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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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9 avril 2013 2 09 /04 /avril /2013 18:00

Avec ce petit film (Situé après The Shamrock Handicap, puis Three bad men, et avant Upstream, le premier film dans lequel Ford s'appliquera à retranscrire dans son style l'influence Européenne, dont celle de Murnau), Ford dit semble-t-il adieu à un certain style de cinéma, auquel il reviendra de façon sporadique dans sa carrière : un certain cinéma d'aventures sans grande prétentions... Il y retrouve certains de ses interprètes des films précédents, notamment George O'Brien (The Iron Horse, Three bad men) et Janet Gaynor (The Shamrock Handicap). L'intrigue est centrée sur deux marins, des « blue eagles », George et Big Tim, qui sont rivaux depuis des années, notamment auprès de la jolie Rose Kelly, qui n'a pas encore réussi à choisir entre les deux. Rentrés au pays après la guerre, les deux Américano-Irlandais vont pourtant devoir mettre leur diférent de côté afin de s'unir contre les mauvaises influences du gangstérisme et de la drogue qui menace la jeunesse Américaine...

 

On voit bien à la lecture de ce résumé que le film est à prendre au second degré, un petit film (Sept bobines à l'origine, dont 6 survivent) destiné à donner une fois de plus une impression de couleur locale dans la peinture des immigrants d'origine Irlandaise, leur tempérament un brin volatil, et leur bon cœur proverbial. Erotisé à l'extrême dans une première séquence qui le voir tomber la chemise et suer dans la fournaise de la salle des machines d'un bateau, George O'Brien prête son imposante musculature à un personnage de grand frère un peu trop vertueux pour ne pas être totalement ennuyeux, et il ne fait aucun doute que c'est lui qui gagnera le cœur de Janet Gaynor, même si le film est loin d'être Sunrise! Au passage, mentionnons que parmi les autres personnages, Margaret Livingston est également présente, mais dans un rôle bien éloigné de la "vamp de la ville" qu'elle jouera dans le chef d'oeuvre de Murnau. Dans ce qui reste un petit film sans prétentions qui n'apporte ni n'enlève quoi que ce soit au mythe de John Ford, on remarquera peut-être une petite touche de mise en scène, un petit rien : un personnage resté à l'écart d'une salle où figurent des gangsters s'approche un peu trop près de la vitre pour regarder à l'intérieur : deux trous viennent soudain marquer la vitre, et l'homme s'effondre... Pour le reste, pour un film mené tambour battant et dans lequel Ford réussit à éviter de trop se laisser aller à son sentimentalisme proverbial (Ici, il n'en a décidément pas le temps), on ne se plaindra pas !

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Published by François Massarelli - dans John Ford Muet 1926
3 mars 2013 7 03 /03 /mars /2013 09:38

En Irlande, Sir Miles O'Hara (Louis Payne) est au bord de la ruine; il tente bien de vendre sa seule richesse, le cheval dark Rosaleen, mais heureusement pour sa fille, Sheila (Janet Gaynor), il n'y parviendra pas; l'acheteur potentiel (Orville Finch, inteprété par Willard Louis) ne partira pourtant pas les mains vides, repartant aux Etats-Unis avec un des employés, Neil Ross (Leslie Fenton), dont la démonstration des talents de cavalier a particulièrement plu à Finch, qui envisage de le faire courir pour lui. Ross part aux Etats-Unis, et la famille O'Hara va le rejoindre avec Dark Rosaleen pour une course importante, mais Neil a eu un accident très grave, qui l'empêche désormais de courir...

 

L'Irlande et John Ford, c'est finalement une histoire plus compliquée qu'il n'y parait: le metteur en scène n'a jamais perdu une occasion de rappeler ses origines, et de donner des gages d'Irlandisme en référant à sa naissance (Qui a eu lieu en fait dans le Maine), sa culture (La même que celle d'un John Wayne ou d'un Raoul Walsh, mais probablement racontée avec plus de digressions...) et des opinions politiques qui tiennent plus du folklore que de la vraie réflexion; si The quiet man (1952), qui reste un admirable film, montre bien le coté conte de fées de ses vues sur l'Irlande, relayé par l'inoffensif (Et assez ennuyeux) The Rising of the moon tourné sur place, on peut aussi voir de quelle manière la cause Irlandaise a donné lieu à des films aux fortune artistiques variées durant les années 30: The informer (1935) et The plough and the stars (1936). Pour le reste, Ford a surtout insisté sur les personnages d'Irlandais, toute sa carrière, dans les films de cavalerie notamment, avec l'inévitable Sergent Quincannon de Victor McLaglen, et a beaucoup poussé le bouchon du sentimentalisme imbibé de whisky... Dès les années 20, J. Farrell McDonald jouait inavariablement des Irlandais alcooliques au gand coeur, dans The Iron Horse ou Three bad men...

 

Durant la période muette du réalisateur, à la Fox, trois films pourtant sont là pour témoigner d'une tentation déjà vivace de tourner des sujets Irlandais; l'un est artistiquement remarquable, The hangman's house sous la nette influence de Murnau, l'autre est une aimable bluette, ce film; il est difficile de rendre compte du troisième, Mother Machree, mutilé et préservé dans d'abominables copies incomplètes. Ce film est donc, en 1926, l'une des premières incursions de Ford dans l'Irlandisme de pacotille qui dominera son oeuvre; on note qu'après tout la principale leçon du film reste qu'une fois arrivés aux Etats-Unis, les différences sociales entre "Sir" O'Hara et son employé Con O'Shea (J. Farrell McDonald) disparaissent au profit d'une vraie égalité, qui n'empêche ni l'affection ni le respect de l'employé à son patron. On voit aussi que le passage par les Etats-Unis, puisque tous en reviennent riches, est une façon de grimper l'échelle sociale à coup sur. Le film est charmant, drôle, avec de nombreux gags à connotation raciale, mais rarement méchants, souvent autour de la légendaire inimitié entre les Juifs et les Irlandais; Leslie Fenton y est un héros assez pale, et Janet Gaynor, encore bien jeune, est sous-employée... Ca ne durera pas, heureusement. On voit ici un thème cher à Ford, le plus souvent montré sous une lumière dramatique, celui d'une entraide assumée par un groupe en proie aux difficultés; ces difficultés sont ici économiques, le groupe étant une écurie de course, dont les membres sont soudés autour de leur champion. Finalement, ces 66 minutes passent comme un petit nuage...

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Published by François Massarelli - dans John Ford Muet 1926
1 mars 2013 5 01 /03 /mars /2013 15:59

Revoir enfin Sparrows dans une copie restaurée nous permet de conclure inévitablement que c'est non seulement le meilleur film disponible de Mary Pickford, mais c'est aussi une oeuvre essentielle du cinéma muet: cette histoire d'orphelins exploités, martyrisés, pourchassés alors que la plus âgée d'entre eux veille sur eux, le tout dans un marais menaçant, aurait pourtant tout pour appartenir au pire mélodrame, mais le goût dont ont fait preuve les auteurs (Beaudine et Pickford, productrice et comme elle se définissait elle-même, et propriétaire de ses films, comme Douglas Fairbanks) et le savoir-faire des techniciens et acteurs font merveille de bout en bout...

Une baby-farm, dans les années 20: un lieu ou des orphelins ou des enfants fugueurs sont vendus ou placés (Notamment par des filles-mères), et exploités sans vergogne par des gens sans scrupules. Ici, les "Thénardier" sont M. et Mme Grimes (Gustav Von Seyffertitz et Charlotte Mineau), et avec eux leur fils Ambrose (Spec O'Donnell). La ferme est située dans un horrible marais quelque part dans le bayou, infesté d'alligators, et pour veiller sur les enfants, il y a la petite Molly (Pickford), surnommée Mama Molly par les plus jeunes... Impossible de s'évader, les marais en sont la meilleure garantie, et du reste les enfants sont trop jeunes, surtout la petite Amy, le bébé, qui est bien malade... un jour, pourtant, les Grimes accueillent un enfant de riches, une petite fille qui vient d'être kidnappée... La mission est de garder la petite au chaud sans trop poser de questions, pendant que la demande de rançon s'effectue...

Comme toujours, la production de ce film a été particulièrement soignée, avec le retour derrière la caméra de William Beaudine, qui avait déjà tourné Little Annie Rooney pour Pickford. La photographie était signée de trois génies, Hal Mohr, Karl Struss et Charles Rosher: celui-ci avait préparé le tournage en se rendant en Allemagne pour observer le plateau de Faust, et allait ensuite, en compagnie de Struss, prendre en charge l'image de Sunrise, ce qui situe quand même bien le niveau de qualité. L'ensemble de la distribution est splendide, et le film, précurseur de Night of the hunter, aurait fait un scénario parfait pour un long métrage d'animation Disney du meilleur tonneau. Totalement convaincant, et prenant de bout en bout, le film réussit à tous les niveaux à faire exactement ce que voulait Mary Pickford: ne pas (trop) prêcher, distraire... Et inquiéter aussi, car ce conte gothique se situe quand même dans un environnement cauchemardesque à souhait, et Gustav Von Seyffertitz, absolument impeccable dans son rôle, compose un personnage à la Nosferatu.

Bien sûr, comme tant de films de l'époque, une dose de religion fait son apparition, par exemple une scène difficile de prime abord (la mort d'un enfant), mais vue à travers les yeux d'une enfant (Ou d'une adolescente): elle rêve de l'apparition du Christ qui vient délicatement lui prendre l'enfant des mains... Le point de vue de la jeune fille, qui lisait quelques heures auparavant un livre illustré sur la vie du Christ, permet de faire passer en douceur l'image, sans pour autant en imposer la vision religieuse au public... et le film est tellement beau à voir, que cette scène passe toute seule. A plus forte raison dans la superbe restauration effectuée par la bibliothèque du Congrès, publiée en Blu-ray par Milestone...

La force de son histoire, la dose savante de suspense, et le savoir-faire de toutes les personnes concernées n'ont pas empêché ce film d'être un relatif échec au box-office. Les adieux de Pickford aux rôles d'enfants (Elle avait, après tout, 33 ans au moment du tournage de ce film) ne déboucheront donc pas sur l'adhésion publique escomptée. C'est dommage, mais on peut comparer cette relative déception avec celle de la sortie de The black pirate, le film contemporain de Fairblanks, qui n'a pas non plus drainé les foules... les deux films ont été présentés en même temps, lors de la même soirée... Bon, on se l'invente, cette machine à remonter le temps?

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1926 Mary Pickford **
29 décembre 2012 6 29 /12 /décembre /2012 10:48

Faust est sorti en novembre 1926, et ce qui est remarquable, c'est que la sortie aux Etats-Unis a suivi seulement deux mois plus tard; si on compare avec Tartüff (présenté le 20 novembre 1925 en Autriche, puis en janvier 1926 à Berlin), il faut savoir que ce film antérieur sera présenté aux Etats-unis après la sortie de Faust. Ce dernier, il est vrai, faisait partie d'un accord de distribution entre la UFA, la paramount et la MGM, sous le nom de ParUfaMet, qui était suposé assurer les sorties de films Allemands sur le territoire Américain en échange d'un substantiel accord de distribution des films Américains des deux films sur le territoire Allemand... Mais Faust, s'il restait un "Film Allemand", donc probablement une oeuvre qui restait cantonné au circuit de cinéma artistique des grandes villes, a probablement aussi bénéficié de la réputation du film que beaucoup avaient vu en Allemagne durant cette période d'échange (C'est Carl Laemmle qui allait en assurer la distribution, par le biais de la Universal): Der letzte Mann, (Le dernier des hommes). La situation a donc bien changé depuis les débats sans fin dans les démocraties, en 1920, sur l'opportunité de montrer ou non un film certes remarquable, mais "Boche": Das Kabinett des Dr Caligari, de Robert Wiene.

 

Au moyen âge, dans une ville Allemande qui est au centre d'un conflit entre Satan et un archange, Faust, un vieux scientifique, peine à lutter contre une épidémie de peste. Il est amené à faire un voeu afin de trouver la puissance nécessaire à son dessein: il troque son âme contre le pouvoir de vaincre la maladie. mais très vite reconnu comme un asocié du Diable, il veut mourir. Méphisto lui propose alors de trouver l'oubli dans une jeunese retrouvée... Faust va se perdre dans le plaisir, et finira par rencontrer dans une petite ville la belle Gretchen, dont il causera la perte, avec la complicité de l'abominable Mephisto...

 

Produit par la UFA, Faust était conçu par Murnau comme une somme de ce que le cinéma Allemand pouvait produire, et toute la firme semble y avoir été consacrée, avant qu'un autre film ne prenne toute la place, au point de risquer de couler le studio: Metropolis, le film du grand rival Fritz lang, n'est sorti qu'en janvier 1927, et sera moins fêté que son prédecesseur... Ce sera la fin du règne artistique de la UFA, mais n'anticipons pas; du reste, à ce moment, Murnau sera déjà à Hollywood, à préparer son film suivant, pour William Fox... Le film a bien failli bénéficier de la présence d'une star Américaine, et non des moindres, puisque Faust était aussi un projet de... Lillian Gish, qui avait à un moment envisagé de le faire avec rien moins que Griffith lui-même... Mais c'est une autre  interprète qui sera la Marguerite de Murnau: la jeune Camilla Horn , auparavant doublure de Lil Dagover sur Tartüff. elle est accompagnée de quatre autres interprètes essentiellement: le Suédois Gösta Eckman, dans le rôle de Faust, la Française Yvette Guilbert, et Whilhelm Dieterle, sans oublier la star du film, Emil jannings, en Mephisto. Celui-ci semble engagé dans une démonstration de force de son jeu hérité de l'expressionisme... D'ailleurs, s'il entendait que son film présente la méthode UFA, Murnau a surtout fait en sorte qu'il soit une excellente introduction à la méthode Murnau, et aux façons dont le metteur en scène avait intégré l'expressionisme ... celui dont on (Lotte eisner, Karl Freund entre autres) a prétendu qu'il n'était pas vraiment l'auteur de ses films, puisqu'il faisait faire le travail par les autres (!) savait en effet s'entourer: ici, il est assisté de Jannings donc, dont la contribution est essentielle; de Carl Hoffmann (Photographie), de deux décorateurs célèbres -et géniaux-, Robert Herlth et Walter Röhrig, qui avaient travaillé ensemble ou séparément sur Der müde Tod (Fritz Lang, 1921), Der Golem (Paul Wegener, 1920) et bien sur Das Kabinett des Dr Caligari... Quant au script, il était du à Hans Kyser, qui prenait la suite de Carl Mayer, l'auteur des deux précédents films de Murnau; celui-ci a aussi mis la main à la pête comme il le faisait habituellement en annotant énormément le scénario de Kyser. On le voit, le film se pose un peu en héritier du Caligarisme, ce qui se retrouve de façon claire dans le travail de studio: décors raisonnablement distordus et stylisés, utilisation extensive de l'ombre et de la lumière: Aussi bien comme un mode d'expression que dans l'histoire même, comme en témoigne le fameux plan où Jannings fait se balancer une lampe après avoir bouleversé les vies de Gretchen et Faust. Mais le film est aussi et surtout une oeuvre dans laquelle Murnau fait le point sur son propre style, en terme de composition picturale tout d'abord, puisque le film est un catalogue impressionnant de démarquages d'oeuvres existantes, reproduites et détournées au profit de l'intrigue; ensuite, Murnau est plus que jamais un maitre du plan, plus qu'un maitre du montage, et il le prouve en utilisant tous les moyens techniques mis à sa disposition pour que l'essentiel de l'action se passe dans le plan, et non par le biais de leur juxtaposition. Et il personnalise le film en y ajoutant une séquence qui renvoie à son propre passé d'aviateur, le voyage en tapis volant vu non du point de vue d'un "terrien" (Comme dans Der müde Tod, ou The thief of Bagdad), mais de ceux qui voyagent, en un magnifique ensemble d'images de maquettes parfaitement orchestrées... 

Le film est probablement l'oeuvre cinématographique qui a été le plus loin en matière de chiaroscuro, à la suite des peintres et artistes convoqués par Murnau: August Von Kreling ou Anton Kaulbach, qui ont tous deux illustré le Faust de Goethe, et son utilisation de la lumière renvoie aux grands peintres qui l'ont précédé de leur recherche en ce domaine: Mantegna, Vermeer, De la Tour, Rembrandt... il convoque Bosch aussi dans son portrait baroque du Moyen âge qui passe de plaisirs (La fête de village avec son montreur d'ours) en catastrophe (la peste) avant de virer au cauchemar (Les cadavres qui s'empilent)... et il fait de la lumière et de l'ombre des personnages du drame. D'ailleurs, si on peut diviser le film en cinq actes, on constate dans le troisième acte, qui correspond à l'arrivée de Faust et Mephisto au village, un changement profond et radical de l'image, qui est désormais filmée comme en plein jour, sans tous les artifices de cadrage qui ont précédé et qui suivront. mais suivant le désir de Mephisto qui étend sa domination sur Faust, l'obscurité, et avec elle l'étrange beauté de la composition, vont progressivement revenir pour les deux derniers actes, qui vont montrer l'irruption du crime dans le village, puis le calvaire de Gretchen suivi de la repentance de Faust...

 

Dans le film, on est frappé par le nombre de transformations par lesquelles passent les personnages, à commencer par Faust et Mephisto eux-mêmes bien sur. Mais ce recours à la transformation ne se limite pas à ces éléments du script, au passage de Faust d'un état de vieillard à celui de jeune homme, ou du modeste Méphisto en un élégant Diable d'opérette suffisant et même fringant; cette transformation passe par de nombreux artifices, surimpressions notamment, et par le jeu sur les plafonds bas en fausse perspective, ou les ombres; c'est troublant, et toutes ces transformations, comme d'ailleurs tous les éléments fantastiques (Fumées simulées par de la suie, utilisation du passage brutal à l'obscurité, apparition fondue d'un personnage dans le champ, survol de maquette dans la séquence du tapis volant, etc) ont lieu devant nous, directement dans le plan. Ce sera la même chose dans le film suivant, bien sur... Mais tout est déjà là, sous la baguette exigeante de Murnau (Et avec des collaborateurs différents, on notera au passage, ce qui tend à prouver s'il en était besoin combien Eisner et Freund ont tort!).

L'amour dans ce film, subit les mêmes avanies que dans tous les autres films de Murnau, à l'exception de Sunrise et Tartüff: à l'écart du bonheur, à l'écart tout court. On peut évidemment s'aventurer sur le terrain de l'homosexualité de Murnau et de sa propre expérience de l'amour, lui qui a pris comme pseudonyme professionnel le nom du village dans lequel il avait vécu le parfait amour avec un jeune homme maintenant décédé, et qui était selon tous les commentateurs l'amour de sa vie. Mais ce geste romantique n'est pas répercuté dans son cinéma, quoi qu'on en dise... Murnau se sera finalement souvent plus interessé à des voies en marge, à la stratégie d'Elmire pour reconquérir Tartuffe, à la fuite de Reri et Matahi dans Tabu plutôt qu'à leur amour, ou encore au sacrifice d'Ellen dans Nosferatu... Comme dans ces trois films l'amour est momentanément ou fatalement empêché par l'irruption d'un tiers (Vampire, Tartuffe ou vieux prêtre) mais le film a d'autres chats à fouetter semble-t-il que de vraiment s'intéresser à l'amour de ses protagonsites. Ici, le metteur en scène prend d'ailleurs un malin plaisir à gâcher la fête, en soulignant de façon peu subtile le bonheur un peu ridicule de Gretchen et Faust en montrant Jannings à son plus histrionique tentant de séduire Yvette Guilbert, dont le jeu n'est pas ici un modèle de subtilité... Toute la séquence du village, avant que Mephisto ne reprenne les rênes et abbatte ses cartes, semble tirée d'une quelconque opérette. Comme il le fera dans Sunrise, Murnau se vautre dans la comédie, ce qui est occasionnellement embarrassant, mais cela fait au moins avantageusement ressortir le reste...

Film-somme de son savoir-faire, Faust aura de l'influence, dans un grand nombre de domaines: le metteur en scène James Whale s'en souviendra pour ses Frankenstein, dont le sens de la transgression doit beaucoup à Nosferatu aussi; l'imagerie de Faust qu'il présente établit un lien entre Goethe et Gounod, entre la "légende Allemande" du sous-titre (Faust – Eine deutsche Volkssage) et la légèreté de l'opérette. Le film est une admirable leçon de cinéma, mais il souffre aussi, par endroits seulement, d'être une démonstration assez froide de toute puissance, comme Der Letzte Mann semble parfois être un peu vain derrière sa supériorité technique. Il fallait à Murnau apprendre à mettre un peu plus de coeur dans ses films, ce qu'il allait bientôt faire à la Fox. En attendant, ce film reste un passage obligé, en raison de son extraordinaire pouvoir onirique, et de l'impressionnante qualité picturale du travail de Friedrich Whilhelm Murnau...

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Published by François Massarelli - dans Friedrich Wilhelm Murnau Muet 1926 **
9 novembre 2012 5 09 /11 /novembre /2012 17:15

A nouveau produit par la Société des Films Historiques, Le joueur d'échecs fait donc suite dans la carrière de Raymond Bernard au Miracle des loups, et on se réjouit de voir un film habité par la fougue et l'ingéniosité, ainsi qu'un scénario superbement construit, à nouveau par Bernard et Jean-José Frappa. Les interprètes en sont excellents, et on ne regrette pas de passer deux heures et quart en compagnie de ce film, qui dès son introduction, se passe sur un plan dynamique plutôt que didactique (En lieu et place donc des leçons d'histoire un tantinet nationalistes du Miracle des Loups): En pleine occupation Russe de la Pologne, des soldats Russes passent, la nuit dans une ville aux rues désertes de Lithuanie, et une femme qui était seule dehors se fait tuer par l'un des soldats. Pendant ce temps, dans une résidence cossue, les partisans de l'indépendance se retrouvent et chantent ensemble des hymnes, jusqu'à ce que l'une d'entre eux donne l'alarme, en entendant les bruits des sabots des chevaux Russes. Une brillante exposition qui paradoxalement met l'accent sur le son (chants, bruits de sabots), tout en utilisant montage alterné avec assurance, et reste éminemment visuelle: un tour de force.

On apprend ainsi à connaître un grand nombre de personnages dans une intrigue qui a été installée avec clarté dans un pays occupé, dont l'enjeu sera bien sur la résistance des uns face aux autres. Les résistants sont en particulier Boleslas Vorowski (Pierre Blanchar), son amie Sophie Novinska (Edith Jehanne), symbole même de la résistance, mais dont les origines mystérieuses vont apporter un petit plus à la deuxième partie. Moins impliqué en raison de son âge, le baron Kempelen (Charles Dullin), qui fabrique des automates, est l'un des rares à connaître le secret de Sophie. Du coté Russe, on fera la connaissance de l'impératrice Catherine, pas moins (Marcelle Dullin), mais aussi de Serge Oblomoff (Pierre Batcheff), meilleur ami de Boleslas en dépit de leurs différences, et son ordonnance Roubenko (Armand Bernard), qui fournit un peu de comédie, et enfin le major Nicolaieff, véritable méchant de l'intrigue joué par Camille Bert.

Les aventures de Boleslas et de ses amis, qui le dissimuleront dans un automate afin de le faire passer la frontière, mais seront retenus bien malgré eux à la cour de Russie, sont parsemées de moments de bravoure, dans lesquels un nationalisme relativement léger s'installe: la scène au cours de laquelle Sophie vit à distance une bataille malheureuse pour son camp, et tente de conjurer le désespoir en chantant à tue-tête au piano un air martial, imaginant aussitôt la victoire comme devant un écran en cinémascope, a été souvent relevée par Kevin Brownlow comme l'un des meilleurs exemples de ce que les Français pouvaient avoir de fougue cinématographique communicative. Une autre scène formidable nous montre  la fin de l'automate joueur d'échecs, qui donne son titre au film, fusillé sur ordre de Catherine, et dont on n'est pas sur qu'il n'y ait personne de dissimulé à l'intérieur, une séquence haute en couleurs, elle-même alternée avec une scène lugubre qui voit Nicolaieff s'introduire chez Kempelen, et déclencher pour son malheur des pièges imaginés par l'étrange Baron...

Bref, c'est un grand film d'aventures, qui réussit à maintenir le spectateur en haleine pendant plus de deux heures sans faillir. une réussite qui en appelait d'autres, mais à la fin du muet les prétentions du cinéma français allaient se voir drastiquement réduites hélas. Raison de plus pour se pencher sur ce réjouissant spectacle.

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Published by François Massarelli - dans Muet Raymond Bernard 1926 *
5 septembre 2012 3 05 /09 /septembre /2012 19:03

Plus ancien film de Hawks disponible, Fig leaves (Feuilles de vigne)est sa deuxième oeuvre, réalisée lors de son contrat à la Fox. Ca fait de cette petite comédie un cousin des films contemporains de Ford, Walsh, Borzage et Murnau... en quelques sorte du moins, car si le film partage ses vedettes avec Three bad men, de Ford, réalisé la même année, il semble difficile de comparer systématiquement Fig Leaves avec les films des grands noms cités ci-dessus. George O'Brien y interprète un archétypal Homo Americanus, Adam le plombier, marié à Eve (Olive Borden) une archétypale femme des années 20, vue par le petit bout d'une bien misogyne lorgnette...

 

Le film commence par une vision de l'Eden, dans lequel Adam (O'Brien en peaux de bêtes) doit prendre le stégosaure de 8:15 pour se rendre à son travail; pendant ce temps, Eve reste à discuter le bout de gras avec le serpent... Lorsqu'il s'installe sur le dinosaure en commun, le héros déclenche une réaction d'une autre cliente du "bus", disant en substance que le jour viendra ou les femmes auront elle aussi la possibilité de se faire une place dans la société: le thème principal du film est ainsi lancé... La conversation entre Eve et le serpent est l'occasion pour le film de faire un bond de millions d'années en avant, jusqu'à 1925: Eve et Adam y ont un conflit basé sur le désir de la jeune femme de posséder plus de vêtements, qui va la pousser à accepter un travail en tant que mannequin d'un couturier, contre l'avis d'Adam...

 

Le principal atout de ce film peu sérieux, et dont on voit que le sujet de la différence entre les sexes est amené sur un terrain d'une rare goujaterie (Si elles veulent être indépendantes, c'est parce que les femmes aiment les beaux habits, pour résumer), c'est justement son coté farfelu... Les acteurs se sont prêtés sans problèmes à la comédie, et si on préfère de très loin Olive Borden en Irlandaise qui mène son monde dans Three bad men, et George O'Brien en homme qui cherche à reconquérir son épouse dans Sunrise, les voir en peaux de bêtes est une expérience à vivre au moins une fois dans sa vie. mais soyons clairs: si on parle souvent uniquement de A girl in every port (1928) lorsqu'il s'agit de la période muette de Hawks, c'est peut-être pour une bonne raison... Notons que si ce film, contrairement à Road to glory (1926) a survécu, ses couleurs lors d'un défilé de mode ont semble-t-il disparu.

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Published by François Massarelli - dans Howard Hawks Muet 1926
20 mai 2012 7 20 /05 /mai /2012 16:43

Réunis pour une cinquième collaboration, Monta Bell et Norma Shearer s'attaquent au théâtre, un milieu qu'il avaient exploré déjà (Pretty Ladies). Le film suit le parcours d'une jeune femme, de son arrivée à New York ou elle souhaite trouver du travail, jusqu'à son parcours imprévu sur scène: venue en effet pour un travail de dactylo dans le bureau d'un imprésario, elle va se faire embaucher pour être la partenaire d'un danseur. Comme Lady of the night, le film repose sur une symbolique bien intégrée dans une histoire simple, linéaire et prenante, plus satirique toutefois. Le personnage de Dolly Haven, jeune femme ambitieuse, met en effet un certain temps à s'humaniser, même si de petites touches présentes dans les premières scènes du film lui donnent l'occasion de ne pas être détestable...

Dolly Haven débarque donc à New York, et s'installe dans une minable pension de famille. Sa confiance en elle, son ambition un peu hautaine, lui donnent une assurance peu commune. Elle se rend sur la foi d'une annonce de recrutement chez Sam Davis (Tenen Holtz), imprésario; celui-ci cherche désespérément une partenaire pour Johnny Storm (Oscar Shaw), sa vedette: ils sont donc en quête d'une danseuse. Afin d'éviter de devoir engager l'insupportable Dixie Mason (Gwen Lee), Storm préfère engager Dolly sur sa bonne mine. Comme celle-ci n'est absolument pas douée pour la danse, il dansera, et elle fournira un contexte et un accompagnement, rien qu'en apparaissant sur scène. Leur numéro est vite un succès, et ils sont engagés pour une longue période, mais le succès monte très vite à la tête de Dolly, malgré l'affection qu'elle porte à Johhny. Elle le quitte pour reprendre le même numéro avec un autre danseur (Ward Crane), mais c'est un flop. Alors que Johnny l'a remplacée par Dixie, elle ravale son ambition, et devient chorus girl. Lors d'une représentation, à Noël, une soudaine crise inattendue va lui permettre de gagner ses galons de fille de la scène, d'une manière inattendue.

Le "miracle" de Noël dans ce film est sans doute le moment le plus étonnant: à la fois superbement mis en scène et grinçant par son équivoque, il montre l'enfant de deux artistes, le lanceur de couteaux et son épouse, qui tombe durant la représentation, sans que quiconque s'en aperçoive. Seul une marionnette a été témoin de la scène, et durant trois minutes, les gens vont et viennent près du petit corps sans vie, sans s'apercevoir de sa présence; enfin, lorsqu'on la repère, sa mère est sur scène, et voit l'agitation autour de sa fille inanimée. Mais si il est très clair que Dolly a un geste héroïque, en la remplaçant au pied levé afin qu'elle puisse s'assurer de la bonne santé de sa fille, nous n'avons aucune idée de ce qu'il advient de celle-ci à la fin. Si miracle il y a, il a donc un goût plutôt amer. Mais le metteur en scène a utilisé avec génie le montage, et une caméra mobile, dont il a fait en quelque sorte le deuxième témoin, après cette marionnette qui reste sans bouger. la caméra nous montre la petite fille, plonge littéralement vers elle, et met en avant le fait que personnage autour ne peut s'en apercevoir. L'effet d'adhésion, voire de panique sur les spectateurs du film est garanti, et contraste particulièrement avec l'indifférence des spectateurs du théâtre, qui pendant les entractes, parlent cuisine...

Comme pour Lady of the night, Monta Bell construit son intrigue et ses personnages sur des petites touches, des petits riens qui vont nous permettre d'adhérer aux personnages. on peut faire confiance dans le metteur en scène pour traduire la réalisation des sentiments par des gestes en apparence anodins, mais dont l'interprétation varie. A ce titre, la plus jolie scène du film, qui humanise brièvement le personnage de Dolly, est celle durant laquelle, pour sa première, elle s'est atrocement maquillée... Voyant cela, Johnny intervient, et s'occupe de son visage, par gestes surs et précis. Durant cette scène de maquillage, on voit Norma Shearer réaliser l'affection et la tendresse qu'il a pour elle, et on la sent fondre... Le moment durant lequel il applique avec délicatesse du rouge sur ses lèvres en particulier, avec la jeune femme qui l'aide du mieux qu'elle peut, est très réussi. mais la scène contraste avec la suivante, durant laquelle le duo est un succès, et Dolly reçoit des éloges... Comme dit Sam Davis, pourtant, "cette fille ne fait rien, mais vous avez vu de quelle manière elle le fait?"... Une remarque ironique, qui n'empêche pas le film de distiller une vraie tendresse pour le monde du spectacle, dont beaucoup des acteurs présents sont issus, à commencer par Oscar Shaw.

Quant à Shearer, qui n'a pas joué ici sa dernière ambitieuse, il faut quand même parier qu'elle savait de quoi il retournait, en matière de tout donner pour monter les marches. Elle est touchante de toute façon, en particulier lorsqu'elle se résigne, quittant abattue le bureau de l'imprésario, et se dirigeant vers un ascenseur: "Vous descendez?" En effet... Une belle curiosité, donc, que ce film attachant qui maintient l'intérêt durant ses six bobines...

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Published by François Massarelli - dans Muet 1926 Monta Bell
11 février 2012 6 11 /02 /février /2012 17:44

Le premier film de Lloyd distribué par la glorieuse et aristocratique paramount est aussi le premier film signé en solo par Sam Taylor. Il partira ensuite, accomplissant divers films d'importances variées, mais soyons justes: d'une part, ses meilleurs films sont ceux qu'il a réalisé ou co-réalisé aux cotés de Lloyd, et d'autre part, une fois de plus, c'est Lloyd le patron. Un patron qui joue gros, toutefois, car il sait que s'il reste son propre producteur, le prestige qui accompagne la parrainage par la firme paramount est impressionnant. Son nouveau film, pourtant, renoue avec de nombreux aspects de son héritage des années Roach, à commencer par des acteurs: Noah Young a ici un rôle important, mais on verra aussi Leo Willis. Ces deux-là ont été souvent les méchants grandioses des films de Charley Chase, Laurel & Hardy... et Harold Lloyd.

 

A nouveau, des années après A sailor-made man, Lloyd joue un homme riche: J. Harold Manners est insupportable, imbu de lui-même, et vit dans une tour d'ivoire conférée par ses moyens infinis. Il s'achète une voiture pour aller avec son costume, et en change en un claquement de chéquier quand il y a un problème. Il ne montre aucune émotion. Inversement, la ission de Slattery Row est une simple roulotte, dont le Père Paul espère un jour faire un vrai toit si un mécène se déclare. Mais s'il fallait compter sur tous les Manners de Los Angeles, ce serait mal parti. On s'en doute, c'est pourtant bien J. Harold Manners qui va fournir les 1000 dollars nécessaires, mais par méprise. Une fois la mission construite, il va s'y rendre pour protester que son nom y soit associé, et y rencontrer la fille de Paul, jouée par Jobyna Ralston. Devinez la suite...

 

Le début du film est un plan de père Paul en pleine évangélisation; il y a un travelling arière, mais ce n'est pas un trompe l'oeil comme souvent. Les trois premières minutes, sans aucun gag, exposent tout simplement ce qui va être le théâtre du film: les rues de Los Angeles, vécues par les sans-abri, les oubliés de la vie... et les malfrats, bien sur. C'est une tendance de ce film, d'éviter tout angélisme, et de confondre assez facilement les pauvres et les gens malhonnêtes. mais les riches en prennet pour leur grade, via l'horrible Manners du début du film, et par le biais de ses copains qui décident de le kidnapper lorsqu'il s'intéresse à une jeune femme qui n'est pas de son monde. et le sel du film provient en particulier de l'incryable complicité entre Manners, enfin converti, et un chef de gang au grand coeur joué par Noah Young. Celui-ci et tout son poids dans la balance, et ce n'est pas peu dire...

 

Comme d'habitude dans un film de Lloyd, le vrai caractère de manners va se révéler grâce à l'énergie qu'il va déployer tout naturellement dans l'exercice de l'altruisme... Mais au passage Lloyd et ses collaborateurs vont se livrer à de fort belles scènes, comme cette visite de la mission durant laquelle Lloyd n'a d'yeux que pour la belle Jobyna, ou cette scène poétique au clair de lune: en plan rapproché, on les croit au bord d'un lac, mais la caméra se recule et révèle qu'ils sont dans un terrain vague, à coté d'une flaque de liquide probablement pas très catholique... et puis comme toujours, une course de dernière minutre permet à Lloyd et ses copains (Des gangsters saouls qui sont acquis à la mission) de rivaliser d'ingéniosité pour arriver à temps à un mariage.

Même si on a vu mieux (Safety last), et si on verra mieux (The Kid Brother, Speedy), un film de Lloyd comme celui-ci, avec sa thématique sociale pétrie de bon sens et d'optimisme, n'a finalement qu'un défaut: celui de n'être qu'impeccable...

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Published by François Massarelli - dans Harold Lloyd Muet 1926 Sam Taylor *
4 décembre 2011 7 04 /12 /décembre /2011 17:41

On n'a jamais compris Metropolis. Les commentateurs de l'époque (George Sadoul, Luis Bunuel, pour citer deux sommités locales) ont toujours eu tendance à considérer le film comme un bel objet scindé en deux: un film esthétiquement extraordinaire dont le "message" ou le fond aurait été idiot, ou en tout cas trop droitier pour être honnête. C'est d'une part trop facile de faire comme d'habitude, et de donner à Lang le bon rôle, et d'accuser sa scénariste et épouse Thea Von Harbou: Lang était bien l'auteur de tous ses films, Harbou (Certes future nazie) travaillait avec lui en symbiose, mais elle savait s'effacer face à un metteur en scène, comme le prouve le fait que les autres films qu'elle a scénarisés sont généralement marqués par Dreyer (Michael, 1924) ou Murnau (Terre qui flambe, 1922), ou qui que ce soit d'autre... Non, Metropolis, c'est du Lang brut. Mais de toute façon, à quel film ont-ils été confrontés, ces commentateurs d'époque? la version Allemande, la seule qui fasse sens, a-t-elle été vue en 1927 en dehors de la mère patrie? J'en doute.

Dans Metropolis, la cité du futur menée par le richissime et intransigeant Joh Fredersen (Alfred Abel), son fils Freder (Gustav Fröhlich) fait la connaissance de Maria (Brigitte Helm), une jeune femme de la cité ouvrière qui lui ouvre les yeux sur la condition de ses semblables. Freder commence alors un travail de persuasion de son père, afin qu'il change sa vision de la cité, divisée en deux pour le profit des uns et la souffrance des autres. Mais le père réagit en cherchant à empêcher Maria de continuer à répandre ses idées qu'il juge subversives; il cherche l'aide d'un inventeur ombrageux et solitaire, Rotwang (Rudolf Klein-Rogge); les deux hommes se connaissent bien depuis que Fredersen a "volé" le coeur de la femme aimée de Rotwang, Hel. Celle-ci est morte en mettant Freder au monde, et Rotwang n'a de cesse de la faire revivre, mais aussi de se venger de Fredersen: il feint de se mettre au service de ce dernier, et avec le robot qu'il a créé pour faire revivre sa bien-aimée, va semer la terreur et le chaos...

Dans le film tel qu'il a été conçu pour sa sortie Allemande qu'on voulait triomphale, Lang avait concocté un ensemble d'une grande cohérence, en deux parties comme il avait l'habitude (Die spinnen, Mabuse et Die Nibelungen sont tous des diptyques), et qui se nourrissait à deux sources: d'une part le feuilleton à la Feuillade, genre prisé de Lang qui en aimait les développements inattendus, la vitalité et le sens du retournement, et d'autre part l'anticipation balbutiante, qui lui permettait de traduire en images l'impression vécue lors de la visite de New York. Ainsi, ce film à multiples rebondissements accumule-t-il avec dextérité les événements et les couches de sens, se révélant beaucoup plus complexe qu'il n'est apparu en versions raccourcies et appauvries qui se contentaient de faire la part belle à la dimension esthétique et la part de science-fiction voulue par les auteurs. Dans ces versions, l'histoire simplifiée était souvent difficile à réellement comprendre, tournant autour d'un couple de gentils amoureux qui influençaient le grand maître de la cité, le faisant changer d'avis sur ses ouvriers, et permettant un rapprochement du capital et du travail, qui pouvait être interprété comme une union sacrée vaguement démocrate-Chrétienne, mais aussi qui préservait la structure en couches inégales, ce qui servait un idéal plus totalitaire. Mais une lecture strictement politique du film n'est plus possible maintenant qu'on a retrouvé une version plus proche de l'original.

Rappelons à toutes fins utiles que Metropolis est un film dont on peut identifier au moins 6 versions depuis 1926, et dont on n'a pas fini de retrouver les contours, même si la dernière découverte inespérée qui a eu lieu en 2008 risque bien d'être la dernière:

1. En 1927, la UFA a donc assemblé une version voulue par Lang et Von Harbou, qui totalisait environ 165 minutes, pour un spectacle de trois heures (incluant donc une interruption pour entr'acte), avec une partition de Gottfried Huppertz. Perdue!!

2. Parallèlement, un négatif alternatif plus court a été assemblé pour être envoyé à l'étranger, servant de base aux versions vues en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Dans ces versions, une part importante de l'intrigue a été excisée, dont le passé de Joh Fredersen et Rotwang, l'histoire de Hel, et la motivation de Rotwang pour sa vengeance sur Fredersen. L'homme mince joué par Fritz Rasp, inquiétant homme de main du maître de la cité, mais aussi celui qui a la fibre morale d'indiquer ses égarements à son patron, a été raccourci au maximum. Le film perd de sa durée, de sa dimension feuilletonesque, de l'équilibre entre ses deux parties, et les personnages n'ont plus de motivations claires. Cette version est à la base d'innombrables copies d'origine Américaine qui seront des années durant les seules disponibles...

3. Giorgio Moroder, immortel prince Allemand du disco, a eu l'idée de faire renaître le film pour en faire un clip géant. Ce qui est un plat indigeste recèle une bonne idée toutefois: il a demandé l'aide de la Cinémathèque de Munich et de Enno Patalas, qui travaillait à assembler une copie du film plus proche des intentions, et leur a fourni des fonds nécessaires à la restauration. Pour le reste, la version Moroder est une collection de ce qui ne fait pas en matière de réédition de film muet (Suppression des intertitres, teintes absurdes, remontage de séquences, et bien sûr adaptation du film à la musique) . Mais on y retrouve la restitution de l'intrigue entre Fredersen et Rotwang... par le biais d'images tournées sous la direction de Giorgio Moroder!!

4. La version Patalas, brute de décoffrage, avec des intertitres provisoires, a fait l'objet d'une sortie, qui a remis définitivement sur le tapis la sous-intrigue autour de Hel (par le biais de la reproduction de photos de plateau), et qui a remis la plupart des séquences disponibles sur les copies existantes en ordre. Elle a en outre fait l'objet d'une sortie vidéo.

5. La cinémathèque de Munich et Patalas ont obtenu la numérisation de leur version, avec intertitres reconstitués, et avec la musique de Huppertz (Fragmentaire puisque le film était encore incomplet...) On a cru que c'en était fini de la reconstitution de Metropolis, d'ou la sortie d'un grand nombre de DVD de par le monde, en "édition définitive"...

6. Reconstituée à partir de la précédente, à laquelle sont venues s'ajouter des séquences et des plans tirés d'une copie 16 mm retrouvée à Buenos-Aires, et qui était un contretype d'une version Allemande d'origine, on a donc enfin un Metropolis, authentique à 85 ou 90%, auquel manquent deux séquences et quelques fragments. la vision de Lang est presque intacte... La musique de Huppertz a pu être reconstituée à l'essentiel elle aussi.

Dans cette version miraculée, les hommes sont moins manichéens, notamment Fredersen et "l'homme mince"; le fou Rotwang est un homme qui a souffert, et souffre encore, mais qui perd définitivement la raison dans l'ivresse de la vengeance. Freder entame bien un véritable périple initiatique, dont les motivations sont à la fois religieuses et sociales (Devenir le médiateur entre les élites et les ouvriers) mais aussi amoureuses (il est guidé par son amour inconditionnel pour la belle Maria). Les êtres qu'ils côtoient prennent tous de la substance, depuis Josaphat, le secrétaire déchu de Fredersen, mais sauvé par Freder, jusqu'à Grot, l'irascible et très clairvoyant superviseur des machines. Nul n'est condamné, dans ce qui est un conte complexe et spectaculaire, certes vaguement paternaliste (Ces ouvriers, si on les laisse faire, ils cassent tout! Huppertz utilise fréquemment avec ironie une Marseillaise légèrement décalée pour souligner leur brutalité), mais qui plaide en faveur d'un humanisme nettement affirmé dans la prise de conscience d'une véritable égalité: aussi bien Fredersen que les ouvriers commettent des folies qui mettent en danger la vie de leurs enfants... Chaque camp possède d'ailleurs des meneurs plus sensés: l'homme mince, diabolisé par son apparence, joue un rôle d'apaisement chez Fredersen, et j'ai déjà souligné l'importance de Grot dans la cité ouvrière...

Jouant sur la création d'une ville du futur dans laquelle le centralisme des machines s'accompagne d'une représentation de machines volantes, d'une rationalisation de tous les aspects de la vie (Deux horloges égrènent le temps du patron - 24h - et des ouvriers, 10 heures), Lang ajoute à la riche histoire du fantastique Allemand des ingrédients qui se retrouveront longtemps dans le cinéma mondial (Blade Runner, par exemple), tout en se servant dans l'attirail déjà existant: la magie et la sorcellerie de Rotwang, les décors médiévaux, le pentacle, la noirceur des rues souterraines, et les jeux de lumière, pas de problème: ce film est bien un film muet Allemand, dont la tradition s'exprime dans un esprit de renouvellement respectueux. Et quel spectacle! Non, honnêtement, pour faire la fine bouche devant un tel film, c'est simple, il ne faut pas aimer le cinéma.

...Ou les robots.

 

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Published by François Massarelli - dans Fritz Lang Muet Science-fiction 1926 **
18 juillet 2011 1 18 /07 /juillet /2011 18:22

L'influence considérable de Murnau sur Ford ne doit pas nous faire oublier qu'avant la venue du magicien Allemand à la Fox, le futur metteur en scène sous influence de Four Sons ou Hangman's house a déja un sacré pedigree. Et surtout, il a participé d'une certaine façon à la résolution de la quadrature du cercle: réalisateur de westerns à la Universal, un genre considéré comme mineur dont il a pourtant dès 1917 été capable de révéler comme d'autres (William Hart, Thomas Ince) les beautés cachées, Ford est chargé en 1924 de filmer une oeuvre de prestige, The Iron Horse,  qui va donner à ce genre mal considéré d'authentiques lettres de noblesse. Three bad men est la suite logique, un film dans lequel Ford conjugue avec talent la lecture épique et spectaculaire et sa vision de l'humain. C'est aussi un film qui reprend l'une de ses obsessions, déja explorées à la Universal avec Marked men, et qui reviendra avec Three godfathers: comment des mauvais garçons se rachètent en épaulant des êtres en péril, bébés ou jeunes gens, peu importe.

 

1877: Le Dakota, récemment racheté par les Etats-Unis aux Sioux, recelerait en plus de ses terres fertiles des montagnes d'or. Le gouvernement organise un Land rush, une course organisée pour permettre à des colons de venir s'installer en choisissant leur terre. Participent les Carlton, un père et sa fille, mais aussi Dan O'Malley, un  jeune cowboy; on trouve aussi un sheriff marron et sa bande de malfrats qui gèrent la prostitution sur la frontière et ont des vues sur les gisements d'or. Enfin, trois bandits qui tentent d'échapper à la police se retrouvent également mélés à la course: "Spade" Allen, un tricheur professionnel, également voleur de chevaux à ses heures; Mike Costigan, un vieux soiffard, éternel complice du précédent, et "Bull" Stanley, un dur. Celui-ci est venu pour rechercher sa soeur qui a fui avec le shériff layne Hunter. Lorsqu'une attaque des hommes de Hunter prive la jeune Lee carlton de son père, les trois fripouilles la prennent sous leur aile, et lui trouvent bien vite un fiancé en la personne de Dan...

 

Le film est une fête constante, au rythme soutenu, dans laquelle Ford a su avec un immense talent entremêler les intrigues et les rebondissements. Il utilise aussi à merveille le contrepoint, afin de donner du sens à l'ensemble, comme Griffith mélangeant petite et grande histoire. Ce film qui a été souhaité par la Fox afin de rebondir sur l'énorme succès de The iron horse a été tourné dans d'authentiques plaines et montagnes, et les circonstances qu'il décrit sont rendues par un réalisme total. Ford a toujours eu un faible pour les histoires de groupes humains déracinés qui tentent de survivre d'une part, et de construire quelque chose d'autre part, comme en témoignent des films aussi divers que The lost patrol, Drums along the mohawk, Grapes of wrath, Wagon master et Cheyenne Autumn. Three bad men montre déja ce thème, avec un souffle épique, mais Ford n'est pas dupe: il est Irlandais. Un intertitre nous prévient: la "land rush" va démarrer, et au lieu de voir les chariots et les chevaux prèts à partir, il nous montre le groupe des Carlton et des trois bandits qui enterre la soeur de Bull... Pour construire quelque chose, il y a des sacrifices à faire, nous dit Ford. Le film montre, comme avec les ouvriers du chemin de fer dans The iron horse, une foule de gens provenant de tous les horizons, mais il met aussi l'accent sur les Irlandais. C'est que de même qu'avec The shamrock handicap la même année, puis avec The hangman's house deux ans après, le réalisateur a déja succombé à cette autre thématique. Donc, Dan, Bull, Allen, et Costigan seront tous Irlandais, comme unis vers le même objectif de par leur origine.

 

Ford lie d'ailleurs cet "Irlandisme" de ses personnages à une autre de ses petites manies: les gags liés à la forte consommation d'alcool qui donnent lieu à un slapstick grossier et vaguement paillard; c'est le principal travail de Frank Campeau et J. Farrell MC Donald (Spade et Costigan) avant qu'ils ne serévèlent des héros; mais il a su aussi mettre les bouchées double, et sa "land rush" est à ce titre un incoyable moment, parfaitement amené et mis en scène avec la grandeur qui sied au sujet. Combien de participants ont été mobilisés, on n'en sait rien, mais cette reconstitution de la ruée sur le Dakota n'a rien à envier à celle de la ruée sur l'Oklahoma par Ron Howard dans Far and away en 1992... On y trouve le même souffle, et un talent supplémentaire pour la petite histoire. Ford récupère aussi les caméras enterrées qu'il avait utilisées pour filmer l'avancée du train dans son film de 1924. Enfin, il utilise de façon étonnante le montage aletrné dans le but de ne pas produire de suspense, ce qui est assez étonnant. Mais pour bien comprendre ce qui se passe dans ces dernières scènes, il convient de revenir au début: Si Dan O'Malley(George O'Brien) apparait assez tôt, c'est que c'est le jeune premier mis en avant par la Fox, qui va former avec Lee Carlton (Olive Borden) un couple glamour. Mais les trois bandits au grand coeur qui donnent son titre au film sont vus pour la première fois ensemble, après un montage Anglo-Espagnol d'affiches qui les montrent recherchés des deux cotés du Rio Grande. Ils descendent ensembles de cheval, avec le même geste, et observent les chariots arriver du même oeil. Après les avoir ainsi établis comme inséparables et unis, le final les réunit sous un même sacrifice: chacun d'entre eux a pour rôle de couvrir la fuite de Lee et Dan, au péril de sa vie. Et chacun d'eux meurt, l'un après l'autre. Les plans de Dan et de Lee qui fuit ne génèrent de fait aucun suspense, il sont juste une façon de rappeler le contexte. L'important, ici, c'est le sacrifice magnifique; Dan et Lee ne s'y trompent pas, puisqu'ils nommeront leur premier enfant des trois noms des malfrats magnifiques... Mais si lors du sacrifice Lee a laissé faire, c'est Dan qui a eu du mal à accepter. On le comprend, il est nommément le héros du film... Nommément, parce que Tom Santschi, qui anticipe tant par le jeu que par son allure sur les plus beaux rôles de John Wayne pour Ford, est clairement le plus important des personnages du film...

Le rapport entre Bull (Tom santschi) et Lee est l'un des points forts de la caractérisation; lui cherche sa soeur, et la perd; elle perd son père; ils sont tous deux demandeurs d'une affection saine et filiale, et se trouvent en queque sorte, lorsque les trois hommes qui s'apprêtent à voler les chevaux Carlton sont pris de vitesse par les homme de Layne Hunter; de fait, il s'improvisent justiciers le temps de mettre les autres bandits en fuite, mais leur intention est de faire main basse sur les chevaux quand même; la vision de Lee, éperdue, va être la première pierre de la rédemption de Bull, et par là même, de ses deux copains... Ford, depuis Straight shooting jusqu'à la fin de sa carrière, a toujours montré qu'on doit juger les êtres à leur juste valeur, et pas selon leur qualification; il sauve ses trois "sublimes canailles", comme le dit le titre Français, mais il montre la mort de Hunter comme celle d'un coyote qu'on abat. Il a contribué comme Hart, comme James Cruze, à la création d'un western noble, fondateur; il lui donne avec ce film de nouvelles lettres de noblesse, qui anticipent sur ses plus grands westerns à venir: 13 ans avant Stagecoach, Three bad men sent autant la poussière et le crottin de cheval que ses futurs chefs d'oeuvre, et c'est d'ailleurs déja un de ses plus grands films.

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Published by François Massarelli - dans John Ford Muet Western 1926 **