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24 février 2020 1 24 /02 /février /2020 13:32

C'est le premier film d'une série de cinq, qui seront tous réalisés par Sandberg. Tous n'ont pas survécu, et ce moyen métrage qui devait totaliser environ 40 minutes n'est pas non plus complet: il y manque un début qui aurait été une exposition... Cela étant dit, étant admis qu'on ne me fera jamais dire qu'il est bénéfique qu'un film se voie privé d'une partie de son métrage, le fait est qu'en l'état, ce film policier commence de la plus belle des façons, par une poursuite spectaculaire...

Le titre de la "série", tout d'abord": il signifie tout simplement "l'homme au doigt manquant"... On est en plein dans une période de création d'un genre, le cinéma policier, sous l'influence de Jasset et Feuillade, et Sandberg sacrifie au principe d'un héros et d'un anto-hérs récurrents, comme Fantômas et Juve dans les cins films de Feuillade, qui inspireront à peu près tout le courant policier (Lang en tête!) pour le reste du cinéma muet et même au-delà...

Deux policiers, Jackson (Alf Blütecher) et Warren (birger Von Cotta-Schonberg), sont à la poursuite d'un dangereux malfaiteur, Smith (Aage Hertel), qu'ils soupçonnent d'être le mystérieux bandit au doigt manquant, et il leur échappe. Par un stratagème, il les attire tous deux, séparément, dans une villa, afin de se débarrasser d'eux: ils sont tous deux, prisonniers, alors qu'une bombe va exploser... Notons que dans les copies Anglophones, Jackson devient Stacey et Smith le moins transparent Morton.

Coups de théâtre, poursuites, déguisements, ligotages, séquestrations, sauvetages de dernières minutes... Avec de telles situations, on ne s'étonnera pas que Sandberg, sous l'influence des styles baroques de Feuillade et Jasset, se jette à fond dans la bataille du suspense, et ça marche... Le film est sans doute un modeste effort, un complément de programme destiné à fidéliser les foules comme il en existait des tonnes dans toutes les cinématographies durant les années 10, mais il est très réussi...

 

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Published by François Massarelli - dans 1915 A.W. Sandberg Muet Noir
15 février 2020 6 15 /02 /février /2020 14:13

Jeff Warren (Glenn Ford) est un conducteur de locomotive, qui revient de la guerre de Corée et reprend pied dans la routine de son travail: les trajets avec son meilleur copain, le bivouac chez ce dernier en compagnie de son épouse et de la charmante fille de la maison, la vie est simple et pleine de possibilités... Il croise aussi Car Buckley (Broderick Crawford), le taciturne collègue qui a pris du galon en trois ans. Il s'est aussi marié avec une jeune femme désireuse de s'élever, et qui déchante, la belle Vicky (Gloria Grahame)... Celle-ci aide son mari à conserver son boulot, mais elle le fait de la seule façon qu'elle ait jamais pu obtenir les choses, en couchant avec le patron. Pour Carl, c'est l'équation impossible: demander de l'aide à son épouse, coûte que coûte, mais refuser la méthode. Du coup, il tue son patron durant un trajet inter-cité. Mis il y a un témoin potentiel, justement: Warren, qui rentre chez lui... 

Un héros peu loquace, une femme fatale, et un mari jaloux et violent. le triangle amoureux présenté en rappelle un autre, et le décor ferroviaire insiste: ce film est bien un remake de La Bête Humaine de Renoir (1938), et s'éloigne encore plus que le film Français du roman de Zola. Bien que le livre soit mentionné, on en est loin, et le script est du pur film noir Américain... Pour Jeff, l'homme comme vous et moi qui fait son boulot, nouveau brave type qui vient rejoindre les Spencer Tracy, Henry Fonda, Gary Cooper, Randolph Scott ou George Raft des films précédents de Lang, le retour à la vie civile va être le retour aux passions et aux petits matins blêmes, avec la couleur rouge sang du meurtre en prime...

Et justement, le film justifie pleinement son titre, avec une galerie de portraits formidables. Warren a beau être un brave type, il est malgré tout assez ouvert à l'aventure sous tous les sens du terme, et Vicky, qui lui met le grappin dessus, sait ou croit qu'elle n'aura pas trop à le pousser pour qu'il commette un meurtre. Pris dans le feu de passions contradictoires, Carl est piégé entre sa volonté de prestige, et le fait que sa femme est trop belle pour lui. Il souhaite à la fois utiliser cet avantage et garder la beauté de Vicky pour lui. Quant à Vicky, un rôle de garce particulièrement élaboré pour Gloria Grahame, elle a appris la vie essentiellement à travers le désir qu'elle inspire chez les hommes qui l'entourent...

Du coup, le fait que le script déplace les faits du scénario de Renoir (rappelons que dans La Bête Humaine, c'est Gabin lui-même qui était le meurtrier) essentiellement pour des raisons de censure, créée les conditions d'une vision du monde totalement pourrie par le désir et l'incapacité de certains humains de l'assumer. La façon dont Lang semble se débarrasser de la participation de son héros au meurtre et à l'adultère, dégoûté par les manigances de Vicky, permet aussi au couple homicide Carl-Vicky de terminer le film dans une escalade de violence et de mort, qui tendrait à démentir toute notion de happy-end... Tout en nous indiquant que le véritable personnage de ce film est Vicky, la femme qui n'a que sa séduction, mais sait particulièrement s'en servir. Sordide, méchant, grinçant et avec une femme fatale en cerise sur le gâteau: voilà ce qui fait d'un remake boîteux un paradoxal film noir modèle...

 

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Published by François Massarelli - dans Noir Fritz Lang
10 février 2020 1 10 /02 /février /2020 13:52

En pleine "grande dépression" (la crise de 1929), Burke, un journaliste local à New Orleans (Rock Hudson) débusque une troupe d'aviateurs, qui vont de ville en ville pour y présenter des cascades spectaculaires: parmi eux se trouve, en effet, le légendaire aviateur de la première guerre mondiale Roger Shumann, qui avait abattu quatorze avions ennemis, mais qui depuis a galéré pour vivre. passionné par le personnage (Robert Stack), pourtant pas d'un abord facile, et fasciné par son épouse, Laverne (Dorothy Malone), Burke décide de leur consacrer une série d'articles, contre l'avis de son rédacteur en chef...

Autre temps, autres moeurs, si on enlève toute allusion verbale à la guerre (supposée être "14 années auparavant"), et toute référence à la culture de l'époque, rien dans le film tel qu'on peut le voir ne renvoie aux années 30; c'est même pire, il s'agit visuellement d'un film qui présente un univers totalement imprégné des années 50, habillement, coiffures, et même les avions. Ce qui pourrait être jugé comme du mépris est à prendre avec des pincettes, comme une façon pour Sirk de dire que comme d'habitude il parle des Américains contemporains...

Seulement il faut avoir le coeur bien accroché, tant le film est, j'utilise ici un adjectif ici pesé, répulsif. Ces gens qui boivent, s'engueulent, s'agressent, se disent qu'ils s'aiment en se hurlant dessus, s'envoient paître aussi souvent que possible, se haïssent et reboivent, ne me donnent aucune envie d'aller plus loin.

Dont acte. On doit être chez Faulkner...

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Published by François Massarelli - dans Noir Douglas Sirk
7 février 2020 5 07 /02 /février /2020 09:29

Sorti en septembre 1946, c'est sans doute un film tardif dans le cycle, pourtant tout lie Cloak and dagger à Man Hunt, Hangmen also die, et Ministry of fear, les trois films de propagande réalisés en 1941, 1942 et 1944 par le réalisateur. Tous parlaient de prise de conscience et de décisions de résistance, face à l'hydre du nazisme. L'intention de Lang était cette fois de permettre au film un lien avec le futur, et l'âge de l'atome, mais la production en a décidé autrement...

1944: Alvah "Al" Jesper (Gary Cooper) est un physicien de renom, que l'OSS (Organisation services secrets) va embaucher en tant que spécialiste pour récupérer deux scientifiques contrôlés par les nazis et les fascistes en Europe et dont les recherches pourraient accélérer les connaissances des puissances de l'axe en matière de bombes atomiques. Il se rend à Zurich pour y récupérer le professeur Katerin Lodor, mais elle lui échappe, et c'est le début d'une course à travers l'Europe, entre la Suisse et l'Italie, pour récupérer l'autre professeur...

Ca commence en bon film de Lang, par une opération vue de nombreux points de vue, avec l'usage des figures Langiennes habituelles: signes, suspense, les inquiétantes visites nocturnes... Puis, bien plus que sur les trois films de propagande précédents, le metteur en scène va s'amuser avec l'accumulation de péripéties improbables dans lesquelles Gary Cooper, espion de circonstance, et pas forcément particulièrement doué, va se perdre et se débrouiller tant bien que mal. Et c'est à la fois plus léger que les autres films, et sans doute très Hitchcockien, comme si une évolution du cinéma faisait tout à coup passer Cloak and dagger entre The 39 steps et, disons, Saboteur ou même Torn curtain (avec lequel d'ailleurs Cloak and dagger comprend plus d'un troublant point commun).

Alvah, profane de choc placé malgré lui dans une situation qui le dépasse, a pourtant une longueur d'avance sur les héros des trois films mentionnés plus haut: il est, lui, volontaire pour se prendre des tuiles et se mettre en danger! Le film, dont le titre est une allusion à l'expression utilisée pour désigner familièrement le monde de l'espionnage, est sans doute le plus romantique des quatre, et pour cause: la guerre est finie, d'où une position paradoxale. Néanmoins, le temps d'un film, Lang relance les conflits, se permettant de nouvelles figures de style, parmi lesquelles l'une des plus notables est l'intrusion (impensable en temps de guerre) d'un personnage de femme Américaine que les sympathies nazies ont transformé en espionne de première classe...

Mais pour la production, il s'agissait de rendre hommage au travail accompli par les services secrets durant la guerre pour effectuer un lien avec les différentes Résistances locales; pour Lang, il fallait plutôt retourner sur le terrain et aller voir si on n'était pas confronté à une fuite du nazisme vers d'autres cieux, puisque il souhaitait montrer qu'après la guerre, une sorte de continuité s'était effectuée entre l'Allemagne d'Hitler, et l'Espagne ou l'Argentine... Une vision pessimiste que la production n'a pas souhaité laisser s'exprimer, faisant de ce petit film d'aventure, au moins, une impeccable intrigue romantique à souhait, où Gary Cooper et Lilli Palmer volent la vedette à la Résistance de la plus belle des manières...

 

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Published by François Massarelli - dans Fritz Lang Noir
6 février 2020 4 06 /02 /février /2020 08:29

Dans une hypothétique société du futur, un policier fait son travail... morne: le monde est désormais dominé par une matrice, un oeil central auquel chacun est connecté, et enquêter sur une mort suspecte est totalement facile: il suffit de charger les "souvenirs" de la victime; et on trouve le coupable ou les circonstances inconnues du décès. Et trouver une identité est devenu facile, puisque les gens autour de soi sont tous affublés d'un déroulant contenant leurs noms et prénoms... Seulement une série de meurtres peu banals est perpétrée: les souvenirs des victimes ont tous été altérés, et la mort est vue du point de vue du tueur... Comme l'inspecteur Sal Grayson (Clive Owen) a croisé le jour d'un de ces meurtres le chemin d'une mystérieuse inconnue (Amanda Seyfried) sans identité, dont les images se sont ensuite détruites dans son souvenir, il est intrigué...

Ce qui était mon cas aussi: je le dis depuis quelques années, Andrew Niccol peut être un auteur remarquable, et pas qu'en tant que scénariste (The Truman Show, de Peter Weir); et l'un de ses points forts est d'imaginer des mondes tangibles à quelques encablures de notre société, quitte occasionnellement à retourner à l'époque contemporaine et à son effrayante technologie quasi-futuriste: Lord of war et Good Kill sont ainsi deux films qu'on ne pourra qualifier de science-fiction... Mais Niccol n'est pas infaillible non plus, en témoigne The host, cet étrange film longuet, aux émois adolescents et au prétexte rébarbatif un poil trop gloubi-boulga: des aliens prennent nos corps, mais l'un d'entre eux devient l'ami d'une âme humaine qui fait de la résistance! 

Anon est à la croisée de toutes les tendances de l'oeuvre, à la fois un film futuriste reposant sur un gimmick technologique fort (comme Gattaca, InTime voire SimOne), une oeuvre vaguement visionnaire (Gattaca, Truman) en même temps qu'un film à thèse (Lord of war, Good Kill), le problème étant que s'il ne retient qu'une seule chose de The host, c'est... la tendance franche au ridicule.

L'idée de révéler in fine, dans cette société dématérialisée transformée en un facebookinstagram géant, qu'il y est considéré comme plus grave par les autorités de vouloir échapper aux radars que de vouloir commettre des meurtres, est bien sûr intéressante, et c'est la clé du film, dont la belle hackeuse devient une sorte de Robin des bois plus solitaire que jamais; mais il y a ici une manière de faire, et une direction d'acteurs notamment, qui est presque révoltante, tant le mot d'ordre a été d'étouffer toute émotion. Chaque geste devient mécanique, chaque expression vide, et honnêtement on souffre pour Clive Owen qui ressemble dans chaque scène à une planche à repasser. Au moins, InTime nous amusait avec ses deux Robins du Temps. Pas celui-ci qui est un film tout rabougri dont la principale qualité est de ne pas essayer trop longtemps d'être un film très prétentieux à la Christopher Nolan, ou un épisode raté de Black Mirror...

 

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Published by François Massarelli - dans Andrew Niccol Science-fiction Noir
31 janvier 2020 5 31 /01 /janvier /2020 19:20

Lors d'une spectaculaire inondation, aux alentours de Norwich, un couvent doublé d'un hôpital va être le théâtre de passions inattendues: alors que les gens du coin s'y sont réfugiés, alors que les religieuses comme les médecins et infirmières sont en pleine crise, un convoi inattendu arrive: en route vers la prison où elle sera exécutée, une condamnée notoire (Ann Blyth) arrive pour faire une halte forcée par les circonstances météorologiques. Pleine de rancoeur, elle va subir la haine des petites gens réunis, mis elle touche Soeur Mary (Claudette Colbert), qui fait la liaison entre le couvent et l'hôpital. Parfois critiquée pour son positivisme, détestée des aigris, Soeur Mary est touchée par la jeune femme dont elle sent qu'elle n'a pas pu commettre le crime dont elle est accusée... Et elle a raison.

C'est un film aux multiples couches, de ses comme de genre et d'intrigue. D'un mélodrame profond et sujet aux inévitables coïncidences troublantes (certains personnels de l'hôpital ont par exemple été mêlés à l'histoire judiciaire du meurtre), c'est aussi une certaine forme de whodunit, dans lequel Sirk et les scénaristes ne tardent pas à nous donner suffisamment de gages pour que nous puissions recoller les morceaux avant que l'histoire ne nous soit expliquée dans les dix dernières minutes. Comme on s'en doute, le grand absent du film, c'est la victime, qui est finalement juste un souvenir, ou un prétexte assez pratique pour le film...

Et les passions sont partout, dans ce film qui nous conte par ailleurs les tensions entre les médiocres (dont une infirmière à la Milos Forman, qui ne supporte pas Soeur Mary "parce qu'elle a toujours raison"...) et l'héroïne; un médecin a aussi un souci avec son épouse erratique qui dans un premier temps panique à cause de l'inondation, puis à cause de la présence de la condamnée... Car clairement elle la connaît. De son côté, Mary a elle aussi un passé, et une faute sur sa conscience: le suicide de sa soeur, qu'elle n'a pu empêcher. 

Et dans un noir et blanc d'une beauté assez gothique, sur des nappes d'eau qui s'infiltrent partout et sont elles-même accompagnées d'une brume surnaturelle, Mary va tester sa foi en même temps que son humanité... Le travail de William Daniels, le grand chef-opérateur du muet, est crucial dans ce beau film certes excessif, mais qui est d'une grande richesse, et surtout comme tout grand mélodrame, il abandonne dès le départ la timidité et la tiédeur... Et c'est passionnant, bien sûr. Le film ne souffre même pas de l'imposition par la Universal, au milieu des solides acteurs Britanniques, de deux Américaines qui selon la tradition largement instaurée à Hollywood, ne font pas le moindre effort de dissimuler leur accent.

 

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Published by François Massarelli - dans Noir Douglas Sirk
26 janvier 2020 7 26 /01 /janvier /2020 16:33

C'était une période très difficile pour Lang, sans doute. Le manque de succès de ses films noirs, le manque de soutien aussi, pesaient, et il s'est donc retrouvé à la Republic. Mis contrairement à Wayne ou Ford, qui à la même époque travaillaient volontairement pour la firme fauchée de Herbert Yates parce qu'ils savaient qu'on leur y laisserait les coudées franches, Lang y était plus ou moins obligé parce qu'il était brûlé un peu partout... C'est donc avec ce film, un noir particulièrement sordide, qu'il s'est retrouvé à travailler avant de rentrer à la Fox par la très petite porte afin d'y réaliser un film indigne de lui.

S'il a très mauvaise réputation, ce film en revanche est tout sauf indigne: on y suit les aventures d'un écrivain qui a tué une femme qu'il désirait par peur d'être attrapé, et qui finit par se rendre compte que tout accuse son frère; il va donc le charger... Dès le début, Lang ne nous laisse aucun répit et commence à accumuler les signes. Stephen Byrne (Louis Hayward), l'écrivain raté et frustré, vit dans une petite maison au bord d'une rivière, et durant la scène d'ouverture, le flot charrie des troncs d'arbres et... un cadavre de vache, qui passe son temps à aller et venir entre le fond du jardin et l'estuaire! Quand sa femme de chambre lui demande l'autorisation d'utiliser sa salle de bains, Stephen la voit partir avec un oeil gourmand et insistant. Puis quand il se poste en bas de l'escalier qui mène à l'étage, et qu'il entend la jeune femme terminer ses ablutions, il se regarde dans le miroir, et c'est comme si le metteur en scène utilisait cet artifice pour nous montrer la naissance du monstre à l'intérieur de Stephen...

Le miroir reviendra, du reste, souvent, car Stephen est non seulement un monstre, c'est aussi un homme vaniteux, au cynisme et à l'aplomb phénoménaux. Mais le film bifurque pourtant assez vite, car Lang ne cherche pas à faire de ce film l'histoire de Stephen seul. Ce dernier est marié à la belle Marjorie (Jane Wyatt), qui s'inquiète de la transformation de son mari suite à la "disparition" de leur domestique. Et bien sûr, le personnage le plus positif reste John, le frère de Stephen (Lee Bowman), un modeste employé de banque atteint d'une déformation, et qui a commis une faute et une seule: il a aidé son frère à se débarrasser du corps encombrant de la jeune Emily...

Une fois qu'il a aidé Stephen, John semble endosser à lui seul la responsabilité du crime. Là où Stephen louvoie, donne le change, s'improvise en maître criminel, ne commettant apparemment pas une erreur, John lui s'irrite, s'inquiète et s'enferme chez lui. Et surtout il va devenir pour la sagesse populaire le parfait suspect, comme s'il devenait le principal protagoniste d'une fiction montée de toutes pièces par Stephen! Celui-ci, d'ailleurs, va bénéficier du crime puisque la publicité générée par la disparition, puis l'annonce de la mort d'Emily (dont le corps a été retrouvé, bien sûr, allant et venant sur la rivière): d'écrivain raté, il va devenir un auteur en vue de best-sellers...

Marjorie et John vont se rapprocher, et Stephen de son côté s'éloigner toujours un peu plus de son épouse. Puis il va se lancer dans l'écriture d'un roman inspiré de son expérience, finissant en transposant dans la fausse fiction une réalité bien embarrassante de passer de l'autre côté du miroir. 

Avec sa rivière traîtresse, ses scènes nocturnes et son crime plus crapuleux que jamais, situé au tournant du vingtième siècle, ce film sulfureux est une magistrale plongée dans les tréfonds de l'âme humaine, entre morale (John) et corruption (Stephen), et c'est à sa façon, un authentique chef d'oeuvre du film noir et à mon sens l'une des meilleures manifestations du génie indéniable de Fritz Lang.

 

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Published by François Massarelli - dans Noir Fritz Lang
6 janvier 2020 1 06 /01 /janvier /2020 16:07

Ce film, sorti au beau milieu des années 40, est non seulement un superbe film noir, mais il va plus loin: comme The big sleep, Mildred Pierce, Shadow of a doubt ou Double indemnity, il fait partie d'une poignée d'oeuvres qui vont déterminer pour longtemps les contours même du genre... Qu'il soit dû au solide métier de Jacques Tourneur ne devrait nous étonner qu'à moitié, car si le metteur en scène est connu paradoxalement pour ses rares films fantastiques, c'était aussi un talentueux orchestrateur de films, rompu à tous les exercices de style, dont le talent pouvait en particulier s'accommoder sans problème d'un genre qui oscillait à la croisée de tous les autres: films d'action, d'aventures, policier et film fantastique pour les ambiances nocturnes, tout cela faisait le film noir.

Nocturne: le mot est lâché, et ce film intense est indissociable du talent de son chef-opérateur, Nicholas Musuraca. Du reste, le plus célèbre crédit de ce technicien hors-pair, sans surprise, est Cat People de... Jacques Tourneur. De là à penser que ce dernier opère avec ce film un transfert de sa maîtrise en matière de fantastique vers le genre le plus prisé des metteurs en scène dans les années 40, il n'y a qu'un pas...

Jeff Bailey (Robert Mitchum) tient une station-service sur les rives du lac Tahoe, où il aime aller pêcher avec son employé, un jeune sourd-muet (Dickie Moore). Il a une petite amie, Ann Miller (Virginia Huston). Les parents de cette dernière désapprouvent cette union, parce qu'ils se méfient de Jeff, un nouveau venu en ville... Qui a en effet, sous un autre nom, un passé chargé qui ne va pas tarder à lui revenir en pleine figure: l'ancien détective privé Jeff, de son vrai nom Markham, a fui Whit ( Kirk Douglas), un patron de la pègre qui ne pouvait que lui en vouloir, lorsque Markham avait fichu le camp avec sa petite amie Kathie Moffat (Jane Greer), mais il avait aussi fui Kathie quand il s'était rendu compte que cette dernière s'était servie de lui contre Whit. Et Whit, qui vient de retrouver Jeff, lui fait savoir qu'il a un travail à lui confier... Un travail, ou un enterrement de première classe?

Comme The big sleep ou The Maltese Falcon, difficile de résumer ce film, dont l'essentiel tient ailleurs: dans l'impossibilité pour Jeff Markham-Bailey de se sortir d'un milieu qui ne souhaite pas qu'il en parte, alors qu'il n'avait pas du tout vocation à en faire partie! Et Jeff, qui n'est pas né de la dernière pluie, sait ce qui se trame autour de lui, et qu'il est le jouet aussi bien de Whit que de Kathie, deux êtres voués, eux, au mal. Cet aspect est sans doute le ytrait le plus distinctif du film, le fait que Jeff (il s'en ouvre assez franchement auprès de Kathie au début) sent qu'il est coincé et que tôt ou tard, le passé reviendra pour l'empêcher de jouir du présent...

Du coup c'est un homme en perpétuelle fuite, une fuite précaire, incertaine, et qui donne souvent l'impression que l'ex-détective, mal vu dans son ancien milieu comme dans son environnement actuel, avec ces braves gens qui se méfient de lui, est un condamné en sursis, un peu à la façon dont le Dr Holden sera le jouet de forces démoniaques dans Night of the demon. Les scènes nocturnes, une majorité dans le film, et les nombreuses scènes dans les bois, nous montrent d'ailleurs quelqu'un qui semble chercher à l'écart des endroits désignés du film noir, un salut qui ne viendra jamais! Jeff Bailey ou Markham ne sera jamais chez lui nulle part.

Avec sa narration basée sur un premier acte qui tient essentiellement du flash-back conté en voix off par son héros, puis un mélange d'atmosphère entre les divers univers où évolue Jeff, Tourneur se joue des formes habituelles du film noir qu'il transcende allègrement, en y opérant des variations minutieuses. En gros il le réinvente à sa façon, aidé par le travail exemplaire de Musuraca, et des acteurs formidables. On remarquera au passage que le film présente certes un méchant inhabituel, avec la distinction presque juvénile de Kirk Douglas, mais aussi non pas une, mais deux femmes fatales potentielles, avec Rhonda Fleming qui vient s'ajouter, dans le rôle de Meta Carson, à la fête... Bref, ce film, l'un des plus longs de son auteur (avec seulement 97 minutes au compteur) est une réussite essentielle.

 

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Published by François Massarelli - dans Noir Jacques Tourneur
27 décembre 2019 5 27 /12 /décembre /2019 17:44

Après deux films à message, Lang persiste et signe, une dernière fois, dans une relative indépendance. You and me, moins apprécié que Fury et relativement peu montré, est un étrange film dans sa filmographie, mais après tout, pas plus que, au hasard, Hangmen also die ou Cloak and dagger... Une expérience, en quelque sorte, dans laquelle il poursuit son exploration de la notion de culpabilité et de l'implacabilité du destin, dans un cadre fortement inattendu pour lui: la comédie!

Joe (George Raft) et Helen (Sylvia Sidney) travaillent tous les deux dans le grand magasin de M. Morris. Ce dernier s'est fait une spécialité d'ouvrir les portes de son établissement à tous les repris de justice, ex-taulards et brebis égarées qu'il a pu trouver, et la plupart d'entre eux lui sont reconnaissants. Mais tous ne savent pas forcément qu'absolument tous les employés ont un casier judiciaire, et de fait Joe, s'il n'a pas caché la vérité à Helen (il fut un redoutable braqueur de banques), ignore que cette dernière a un casier, et qu'elle doit encore voir son officier de probation toutes les semaines... Quand ils se marient, elle n'ose toujours pas lui dire. Pendant ce temps, un malfrat rode autour du magasin, et essaie de monter tous les anciens prisonniers contre leur patron. Joe résiste, mais jusqu'à quand?

C'est un sujet formidable, mais aussi propice à monter un drame édifiant, qu'une comédie légère. De façon étonnante, c'est cette dernière option que Lang a prise, en faisant tout ce qui est en son pouvoir pour que le drame "conjugal" prenne le plus de place possible. Si George Raft est surtout sobre dans ce rôle inattendu (il n'a jamais eu la réputation d'être un acteur surdoué), il est au moins parfaitement convenable, et même touchant face à la grande Sylvia Sidney. Pour une fois, celle-ci qui tournait pour la troisième fois consécutive, et la dernière hélas, pour Lang, est dès le départ de l'autre côté de la barrière de la loi, et on n'est pas près d'oublier la scène fabuleuse qui la montre expliquer à un tableau noir, craie en pogne, à huit truands endurcis l'exact pourcentage de misère auquel ils auront droit une fois le partage effectué à l'avantage du commanditaire d'un casse! Et l'actrice, qui avait de la répartie, est intégralement crédible aussi bien en épouse inquiète du lendemain, qu'en criminelle endurcie qui se rappelle le bon vieux temps, sans jamais se placer du mauvais côté du Code Hays... Du grand art, quoi.

Mais une fois gratté le vernis de la comédie, le film offre une fois de plus une réflexion sur le bien-fondé du crime, non pas d'un point de vue moral, mais bien d'un côté pratique. C'est inattendu, mais cela n'empêche pas Lang d'avoir doté ses personnages d'un code éthique réel. A ce titre, c'est le principal moteur de l'action et la source des retournements de situation... Comédie oblige, ceux-ci sont généralement un brin trop roses, et certainement bien trop optimistes pour Lang...

Mais celui-ci a su signer ce film d'une autre façon, en confiant de façon étrange à Kurt Weill la bande originale. Celui-ci, probablement sous l'influence du metteur en scène, a donc non seulement signé la musique, mais il a aussi fourni deux chansons "en situation", à la manière de Brecht! Une scène éminemment théâtrale reprend le style du dramaturge Allemand en mettant en scène, lors d'une réunion nostalgique d'anciens truands, les impressions que le destin judiciaires leur inspirent...

Voilà qui fait effectivement un curieux mélange, mais en dépit de ces bizarreries, le film conserve un caractère très proche des thèmes de Lang, de son humanité profonde, et de son obsession de la culpabilité personnelle, qui nous aide à comprendre, non seulement que Joe en veuille à Helen de dissimuler son passé, mais aussi et surtout que celle-ci souhaite s'en affranchir en le cachant. Et comment ne pas se souvenir de M en voyant ces rendez-vous secrets de la pègre? Si ce n'est pas le meilleur film de Lang, il a au moins le mérite, convenons-en, de provoquer la réflexion!

 

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Published by François Massarelli - dans Fritz Lang Noir Comédie
15 décembre 2019 7 15 /12 /décembre /2019 11:47

Voici un film de Lang peu banal, dans lequel le metteur en scène va, à l'instar de Hitchcock dans les trois quarts de Spellbound, s'intéresser à la psychanalyse et en faire la grille de lecture d'un film noir. L'intrigue pourrait tenir dans cette phrase: "Celia et son nouveau mari, Mark, s'aiment, se désirent, mais"...

Le thriller de Hitchcock inscrivait la psychanalyse dans le cadre d'une enquête policière classique, avec inévitable faux coupable, alors que Lang pour sa part a décidé de situer l'intrigue de son film entre les deux protagonistes principaux, avec une affaire strictement privée, même si de sérieux risques de meurtre existent en effet... Celia (Joan Bennett), qui s'est mariée sur un coup de tête, n'a jusqu'à présent jamais regretté son geste jusqu'à ce qu'une idée de blague idiote lui passe par la tête: en interdisant par jeu l'accès de son mari (Michael Redgrave) à la salle de bain où elle vient de passer du temps, la jeune femme se rend compte qu'elle a influencé un changement radical dans le comportement de son mari. Celui-ci part en prétextant d'odieux mensonges, il est froid et distant... Plus grave, elle découvre qu'il est non seulement secret, mais plus encore cachottier, lui ayant tu l'existence d'un fils issu d'un premier mariage. Il faut dire que le bambin n'est pas facile, et est absolument persuadé que Mark a tué sa mère...

Lang a opté pour ce film, pour une mise en scène qui rappellera The woman in the window, à travers une impression constante de rêve éveillé. Il convoque avec l'excellent Stanley Cortez, toute la panoplie du film noir, mais en particulier appuie très fort sur le symbolisme, avec multitudes de portes, de clés, de pièces secrètes et de curieuses manies (l'idée de "collectionner" des pièces de crime, par exemple) qui rendent le film toujours plus baroque. Cette visite de l'inconscient d'une femme qui se découvre de  plus en plus comme potentielle victime de l'obsession meurtrière de son mari est tellement intériorisée qu'on ne se plaindra pas de son improbabilité. Et Joan Bennett, qui passe de la passion à l'inquiétude, est l'actrice idéale pour effectuer le voyage...

Lang retrouve aussi son univers Allemand, un monde dans lequel l'innocence absolue n'existe pas, et chaque personnage devient un rouage du destin, complice volontaire ou non... Tout ça fait de ce nouveau film qui parle du désir (le sujet principal, rappelons-le, de Woman in the window et de Scarlet Street) sous couvert de fantasmes, un film primordial de son auteur, mais aussi assez difficile d'accès. Le public, par exemple, ne s'est pas précipité... Peut-être parce que la logique, ici, n'a pas de mise: un film dans lequel une porte mène à une pièce, une pièce à une fenêtre, une fenêtre à un mur, et un mur à la mort...

 

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Published by François Massarelli - dans Noir Fritz Lang