Le même jour, Samuel "Kid" Boots (Eddie Cantor) se fait virer pour maladresse extrême de son travail chez un tailleur, se fait un ennemi mortel en la personne d'une grande brute (Malcolm Waite), et rencontre la femme de sa vie, Clara (Bow). Tant qu'à faire, il va aussi faire une autre rencontre déterminante, celle de Tom (Lawrence Gray), un professeur de golf empêtré dans un mariage avec une intrigante (Natalie Kingston) qui cherche, quant à elle, à s'échapper de son divorce. Suite à un certain nombre de quiproquos, "Kid Boots" devient le témoin de Tom, et ce trois jours avant que le divorce ne soit finalisé. Et tout ce petit monde se retrouve dans la même station balnéaire. Il va donc, y avoir du sport...
Ceci est le premier film de Eddie Cantor, star chez Ziegfeld, et dont la popularité grandissante coïncide avec l'avènement des studios. La Paramount, en lui offrant un "véhicule" taillé sur mesure (A la base de ce film, figure une pièce où l'acteur avait triomphé), pose du même coup les jalons de ce qui va bientôt devenir la façon de traiter le burlesque à la MGM, la Fox ou la Paramount: choix d'un réalisateur, des acteurs, lieux de l'action, tout passe par le studio; une gestion efficace de la comédie, qui fait certes du bon boulot, mais qui tranche avec l'artisanat tel que le pratiquaient tous les spécialistes du genre: Keaton, Chaplin, Lloyd et Langdon en tête. Bref, aurait pu dire Churchill, la comédie est un art trop important pour la confier à des néophytes... Non que ce film soit mauvais, loin de là. Mais il reste mécanique, et parfois on voit les ficelles. Et Eddie Cantor fait de son mieux, difficile dans les meilleurs moments de ne pas penser aux modèles prestigieux qu'il s'est choisi... Pour ce qui est de Clara Bow, qui était encore à l'essai, elle apporte à son rôle de flapper dynamique toute sa connaissance du type, et ses scènes avec Cantor, bien que peu nombreuses hélas, valent le détour. Si certaines scènes recyclent de façon voyante, notamment une scène de massage avec contorsionniste qui renvoie directement à The cure de Chaplin (Sauf que cette fois, c'est Cantor, c'est à dire le héros, qui est le contorsioniste), il y a une atmosphère générale de représentation du sport, qui fera des petits: Run girl run, de Alf Goulding chez Sennett, College de Buster Keaton, ou encore de nombreux courts métrages des années 20 ou 30... Ce n'est donc peut-être pas la comédie de la décennie, mais ça se laisse voir sans déplaisir.
Un serial Soviétique, qui fonctionne à la fois en continuité (La dette à Mabuse, aux Vampires et aux serials Américains est évidente), et en rupture ("Soviétique", déjà, et le film s'amuse constamment à envoyer des piques à l'Ouest triomphant, avec un humour souvent provocant, et parfois désopilant). Ces aventures en trois épisodes, situées dans une Amérique de pacotille, sont celles de trois apprentis journalistes embarqués dans une rocambolesque intrigue autour de la mort d'un homme qui n'est pas tout à fait mort, un riche industriel à la vie trépidante et aux maîtresses nombreuses, avec de l'humour méchant qui s'attaque aux préjugés typiques de Américains ("Oui, un homme est mort, mais ce n'est pas très grave, il est noir..."), avec des ramifications sociales (Les héritiers du mort liquident l'usine et renvoient tous les ouvriers), politiques (Derrière le conglomérat industriel, se cache un complot proto-fasciste, et bien sur ces salopards vont accuser les bolcheviques...), policières (Des enlèvements, des assassinats, en veux-tu en voilà) et bien sur une petite pré-apocalypse chimique, avec contamination des pauvres soviétiques par le virus de la peste... Au milieu de tout ça, une femme, convoitée par tous les hommes, une ouvrière digne et flanquée d'un neveu auquel elle tient comme à la prunelle de ses yeux: Miss Mend. D'où le titre...
Ce film est le premier des longs métrages réalisés par Taylor après la fin de son travail muet avec Harold Lloyd, et hors de l'influence du comédien, on sent le metteur en scène parfaitement à l'aise dans la comédie légère, aidé par Beatrice Lillie, une actrice qui aurait pu faire concurrence à Chaplin et Keaton sur bien des points. Le film est délicieux, Chaplinien aussi dans sa politesse, et son refus d'une fin trop facile. Jack Pickford joue avec une conviction rare les hommes-objets, mais le show, c'est Lillie, femme à tout faire d'une troupe de théâtre qui se rêve actrice jusqu'au jour ou elle va jouer le rôle de sa vie... dans la vraie vie. A consulter les sites, articles et autres archives consacrés à Beatrice Lillie, on reprend souvent l'affirmation péremptoire d'une sorte de proximité évidente entre elle et Chaplin, et c'est vrai que la sûreté de son geste, son timing, son sens du comique la rapprochent de lui, mais à mon sens, la façon dont elle joue sur l'émotion exprimée sans aucunement la souligner, avec cette étrange mais fascinante impassibilité, et la raideur de son corps, elle renvoie finalement plus à Keaton, en tout cas à une comédie physique essentiellement... Et en vérité, ce film rare mais précieux renvoie au théâtre, à la performance permanente, et à un espace troublant de la vie d'un acteur, une zone perméable dans laquelle la vie et l'art, finalement, se confondent un peu...
Il l'a voulu, son film de pirates! C'est vrai que Fairbanks fonctionnait au caprice, la preuve est faite avec "son" D'Artagnan", "son" Zorro, "son" conte des mille et une nuits... Mais le film de pirates, c'est une longue histoire. Quand il a commencé à réaliser ses rêves et faire réaliser des films de plus en plus gros, avec Robin Hood notamment, Fairbanks a du développer le désir de se voir à la tête d'un film de pirates qui serait le plus spectaculaire possible. Et inspiré par un gros livre, essentiellement consacré à des dessins recréant l'univers mythologique des pirates, le caprice est devenu impossible sans la couleur...
Il est temps je pense pour les non-cinéphiles, ou les néophytes, d'aborder cet aspect essentiel de l'oeuvre: oui, la couleur est bien là à l'époque du muet, de diverses façons. Sous formes de teintes monochromes (Pour rester à Fairbanks, on peut voir les très belles teintes de son Thief of Bagdad réalisé par Raoul Walsh en 1924 pour avoir une idée de l'effet produit par cette technique), de teintes bichromes (Plus rares, mais encore visibles ça et là dans des effets d'aube ou de crépuscule notamment), couleurs ajoutée au pochoir (Les Méliès, certains films Pathé, et quelques rares longs métrages ont bénéficié de cette technique, coûteuse, mais surtout peu sûre)... Enfin, divers procédés photographiques de captage des couleurs furent développés à l'époque du muet, le plus fiable étant bien sur le Technicolor. Mais Technicolor était beaucoup plus qu'un procédé, c'état une compagnie, qui ambitionnait même de devenir un studio indépendant, mais a surtout loué ses services durant les années 20 pour quelques scènes en couleurs (Ben Hur, The Phantom of the opera, The ten commandments, Seven chances, Stage Struck, The wedding march, etc) voire des longs métrages entiers (Redskin, The Viking, Thetoll of the sea... et The Black Pirate). Le procédé était coûteux, et l'ensemble de la profession avait de sérieux doutes, la croyance étant répandue que le Technicolor fatiguait la vue des spectateurs... Il n'en est rien, mais il est évident qu'avant les nouveaux développements techniques des années 30 (Voire le glorieux Technicolor de Gone with the wind, par exemple), la reproduction des nuances n'était pas fidèle, et le procédé entraînait des délais de production qui embêtaient tout le monde. Mais qu'importe: pour Fairbanks, The Black Pirate devait être un film de pirates ultime et ne pouvait être qu'en couleurs...
L'intrigue du film, qui après la durée jugée (A tort) excessive du Voleur de Bagdad a été ramenée à de plus sages 9 bobines, est simple, mais efficace et fort bien construite: un navire est attaqué, pillé, et détruit avec ses passagers par des pirates sanguinaires menés par un bandit sans foi ni loi (Anders Randolph) et son second fourbe (Sam De Grasse). Les seuls survivants sont deux nobles, un père et son fils. Le premier meurt dans les bras du second, qui jure de venger son père... Douglas Fairbanks fait donc son entrée en énigmatique 'pirate noir', qui défie le chef des pirates, et le tue en combat singulier. Afin de rendre la justice il va d'abord se rendre maître de l'équipage, mais sous la surveillance constante du second qui se méfie des méthodes du nouveau venu: au lieu de favoriser le massacre des habitants d'un bateau, il tend à les épargner afin d'en faire des otages... Néanmoins l'énigmatique "pirate noir" réussit, seul, à attaquer et soumettre un bateau. A l'intérieur, un trésor inattendu; une jolie princesse (Billie Dove), que tous convoitent. Il va falloir jouer serré...
Si on sait dès le départ que les intentions du héros, dont le nom n'est jamais indiqué, sont pures, il reste des doutes pour une large part du film quant à sa provenance ou son rang (Car c'est un noble). C'est ainsi que Fairbanks (Auteur du scénario sous le nom de Elton Thomas, comme souvent) permet un petit suspense d'apparaître en plus de celui qui est lié à la complicité immédiate que ressent le spectateur pour le personnage. Comme d'habitude, car on s'en doute bien, les actions du personnage sont non seulement intelligentes par la ruse qu'il développe, mais elles sont aussi physiques. Fairbanks a passé beaucoup de temps avec ses techniciens à régler le ballet permanent, et on sent ici autant d'invention, mais plus de rigueur que dans son Voleur de Bagdad. Les distributeurs se sont plaint des excès de l'acteur en 1924! L'exploit le plus connu dans ce film est bien sur l'acrobatie qui consiste à sauter en haut d'un mat et se faire glisser en accrochant un solide couteau à la voile pour "tomber" en douceur! les chutes de pellicule, nombreuses, témoignent encore aujourd'hui du temps passé à régler cette cascade, et on l'a compris on n'est plus avec ce film dans la facilité à la Don Q., le film précédent...
A propos de Don Q, Mac Tavish, un vieux loup de mer taciturne mais qui se prend de sympathie pour le héros, jusqu'à l'aider dans ce qu'il devine de l'entreprise du "pirate noir", est interprété par Donald Crisp. On sait que ce dernier était le metteur en scène et l'antagoniste de Fairbanks dans le film précédent, mais Crisp avait à l'origine été engagé pour le film de pirates, aussi bien en tant que metteur en scène qu'en tant qu'acteur. Pourquoi a-t-il été remplacé sur l'un de ces deux postes? Mystère... En tout cas Albert Parker est un réalisateur de la même trempe: fonctionnel, effacé, il fait le travail... Et le Technicolor, à mon avis, était strictement l'affaire des opérateurs (Menés par Henry Sharp), sous la double supervision de Fairbanks et des ses équipes techniques d'un côté, et de la société Technicolor de l'autre. La couleur est superbe, et Fairbanks utilise à merveille les limites du procédé pour magnifier le bleu de la mer, et la couleur des étoffes (Ah, ce velours vert-bleu porté par la rousse Billie Dove!). Le Technicolor ne crée pas le romantisme ici, bien sûr, mais contribue de fort belle façon à rendre l'exercice esthétique aussi beau que possible. Car il s'agit ici surtout d'esthétisme: les "leçons" des films de Fairbanks sont comme d'habitude limitées: vivez pour le bien, ne soyez pas corrompus, et surtout assemblez une solide bande de copains qui vous obéissent au doigt et à l'oeil pour aller casser la figure des malotrus... Non, impossible de prendre au sérieux un film qui avant tout nous fournit de l'évasion pure...
Par contre, avant de partir vers de nouvelles aventures, je me permets d'avancer une hypothèse qui depuis quelques films confinerait à a certitude: on sait que les années 20 ont été pour beaucoup d'Américains et surtout des habitants d'Hollywood-sur-film une période durant laquelle l'Italie fasciste les a fascinés, au point que Mussolini était érigé en modèle de comportement pour beaucoup de patrons de studio... Cette sympathie à l'égard d'un dictateur s'explique sans doute par la peur du communisme, ou aussi par une campagne de communication particulièrement bien orchestrée par le maître de Rome... Mais si Fairbanks n'a bien sûr jamais été fasciste (et puis quoi encore?), il a quand même lui aussi succombé à cette mode, ses films en témoignent: ici, on note que comme dans Robin Hood, le héros est un leader charismatique, entouré de jeunes hommes qui multiplient les exploits physiques. Ici, comme les soldats "magiques" de The Thief of Bagdad, les troupes du "pirate noir" lui obéissent, et n'ont aucune identité, tous unis derrière le chef-guide... C'est troublant, mais ce n'est encore qu'un signe des temps, bien sur... Et que cela n'enlève nullement le plaisir de voir et revoir ce beau film bigarré dans lequel on fait joyeusement péter les maquettes.
The big parade a semble-t-il tout débloqué: avant 1925, les films qui abordaient la première guerre mondiale aux Etats-Unis étaient généralement des productions très classiques, patriotiques et assez compassées... à une ou deux exceptions près, comme on le verra tout à l'heure. Et la sortie du film de Vidor a permis un réexamen de la guere, une désacralisation aussi, qui fait qu'on n'avait plus cette obligation de présenter la guerre sous l'angle cocardier. On pouvait prendre de la distance et la traiter avec humour, comme l'a fait en particulier Walsh avec What price Glory en 1926; Chaplin (en 1918!) et Langdon (En 1924 avec Soldier man) avaient fait des films burlesques courts qui tournaient la guerre en dérision, et ce film Warner, scénarisé par Darryl F. Zanuck, est un rare exemple de long métrage burlesque consacré à la première guerre mondiale. Il met en scène Sydney Chaplin, qui s'était déjà illustré aux côtés de son frère dans Shoulder arms! en 1918...
Old Bill (Syd Chaplin) est un soldat Britannique, simple troufion depuis 30 ans, qui participe au conflit mondial. Stationné avec son régiment à Boucaret en France (Je ne l'ai pas trouvé sur une carte, je pense que c'est dans le Cher-et-tendre), il coulerait presque des jours heureux malgré la menace permanente. seulement voilà: rien ne va plus, il y a un traître dans la troupe, et les Allemands vont venir prendre le village et avec lui, la petite vie tranquille du soldat. Il va, personnellement, et avec des méthodes pas vraiment orthodoxes, contre-attaquer de la plus éclatantes des manières...
C'est bon enfant, et Reisner, co-scénariste, a à mon humble avis du demander de l'aide à Syd Chaplin aussi souvent que possible. celui-ci domine cette joyeuse pochade aux allures de grosse farce, dans laquelle il replace parfois des gros gags dont certains viennent en droite ligne de la filmographie de son frère (J'ai reconnu un gag en particulier que Charles avait utilisé dans The pawnshop, et c'est précisément un des films dont Syd a été le gagman officieux, donc la paternité lui en revient sans doute). Parmi les films rares de Syd Chaplin, divisé en deux catégories, celui-ci fait plutôt partie de la division des grosses moustaches, par opposition au plus subtil (Et bien meilleur si vous voulez mon avis) Charley's aunt (Scott Sidney, 1925). Mais Syd Chaplin, sa gestuelle sure, sa présence et sa tendresse font qu'on s'attache, et en prime, il y a ici un rôle pour le grand Edgar Kennedy, qui de temps à autre était sollicité par un autre studio que Roach. Des bonnes raisons de s'attarder sur ce petit, mais fort attachant, film...
René Clair est encore un peu un amateur après ses quatre premiers films: Paris qui dort est un moyen métrage bricolé, Entr'acte un exercice de style vampirisé par l'esprit Dadaïste, et Le Voyage Imaginaire et Le fantôme du Moulin rouge, aussi sympathiques soient-ils, sont des fantaisies qui tirent un peu à la corde. La proie du vent, en revanche, est une commande de la compagnie Albatros au jeune cinéaste, basée sur un scénario qu'il a écrit, mais qui se doit de rester fidèle au roman d'origine, L'Aventure amoureuse de Pierre Vignal d'Armand Mercier. Charles Vanel, dans le rôle de l'aviateur perdu Pierre Vignal, s'y retrouve suite à une tempête dans un mystérieux château où une jeune femme prétend être séquestrée. Le héros décide de passer outre son attirance pour la châtelaine (Lillian Hall-Davis, qui tentait alors une carrière internationale) et d'aider l'infortunée prisonnière (Sandra Milowanoff)...
Un film de René Clair muet, c'est forcément intéressant, même si la fantaisie absurde si chère au cinéaste est absente de ce poème visuel. De toute façon, il laisse encore et toujours l'image et le mouvement primer sur le verbe, et si le scénario est très moyen, l'interprétation est extrêmement convaincante. Vanel prête tout son côté ombrageux au pilote qui ne sait pas vraiment à qui se fier, entre les deux femmes qui l'entourent. Et le spectateur, qui en sait juste un peu plus, grâce à un prologue trompeur, est bien obligé de céder à son point de vue: on sait que la prisonnière a été séquestrée lors d'une guerre, que son mari, Jean Murat) présent au château, a été libéré avant elle, mais que les codétenues lui ont dit que cette libération était louche. Quel jeu joue la châtelaine? Quel jeu jouent le mari, et le mystérieux docteur Massasky (Jim Gérald)?
On est en 1926, et Hitchcock n’a pas encore accompli son long parcours au pays du suspense et du point de vue, mais ce sont des éléments que le cinéma explore déjà et René Clair n’est pas en reste : dans ce film, il y a des effets de suspense, de fort belle tenue (sans parler d’une situation alambiquée qui rappelle un peu Notorious, à moins que ce ne soit que mon impression!), et un passage de l’autre côté du miroir qui s’effectue par le jeu du point de vue : Vanel comprend que quelque chose se trame entre la châtelaine qui l’attire, et le beau-frère de celle-ci qui garde ses interventions au château furtives. Clair fait passer les choses en utilisant en apparence le regard Vanel regardant une fenêtre illuminée, occupée par deux personnes dont il ne fait que deviner la présence; pourtant la séquence nous présente plus sûrement un rêve, dans lequel le personnage va trouver de quoi alimenter ses doutes, ainsi qu’une rocambolesque confrontation avec le beau-frère, armé. La scène est introduite et conclue par le même mouvement de caméra, mais inversé : on s’approche de la fenêtre, on en repart… L’utilisation du point de vue est ici magistrale.
Et puis Clair utilise à merveille la ressource de ses acteurs: Vanel va plus loin dans ce film que son personnage ombrageux habituel, il est un homme partagé entre le désir et une cause perdue; entre deux femmes donc, dont Clair s'amuse à brouiller l'impression qu'elles donnent au spectateur: si Lillian Hall-Davis joue la douce châtelaine et Sandra Milowanoff la soeur folle, cette dernière finit par nous convaincre tandis que l'autre installe une ambiguité... qui une fois de plus tient du point de vue de Pierre Vignal. Enfin, personnage essentiel mais toujours filmé de loin, Jim Gerald compose une silhouette rendue inquiétante de médecin louche, inquiétant parce qu'on ne va jamais vraiment le voir, et rendu plus étrange encore par le choix de s'être rasé la tête: à mille lieues de ses compositions de grosse brute dans les deux films suivants de René Clair...
Le jeu des acteurs et la gestion par René Clair de cette histoire constamment sur le fil entre rêve et réalité (D'ailleurs situé au-delà d'un long voyage, pour lequel l'aviateur Vanel a dû traverser les nuages...), font qu’on râle un peu quand on lit une critique contemporaine du film qui nous dit qu’une bonne part de ce film consiste essentiellement à montrer des gens bien habillés dans une vaste demeure richissime. Du coup, on applaudit à tout rompre lorsque tout à coup Vanel se décide et se précipite sur la châtelaine... dans le rêve. Mais il y a aussi, vers la fin, une jolie poursuite en voiture... Et enfin, on se réjouira surtout que cet exercice de style extrêmement soigné ait permis au cinéaste d’expérimenter en dehors de son cadre habituel (pour un type de film dramatique auquel il ne reviendra jamais) et ensuite de faire ce qu'il voulait dans ses deux films suivants: deux chefs d’oeuvre, tous deux tirés de classiques du théâtre populaire, Un chapeau de paille d’Italie (1927) et Les deux timides (1928).
Il est toujours surprenant d'apprendre que Lon Chaney, qui s'est fait une telle réputation entre 1913 et 1930 avec ses rôles à transformation, l'homme qui a mis le maquillage au centre du jeu d'acteur, développant du reste aussi bien un jeu innovant et réfléchi qu'une pratique jusqu'au-boutiste de la transformation physique, était tellement entiché de ce film qu'il le considérait comme son favori. Cas unique dans la production de l'acteur à la MGM, Tell it to the marines est un film de dix bobines, riche et à la structure bien plus complexe que la majorité des oeuvres de Browning, Conway ou Sjöström tournés par Chaney entre 1924 et 1930: ceux-ci ne dépassaient pas les huit bobines, totalisant rarement plus de 75 mn. Mais la longueur (103 mn) de ce film situé par son intrigue aussi loin que possible des envolées baroques de Phantom of the Opera s'explique peut-être par le fait que la compagnie avait bénéficié pour son tournage de la pleine assistance du Corps de Marines, permettant ainsi de compiler des images impressionnantes, qu'il ne fallait surtout pas gâcher... L'authenticité est de mise, et l'armée comme la MGM ont mis les petits plats dans les grands.
Mais le plus étonnant, c'est bien sur la façon dont Chaney, habitué des rôles de truands ou autres personnages inquiétants et torturés, le plus souvent défigurés ou infirmes, incarne ici O'Hara, un sergent instructeur, un de ces dynamiques insulteurs professionnels, dont la tâche rude consiste à faire des militaires à partir de toutes les recrues qui leurs passent par la main... Il est bourru, a le verbe haut, et possède bien sur, comme tous les personnages créés par l'acteur, une faille sentimentale: il est amoureux de Norma (Eleanor Boardman), une jolie et délicate infirmière avec laquelle il a développé une relation de complicité platonique. Une nouvelle recrue arrive, Skeet Burns (William Haines), un jeune séducteur combinard et sur de lui, qui va forcément prendre en grippe son sergent... Mais celui-ci, qui voit vite les sentiments naître entre Norma et Skeet, est-il son bourreau, ou son ange gardien?
Chaney à l'oeuvre, dans ce film, est d'autant plus étonnant qu'il n'a pas un gramme de maquillage. De là à croire qu'il s'agirait de l'homme lui-même, à nu, il n'y a qu'un pas, que les plus avisés ne franchiront pas: on sait que Lon Chaney était très secret, et ne laissait rien transparaitre de lui-même, de sa vie, de sa famille, ou de tout ce qui aurait enfreint sa pudeur. Mais il a aussi si souvent dit à quel point il était satisfait de ce film, de ce qu'il avait pu y faire, de son personnage à la fois à vif et secret, que le doute reste permis. Et O'Hara, ce concentré d'humanisme sauvage, est l'un des personnages les plus attachants de l'acteur. Le film est divisé en trois parties, la première qui prend presque une heure est consacrée aux classes de Skeet, et au développement de l'idylle entre les deux jeunes gens. La deuxième, ensuite, amène les jeunes recrues pour une vague mission de protection en Asie, avant que la dernière ne vire à la mission de sauvetage: des jeunes infirmières sont menacées d'être prises en otages par une troupe de bandits Chinois, et les Marines viennent les aider à évacuer les lieux...
Bien sur, ce type de situation dans laquelle un sergent instructeur cache son humanité et sa tendresse pour les recrues derrière une façade bourrue est devenue depuis un cliché, mais rappelons que ce n'était ici que la première fois que la situation était exploitée au cinéma! Et Clint Eastwood a bien du voir le film avant d'en faire une (très pâle) copie avec Heartbreak Ridge... Hill passe de la quasi-comédie à une série très réussies de scènes d'action et de combats, en imprimant un rythme très soutenu. Servi par une photo splendide (Et par bonheur, des copies complètes de première génération ont survécu, ce qui rend le plaisir du spectateur intact 90 ans plus tard), des acteurs d'exception, un script énergique et une idée fédératrice (On assiste aux classes de Haines, mais c'est Chaney qui reste l'intérêt principal du film, donc tout le monde est content), Hill livre un film qui possède tout ce qu'on est en droit d'attendre d'un film Américain de 1926: chaleureux, rythmé, captivant, drôle et riche. Et même le fait qu'il nous montre l'armée comme une joyeuse famille ne réussit pas à tempérer le plaisir de gosse qu'on prend à à la regarder...
La proximité du titre de ce film avec Cinderella (Cendrillon) n'a rien d'une coïncidence: Ella Cinders (Colleen Moore) est en effet le mouton noir d'une famille recomposée, une jeune femme délaissée, bonne à tout faire de ses bonnes à rien de belle-mère et belle-soeurs... La chance viendra de ce que son ami Waite Lifter, à la fois bonne fée et prince charmant, va lui permettre de faire: il l'aide à participer à un concours organisé par un sudio de Hollywood. Ella gagne, se rend à Hollywood, et... comme Mabel Normand dans The extra girl, de F. Richard Jones, doit faire face à une sérieuse déconvenue: le concours n'était qu'une escroquerie. Mais Ella, qui en veut, réussit à s'introduire dans un studio, et après avoir mis involontairement son grain de sel dans un ou deux tournages (Dont une scène hilarante avec Harry Langdon), se fait engager...
Inspiré d'un comic strip alors très populaire, le film est une démonstration des talents très dynamiques de Colleen Moore, qui se posait un peu comme un équivalent féminin des clowns de l'écran, en particulier Harry Langdon, dont l'apparition était rendu possible par le fait qu'Ella Cinders était une production First National, comme les films de la star de la comédie. Moore, dont le physique la rapproche de Lillian Gish (Ce qui explique le choix de l'actrice pour un remake parlant de The scarlet Letter en 1934), est une comédienne au sens Américain du terme, une femme qui utilise la plastique de son corps, son visage en particulier, pour véhiculer la comédie: on rit beaucoup grâce à elle dans ce film, riche en gags. Le plus célèbre est basé sur un trucage, pourtant: Ella, devant son miroir, essaie de travailler son regard pour apprendre à jouer la comédie, et louche de multiples façons. Il fallait l'oser... Pas sur qu'une Gloria Swanson, ou une Lillian Gish se seraient prêtées au gag! Et l'histoire du film, calquée sur celle de Cendrillon, avec une douce ironie, fonctionne aussi bien que lorsque le fameux conte est appliqué au canevas d'un mélodrame. Green, qui restera un metteur en scène à la Warner après que celle-ci ait absorbé la First National, fait très bien son travail, et Lloyd Hugues en jeune premier est parfait: du grand art Hollywoodien, quoi...
Ce film du coup est un classique, qui supporte bien plusieurs visions, et à chaque fois on est ébahi par le fait que décidément, Colleen Moore, qu'il s'agisse de faire rire ou pleurer, qu'elle se batte contre ses méchantes "soeurs", sa méchante belle-mère, un cigare ou un lion, est impeccable!
Au beau milieu des années 20, un film Américain, qui plus est réalisé par DeMille, et qui présente les Bolcheviks sous un jour tolérant et raisonnable, tout en rappelant que les « russes blancs », les tsaristes avaient commis trop d’excès en matière d’infamie, justifiant ainsi la révolution Russe : c’est le Batelier de la Volga. Bien sur, d’une manière générale, le metteur en scène de ce mélodrame mouvementé tend à renvoyer les révolutionnaires et les amis de Nicolas II dos à dos, mais le film prend malgré tout le parti de montrer qu’un changement était nécessaire… Qu’on se rassure, la première intention de DeMille était de divertir, et cette fois il n’a pas failli.
Fédor, un batelier (William Boyd), jure de tout faire pour sortir son peuple de la ruine et de l’esclavage, et une fois la révolution venue, il envahit avec ses amis le château local afin de faire payer les nobles. Sommé par les siens de tuer une jeune aristocrate (Elinor Fair), il recule, étant tombé amoureux d’elle; il parvient à fuir en sa compagnie, et s’ensuivent maintes poursuites, d’un coté comme de l’autre, impliquant non seulement les deux héros mais aussi un jeune officier tsariste (Victor Varconi)et une paysanne (Julia Faye)vaguement amoureuse de Fédor, qui n’a de cesse, par jalousie de vouloir tuer la princesse. Autant d’ingrédients du mélodrame, qui sont pris aussi frontalement que possible; les péripéties sont enchaînées sans temps mort, et les choix de mise en scène sont d’une grande lisibilité : on est en plein cinéma populaire, sans génie, mais aussi sans prétention (Après l'insupportable et lourdingue The road to yesterday, ça s’imposait…). Le suspense propre au genre est très présent, malgré la faiblesse de certains acteurs (Varconi, importé d’Autriche, avait déjà été acteur chez Kertesz/Curtiz dans Sodome et Gommore et Le jeune Medard; on le retrouvera souvent chez DeMille.) et le rythme emporte l’adhésion. Certains efforts superflus débouchent sur des conséquences inattendues : DeMille a souhaité que les soldats tsaristes soient tous interprétés par des émigrés authentiques : on n’en demandait pas tant, surtout que l’ensemble du film est constamment invraisemblable. Mais le cinéaste a pu s’offrir une scène d’anthologie : la princesse, prise pour une paysanne, est dénudée par les soldats: on ne verra rien d’elle, seuls les visages des soldats, cadrés de plus en plus près, nous renseignent sur l’avancement de leur entreprise, qui est sans doute l'anecdote la plus proche du viol que se sera permise DeMille. Les visages, le montage, tout concourt à conférer à la séquence un suspense, ainsi qu’un inévitable sentiment fripon recherché par le vieux coquin qu’était ce bon Cecil… Ce déshabillage fait écho à une autre scène érotique, décidément l’un des forte de ce Puritain paradoxal: pour provoquer Fedor, la princesse Vera marque une croix sur son sein gauche afin de lui fournir une cible, ce qui va au contraire le décider à l’épargner.
En terme d’approximation, le film n’a rien à envier au Griffith de Orphans of the storm, mais le baroque permanent du film le rapprocherait plutôt du Rex Ingram de Scaramouche: les deux cinéastes partagent le même parti-pris pour la révolution, tout en se méfiant des foules révolutionnaires. Toutefois, celles de DeMille sont plus sympathiques, peuplées de ses vieux acteurs d’élection, notamment Julia Faye, qui doit son retour en grâce au renvoi de Jetta Goudal: Faye, après avoir joué des seconds rôles dans les comédies de 1917/1918, avait été rétrogradée en figurante et utilités diverses: ici, elle en fait des tonnes…
Bref, si on est loin des comédies de la grand époque, ce film d’aventures est très recommandable, et montre un juste milieu que DeMille n’a que rarement su atteindre en ces années 20 : de l’efficacité, quelques audaces, une certaine retenue, et surtout un refus de seprendre trop au sérieux, ce qui est trop souvent la grande maladie du cinéaste. Une dernière recommandation, toutefois : avant de voir ce film, il convient bien sur de laisser toutes ses connaissances historiques au vestiaire.
Don José (Louis Lerch) fuit son village natal de Navarre, où il a tué un homme par accident. Il s’engage dans l’armée, et fait partie d’une troupe de soldats qui arrive à Séville, où sévissent des contrebandiers, menés par Garcia, dit Le Borgne (Gaston Modot) et sa compagne Carmen (Raquel Meller), dont José va tomber amoureux… Pour son malheur.
Carmen, la nouvelle de Prosper Mérimée, a fourni au cinéma muet de la matière ; rien que l’année 1915 a vu sortir trois films, et non des moindres: un DeMille avec la cantatrice Geraldine Farrar, un film de Raoul Walsh pour la Fox avec Theda Bara, aujourd’hui perdu comme la plupart des films de l’actrice ; de son côté, Chaplin a tourné pour la Essanay un pastiche de Carmen, sorti un an plus tard… En 1918, Lubitsch tourne sa version avec Pola Negri, et Feyder leur emboîte le pas en 1926, sur une commande de l’Albatros. Le but poursuivi par le studio, assez clairement, était de mettre en valeur l’actrice Raquel Meller, mais ce n’est pas à proprement parler un choix des plus judicieux, surtout que le bruit court que l’actrice ne s’est pas entendue avec son metteur en scène.
Celui-ci était pourtant dans son élément : il tourne ici un drame, que son scénario n’édulcore pas. Dès le départ, en filmant un prologue d’une dizaine de minutes qui nous montre la fuite de Don José, il installe l’idée d’une fuite à jamais, d’un éloignement inéluctable du bonheur, avec une très belle scène d’adieux du jeune homme à sa mère. Comme dans L’Atlantide et Visages d’enfants, Feyder a choisi de tourner son film sur les lieux même de l’action, et l’Espagne aride et sèche du film sied parfaitement au drame, qui vire comme dans L’Atlantide à l’obsession de José pour Carmen… Mais celle-ci manque cruellement de substance, étant tout au plus une héroïne vaguement endimanchée en gitane. Privé de sa principale attraction, le drame de Mérimée s’affadit, pour ne plus être qu’un superbe album d’images : le décoratif l’emporte.
Bien sur, les acteurs ne sont pas mauvais, loin de là : Gaston Modot, en Garcia, incarne un Gitan autrement plus flamboyant que Meller; et Lerch est convaincant, lui aussi… Feyder lui a donné par trois fois des affrontements à l’arme blanche qui nous montrent son évolution, depuis une bagarre qui tourne mal, jusqu’à un affrontement inéluctable entre José et le Borgne pour les beaux yeux de Carmen. Dommage que celle-ci n'ait pas suivi.