Jeff Warren (Glenn Ford) est un conducteur de locomotive, qui revient de la guerre de Corée et reprend pied dans la routine de son travail: les trajets avec son meilleur copain, le bivouac chez ce dernier en compagnie de son épouse et de la charmante fille de la maison, la vie est simple et pleine de possibilités... Il croise aussi Car Buckley (Broderick Crawford), le taciturne collègue qui a pris du galon en trois ans. Il s'est aussi marié avec une jeune femme désireuse de s'élever, et qui déchante, la belle Vicky (Gloria Grahame)... Celle-ci aide son mari à conserver son boulot, mais elle le fait de la seule façon qu'elle ait jamais pu obtenir les choses, en couchant avec le patron. Pour Carl, c'est l'équation impossible: demander de l'aide à son épouse, coûte que coûte, mais refuser la méthode. Du coup, il tue son patron durant un trajet inter-cité. Mis il y a un témoin potentiel, justement: Warren, qui rentre chez lui...
Un héros peu loquace, une femme fatale, et un mari jaloux et violent. le triangle amoureux présenté en rappelle un autre, et le décor ferroviaire insiste: ce film est bien un remake de La Bête Humaine de Renoir (1938), et s'éloigne encore plus que le film Français du roman de Zola. Bien que le livre soit mentionné, on en est loin, et le script est du pur film noir Américain... Pour Jeff, l'homme comme vous et moi qui fait son boulot, nouveau brave type qui vient rejoindre les Spencer Tracy, Henry Fonda, Gary Cooper, Randolph Scott ou George Raft des films précédents de Lang, le retour à la vie civile va être le retour aux passions et aux petits matins blêmes, avec la couleur rouge sang du meurtre en prime...
Et justement, le film justifie pleinement son titre, avec une galerie de portraits formidables. Warren a beau être un brave type, il est malgré tout assez ouvert à l'aventure sous tous les sens du terme, et Vicky, qui lui met le grappin dessus, sait ou croit qu'elle n'aura pas trop à le pousser pour qu'il commette un meurtre. Pris dans le feu de passions contradictoires, Carl est piégé entre sa volonté de prestige, et le fait que sa femme est trop belle pour lui. Il souhaite à la fois utiliser cet avantage et garder la beauté de Vicky pour lui. Quant à Vicky, un rôle de garce particulièrement élaboré pour Gloria Grahame, elle a appris la vie essentiellement à travers le désir qu'elle inspire chez les hommes qui l'entourent...
Du coup, le fait que le script déplace les faits du scénario de Renoir (rappelons que dans La Bête Humaine, c'est Gabin lui-même qui était le meurtrier) essentiellement pour des raisons de censure, créée les conditions d'une vision du monde totalement pourrie par le désir et l'incapacité de certains humains de l'assumer. La façon dont Lang semble se débarrasser de la participation de son héros au meurtre et à l'adultère, dégoûté par les manigances de Vicky, permet aussi au couple homicide Carl-Vicky de terminer le film dans une escalade de violence et de mort, qui tendrait à démentir toute notion de happy-end... Tout en nous indiquant que le véritable personnage de ce film est Vicky, la femme qui n'a que sa séduction, mais sait particulièrement s'en servir. Sordide, méchant, grinçant et avec une femme fatale en cerise sur le gâteau: voilà ce qui fait d'un remake boîteux un paradoxal film noir modèle...