réalise ces étapes, pourquoi s'en priver?

 

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Published by François Massarelli - dans Steven Spielberg Science-fiction
21 août 2023 1 21 /08 /août /2023 18:08

Le Spielberg adulte a toujours eu un faible pour les films qui nous font visiter l'histoire à ses moments cruciaux, en favorisant les coulisses plutôt que l'exploit. Un exemple paradoxal serait d'ailleurs de trouver cette même démarche dans le chaos juvénile de 1941, qui ne raconte absolument pas Pearl Harbor, mais bien une série de conséquences envisageables dans le pire des cas... Mais non, les films où Spielberg manifeste cet intérêt qui lui permet de recréer avec passion une époque, sont tous sérieux, en effet. Sérieux, mais pas austères pour autant: The post est parfois assez drôle, et pour cause, c'est le premier film de son auteur à évoquer le monde du journalisme...

C'est un genre à part entière, entre les trois adaptations de la pièce The Front Page de Ben Hecht (celle de Lewis Milestone en 1931, His girl friday de Hawks en 1940, et celle de Billy Wilder en 1974), la comédie muette de Capra The power of the press, et bien sûr All the president's men, d'Alan Pakula, auquel on ne pourra tout simplement pas ne pas penser... Car le fond du film est basé sur une affaire qui est liée au Washington Post, les tombeurs de Nixon. Mais il faut croire, quand on voit le film que ça n'était pas gagné d'avance, car à l'époque dont parle ce long métrage (située quelques années avant le Watergate que relatait le film de Pakula), le journal, entreprise familiale un peu en difficultés, est finalement plus une publication locale qu'un grand journal d'investigations reconnu dans tout le pays, comme par exemple le New York Times. Et ce dernier est le modèle insurpassable et inatteignable, à la fois le collègue, l'ami et la rude compétition...

Deux mondes des coulisses du journal nous sont montrés, dans un premier temps ils semblent presque évoluer chacun dans son coin: représenté par la propriétaire Katherine Graham (Meryl Streep), le conseil d'administration décide d'ouvrir le journal en bourse afin de le consolider. Représenté par Ben Bradlee, le rédacteur en chef (Tom Hanks), la rédaction est elle occupée à faire son boulot, avec tous les moyens possibles, y compris douteux, pour continuer à exister: les deux ont un seul et même but, sauver le journal. Et c'est dans ce contexte qu'une affaire éclate, qui menace sérieusement la survie du sens même du premier amendement de la Constitution: la Maison blanche décide en effet d'interdire au New York Times le recours à une source d'information inattendue, sous prétexte de mise en danger de la sécurité nationale...

La source en question est un "Mac Guffin", finalement, mais de luxe puisque c'est une histoire authentique et peu banale: des rapports, des milliers de pages, commandés par rien moins que l'ancien ministre de la défense de Lyndon B. Johnson, président démocrate (1963-1968), et donc homme clé dans le dispositif de la guerre au Vietnam: Robert McNamara (Bruce Greenwood), ce n'est pas n'importe qui, et quand on lit, alors que les hommes continuent d'être envoyés au Vietnam, que la présidence sait depuis longtemps que la guerre est impossible à gagner et que la tuerie va forcément continuer pour rien, c'est une bombe... Mais ce n'est pas le Post qui va en être le déclencheur: c'est le Times. Mais par solidarité journalistique, autant que par intérêt plus personnel, la rédaction du Post va, à l'instigation de Bradlee, se lancer dans la bataille et eux aussi publier des extraits croustillants des «Pentagon Papers», comme on les appelle.

Et le problème, c'est que Katherine Graham, propriétaire du journal, héritière imprévue (son père avait laissé en mourant la direction des opérations à son gendre, mais le mari en question s'est suicidé, et il a fallu reprendre l'affaire au pied levé, et... Katherine est une femme!) doit dans le même temps assurer une transition en douceur vers l'actionnariat, ce qui nécessite de ne pas faire trop de vagues, et encore moins de s'attaquer à une ancienne présidence. Comme la famille de Katherine est depuis toujours dans les petits papiers des Démocrates, et que les Johnson et Kennedy, mais aussi McNamara sont des amis de la famille, ça se complique.

Voilà, impossible de faire court, devant un film qui lui en revanche réussit à rester d'une durée raisonnable, faisant moins de deux heures. C'est que la façon dont Spielberg traite de l'histoire en marche est constamment dynamique: aucun personnage de nous expliquera, aucune voix off ne nous facilitera la compréhension, nous sommes précipités dans l'action du film et nous attraperons le sens en route. Cette confiance bienveillante apportée au spectateur est déjà sacrément plaisante, mais elle s'accompagne aussi d'une mise en scène dont la rigueur reste légendaire: comme toujours, Spielberg maîtrise son sujet, sa direction d'acteur est surtout une affaire de confiance, et au vu du casting on le comprend; il croit en ce qu'il filme, assurément, et n'a absolument pas besoin de mettre sa caméra sur un skateboard comme le premier Peter Jackson venu quand il filme deux personnages qui parlent: eh oui, signe des temps (le film se situe entre 1966 et 1972), la caméra est parfois statique! Et parfois pas: c'est que devant un sujet comme celui-ci, le réalisateur aime à montrer qu'il est le maître du temps ressenti. Le suspense, la montée des enjeux, l'émotion qui naît de l'exaltation comme de l'accumulation des risques, Spielberg en a toujours été le maître, parfait héritier d'Hitchcock en la matière. Et son art concommé du plan séquence gourmand s'accompagne de difficultés liées à la situation: parfois les événements importants se situent hors de la rédaction mais dans les maisons, par exemple de Kay Graham ou de Ben Bradlee... Le décor réaliste d'une maison ou d'un appartement n'est pas un endroit aisé por bouger une caméra aux basques de journalistes, et pourtant l'équipe y parvient.

Et The Post, donc, ne nous parle pas de la guerre du Vietnam, ou de la presse, mais bien d'un moment crucial durant lequel une certaine forme de conservatisme (Ben Bradlee, après tout, est quand même un rédacteur à l'ancienne, un homme à l'écoute du présent, mais qui comme sa patronne, a eu des relations d'amitié avec un président... ) va soudain évoluer, et se jeter dans non pas une, mais plusieurs causes. La grandeur de l'Amérique, nous dit Spielberg, c'est aussi de pouvoir faire évoluer positivement un petit journal et le rendre important à l'échelle nationale. C'est pouvoir passer d'une gestion médiatique aux ordres, à la remise en cause d'une injustice flagrante. Et c'est aussi pour une femme qui est à la tête d'une entreprise familiale, de montrer qu'elle existe et de prendre la décision courageuse qui va transformer l'entreprise en empire de presse, à l'heure où les choses changent enfin pour la condition féminine.

Un exemple de la façon sûre mais discrète dont Spielberg procède dans ce film est une scène durant laquelle un Bradlee qui est à l'affût de toute idée pour mettre son journal au premier plan: il vient alors chez Katherine (des visites qui sont assez fréquentes, mais dont on sent que pour lui comme pour elle, elles représentent une transgression à venir ainsi chez elle), et ils discutent de la marche à suivre: trouver un coup fumant et risquer la respectabilité du journal vis-à-vis d'une Maison Blanche dont on sait qu'elle est aux mains d'un psychopathe tordu, ou montrer profil bas pour ne pas entraver la nouvelle dimension du journal, au risque de ne plus exister du tout en tant qu'organe de presse? Pendant la scène située dans une banale mais cossue pièce d'une banale mais cossue maison bourgeoise (le travail des décorateurs et costumiers du films est fabuleux, bien entendu), Streep et Hanks sont habillés en Américains des années soixante: costumes sombres, couleurs tristes. Venu de dehors, le ballon violet de la petite fille de Katherine va soudain perturber le ronronnement conservateur de la conversation, avant d'être rendu à sa propriétaire... En quelques minutes, nous assistons symboliquement à une occasion manquée, mais heureusement, Bradlee aussi bien que Graham sauront changer et deviendront enfin acteurs d'une histoire en marche.

Bref, il y a beaucoup à voir et à revoir, beaucoup à dire aussi, dans cette histoire formidable d'un journal qui prend la décision de mettre les pieds dans le plat et de publier un document, tout en protégeant l'anonymat de la source bien entendu, qui attaque ou incrimine un système inique dont le président des Etats-Unis, garant officiel de la démocratie, mais en réalité manipulateur d'extrême droite prêt à toutes les saletés, est à la fois le symbole et le maître incontesté... Tiens donc.

The Post n'est donc pas qu'un régal, c'est aussi un grand film militant. Et la scène qui, à la fin, voit Kay Graham sortir d'une audience à la Cour Suprême sous les yeux admiratifs d'un parterre de jeunes femmes qui lui manifestent leur soutien n'est pas non plus anodin. Décidément, ce film nous prouve que l'histoire a des leçons à donner au présent, et plus souvent qu'on ne le pense...

 

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Published by François Massarelli - dans Steven Spielberg
18 août 2023 5 18 /08 /août /2023 16:05

C'est sûr, il ne s'arrête jamais; comme Roald Dahl lui-même ne s'arrêtait jamais, faisant en permanence un passage entre les siècles par une oeuvre féconde et sans limites dans son imagination, et permettant aussi un passage entre le monde de la fiction pour les enfants et celle, plus codifiée et nettement moins permissive, des adultes... Et c'est là un autre paradoxe entre le Gallois et l'Américain: leurs oeuvres transcendent les limites d'âge, et avec eux on en prend pour une vie entière. Raison de plus pour accueillir un nouveau film de Spielberg comme une nouvelle compagnie indispensable. De prime abord, ce qui peut éventuellement gêner, c'est d'ordre esthétique: ce film qui invente un monde repose donc sur les effets numériques et l'animation 3D... Et ces derniers temps, l'animation 3D, elle ne s'arrange pas! Pourtant on échappe largement au désastre ici, avec une esthétique qui réussit à la fois à rendre hommage à Quentin Blake, sans chercher à l'adapter au réalisme graphique en vigueur. C'est une réussite...

The BFG raconte la rencontre improbable entre Sophie, une jeune orpheline qui vit dans une institution où elle est seule à mourir d'ennui, dans l'Angleterre des années 80, Et un géant qui vit au pays des géants, pas mieux loti qu'elle du reste: Sophie n'a pas d'amis dans son orphelinat, ou elle passe ses journées à ne pas se faire voir, et nous n'assisterons à aucune interaction avec qui que ce soit, à part sans doute un chat roux, qui comme tous les chats roux est bien gentil, mais possède quand même son monde à lui d'abord et avant tout; et le géant, lui, est seul, car il est trop petit et rejeté par les autres, et en prime, il ne mange pas d'êtres humains. Pire: étant seul, il en recherche la compagnie, mais... c'est dangereux pour les petits humains, de fréquenter un géant certes gentil, mais qui cohabite avec des cannibales...

Ou des "Cannes-à-balle", pour reprendre le vocabulaire très particulier des géants, qui n'ont qu'une compréhension intuitive et un peu déformée du langage des êtres humains. Sophie, cela va sans dire, va être une rencontre importante dans la vie de celui qu'elle ne tardera pas à appeler BFG, ou "big friendly giant"(BGG, bon gros géant, dans la langue française)... Importante pour elle qui va découvrir la complicité, et pour lui qui va enfin (re) découvrir la tendresse. Le "couple" étrange formé par Mark Rylance (modifié par ordinateur) et la petite Ruby Barnhill fonctionne très bien... Comme souvent chez Dahl, mais aussi chez Spielberg, on obtient une leçon de vie...

...avec des bulles.

Même calibré pour rester visible dans le cercle familial, c'est un enchantement, tout bonnement. Spielberg fait ici une synthèse de son oeuvre, revisite les situations de nombreux de ses films (E.T. bien sur...), et réussit aussi à reprendre une partie du dispositif de Hook, soit la confrontation entre le monde réel et l'imaginaire, mais sans tomber dans les mêmes travers. Il s'inspire, pour la partie animation, des meilleures oeuvres des ateliers Disney, époque Fantasia, et la prouesse est que réalité et animation (Parfois très abstraites, comme la représentation des rêves) s'intègrent parfaitement... Sa mise en scène, une fois de plus centre sur le regard et le pouvoir de dépassement des images, mais aussi sur un suspense maîtrisé comme d'habitude, nous livre une fois de plus du cinéma classique, et qui remplit haut la main sa mission: d'une part, adapter sans trahir un classique de Roald Dahl, de l'autre, fournir un film qui réunit la famille. On sait qu'après ça, le metteur en scène est certainement parti dans une toute autre direction, explorer un tout autre genre. 

A noter, une critique très divisée sur ce film: il semble que beaucoup des commentateurs du film l'ont détesté. Le consensus étant que Spielberg se force lui-même et sort de son pré-carré, en s'imitant lui-même... Je ne suis pas de cet avis. Spielberg a la capacité de toucher à tout et de se renouveler en permanence, et ce film qui ne ressemble à aucun autre dans son oeuvre, aussi mineur soit-il (c'était l'idée dès le départ), le prouve.

 

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Published by François Massarelli - dans Steven Spielberg
10 août 2023 4 10 /08 /août /2023 17:34

Tout commence à Brooklyn en 1957, lorsqu'un homme d'âge mur, Rudolf Abel (Mark Rylance) quitte son appartement miteux pour se rendre dans un parc et y peindre. Il y récupère discrètement un objet, car c'est un espion Russe. Mais il est arrêté au terme d'une surveillance sans relâche par la C.I.A. Une fois sous les verrous, son destin ne fait aucun doute. Un cabinet d'avocats informent l'un des meilleurs de ses ténors, Jim Donovan (Tom Hanks) qu'il a été choisi à l'unanimité pour représenter ce client inattendu. L'idée n'est pas, selon eux de gagner le procès, mais de montrer qu'aux Etats-Unis, tout le monde a droit à un avocat, y compris un espion. Donovan s'emballe très vite: il voit l'occasion d'adresser le sujet du devoir d'un espion, et entend éviter la chaise électrique à son client, d'une part parce qu'estime-t-il, il n' a fait que son devoir; ensuite, il pense avec raison qu'en cas d'arrestation d'un Américain à Moscou, le public souhaiterait certainement qu'il s'en sorte aussi. Enfin, Donovan pense qu'un agent Russe pourrait servir de monnaie d'échange dans le futur. C'est donc contre une opinion publique volontiers hostile qu'il se lance dans la défense de son client, avec lequel il sympathise d'ailleurs assez rapidement.

Pendant ce temps, trois événements vont se dérouler à l'Est qui auront des répercussions sur cette affaire: d'une part, un avion U2 de reconnaissance est touché par un missile,et le capitaine Powers (Austin Stowell), qui le pilotait, est capturé. Ensuite, le Mur de Berlin est construit, et l'Allemagne de l'Est durcit sa politique à l'égard de ceux qui veulent le franchir. Enfin, un étudiant Américain, Frederic Pryor (Will Rogers) à Berlin est arrêté, et soupçonné d'espionnage parce qu'il passait le mur avec sur lui sa thèse sur l'économie des pays de l'Est... Les Etats-Unis vont en effet avoir besoin d'une monnaie d'échange, et d'un négociateur qui ne soit ni un espion ni un agent du gouvernement. Donovan est donc le candidat idéal...

C'est toujours étonnant d'envisager une collaboration entre Spielberg, en mode David Lean bien sûr puisqu'il est ici question de souffle épique et d'Histoire avec un grand H, et les frères Coen... le script est pourtant bien signé de ces derniers, en collaboration avec Matt Charman. Je ne sais pas dans quelle mesure un tel script aurait pu être à un point ou un autre tourné par les deux frères. Mais l'idée n'est pas stupide, dans la mesure où ils sont passés maîtres dans un certain art du pastiche, et on retrouve un ton parfois sinon burlesque (Il ne faut quand même pas exagérer), en tout cas de comédie légère, avec en particulier l'interprétation de Tom Hanks en Jim Donovan. Il prend un plaisir certain et palpable à jouer ce père de famille décalé dans une situation d'espionnage, et dont les idées, parfois énoncées de façon un peu pépère, vont s'avérer contagieuses... Son rhume aussi, du reste: il ne supporte pas vraiment le climat hivernal de Berlin.

Le propos du film ne débouche pourtant pas sur la comédie. Spielberg aime questionner l'histoire et les comportements moraux passés, ce qu'il a fait avec maestria dans Munich, et surtout dans Lincoln. Il prend fait et cause pour Donovan, visionnaire dans un monde dominé par la peur irrationnelle de l'hydre communiste, celle-là même qui fait oublier à tout un joli paquet de démocrates les idées et l'idéologie de tolérance et de liberté qui fait d'eux des Américains. Ainsi, contre tous, il va défendre l'espion, et va négocier avec des gens d'en face. Spielberg ne le fait pas en homme convaincu de l'angélisme de Khrouchtchev et de son système: on voit avec Donovan lors d'un passage en train dans Berlin, les citoyens abattus froidement parce qu'ils ont tenté de passer le mur. Mais il montre le combat tranquille d'un juste, dans un monde recréé de manière impeccable et passionnante.

Le metteur en scène, comme d'habitude, nous donne à voir des choses que nous n'avons jamais vues, car c'est la marque de son cinéma. A ce titre, la seule séquence ouvertement virtuose de son film est la descente en plein vol de l'avion de Powers, qui débouche sur un suspense très accompli, et est vue du point de vue de l'officier abattu. Spielberg joue aussi avec le point de vue dans la séquence de l'échange sur un pont, qui donne son titre au film. C'est via le regard de Donovan que les agissements des espions d'en face sont aperçus. On se pose finalement les mêmes questions que les Américains: les Russes vont-ils remplir leur partie du contrat?

Mis en scène avec le savoir-faire et l'instinct qui le caractérisent (les séquences de filature au début, l'attentat sur l'avion... quelle maîtrise), le film questionne tanquiellement l'histoire en adoptant une narration sans faille. Avec son ironie adoucie par le traitement de la mise en scène, le film ressemble plus à du Capra (l'un des maîtres de Spielberg, il l'a souvent dit) qu'à un film des frères Coen. C'est en attendant une oeuvre attachante, profondément humaine, et qui nous présente une fois de plus un portrait d'homme ordinaire qui est amené à faire des choses extraordinaires. Presque malgré lui.

 

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Published by François Massarelli - dans Steven Spielberg Joel & Ethan Coen
8 août 2023 2 08 /08 /août /2023 17:04

La politique au présent et l'histoire sont souvent antinomiques. Juger un acte politique contemporain et en saisir l'importance n'est pas donné à tout le monde. On dit souvent "l'histoire jugera"... C'est l'un des nombreux thèmes de ce film, qui répond à un désir profond chez Spielberg de signer un film sur le prséident, ans doute, le plus visible de toute l'histoire américaine, celui en tout cas qui va véritablement, en maintenant l'union et en abolissant l'esclavage alors que ces deux choses, le maintien et l'abolition, semblaient éperdument irréconciilables, porté la touche finale à la création d'un pays...  Car oui, le film nous le rappelle, un président des Etats-Unis doit avoir une vision pour son pays.

A l'époque de la sortie de Schindler's list, beaucoup de gens se sont publiquement étonnés (Sans parler des polémiques autour du fait de faire ou non le film, encore vivaces aujourd'hui) de ce que Spielberg puisse s'attaquer à des sujets sérieux. C'était surprenant, puisque le débat remontait déjà à la sortie de The color purple, et à la volée de bois vert reçue par Spielberg de toutes parts: les tenants d'un cinéma lyrique et épique qui semblaient ne pas vouloir admettre qu'un homme comme lui fasse des films ambitieux (Car dans leur esprit Close encounters of the third kind ne pouvait être autre chose qu'un divertissement!); les fans du réalisateur qui ne se reconnaissaient pas dans le film; une partie de la population Américaine, notamment les Afro-Américains qui ne se reconnaissaient pas dans les maladresses du film... Après Empire of the Sun, puis les oeuvres ambitieuses (Et parfois à peu près ratées, voir Amistad) qui ont suivi, on sait enfin qu'il y a du David Lean chez Spielberg, et que cette caractéristique du réalisateur, qu'on aime les films concernés ou non, est indissociable des autres films de son oeuvre. Lincoln est pour moi le film le plus abouti de cette veine, celui qui nous permet au mieux de voir l'humanisme du réalisateur à l'oeuvre.  

Ce n'est pas un biopic, ce genre d'exercice étant désormais réservé à la télévision. Le film se concentre sur la toute dernière période de la vie du Président entre janvier et avril 1865: il a été brillamment réélu (Alors que son élection en 1860 était surtout due à la présence de quatre "gros" candidats, dont deux dissidents, témoins d'une période de rupture imminente entre les états du Nord et ceux du Sud); le président a déjà fait son discours le plus fameux (The Gettysburg Address, que beaucoup connaissent déjà par coeur, la première scène en atteste). Il est déjà statufié, et le film comme en écho, le montre souvent au travers de dispositifs qui apportent une nécessaire distance entre lui et nous, spectateurs: lumières, vitres, objets font déformation ou obstacles, nous empêchent de nous approcher de trop près. Pourtant, l'intrigue se déroule dans une situation politique très identifiée: le Président a une majorité confortable au Sénat et relative à la Chambre des Représentants dont les membres Démocrates entendent bien faire la poche de résistance à celui qu'ils considèrent comme un dictateur (beaucoup d'entre eux sont hostiles à la guerre depuis le début et sympathisants pour une large part du combat pour garder l'esclavage). Il sait la fin de la guerre proche, et compte malgré tout faire passer un amendement révolutionnaire à la constitution, le 13e: un décret qui reconnaîtrait l'égalité entre les Noirs et les Blancs et abolirait l'esclavage pour toujours. Son problème: il a certes fait ratifier le projet sans aucun problèmes au Sénat, mais il a besoin d'une majorité des deux-tiers à la Chambre des Représentants, et ce n'est pas gagné; il lui faut donc non seulement concilier les voix des Conservateurs Républicains de Preston Blair, partisans d'une paix rapide, quitte à abandonner l'émancipation des esclaves, et les Républicains radicaux rangés autour du bouillonnant Thaddeus Stevens, partisans d'une égalité totale, légale comme raciale, dont les autres factions politique ne veulent absolument pas; il lui faut aussi convaincre un certain nombre de Représentants Démocrates, en particulier ceux qui n'ont pas été réélus et sont donc en train de finir un mandat plus libres que s'ils avaient à adhérer à une stricte discipline de parti.

A coté de ces péripéties, deux sous-intrigues viennent s'ajouter: d'une part, la volonté de Robert Lincoln, l'aîné des enfants, de s'engager à son tour (Son frère a été tué) embarrasse ses parents, en particulier Mary "Molly" Lincoln qui ne s'est jamais remise de la mort de son fils, et d'autre part, Preston Blair a été en douce négocier une tentative de paix avec les Confédérés, ce qui va embarrasser Lincoln puisqu'il sait que toute chance de paix à l'amiable sera saisie par ses adversaires comme une opportunité de se débarrasser du 13e amendement, un texte impopulaire que la plupart des Représentants s'apprêtent à voter la mort dans l'âme, comme un moyen de finir la guerre plus que comme une occasion d'abolir l'esclavage...

Le film de Spielberg, tout en tractations politiques comme captées par une caméra qui aurait su remonter le temps, montre bien la situation en cet hiver 1864-1865 dans sa complexité, et fait le deuil de l'image d'Epinal d'une Amérique divisée en bons Abolitionnistes et en méchants Esclavagistes: la plupart des gens du Nord ne veulent pas, y compris d'ailleurs après avoir voté le texte, qu'on les considère comme des égaux des Noirs. Les "braves gens" adhèrent au texte uniquement parce qu'on leur a dit que ce serait un moyen de finir la guerre, sinon ils admettent qu'ils n'en veulent pas. La perspective pour eux de voir débarquer dans le nord des hordes d'esclaves libérés leur fait tout simplement peur! Le passage de l'amendement au Congrès fait donc d'autant plus figure de progrès tangible que la situation n'y est pas favorable. A cette situation vient s'ajouter un dilemme passionnant: alors que les émissaires (Trois politiciens du sud, dont rien moins que le Vice-Président des Etats confédérés) sont là, Lincoln doit-il les rencontrer et négocier la paix, qui ne pourrait que résulter de l'entrevue, privilégiant l'intérêt général sur le passage du 13e amendement qui serait de fait sacrifié sur le socle d'une entente commune entre le Nord et le Sud, ou doit-il ignorer ces possibilités de paix, et continuer une guerre meurtrière parce qu'il sait que la possibilité d'établir une véritable égalité est nécessaire, et doit être opérée séance tenante? 

Son choix s'explique de multiples façons, il en donne pour sa part plusieurs lectures: la version officielle, à savoir que l'égalité est la raison d'être de la guerre (Même si d'autres considérations plus économiques et inavouables sont alors passées sous silence); il serait absurde de tout effacer pour recommencer exactement comme avant. Mais la raison plus complexe qui nous est donnée par le président est la suivante: il a déjà proclamé l'émancipation des esclaves, sans passer par la case du Congrès. Il lui faut donner une légitimité à un acte pour lequel il a été vivement (Et, si on se réfère aux codes en vigueur, justement) critiqué, il lui faut donner une véritable dimension politique à un processus qui doit être aussi inéluctable que possible...

 

Les personnages qui comptent sont nombreux dans le film, et Spielberg a su éviter tout manichéisme facile; certes, Lee Pace (Représentant Woods, Démocrate) abuse des effets de manche dans ses réquisitoires anti-égalité, mais son style est en tous points semblable à celui des autres orateurs d'un age qui n'avait pas peur de l'emphase en politique, et la colère des Démocrates n'est pas loin d'être relayée par les bougonnements des Républicains qui ne veulent pas qu'on les assimile aux Noirs... Seul Thaddeus Stevens (Tommy Lee Jones, magistral), Représentant de Pennsylvanie, est pour l'égalité sans conditions; il lui faudra d'ailleurs manger une partie de son chapeau pour faire avancer les votes! A la fin du film, Spielberg éclaire d'un jour tendre la réalité historique: Stevens était de notoriété publique en concubinage avec sa gouvernante noire, ce qui a fait de lui, et de façon durable, un paria (Voir le portrait ignoble que Griffith fait de lui dans The Birth of a nation). Quant à Lincoln, une conversation avec la dame de compagnie de son épouse, une ancienne esclave (Lisa Bonet) éclaire une certaine ambiguïté: il admet après toute cette histoire qu'il va lui falloir lui même s'habituer à la présence future d'anciens esclaves dans la société... Il n'est pas un partisan de l'égalité totale (tous les témoignages historiques concordent en ce sens), il est juste mû par deux sentiments: une certaine pitié à l'égard des esclaves dont les souffrances l'ont toujours ému, et le fait de se dire qu'il est des évolutions nécessaires de la société qui doivent parfois être opérées contre son gré. Kaspi dans son Histoire des Etats-Unis nous révèle un Président Lincoln pas si abolitionniste que l'on aurait pu le croire, et Spielberg et Daniel Day-Lewis sans trop pousser l'ambiguïté, le suivent: Lincoln incarne, avec le talent exceptionnel de l'acteur, une certaine figure du sacrifice politique, tout en étant dépeint comme un stratège génial, un manipulateur surdoué, un homme capable de raconter les anecdotes les plus inattendues quand il s'agit de temporiser. Un politicien moderne donc...

Spielberg n'a jamais caché ses sympathies pour l'actuel Parti Démocrate, et son engagement bienveillant auprès de Barack Obama (Un autre Président progressiste/centriste issu du même état, L'Illinois). Il est impossible de ne pas y penser devant ce film rassembleur... La principale force de ce film intelligent, c'est de montrer avec un minimum de nécessaires raccourcis la complexité de la politique Américaine telle qu'elle naît de la guerre de Sécession, et telle qu'elle est encore; l'humanisme d'un Lincoln, qui fait en sorte que son héritage pour les Etats-Unis soit finalement de rassembler sur des idées qui ne sont pas que les siennes, et qui ne sont pas nécessairement ses idées du reste, et de faire bouger les lignes, les convictions, et de dépoussiérer un peu les conservatismes. Le Parti Républicain, bâti sur les ruines du vieux Parti Whig, était alors une force de progrès (Ce qu'il n'est bien sûr plus, mais alors plus du tout, et surtout depuis 2016 et son éclatement entre chaos et vulgarité!), qui nous est montrée de l'intérieur dans ce film.

Le fait que Spielberg ait souvent recours à l'humour n'empêche pas la gravité de la situation d'être souvent palpable, et la guerre, bien que réduite à bien peu d'images, est bien là. On applaudira une superbe ellipse, le fait qu'on n'aura pas le passage obligé du théâtre Ford, déjà couvert par Griffith à deux reprises (Birth of a nation,1915, puis Abraham Lincoln, 1930). En lieu et place, on pense plutôt à John Ford devant une scène durant laquelle Lincoln se rend vers son destin, de dos, vu par un vieux domestique. La scène est poignante, non seulement parce que l'on sait qu'il va vers sa mort, mais aussi parce qu'il apparaît comme une personne profondément touchante, un homme qui a dédié sa vie à un idéal politique qui est en train de s'accomplir, et qui n'ira hélas pas au bout de ses désirs de légèreté et de rapprochement avec son épouse (Sally Fields): ils ont parlé de voyager pour s'aérer l'esprit et retrouver un peu de tranquillité après les quatre années de guerre; là encore, on pense à Ford et à The man who whot Liberty Valance lorsqu'il nous montre le vieux Sénateur Ransom Stoddard (James Stewart) qui retourne chez lui en train et parle de lever le pied une fois rentrés à Washington. Daniel Day-Lewis, pour sa part, n'est pas indigne du portrait de Henry Fonda en Young Mr Lincoln. Et franchement, ce n'est pas rien.

Bref: un chef d'oeuvre, qui nous réconcilie avec la politique... à quand une réconciliation dans la vraie vie?

...pas pour tout de suite.

 

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Published by François Massarelli - dans Steven Spielberg
21 juillet 2023 5 21 /07 /juillet /2023 14:59

War Horse appartient à la veine épique de Spielberg, celle qu'il a inauguré avec The color purple en 1985, et qui a produit des films souvent mal accueillis (Empire of the sun), parfois avec raison (Amistad), mais aussi des triomphes justifiés (Schindler's list, Saving Private Ryan). Depuis Munich, on avait le sentiment que cette facette du metteur en scène était en sommeil, d'autant que son grand projet sur Lincoln semblait ne jamais devoir aboutir... Et puis comme d'habitude tout a été très vite: spielberg a vu la pièce tirée du roman de Michael Morpugo, Dreamworks s'est saisi du film, Spielberg a travaillé en collaboration avec Richard Curtis, réalisateur mais surtout scénariste Anglais. Le travail avec Curtis a poussé Spielberg à ne pas se contenter de la casquette de producteur, et il est donc devenu le réalisateur, d'autant que le travail d'animation sur The adventures ofTintin le contraignait à attendre. Comme à son habitude, le metteur en scène a fait en sorte que les choses se fassent en grand, et très vite.

Et le 26e long métrage de Steven Spielberg, s'il n'a semble-t-il pas attiré les foules de ce coté-ci de l'Atlantique, est une nouvelle preuve de la maitrise de son cinéma. Bien sur, il faut un minimum de foi et de romantisme pour s'y abandonner, mais une fois dans le film, on est en belle compagnie, le cinéaste y payant sa dette envers les plus grands, ses maitres, David Lean pour le souffle épique ou John Ford pour le sentimentalisme comique du début, mais aussi d'autres distingués collègues, dont Terrence Malick. Enfin, il retourne un peu à l'implication personnelle qu'il a pu avoir dans d'autres projets plus connus ou plus personnels.

Dans le Devon, au début du siècle, une famille de fermiers (Dont la terre appartient à un riche propriétaire, David Thewlis) se retrouvent flanqués d'un cheval, un demi pur-sang, suite à une enchère au cours de laquelle le père de famille Ted Naracott (Peter Mullan) a acheté la bête par fierté, pour montrer à son propriétaire qu'il le pouvait. Mais leur situation financière ne le leur permettait pas, et pour pouvoir trouver l'argent du loyer, il va falloir que le cheval travaille, ce pour quoi il n'est pas vraiment taillé. Mais l'abnégation du jeune fils Albert (Jeremy Irvine) et sa complicité avec le cheval qu'il a nommé Joey vont accomplir un miracle. Mais ce miracle est de courte durée, la malchance et la météo ayant finalement raison des récoltes. La guerre arive et le père décide de revendre Joey à l'armée. Albert se jure de le retrouver...

Joey se trouve donc dans la cavalerie Britannique, attaché à la personne du capitaine Nicholls (Tom Hiddleston), qui a compris le lien fort entre Joey et Albert et s'est juré de respecter et aimer l'animal... mais la première charge est fatale à Nicholls.

Joey est alors recueilli par des fantassins Allemands, dont deux jeunes frères (Leonard Karow et David Kross); l'un d'entre eux est trop jeune, et son frère s'étant promis de veiller sur lui, ils désertent tous les deux en compagnie de Joey...

Puis Joey se retrouve pendant quelques temps dans une petite maison Française, à coté d'un moulin, recueilli en compagnie d'un autre cheval par un homme seul (Niels Arestrup) avec sa petite fille, Emilie (Céline Buckens). Joey et cette dernière auront une complicité proche de celle avec Albert; le cheval est de nouveau récupéré par l'Armée Allemande, en position de plus en plus difficile, et en 1918, le cheval et Albert, désormais engagé, sont à quelques mètres l'un de l'autre...

La ronde dont Joey est l'objet qui passe de main en main, permet à Spielberg de privilégier le point de vue du cheval. C'est son regard qu'on voit le plus souvent dans le film; on sait l'importance de ce sens dans les films de Spielberg, mais ici pour une bonne part nous assistons aux combats à hauteur de cheval... Mais d'autres scènes font appel à la fonction de voir, à commencer par une superbe scène située sur la fin, durant laquelle le cheval est coincé dans le no man's land, entre les tranchées, et les soldats Français comme Allemands s'efforcent de définir quelle est cette forme qui bouge, au milieu de la fumée et de la brume. Mais à la fin, c'est un Albert privé de sa vue par les gaz qui va "trouver" Joey... la ronde a pour objectif de placer le film du coté du conte, de la fable, et de fait le metteur en scène n'hésite pas à mêler le réalisme des combats avec la naïveté et les invraisemblances, principalement des coïncidences, dans l'histoire. Donc une fois de plus, il faut se souvenir d'Hitchcock et de ses diatribes contre ceux qu'il appelait des "Vraisemblants". L'essentiel dans ce film, c'est qu'il ne rate pas sa cible, ou plutôt ses cibles. Le fait que le film utilise le point de vue d'un cheval, considéré comme un être vivant par les uns, comme du matériel par les autres (les officiers notamment), permet à Spielberg de montrer l'évolution technologique de la guerre en même temps que son évolution dans le temps.

La première bataille est un modèle du genre, une scène lyrique, superbe, et profondément ironique: les cavaliers Britanniques vont se lancer, bénéficiant de l'effet de surprise, sur un cantonnement Allemand. Ils vont fondre sur eux, et tous sont persuadés que cela va être rapide, et que la guerre même sera finie en quelques semaines. L'attaque, magnifiquement orchestrée, se déroule comme prévue, avec des plans superbes qui renvoient au viol de la nature par l'armée dans les films de Malick, des cavaliers qui piétient un champ. Les chevaux se voient à peine. La caméra adopte le plus souvent deux points de vue: celui des Allemands que l'attaque surprend d'une part, et un mouvement de droite à gauche (C'est à dire le mouvement le plus souvent des antagonistes), ce qui fait effectivement des Anglais les agresseurs. Mais le mouvement de fuite des fantassins sou la puissance de la charge s'arrête... sur une mitrailleuse; et à partir de là, le processus s'inverse, et les cavaliers Anglais sont décimés. Ils avaient tort: les Allemands ont anticipé, ils ont tout simplement réfléchi, et contrairement aux cavaliers Anglais, qui vivent toujours au XIX' siècle, ...ils ont évolué. D'une manière générale, Spielberg évite le piège de la prise de parti, et nous montre les souffrances des deux cotés.

Le suspense intervient dans le film, mais jamais à des proportions essoufflantes comme dans War of the worlds ou Jaws. Il s'agit ici de scènes courtes, comme celle durant laquelle Albert croit être suivi dans une tranchée par un Allemand, alors qu'il s'agit d'un copain; ou lorsque Emilie monte Joey pour la première fois, et qu'elle disparait. Le grand-père se précipite, et de l'autre coté de la butte qui l'empêchait de voir sa petite fille, il la voit, montée sur le cheval, se démenant contre des dizaines de soldats Allemands (Cette scène est un écho d'une autre scène de War of the worlds, lorsque le fils quitte Tom Cruise pour rejoinde l'armée). Des moments fulgurants, donc. Mais les péripéties du cheval, qui se promène au gré d'un conflit dont nous connaissons de toute façon l'issue, sont surtout pour Spielberg l'occasion de révéler la nature des êtres: le fils du propiétaire, envoyé au combat (Un officier, bien sur) dans la même compagnie qu'Albert, et qui continue à se comporter avec condescendance, avant qu'Albert ne lui sauve la vie; les petits et les sans-grades, qui recueillent volontairement ou non Joey et en tombent amoureux; cette scène superbe et douce-amère, durant laquelle les tranchées s'impoent une trève, et deux troufions, un Allemand et un Anglais, fraternisent le temps de dégager Joey des griffes du barbelé... Joey traverse la guerre comme un révélateur, il renvoie les hommes à leur humanité. Et c'est là sans doute que le dernier miracle s'accomplit, le sens de cette dernière scène presqu'onirique, en silhouette. joey est un miracle, le garant de l'humanisme de ceux qui le cotoient. il est aussi sublime que peuvent l'être les moments forts des films de Frank Borzage, ces instants ou tout basculent, dans des films taillés pour regarder en l'air. Bref, il n'a pas grand chose à voir avec le cynisme ambiant, voilà la raison pour laquelle le film est à voir avec une âme d'enfant...

Peu de choses à regretter dans ce film, sauf peut-être cette manie qu'a le réalisateur d'utiliser la convention de langage de faire parler les acteurs en Anglais, mais avec l'accent (Allemand ou Français) de leur nationalité. Si c'est pour les faire parler Anglais, pourquoi faire intervenir des acteurs nationaux? On avait déja cette tendance dans Schindler's list. Mais c'est un petit détail, une goutte d'eau, dans ce qui est un film de Spielberg très accompli, fédérateur, qui nous parle d'une rencontre, d'un échange, et qui renvoie à sa vision du sacré, comme le faisaient E.T. et Close encounters of the Third Kind.

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Published by Allen john - dans Steven Spielberg Première guerre mondiale
12 juillet 2023 3 12 /07 /juillet /2023 16:26

C'est bien sûr un choix délibéré de laisser le titre Anglophone de ce bien étrange film, un projet de longue date pour Spielberg qui avait d'ailleurs exorcisé sa frustration de ne pouvoir le réaliser, en créant en 1980 le personnage d'Indiana Jones. D'où une question: pourquoi revenir à la charge?

Sans doute parce que, comme avec Jurassic Park, la technique qui évolue sans cesse et rend soudain des choses qui étaient auparavant impossible, parfaitement réalisables? Et comme Spielberg voulait animer tant que faire se peut les dessins d'Hergé, il est donc revenu à ce projet et avec l'aide non négligeable de Peter Jackson, co-producteur et quasi co-auteur, il a donc donné vie à ce projet insensé...

Ca part très bien: on replace l'intrigue du Secret de la Licorne dans un nouveau contexte et avec l'aide du Crabe aux pinces d'or, on rejoue la grande scène de la rencontre en Haddock et Tintin. Mais surtout, le début est très proche d'Hergé, qui apparaît dans un petit rôle... Spielberg table comme il le fait toujours sur des jeux de regards, le générique nous prévient qu'il sera question de bande dessinée à l'ancienne, quelques scènes de l'exposition sont brillantes.

L'animation (en motion capture) est assez peu convaincante, mais ça passe, et puis... ca se met à bouger dans tous les sens, avec cette manie de ne jamais reposer la caméra, vous savez, cette sale et insupportable bougeotte que Peter Jackson a imposé dans le Seigneur des anneaux... Andy Serkis (Haddock)en fait des tonnes, et ça devient un assez médiocre film d'action. Pléonasme, d'ailleurs...

Il me reste à conclure que ce qu'on attend d'une adaptation de Tintin et ce qu'un Américain (et un Néo-Zélandais) peuvent en voir, de leur côté, sera forcément différent. Donc d'un point de vue Tintinesque, c'est effectivement un renez-vous cruellement manqué... Mais en tant que film tout court (qui comme toute adaptation) n'a pas besoin qu'on connaisse l'original, c'est un exercice excessif et caricatural...

Dommage, donc.

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Published by François Massarelli - dans Steven Spielberg Animation
10 juillet 2023 1 10 /07 /juillet /2023 15:19

19 ans après The last crusade, avait-on besoin d'un quatrième opus? et pourquoi pas... jusqu'à un certain point. Spielberg, en 2008, de son propre aveu, est "passé à autre chose", principalement des "drames historiques" et des films lourds et ambitieux. néanmoins, on sait aujourd'hui que l'appel de l'aventure et de la série débridée n'est jamais facile à rejeter quand on est très désireux de se lancer dans une aventure à la Tintin, voire dans un Tintin tout court... Donc, le vrai adieu à Indiana Jones se situe ici, dans cette dernière aventure en forme de baroud d'honneur avant de passer à l'hommage directe à l'oeuvre source, via un partenariat avec Peter Jackson autour de quelques albums de Tintin.

Dans ce quatrième opus, donc, Henry Jr "Indiana" Jones est dès le départ dans le feu de l'action, kidnappé en plein exercice de son métier par des Soviétiques (on est en pleine guerre froide) qui ont besoin de lui pour trouver un artefact dans la Zone 51... La suite, de coup de théâtre en explosion de bombe nucléaire, de pursuite en moto en sables mouvants, est aboslument impossible à raconter. Admettons que le film commence par la séquence la plus brillante du film...

 

Si on se réjouit de l'humour et de la maestria de Spielberg devant un film qu'il juge lui-même inutile, mais certainement défoulatoire, le principe du 'toujours plus' oblige ici les concepteurs (George Lucas, mais aussi le scénariste David Koepp) à vouloir aller plus loin que le Saint Graal du dernier opus, d'où cette abracadabrante histoire de rencontre du troisième type. Bon, au moins on peut dire qu'ici Spielberg se livre à une sorte de bilan personnel, admettons qu'il est intéressant de voir Indiana Jones renouer avec Marion (Raiders of the lost ark), devenir papa, et inverser la dynamique de The last crusade, et se livrer à ses bonnes vieilles habitudes: se battre d'une voiture à l'autre, passer des chutes d'eau en voiture amphibie, le tout malgré l'age... Les nazis d'antan sont remplacés par des Russes, menés par une Cate Blanchett jubilatoire tellement elle ressemble à un cliché de la guerre froide, les amis sont des agents doubles qui sont des agents triples, bref tout ça n'est pas sérieux, et jusqu'au maelström d'excès final, on sourit, on rit, on s'amuse.

Et Spielberg signe son film de multiples façons, par un savoir-faire jamais démenti ici, une faculté à triompher de chaque écueil technique: cascade, intégration de CGI, et défis permanentes. Par exemple, il va ici figurer un test d'explosion nucléaire vécu de l'intérieur, et nous rappeler que dans Indiana Jones on n'a pas peur des images horrifiques en nous montrant l'effet d'un soldat soviétique plongé dans une colonne de fourmis... son utilisation du signe cinématographique est toujours aussi virtuose (voir la première séquence et la façon dont l'image cadre le chapeau pour délayer l'inévitable révélation... Ou encore l'habituelle ouverture sur la montagne Paramount qui se mue en... terrier de chien de prairie!). Et surtout, le thème récurrent dans son oeuvre trouve une de ses illustrations les plus inattendues dans ce film d'aventures qui reconstitue, en dépit de toute vraisemblance, une famille nucléaire (hum), une vraie!

...Mais qui a donc pondu un titre aussi idiot? et pourquoi pas Attack of the clones, tant qu'on y est?

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Published by François Massarelli - dans Steven Spielberg